🌏 Les startup doivent-elles respecter la loi ?
Comment changer les choses importantes en s'adaptant aux contingences ?
Quand vous sortez en boite, si vous avez l’intention de vous alcooliser fortement, histoire de vous décontracter et d’oser danser comme Travolta, c’est pas évident d’être désigné capitaine de soirée et devoir vous contenter de jus d’orange sans sa vodka.
Vos amis comptent sur vous. Ils ne veulent pas finir la soirée encastrés dans un platane. Ni rentrer à la maison à pied, parce que les taxis ne viennnent pas dans ce quartier.
C’est un vrai problème
Souvent - surtout en banlieue - les noctambules doivent prévoir un moyen de transport pour rentrer de boite, sachant que les taxis ne viendront pas les y chercher.
Or, tous n’ont pas un pote capitaine de soirée. Doivent-ils renoncer à faire la fête ?
Quand bien même ils seraient prêts à payer pour être pris en charge, c’est souvent l’absence de solutions qui les contraint à binge watcher des séries sur Netflix ou prendre le risque inconsidéré de confier leur vie à un conducteur bourré.
Un problème pour la résolution duquel les gens sont prêts à payer, c’est ça dont on a besoin quand on est entrepreneur et qu’on veut lancer une startup successful.
Et c’est sur ce problème que trois amis se sont lancés en 2013 en créant un service de transports dédié aux jeunes qui sortent en boite.
Leur projet, baptisé Heetch, souhaite rendre la nuit plus accessible et n’est utilisable qu’entre 20h et 6h du jeudi au samedi. 80% des utilisateurs sont des jeunes de moins de 25 ans et les deux tiers des trajets se font en banlieue... là où le taxi est rare.
Les drivers Heetch sont des conducteurs non professionnels qui acceptent de jouer le rôle de capitaine de soirée contre rémunération, en mettant leur véhicule à disposition.
Hors la loi
Cette initiative louable n’a qu’un défaut : son mode opératoire est hors la loi.
Et dès 2014, la pluie d’emmerde commence à s’abattre sur la startup qui se voit assigner en justice par des concurrents dénonçant l’emploi illicite de chauffeurs non professionnels.
En 2014, Ludovic Moulonguet, gérant de la société de VTC Redcleef Garden, assigne Heetch en référé. Il estime que l’entreprise organise « un réseau de transport illicite » et qu’elle constitue une « concurrence déloyale » pour les conducteurs professionnels (impôts, cotisations sociales, assurance pro, formations…).
En 2016, Heetch est poursuivi pour « complicité d'exercice illégal de la profession de taxi ».
Le 2 mars 2017, Heetch et ses dirigeants sont condamnés pour « complicité d’exercice illégal de la profession de taxi, pratique commerciale trompeuse et organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des chauffeurs non professionnels » et devront verser 441 000 euros en réparation du préjudice moral causé aux chauffeurs de taxis, en plus de 200 000 euros d'amende (dont 150 000 euros avec sursis), 91 000 euros de frais de justice et 10 000 euros d'amende pour chacun des deux dirigeants.
Les fondateurs décident alors de suspendre le service sous sa forme originelle.
Mais deux semaines après cette suspension, un nouveau service est lancé, faisant cette fois-ci appel à des chauffeurs professionnels, et disponible 24 heures sur 24.
Le 28 janvier 2018, l’entreprise annonce une levée de 16,5 millions d’euros.
Elle est désormais présente dans les métropoles françaises, plusieurs pays européens et se développe en Afrique.
Le fait que l’un des cofondateurs de Heetch, Amir Reza-Tofighi soit l’actuel président de la Fédésap, explique peut-être la sensibilité de cette fédération au sujet du recours illégal à des étudiants sur des professions règlementées.
Moralités
#1 Les startup sont utiles pour faire changer le paradigme
Même si les jeunes sont conscients du risque de conduire bourré, même si ça fait des années que la prévention routière se bat contre ce fléau, les histoires de perte de contrôle du véhicule, un samedi à 4 heures du matin sont légion dans la section faits-divers de votre quotidien favori.
Force est de constater que la prévention a besoin d’entrepreneurs pour passer du voeu pieu à l’impact.
#2 Les jobs étudiants sont utiles, mais pas suffisants
Les jobs étudiants peuvent valider des hypothèses, vu qu’ils ne coûtent pas cher à mobiliser, mais c’est un point de départ.
Vient un moment où votre entreprise doit adopter un format plus pérenne, reposant sur des salariés engagés, en respectant leurs droits et en leur permettant de s’épanouir dans un métier qu’ils aiment.
L’entreprise américaine Papa, qui développe un dispositif de care management en partenariat avec des compagnies d’assurance, opère ce pivot. Au début, elle faisait appel à des étudiants payés au lance-pierre à l’heure. Désormais, elle développe une équipe de professionnels salariés.
Dans l’étude que j’ai écrite sur Papa en 2021, j’analyse le problème que rencontre Papa avec son personnel étudiant.
#3 Certains acquis sont difficiles à révolutionner
Certaines révolutions se font sur le temps long, dans la concertation et le dialogue.
Les premiers requins sont apparus il y a 500 millions d’années et ces créatures magnifiques ont mis plusieurs centaines de millions d’années à évoluer pour devenir les organismes parfaitement adaptés à leur environnement que nous connaissons aujourd’hui.
Les premières fougères sont apparues il y a 320 millions d’années et elles ont mis plus de 40 millions d’années à s’étendre sur tous les continents et s’ajuster aux contraintes locales, précédant les dinosaures… et leur survivant.
L’homo sapiens foule la Terre depuis 300 000 ans.
Il la cultive depuis 9 000 ans.
La révolution industrielle s’est produit il y a 200 ans.
C’est à ce moment que l’espérance de vie s’est améliorée.
C’est aussi à ce moment que la protection sociale est née. Pour protéger les travailleurs et prendre financièrement en charge ceux qui ne peuvent plus travailler.
La société telle que nous la connaissons est le fruit de cette évolution et même si nous voudrions que les changements de paradigme aillent aussi vite que la 5G, ils se font sur le temps long et sont multifactoriels.
C’est pourquoi il ne suffit pas d’une idée de génie isolée pour faire plier le système. Il est plus pertinent de s’adapter à certaines contraintes pour avoir un effet là où c’est vraiment utile.
La semaine prochaine
Je vous proposerai une newsetter en vidéo. Nous y explorerons ensemble la cartographie réalisée en partenariat avec la filière Silver Economie. Vous pourrez y identifier de vrais problèmes sur lesquels agir.
En attendant, découvrez le premier opus de la série de newsletter d’analyse de l’écosystème coécrite par Sweet Home et la fillière Silver économie.