Abattement fiscal des retraités : quand l'État préfère tondre les vieux que se réformer
Entre perte d'aides sociales et baisse du pouvoir d'achat, la suppression de l'abattement fiscal des retraités risque d'avoir des effets bien plus dévastateurs que les 4 Mds € d'économies espérés
Bienvenue dans Longévité, où j'analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette édition, je m'intéresse à un projet gouvernemental qui, sous couvert d'économies budgétaires, pourrait creuser le fossé entre les générations : la suppression de l'abattement fiscal de 10% sur les revenus des retraités.
Un constat paradoxal : alors que l'État peine depuis des décennies à se réformer en profondeur, il choisit la solution de facilité en ciblant un dispositif qui protège le pouvoir d'achat des retraités, mais sans redistribuer la plus-value aux actifs comme le ferait une vraie réforme de la retraite par répartition.
Soyons clairs
Selon moi, la retraite par répartition nous emmène dans le mur. Il n'est pas réaliste de préserver coûte que coûte un système qui fait reposer l'autonomie financière des retraités sur la contribution des actifs.
Le système est biaisé à de nombreux égards, les réformateurs ne sont pas allés assez loin dans la refonte, car ils n'avaient ni le soutien de la rue, ni le courage politique de sacrifier leur carrière sur l'autel de l'avenir du pays.
Pour autant, je ne suis pas partisan des mesurettes bricolées sur un coin de table qui, sous couvert de justice sociale, appauvrissent les retraités au seul bénéfice d'un État incapable de s'appliquer les efforts qu'il impose à ses débiteurs.
Car c'est de cela qu'il s'agit en l'espèce : supprimer une niche fiscale, c'est créer un nouvel impôt dont le fruit n'ira pas aux actifs, mais à l'État !
Mon article du jour analyse comment cette mesure d'apparence technique révèle une faille plus profonde dans notre contrat social : la tentation croissante d'opposer les actifs "qui produisent" aux retraités "qui coûtent", occultant la réalité bien plus complexe des inégalités qui traversent toutes les générations.
Derrière l'objectif affiché d'économiser 4 milliards d'euros, cette réforme pose une question fondamentale :
Comment réformer notre système de retraites sans transformer l'indispensable débat sur l'équité intergénérationnelle en guerre des âges ?
L'impuissance réformatrice de l'État exposée au grand jour
Un contexte budgétaire qui pousse aux solutions de facilité
Face à un déficit public qui ne cesse de se creuser et une dette qui dépasse désormais les 3 300 milliards d'euros, le gouvernement français explore toutes les pistes d'économies possibles.
Dans ce contexte, la suppression de l'abattement fiscal de 10% sur les pensions de retraite apparaît comme une solution tentante : avec une économie estimée à 4,6 milliards d'euros par an, la mesure semble substantielle tout en étant techniquement simple à mettre en œuvre.
La politique du rabot plutôt que la réforme
Cette facilité apparente masque pourtant une réalité plus dérangeante : l'incapacité chronique de l'État à se réformer en profondeur.
Plutôt que de s'attaquer aux véritables sources de la dérive des dépenses publiques - une organisation administrative complexe, des doublons entre services, une digitalisation insuffisante - le gouvernement préfère rogner sur les avantages existants.
Un dispositif historique détourné de son but
L'histoire de cet abattement fiscal est d'ailleurs révélatrice : initialement instauré en 1978 pour compenser l'impossibilité des retraités de sous-évaluer leurs revenus dans un système déclaratif, il s'est progressivement transformé en outil d'équité fiscale, permettant notamment de neutraliser certaines modifications successives du calcul de l'impôt qui auraient pu pénaliser les retraités.
Des répercussions sociales en cascade
Un impact financier direct considérable
Les conséquences de cette suppression seraient loin d'être anodines. Pour un couple de retraités percevant chacun 2000€ mensuels, la perte de l'abattement se traduirait par une hausse d'impôt d'environ 576€ par an.
Au-delà de ce cas type, ce sont entre 8,4 et 9 millions de retraités qui seraient concernés par cette mesure.
Une mesure qui frappe plus durement les classes moyennes
Plus préoccupant encore, l'impact serait particulièrement marqué pour les classes moyennes. Si les 10% des retraités les plus aisés bénéficient actuellement de 30% du montant total de l'abattement, sa suppression affecterait proportionnellement davantage les revenus modestes et intermédiaires.
La perte potentielle d'aides essentielles
L'augmentation du revenu imposable résultant de la suppression de l'abattement aurait des conséquences bien au-delà de la simple hausse d'impôt. De nombreux retraités pourraient se voir privés d'aides cruciales dont l'attribution dépend du niveau de revenu imposable.
C'est notamment le cas de la prime Adapt, destinée à l'aménagement du logement, ou de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA), essentielle pour le maintien à domicile des personnes âgées en perte d'autonomie. Un effet domino qui pourrait fragiliser davantage les seniors les plus vulnérables.
Un contexte économique déjà tendu
La perte de pouvoir d'achat interviendrait dans un environnement déjà difficile, marqué par l'augmentation des dépenses de santé et des cotisations de mutuelle. Pour de nombreux retraités, cette mesure pourrait contraindre à des arbitrages difficiles dans leur budget, avec des répercussions potentielles sur leur qualité de vie et leur accès aux soins.
Les limites d'une application ciblée
Les tentatives d'aménagement de la mesure, comme sa limitation aux seuls retraités aisés, ne feraient qu'ajouter de la complexité sans résoudre le problème de fond. Une telle approche serait non seulement difficile à mettre en œuvre techniquement, mais risquerait également de créer de nouveaux effets de seuil, source d'iniquités supplémentaires.
Le spectre d'une fracture générationnelle
Une tension croissante entre actifs et retraités
La suppression envisagée de l'abattement fiscal des retraités s'inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre générations. Comme le soulignait en 2022 Thomas Friedberger, directeur général adjoint de Tikehau Capital, dans le Guide de l'inclusion générationnelle du Club Landoy, "après trente-cinq ans de mondialisation et de baisse des taux d'intérêt qui ont bien davantage favorisé les actionnaires que les salariés, nous assistons à un changement de paradigme où les actifs pourraient être tentés de voir les retraités comme un fardeau économique.”
Une vision réductrice de la réalité
Pourtant, cette perception est largement biaisée. Dans un entretien accordé à La Tribune en janvier 2025, Sylvain Catherine met en garde contre une lecture trop simpliste de la situation : "Les inégalités sont intragénérationnelles : le revenu disponible des retraités est supérieur à la moyenne, mais certains retraités ont un patrimoine important alors que d'autres sont au minimum vieillesse."
Cette réalité nuancée est souvent occultée dans le débat public, qui tend à présenter les retraités comme un groupe homogène privilégié. Or, la suppression de l'abattement fiscal toucherait indifféremment des retraités aux situations très diverses, renforçant potentiellement les inégalités au sein même de cette population.
Les dangers d'un antagonisme croissant
Le risque d'une fracture générationnelle est d'autant plus préoccupant que, comme le rappelait Thomas Friedberger en 2022, "avec les nouvelles technologies, les jeunes ont tendance à penser qu'ils n'ont pas besoin des plus vieux. Mais quand on parle de résilience (face aux chocs démographiques, sanitaires, économiques ou environnementaux notamment), on a vraiment besoin d'expérience."
Cette interdépendance est également soulignée par Sylvain Catherine qui rappelle que "le débat sur les paramètres du système de retraite ne devrait être abordé que sous l'angle des comptes de la Sécurité Sociale. L'âge de la retraite impacte très directement le taux d'activité globale de la population, et donc les recettes de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur les sociétés et de la TVA."
Vers un nouveau contrat social ?
Plus qu'une simple mesure d'économie budgétaire, la remise en cause de l'abattement fiscal des retraités pourrait marquer le début d'une redéfinition plus large du contrat social entre générations.
La question qui se pose n'est pas tant celle de la contribution des retraités aux finances publiques que celle de la construction d'un modèle économique et social équitable et durable pour toutes les générations.
Conclusion : Au-delà des économies budgétaires, repenser le pacte social
La suppression envisagée de l'abattement fiscal des retraités révèle bien plus qu'un simple expédient budgétaire. Elle met en lumière l'incapacité chronique de l'État à se réformer en profondeur, préférant les mesures de circonstance aux transformations structurelles. Mais elle illustre surtout les risques d'une politique à courte vue qui, sous couvert d'économies, pourrait attiser les tensions intergénérationnelles.
Cette mesure intervient à un moment charnière où notre société doit repenser son modèle social face au vieillissement de la population. La tentation est grande de dresser les générations les unes contre les autres, d'opposer les actifs "qui produisent" aux retraités "qui coûtent".
Pourtant, la réalité est bien plus complexe. Les inégalités traversent toutes les générations, et la solidarité intergénérationnelle reste plus que jamais nécessaire face aux défis économiques, sociaux et environnementaux qui nous attendent.
L'enjeu n'est donc pas tant de savoir qui doit payer, mais comment construire un nouveau pacte social qui reconnaisse à la fois la contribution passée des aînés et les aspirations légitimes des actifs.
Un pacte qui ne se résume pas à des arbitrages comptables, mais qui pose les bases d'une société plus équitable et plus solidaire.
Dans ce contexte, comment pouvons-nous, acteurs de la Silver économie, entrepreneurs et décideurs, contribuer à bâtir des ponts plutôt que des murs entre les générations ?
Comment transformer ce qui apparaît aujourd'hui comme un antagonisme en une opportunité de repenser notre modèle social et économique ?
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