Bonjour, câest Alexandre de Sweet Home. LongĂ©vitĂ© est notre newsletter hebdomadaire consacrĂ©e Ă lâactualitĂ© de la Silver Ăconomie. Aujourdâhui, je vous prĂ©sente plusieurs hypothĂšses pour offrir Ă lâEhpad un avenir plus radieux.
Lors dâune Ă©mission tĂ©lĂ©visĂ©e, Les InfiltrĂ©s, qui enquĂȘtait sur la maniĂšre dont sont traitĂ©es - maltraitĂ©es - les personnes accueillies (placĂ©es !) dans certains Ă©tablissements de type EHPAD, les dĂ©bat qui a suivi et le scandale de surface ainsi engendrĂ© (rapidement oubliĂ©, crise financiĂšre obligeâŠ) montrait Ă quel point il Ă©tait difficile de mobiliser des forces vives pour transformer ces situations. La sincĂ©ritĂ© des uns et des autres ne faisait en gĂ©nĂ©ral pas de doute, du directeur dâĂ©tablissement au ministre invitĂ© sur le plateau ; mais le soufflĂ© retomba aussitĂŽt. Les mĂ©thodes journalistiques utilisĂ©es sont critiquables, condamnables peut-ĂȘtre. La menace de la ministre de porter ces affaires devant les tribunaux fut cependant dĂ©risoire : quoi pourra croire, en effet, quâelle et son administration ne savaient pas ? Les quelques professionnels conviĂ©s Ă sâexprimer, convoquant lâincontournable âhumanitudeâ, se rĂ©fugiĂšrent derriĂšre une dĂ©marche de formation, prĂ©sentĂ©e comme panacĂ©e. Un chiffre reste : 70% des Ă©tablissements prĂ©sentent des carences graves en quantitĂ© de personnel, en formation, en moyens dâaccompagnement et de soins.
Extrait de La tyrannie du Bienvieilllir de Michel Billé et Didier Martz (2010).
La derniĂšre croisade ?
LâĂ©mission Les InfiltrĂ©s a Ă©tĂ© diffusĂ©e sur France 2, le mercredi 22 mars 2008. Le dĂ©bat a fait long feu puisque 14 ans plus tard, Les Fossoyeurs, de Victor Castanet met de nouveau le sujet sur le devant de la scĂšne.
Lâavenir nous dira si cet ouvrage sera le tĂ©moignage de trop ou le tĂ©moignage de plus. En effet, loin dâĂȘtre un scoop, Les Fossoyeurs prolonge la litanie des saillies contre lâEHPAD.
Une institution dont les origines remontent à Louis XIV et qui se fait chaque année vertement critiquer.
Sans que ces critiques changent grand chose.
Cependant, on sent que le sujet intéresse les français puisque le livre est introuvable, que la campagne médiatique bat son plein et que les langues se délient.

Peut-on espérer que les lignes bougent vraiment ?
Peut-ĂȘtre que si un candidat Ă la prĂ©sidentielle sâempare du sujet, nous aurions droit Ă un dĂ©bat plus stimulant que les chassĂ©s-croisĂ©s actuels !
Touchons du bois.
Mi figue - mi raisin
Moi, je ne suis pas pleinement satisfait de la tournure que prend cette discussion.
Ce qui me dĂ©range, ce nâest pas quâon parle du sujet. Ce nâest pas quâon remette le modĂšle en question. Ce nâest pas quâon dĂ©nonce les abus.
Ce qui me dĂ©range, câest quâil faille faire un scandale et dĂ©noncer des situations intolĂ©rables pour que les citoyens sâintĂ©ressent au sujet, que les mĂ©dias en fassent leurs choux gras et que les politiques fassent mine de dĂ©couvrir le problĂšme et de sâen emparer.
Moi, je prĂ©fĂšre les actions qui construisent Ă celles qui dĂ©truisent et je dĂ©plore que ce ne soit pas celles qui font lâactualitĂ©.
Construire ou dĂ©truire đŁ
Et, chĂšre lectrice, cher lecteur, câest ainsi que je vous propose dâentamer ma sĂ©rie sur les solutions pour une longĂ©vitĂ© heureuse.
La semaine derniÚre, je vous en ai proposé trois :
Un habitat adapté
Une approche préventive de sa santé
Une vie sociale épanouie
Je vais commencer par lâhabitat puisque lâactualitĂ© a prĂ©cipitĂ© le thĂšme au coeur de lâagora.
Aujourdâhui, je vous prĂ©sente 3ïžâŁ hypothĂšses sur lâEhpad du futur.
La semaine prochaine, je vous prĂ©senterai des projets qui cherchent Ă inventer un autre futur que lâEhpad.
HypothĂšse #1 Demain, lâEhpad sera pensĂ© pour et avec ses rĂ©sidents đ€Č
Fany CérÚse est architecte.
En 2013, elle publie une thĂšse consacrĂ©e Ă lâapproche design thinking dans lâamĂ©nagement des Ehpad.
Elle part du constat que bien que les Ehpad soient des lieux de vie et non des lieux de soins, ils sont trop souvent agencĂ©s pour faciliter le travail du personnel et non pas pour aider les rĂ©sidents Ă sây sentir bien.
Fany CĂ©rĂšse a travaillĂ© dans plusieurs Ă©tablissements dont elle a rĂ©agencĂ© lâintĂ©rieur en associant systĂ©matiquement les rĂ©sidents Ă son travail.
Sa thĂšse dĂ©montre scientifiquement les bienfaits dâune architecture de type domestique en maison de retraite.
A travers ses travaux et ses Ă©crits, cette militante du bien vieillir veut convaincre un secteur mĂ©dico-social qui se mĂ©dicalise un peu plus chaque jour et qui voit sa culture de plus en plus empreinte du monde soignant - souvent issue de lâhĂŽpital - quâune autre voie est possible.
Quâune autre voie est souhaitable.
Le design thinking Ă lâoeuvre đ§
Lâapproche de Fany CĂ©rĂšse consiste Ă Â trouver des rĂ©ponses architecturales qui rassurent les rĂ©sidents et leur donnent une impression de confort, dâintimitĂ©, de chez soi, absente de lâEhpad dâaujourdâhui.
Le meilleur moyen de comprendre pourquoi tous les rĂ©sidents veulent sâasseoir sur le mĂȘme fauteuil dans un salon qui en offre une vingtaine, câest de sâasseoir dedans pour constater ce quâil offre de plus que les autres.
Pour aller (beaucoup) plus loin, lisez la thĂšse de Fany CĂ©rĂšse. Le travail de lâarchitecte est aussi bien construit quâun bon roman, avec de superbes photos, des schĂ©mas pĂ©dagogiques et une approche scientifique et architecturale.
HypothĂšse #2 Demain, lâEhpad sera intĂ©grĂ© Ă la citĂ© đïž
Lâinstitutionnalisation des personnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes et leur concentration entre elles gĂ©nĂšrent des situations parfois indignes, qui, rĂ©ciproquement, sont source dâun sentiment dâindignitĂ© de ces personnes. Leur exclusion de fait de la sociĂ©tĂ©, ayant probablement trait Ă une dĂ©nĂ©gation collective de ce que peut ĂȘtre la vieillesse, la fin de la vie et la mort, pose de vĂ©ritables problĂšmes Ă©thiques, notamment en termes de respect dĂ» aux personnes.
Source : ComitĂ© consultatif national dâĂ©thique (CCNE) Avis n°128 du 16 mai 2018 : Enjeux Ă©thiques du vieillissement
Beaucoup trop dâEHPAD sont encore construits en pĂ©riphĂ©rie des villes. Comment rĂ©ussir une sociĂ©tĂ© inclusive sans penser une organisation des territoires plus adaptĂ©e ?
Beaucoup trop dâEHPAD sont conçus comme des forteresses exclusivement rĂ©servĂ©es Ă leurs rĂ©sidents⊠surtout pendant les confinements. Comment imaginer des structures plus mixtes et plus intergĂ©nĂ©rationnelles ?
En rĂ©ponse Ă ces deux problĂšmes, lâavis du CCNE prĂ©conise un Ehpad hors les murs qui consisterait à « imposer » un ou deux Ă©tages Ehpad dans tout nouveau projet immobilier.
Cette approche est dĂ©jĂ utilisĂ©e pour amĂ©liorer la mixitĂ© sociale des quartiers en mĂȘlant logement social et pas social dans un mĂȘme projet immobilier.
Impossible nâest pas français đ«đ·
Cette hypothĂšse impossible Ă mettre en oeuvre avec les rĂšgles actuelles de construction dâun Ehpad peut sâappliquer Ă dâautres formes dâhabitat.
Par exemple, câest possible avec de lâhabitat inclusif.
Deux entreprises françaises dĂ©veloppent de tels projets : Cosima et Domani. Elles construisent des colocations pour seniors dĂ©pendants qui sâinsĂšrent dans des programmes immobiliers plus larges.
Dans le champ du handicap, lâassociation Familles Solidaires accompagne des porteurs de projet qui souhaitent crĂ©er de petites unitĂ©s insĂ©rĂ©es dans le difus.
Enfin, certains bailleurs sociaux Ă©tudient aussi cette possibilitĂ© qui a le vent en poupe, car non seulement elle offre une alternative frugale Ă lâEhpad, mais cette alternative Ă©lĂšve le niveau de responsabilitĂ© des intervenants.
Ainsi, elle offre un dĂ©bouchĂ© supplĂ©mentaire Ă la carriĂšre dâune auxiliaire de vie. Un avantage Ă ne pas nĂ©gliger dans un pays oĂč nous avons tant de mal Ă recruter de nouveaux talents dans le mĂ©dico-social.
HypothĂšse #3 Demain, lâEhpad nâexistera plus đ
Vous en rĂȘvez, mais câest une fausse hypothĂšse Ă moyen terme.
LâEhpad existera tant que nous nâaurons pas dĂ©couvert un remĂšde Ă toutes les maladies chroniques, aux troubles cognitifs et aux maux qui justifient une admission en Ehpad. Nous aurons toujours besoin de lâinstitution comme complĂ©ment aux autres solutions dâhĂ©bergement.
On pourrait logiquement penser que lâEHPAD se spĂ©cialise de plus en plus dans la grande dĂ©pendance tandis que dâautres formes dâhabitats alternatifs (ni lâEhpad, ni le domicile) se dĂ©velopperont.
Maintien Ă domicile pour tous ?
Les Fossoyeurs prolonge lâĂ©ternel dĂ©bat sur le maintien Ă domicile pour tous. Depuis une semaine, on ne compte plus les articles, commentaires et tweet qui sâĂ©tonnent quâune personne qui peut mettre 6000 euros par mois dans une chambre OrpĂ©a ne les dĂ©pense pas dans du personnel Ă domicile.
Certains le font.
Mais ils sont rares car cela requiert aussi une organisation et une logistique qui mobilise un Ă deux proches aidants Ă plein temps. Donc oui, câest techniquement possible, mais est-ce pour autant humainement souhaitable ?
Je pose la question.
Surtout, ce scĂ©nario idĂ©al se heurte Ă une rĂ©alitĂ© chiffrĂ©e trĂšs simple : quand bien mĂȘme on permettrait Ă tous les citoyens dĂ©pendants de rester chez eux, nous nâaurons pas assez de personnel pour les prendre en charge.
La crise du recrutement dans le mĂ©dico-social đ„Œ
Un maintien Ă domicile pour un GIR 1, câest une Ă©quipe de 3 intervenants Ă plein temps pour assurer les rotations.
Donc, mĂȘme en diminuant le prix de cette hypothĂšse - qui coĂ»te autour de 9 000 ⏠par mois avec du personnel en mandataire - il faut recruter 3 professionnels pour veiller sur un bĂ©nĂ©ficiaire et mĂȘme en prenant des Ă©tudiants Ernesti pour les nuits, on est bien au-delĂ du coĂ»t dâune chambre deluxe chez OrpĂ©a.
Afin de maintenir Ă domicile tous les grabataires qui veulent âvieillir chez euxâ, nous devrons trouver des millions dâauxiliaires de vie, dans un pays qui peine Ă recruter les 300 000 intervenants dont il aurait besoin Ă horizon 2025 pour accompagner la transition dĂ©mographique.
Câest lĂ lâatout de lâinstitution et plus largement de lâhabitat partagĂ© et accompagnĂ© (dit aussi, habitat inclusif)
On sort de la logique un aidant pour un aidé pour rechercher une forme de mutualisation des aides.
Le meilleur des mondes ?
DONC, lâenjeu nâest pas de faciliter le maintien Ă domicile des GIR 1, il est :
De faire en sorte que moins de personnes deviennent GIR 1, en agissant de maniĂšre prĂ©ventive sur les maladies chroniques (en attendant quâon ait appris Ă les guĂ©rir)
Dâimaginer des dispositifs qui rendront cette hypothĂšse plausible sans recourir massivement Ă de la main dâoeuvre que nous ne savons pas recruter.
Par exemple, en dĂ©veloppant des formes dâhabitat partagĂ© qui se rapprochent plus du domicile que de lâEhpad.
Nous aborderons cette question dimanche prochain.
Aller plus loin đŁïž
Dâici lĂ , pour mieux comprendre lâEhpad dâaujourdâhui et de demain, je vous recommande notre dossier Sweet Home : Comment les architectes pensent lâEhpad du futur.
Vous y retrouvez Fany CĂ©rĂšse, interviewĂ©e pour lâoccasion en compagnie dâun autre formidable architecte dĂ©vouĂ© Ă lâEhpad : Didier Salon.
Bonjour,
Au cas oĂč ce tĂ©moignage pourrait vous ĂȘtre utile.
Maintien au domicile dâun GIR 1 câest possible, mais Ă quels prix ?
Depuis longtemps Babeth était handicapée, elle est morte à 102 ans,
La mise en place dâassistance a commencĂ© avant ses cent ans, mais tant quâelle Ă©tait en possession, mĂȘme partiellement, de ses moyens intellectuels, capable de porter une fourchette Ă sa bouche et dâactionner une alarme ou une tĂ©lĂ©commande de tĂ©lĂ©vision, câĂ©tait moins contraignant.
Les deux derniĂšres de sa vie, elle Ă©tait GIR 1, câest cette pĂ©riode que je vais Ă©voquer.
La scĂšne se passe Ă Paris, je ne suis pas sĂ»r que lâopĂ©ration aurait pu rĂ©ussir en province en dehors de trĂšs grandes mĂ©tropoles
Ses revenus avant impĂŽt Ă©taient dâenviron 3000âŹ/mois, elle nâavait pas de loyer Ă payer Ă©tant propriĂ©taire de son appartement. LâAPA dont je ne me souviens plus du montant (il Ă©tait insignifiant vues ses ressources et son statut de propriĂ©taire) nâest pas inclus.
La question est simple : comment lui permettre de terminer son séjour dans son appartement en restant dans son budget ?
La réponse est un peu plus compliquée : avec acrobaties, imagination, et la mobilisation de bonnes volontés. Voici le dispositif qui était en place :
- Un infirmier deux fois par jour ;
- Un Kinésithérapeute deux fois par semaine ;
- Une femme de mĂ©nage (prĂ©sente depuis une trentaine dâannĂ©es) deux demi-journĂ©es par semaine ;
- Une auxiliaire de vie cinq jours par semaine préparant le déjeuner et faisant manger ma MÚre ;
- La concierge capable de se substituer Ă lâauxiliaire de vie en cas de dĂ©faillance, sâil nây avait pas dâautre solution ;
- Un lecteur venant prendre le thĂ© en semaine. MĂȘme si elle nâavait pas sa tĂȘte, il Ă©tait visible que ça la dĂ©tendait ;
- Sa fille assurant le coucher et dormant sur place, bien quâhabitant Ă 200mĂštres ;
- Son fils habitant Ă 500 Km. passant une petite semaine chaque mois pour voir sa MĂšre et soulager sa sĆur qui en avait grand besoin ;
- Exceptionnellement une garde de nuit (les prix sont exorbitants) ;
- Une niĂšce pour permettre aux enfants de prendre une semaine de vacances ;
- Des visites dâamis, de parents et de voisins
Au prix de ces contorsions, nous sommes restĂ©s dans le prix cible, sans doute infĂ©rieur au montant dâun EHPAD, surtout notre MĂšre a pu finir sa vie dans un bon environnement, et personne nâa fait de dĂ©pression.
Cordialement.
Olivier Surun