⭐️Cette aidante a passé 8 ans à soigner ses parents dépendants, en sacrifiant tout le reste
Enfilez les chaussures d'une aidante familiale
C'est l'histoire de Laura.
Agée de 55 ans et fille unique de Michèle et René, enseignants retraités, elle habite Rodez. Divorcée, mère de Marine (19 ans) et Antoine (24 ans), Laura est experte comptable indépendante. Passionnée par son job. Heureuse. Epanouie.
Mais ça c'était avant.
Avant de devenir l'aidante exclusive de ses parents pendant 8 ans.
En septembre 2013, sa mère commence à ressentir des douleurs insupportables dans le dos, prémices d'une descente aux enfers.
Michèle passe une première fois sur le billard, mais les symptômes empirent après l'opération. Elle est à nouveau hospitalisée suite à l'effondrement de sa moelle épinière. Sa douleur s'est atténuée, mais Laura a dû faire face à la démence de sa mère qui s'accélérait.
Anormale, mais banale
Selon les experts en soins aux personnes âgées, la description par Laura de ce qui est arrivé à sa mère est assez courante. À mesure qu'une personne vieillit, sa santé peut se détériorer petit à petit d'une manière qui ne semble pas alarmante. Les seniors se dirigent progressivement vers une falaise. Quand ils tombent, ils se retrouvent sur une autre falaise de santé, et une autre, et une autre. Avec chaque falaise, il devient plus difficile pour un membre de la famille de les retenir.
Les prévoyants et les autres
Certaines personnes âgées ont préparé avec diligence leur avenir. Elle ont souscrit une assurance dépendance, puis ont payé les primes chaque mois, même si elles continuaient d'augmenter. Ou bien, elles disposent d'un bien immobilier de valeur qu'elles sont décidées à vendre en viager.
Ce n'est pas la norme.
De nombreux adultes n'ont aucun plan ou supposent que l'assurance-maladie couvrira leurs frais de santé. Hélas, ce régime ne couvre pas toutes les dépenses dont des millions de citoyens vieillissants ont besoin. Pour cela, vous devez soit payer de votre poche, soit faire appel à des aides publiques de type APA, dont le montant est modulé par les revenus du foyer.
Vieillir chez soi, la meilleure solution ?
C'est ainsi que des millions de citoyens se retrouvent dans des situations comme celle de Laura.
Une maison de retraite coûte trop cher.
Ou, en raison des pénuries de personnel en cours, il n'y a même pas de lits ouverts dans la région.
Au cours de la dernière année et demie, beaucoup les ont également jugés trop risqués en raison des préoccupations liées au Covid-19.
Les soins à domicile semblent plus compliqués, mais c'est presque toujours ce que veut le bénéficiaire, surtout s'il a la possibilité de rester chez lui. La famille décide donc de le maintenir à domicile, sans vraiment anticiper les coûts souvent invisibles qui vont s'accumuler.
Le sacerdoce de l'aidant familial
Laura pensait qu'avec les libertés de son travail, elle pourrait gérer la garde de sa mère au domicile de ses parents, quitte à diminuer légèrement le nombre de clients qu'elle accueillait.
Avec le recul, je me rends compte à quel point j'étais naïve, mes clients ont abandonné, certains après plus de 20 ans de collaboration. Vous ne pouvez pas vous occuper de quelqu'un qui a des besoins aussi élevés tout en parvenant à consacrer une journée de travail.
Dans les années qui ont suivi, la mère de Laura s'est cassé la hanche. Sa démence s'est aggravée. Son père a reçu un diagnostic de démence. Il frappait parfois les gens. Laura a tenté de s'adapter à leurs réalités pour éviter l'agitation. Elle avait l'impression de vivre dans «cette version étrange et imaginaire» du monde.
La spirale 🌪
Sans aucune aide extérieure, elle s'est sentie reculer dans une routine automatisée de changement de couches, de bain, de lavage de literie, de préparation de repas. Le sentiment n'était pas différent de s'occuper d'un bébé, seulement les bébés grandissent et leurs soins deviennent plus faciles. Pour les soins aux personnes âgées, c'est le contraire.
Vous devez éliminer tout ce que vous ressentez car vous n'avez pas le temps pour cela. Vous avez trop à faire.
Après la fin, ce n'est pas fin
La mère de Laura est décédée l'année dernière.
Son père est décédé il y a quatre mois, mais pas avant de développer un cancer du rein qui a nécessité une hospitalisation en USLD. Une fois là-bas, il est devenu si agité et combatif que le personnel a demandé à Laura de dormir dans la chambre – au milieu d'une épidémie active de Covid-19 – juste pour garder un œil sur lui. Après sa mort, Laura s'est retrouvée avec un compte en banque décimé, aucune épargne et aucun revenu.
J'ai 63 ans et j'ai besoin de trouver un travail, mais qui veut d'une vieille de 63 ans ? Je n'arrive même pas à rédiger un curriculum vitae décent. Je suis passée d'une femme forte et confiante qui pouvait tout gérer à quelqu'un qui peut à peine fonctionner.
La solitude, la vraie
Au cours des huit dernières années, Laura a perdu une grande partie de son système de soutien. Elle ne pouvait aller nulle part. Ne pouvait pas socialiser. Ne pouvait pas entretenir des amitiés. Elle ne se souvient plus à quoi ressemblait sa famille et continue de rejouer des scènes dans sa tête, se demandant si elle aurait pu fournir de meilleurs soins.
L'histoire de Laura peut sembler extrême.
Mais ce n'est pas le cas, vraiment.
Le drame des aidants en chiffres
C'est juste que ce travail de soins demeure invisible.
Aux Etats-Unis, selon les données les plus récentes de l'AARP, environ 41,8 millions de personnes, soit 16,8 % de la population, s'occupent d'un adulte de plus de 50 ans. Cela représente une augmentation par rapport aux 34,2 millions (14,3 %) de 2015.
Parmi ces aidants, 28 pour cent ont cessé d'épargner, 23 pour cent se sont endettés davantage, 22 pour cent ont épuisé leurs économies personnelles à court terme et 11 pour cent ont déclaré être incapables de couvrir leurs besoins de base, y compris la nourriture.
L'âge moyen d'une personne qui s'occupe d'un adulte est de 49 ans, mais 23 % sont des millénials et 6 % sont de la génération Z. Soixante et un pour cent sont des femmes et 40 % dispensent ces soins à domicile, contre 34 % en 2015.
Beaucoup de ces aidants sont vraiment, vraiment en difficulté.
Aidant, ce n'est pas une vocation, c'est un métier...
Ce qu'on attend d'eux est plus complexe et prend plus de temps qu'il y a seulement 10 ans, car les aidants doivent faire face à des diagnostics qui se chevauchent liés à la santé physique, à la santé mentale et à la perte de mémoire alors que les personnes âgées vivent plus longtemps.
Le travail est bien plus que simplement vider la chambre d'amis ou mettre une autre place à la table du dîner. Selon l'état de santé du bénéficiaire des soins, il s'agit de surveiller les médicaments, de préparer des repas spéciaux, de changer les couches et baigner, de déterminer les finances, d'assurer le transport vers et depuis les rendez-vous médicaux, etc.
...bénévole ou trop mal indemnisé
Mais - aux Etats-Unis - seulement trois sur dix ont une aide rémunérée supplémentaire, et 27% ont du mal à recruter des intervenants abordables dans leur région. Un aidant sur quatre a du mal à prendre soin de sa propre santé, et le même pourcentage déclare que sa santé s'est détériorée à cause de la prestation de soins.
Une grande partie du travail – et de la lutte – associée à la prestation de soins passe inaperçue, inappréciée et sous-discutée.
Il y a toute une série de raisons à cela, principalement le fait que les soins familiaux sont en grande partie assurés par les femmes à la maison et donc pas considérés comme du travail.
Lorsqu'il est rémunéré, il est presque entièrement réalisé par des femmes socialement dévalorisé.
Des conséquences catastrophiques
Comme le démontre l'histoire de Laura, cette invisibilité prolongée a des conséquences en cascade non seulement sur la santé mentale de l'aidant, mais aussi sur sa capacité à épargner pour ses propres besoins de soins éventuels.
Proche aidant vs aidant professionnel, même combat ?
Les situations des aidants rémunérés sont différentes mais non moins extrêmes.
Rémunérations plafonnées au SMIC,
Absence de perspectives d'évolution,
Horaires morcelés,
Déplacements incessants,
Lieux de travail non adaptés (le domicile des bénéficiaires).
Le grand déni 🙈🙉🙊
Étant donné que la difficulté de ces soins reste largement imperceptible pour tous, à l'exception de ceux qui les dispensent, il y a eu peu de tentatives, gouvernementales ou autres, pour les rendre meilleurs, plus faciles ou moins lourds à assumer.
À l'heure actuelle, il existe des ressources pour les pauvres (qui bénéficient de l'APA) et des ressources pour les riches (qui peuvent payer une aide à domicile H24 ou des Ehpad de luxe à 5000 euros par mois).
Pour tout le monde entre les deux, il n'y a pas grand chose.
Il n'y a que des familles et leurs soignants qui tracent leur propre chemin du mieux possible. Et, dans de nombreux cas, écornent considérablement leurs économies et leur revenu, ce qui rend leur position déjà précaire dans la classe moyenne d'autant plus alarmante.
3 questions
Comment prévenir, ou du moins à atténuer de manière significative, le fardeau des proches aidants ?
Qui doit payer ?
Faut-il légiférer, imposer ou persuader ?
Je vous propose de consacrer les prochains éditos de Longévité à ces 3 questions, aux acteurs qui cherchent à y répondre, à ce qu’ils ont imaginé pour changer le paradigme et à ce que nous pouvons tous en retirer.
Je n’ai pas inventé cette histoire !
Je l'ai lue la semaine dernière dans le média VOX et elle m'a retourné la tête. Dans l’article original, l’histoire de Laura introduit une analyse profonde sur les causes historiques et sociales de la situation des aidants, familiaux et professionnels.
Dans l'article de Vox, Laura est américaine et vit à Chicago.
Pour Longévité, j'ai traduit et francisé son témoignage.
Ce qui est stupéfiant c'est que malgré nos différences culturelles avec les américains et malgré un système de protection sociale bien plus favorable ici que là-bas, la vérité de Laura l'américaine de Chicago se transpose parfaitement dans celle de Laura, l'aveyronnaise.
Peut-on donc en déduire que les solutions qui viendraient à germer aux USA soient facilement transposables en France ?
L'histoire originale : https://www.vox.com/the-goods/22639674/elder-care-family-costs-nursing-home-health-care