🫶 Le lien intergénérationnel est-il un marché ?
Quel problème je résous en proposant du lien intergénérationnel à des vieux ?
L'intergénérationnel est à la mode.
Tout le monde en en dit du bien, à part quelques sceptiques dans mon genre qui interrogent le statu quo.
Je ne crois pas à l'intergénérationnel
Je doute qu'il suffise de réunir des vieux et des jeunes pour créer un cocktail, une alchimie dont quelque chose de bien puisse sortir.
Oui, je vois des projets intergénérationnels se développer et porter des fruits, mais j'ai du mal à partager l'enthousiasme de ces entrepreneurs.
J'aime leur engagement et leur passion. Je soutiens leurs efforts. J'encourage leur créativité, mais - en mon for intérieur - je me demande quelle importance il faut accorder à l'aspect intergénérationnel de leur idée.
Aurait-elle fonctionné dans l'absolu, en réunissant des gens de tous âges, ou bien est-ce l'aspect intergénérationnel qui fait avancer le schmilblick ?
Je n’en sais rien.
Puisque je n’ai pas la réponse, j’ai envie de donner la parole à des entrepreneurs de l’intergénérationnel.
Ils ont courageusement répondu à mon invitation de la semaine dernière en acceptant d’expliquer pourquoi ils recourrent à des étudiants et ce que ça apporte à leurs clients.
Je vous livre leurs textes in extenso.
Je leur avais imposé un cadre en 3 questions :
Répondre directement aux 2 newsletters consacrées au sujet
Montrer comment ton entreprise contribue à sa raison d’être
Présenter ton service
Allo Louis vu par ses fondateurs Adrien Laprevôté et Alexandre Durand
Tout d’abord Alexandre, merci d’avoir crevé l’abcès. Le sujet de la place des services innovants intergénérationnels et celle des SAAD était devenu épineux. La raison est d’ailleurs décrite dans ton article : une concurrence apparente, perçue en plus de ça comme déloyale. Plusieurs activités sont abordées et je me contenterai de répondre en lien avec la nôtre : les coups de main ponctuels apportés aux seniors autonomes.
Le problème
En tant qu’acteur innovant sur le marché du service à la personne, la raison d’être d’Allo Louis a depuis le début été d’apporter une solution complémentaire à l’existant. Très rapidement, un trou dans la raquette a été identifié : peu de solutions existent pour accompagner les seniors autonomes (GIR 5-6) face à des petites difficultés ponctuelles du quotidien. On parle ici d’installer une nouvelle imprimante, changer quelques ampoules, aider à débarrasser une pièce d’objets encombrants, livrer quelques courses… La solution la plus fréquemment sollicitée par les seniors : l’aide de leurs aidants. Mais cette solution a une double limite : la disponibilité des aidants qui pose un problème de réactivité, et la culpabilité à solliciter ses proches pour si peu comme on l’entend trop souvent chez Allo Louis.
Alors Jeannine 77 ans, continue à se laver les dents dans le noir faute de pouvoir changer elle-même l’ampoule de sa salle de bain.
Et les SAAD dans tout ça ?
Et bien il faut choisir son combat, et le leur c’est l’accompagnement de seniors plus avancées dans la perte d’autonomie qui présentent des besoins plus récurrents et justifient le passage hebdomadaire d’un/une aide à domicile. Mais alors pas d’aide informatique et encore moins de changement d’ampoule qui nécessite de monter sur un escabeau. Et c’est là qu’intervient Allo Louis, acteur complémentaire qui vient renforcer l’action des SAAD en proposant un service de maintien de l’autonomie. Tu l’évoques d’ailleurs très bien dans ton dernier article : « Vous dites : Les étudiants rendent un service qui complète celui des SAAD » et c’est vrai.
Comment résoudre ce dilemme
Innover c’est bien à condition de respecter les règles. Car pas question de déplacer le problème de la précarité des seniors chez les étudiants ou encore enfreindre la réglementation qui protège nos ainés et les intervenants. Alors chez Allo Louis on a fait les choses bien :
Tout d’abord nous avons obtenu la déclaration SAP (service à la personne). Une reconnaissance d’un organisme d’état (la DIRECCTE) qui témoigne d’une qualité du service car répond à un cahier des charges strict, et surtout la possibilité de déduire 50% des frais Allo Louis en crédit d’impôt pour les utilisateurs du service. Un service de qualité donc mais qui se veut accessible au plus grand nombre.
Les missions sont proposées à la carte pour l’intervenant, proches de chez lui car géolocalisées sur notre app, et rémunérées 10€/h net (rémunération minimale conseillée). Aucune commission n’est prise sur cette rémunération. A noter qu’un intervenant actif chez Allo Louis réalise en moyenne 4h de visite par mois et gagne donc 40€. Incomparable avec le salaire d’un/e aide à domicile dont c’est le métier. Tout simplement parce que rendre un coup de main à un senior de son quartier avec Allo Louis ce n’est pas un métier et les intervenants pas des professionnels.
Les démarches administratives liées à la déclaration de l’intervenant sont réalisées par Allo Louis pour le senior. Un rôle de mandataire donc revendiqué car gage de sécurité pour le senior et son intervenant. Soyons honnête : même si c’est sa responsabilité, il est très peu probable pour que Jeannine 77 ans qui n’a pas accès à internet réalise la déclaration de Julie venue l’aider à changer son ampoule. Pas de problème, Allo Louis s’en charge donc. Une relation de particulier employé / particulier employeur encadrée par le CESU qui permet là aussi de déduire 50% en crédit d’impôt du montant après charge (compter environ 4.80€ pour 10€ rémunérés). Une activité déclarée donc mais aussi assurée par notre partenaire AXA.
En conclusion
J’ai l’impression que le texte n’était pas achevé car Allo Louis ne répond pas à la troisième question. Si vous souhaitez en savoir plus sur leur service, lisez l’étude de cas que je leur ai consacrée l’année dernière.
Mamie Boom vue par sa fondatrice Céline Leblanc
#1 Répondre directement aux 2 newsletter
Une guerre avec les SAAD qui ne devrait pas avoir lieu pour au moins 2 raisons. La 1ère est que l'on ne parle pas de la même chose : d'un côté, il s'agit d'un travail à temps plein avec en effet ce besoin de reconnaissance et d'évolution et de l'autre d'un job étudiant, quelques heures pour arrondir les fins de mois mais surtout vivre cette expérience humaine intergénérationnelle.
Rares sont les étudiants qui ont plusieurs binômes et nous n'avons pas la vocation de remplacer un contrat de 20h donc encore moins de 35h.
Si l'on recourre au Cesu, c'est pour respecter la loi, ne pas inciter le travail au noir - beaucoup plus répandu pour le baby-sitting - et garantir à l'étudiant une protection sociale. La deuxième raison majeure est que l'on observe déjà une pénurie d'auxiliaires de vie (ce qui ne va pas s'améliorer avec les années). Nous avons besoin d'être tous solidaires (les SAAD, les startups, les associations) face à ce défi majeur du 21ème siècle qu'est le vieillissement de la population, sachant que nos services sont le plus souvent complémentaires.
#2 Montrer comment ton entreprise entend contribuer à sa raison d'être
La raison d'être de Mamie-Boom est de reconnecter les générations pour rompre la solitude des personnes âgées et prévenir leur perte d'autonomie. Ce qui m'anime au quotidien en tant que fondatrice est de réunir 2 générations si éloignées (60 ans les séparent en moyenne !) et de voir tout ce qu'elles s'apportent mutuellement.
Mamie-Boom, c'est bien plus qu'un job étudiant qui a du sens pour les étudiants, c'est avant tout une expérience humaine enrichissante car ils apprennent aux côtés des personnes âgées, écoutent leurs histoires de vie et finissent par adopter leur papy ou mamie de cœur.
Selon l'un de nos récents avis Google "Ce site devrait être déclaré d'utilité publique !"
En reconnectant les générations, il y a un 3ème objectif : celui de revaloriser nos aînés dans la société en leur redonnant une utilité sociale à travers cet échange et cette transmission intergénérationnels. C'est pour renforcer cela que nous prenons en compte les centres d'intérêts communs lors des mises en relation.
#3 Présenter ton service
Mamie-Boom est un service de mise en relation entre des personnes âgées et des étudiants (ou jeunes actifs) de confiance pour leur tenir compagnie. L'objectif est de créer un lien dans la durée et le Gentil Accompagnateur rends visite chaque semaine à son Super-Boomeur, à domicile ou en EHPAD, durant quelques heures.
Ensemble, ils partagent des moments de discussion, jeux de société, aide informatique, promenades, sorties culturelles, aller faire les courses ou cuisiner ensemble. La notion de partage est primordiale et les Gentils Accompagnateurs ne font pas "à la place de" mais "avec" la personne âgée. Un service qui séduit les aidants familiaux, à la recherche d'une solution pour redonner le sourire à leurs proches en leur insufflant un vent de jeunesse. Aujourd'hui, Mamie-Boom compte plus de 4000 Gentils Accompagnateurs partout en France.
Tous en Tandem m’a aussi contacté...
Mais je n’ai pas posé les trois questions à Alexandra de Saivre, car je connais très bien son point de vue sur ce sujet. L’année dernière, Sweet Home a créé un livre blanc sur le lien intergénérationnel à partir d’une étude d’impact réalisée par Tous en Tandem et SCOR.
Tous en Tandem organise des ateliers intergénérationnels animés par des étudiants et réalisés dans les habitats partagés pour seniors.
Les conclusions de l’étude
Ce travail reposant sur une recherche de la littérature et une enquête de terrain confirme l'impact positif des ateliers intergénérationnels sur la santé, l'autonomie et l'équilibre des seniors qui en bénéficient, mais aussi des étudiants qui les animent.
Tous les professionnels de l'assurance et de la Silver économie à qui nous avons présenté l’étude en confirment la pertinence. Oui, le lien intergénérationnel a des impacts positifs sur les personnes âgées et les étudiants. C'est un "cercle vertueux" sur lequel nous devrions nous appuyer pour adapter la société au vieillissement.
Extrait de l'étude d'impact
Il existe des bénéfices aux activités culturelles et intergénérationnelles mesurées à l’échelle européenne et internationale, notamment sur la question de dépenses de santé publiques. Cette corrélation a été démontrée au Royaume-Uni, et présentée dans le Rapport d’enquête du groupe parlementaire Arts, Santé et Bien-Être en 2017.
Chacun, seniors et jeunes, se (re)trouvent à ce moment de la vie, où ils ont la capacité de prendre le temps nécessaire pour réfléchir, comprendre et apprendre. Par rapport à un actif oppressé par le manque de temps et le manque de patience, cette rencontre intergénérationnelle est favorable à un apprentissage autant auprès des jeunes que des seniors.
Quand on est âgé, même atteint de troubles cognitifs, on a un vécu et on a traversé la vie. Et quand on est jeune, on peut avoir au contraire l'angoisse de la vie. Et qu'est ce que je vais devenir et quel va être mon projet professionnel? C'est souvent une angoisse qu'ont les volontaires en service civique. Qu'est ce qu'ils vont faire? C'est pour ça que le service civique est une année de césure pour eux, pour réfléchir et où le contact est particulièrement fructueux avec des personnes qui ont fait leur vie et qui aident, qui apportent du réconfort.
Oui, mais.
Ce livre blanc montre l’existence d’un sujet, mais pas d’un marché.
Les gens n’achètent pas un service parce qu’il est intergénérationnel.
Donc, à l’instar de bien des sujets fondamentaux pour adapter la société au vieillissement, cette arme est à mettre au service de la relation entre des professionnels qui agiront ensemble pour développer des services destinés aux citoyens.
J’ai acquis la certitude que le marché des seniors est la partie visible de l’iceberg, mais que le gros de l’activité doit se développer en faisant travailler des acteurs institutionnels, des collectivités et des entreprises sur des actions systémiques qui transforment la société pour la rendre plus inclusive, mais sans chercher à “vendre” l’inclusion aux citoyens.
Vous en pensez quoi ?
La semaine prochaine
Je clôturerai ce cycle consacré à l’emploi étudiant avec un édito consacré à une entreprise qui s’est construite pour répondre à un problème réel et sérieux en ayant recours à des travailleurs non professionnels, qui s’est heurtée à la règlementation, qui s’est relevée et qui a prospéré.
Le propre de l’entrepreneur, c’est pas de s’obstiner dans une voie sans issue. C’est de savoir s’adapter aux contingences et de faire bouger les bonnes lignes.