Animaux en EHPAD : la loi dit oui, la réalité dit 'c'est compliqué
Comment transformer un droit nouveau en pratique quotidienne
Bienvenue sur Longévité, la newsletter où je décortique la Silver économie et tous les aspects de l’adaptation de la société au vieillissement.
Aujourd’hui, dans la continuité de mon essai de mercredi dernier sur “le dernier chien”, je vous narre en synthèse la masterclass passionnante organisée jeudi 30 octobre avec Romain Brasseau, Frédéric Sannanes, Johanna Ballé et Réale Couchaux, quatre experts de la relation homme - animaux, qui sont associés dans un projet destiné à faciliter l’accueil des animaux en EHPAD.
Cette masterclass aurait dû être publique, sur Substack, mais j’ai raté quelque chose dans le paramétrage et vous n’avez pas pu y assister. Vous pouvez écouter le replay depuis la section Podcast de Longévité et je vous mets le lien vers l’épisode à la fin de cet essai.
La loi Bien Vieillir autorise depuis 2024 les résidents d’EHPAD à venir accompagnés de leur animal de compagnie. Une avancée majeure qui répond au dilemme du “dernier chien” : ce renoncement douloureux à adopter un animal par crainte de ne plus pouvoir s’en occuper.
Mais entre le texte législatif et sa mise en œuvre concrète, le fossé reste béant. Organisation des établissements, bien-être animal, modalités d’adoption : les professionnels du secteur identifient les obstacles et esquissent des solutions.
Un cadre législatif nouveau face à une réalité tenace
La loi Bien Vieillir marque un tournant. Pour la première fois, le législateur reconnaît explicitement le droit des résidents en EHPAD à conserver leur animal de compagnie. Cette évolution répond à un paradoxe français : alors que les animaux de compagnie procurent des bénéfices indéniables aux personnes âgées – lutte contre l’isolement, maintien d’une activité physique, création de liens sociaux – leur présence chute drastiquement après 65 ans.
Les chiffres révèlent l’ampleur du phénomène. Selon les experts réunis lors d’une masterclass organisée par l’Alliance Inter-Espèce, la détention d’animaux devient quasiment inexistante après 85 ans. En cause : l’incapacité physique du propriétaire constitue la première cause d’abandon de chiens et chats en France, devant les déménagements ou les séparations.
“La question n’est plus de savoir si les animaux sont bénéfiques pour les personnes âgées, mais comment on fait concrètement pour leur permettre d’en avoir”, résume Johanna Ballé, directrice scientifique de l’Alliance Inter-Espèce. Cette interrogation pragmatique structure désormais les réflexions du secteur.
Les obstacles du quotidien en établissement
Si la loi ouvre une brèche, sa mise en application soulève une série de défis opérationnels. Frédéric Sannanes, directeur de transition et évaluateur HAS, s’appuie sur 25 ans d’expérience auprès des personnes âgées pour identifier les points de friction.
“Qui s’occupe de l’animal si le résident devient dépendant ? Quels espaces dédiés ? Quels accompagnements ?”
Les établissements qui ont tenté l’expérience avec des animaux “mascottes” – chiens, chats, poissons rouges – ont mesuré la complexité du sujet. Au-delà de l’organisation matérielle, c’est le bien-être de l’animal qui interroge. Un chien confiné dans une chambre de 18m², privé de sorties régulières, subit une forme de maltraitance. La charge émotionnelle et physique pour un résident fragilisé peut également devenir insupportable.
La question du devenir de l’animal après le décès ou l’hospitalisation du résident reste le point aveugle du dispositif. Sans anticipation, ces situations se soldent souvent par des abandons en urgence, traumatisants pour l’animal comme pour l’entourage du résident.
Le dilemme éthique des refuges
Du côté des associations de protection animale, la vigilance s’est accrue. La Confédération Nationale Défense Animale, qui regroupe 281 associations, a développé un encadrement strict des adoptions chez les seniors. Réale Couchaux, coordinatrice régionale, rappelle la responsabilité éthique des structures :
“Nous refusons systématiquement de placer un chiot ou un chaton chez une personne très âgée.”
Cette position, qui peut sembler discriminante, répond à une double préoccupation. D’une part, les jeunes animaux nécessitent un niveau d’énergie et d’engagement souvent incompatible avec les capacités d’une personne de 80 ans. D’autre part, l’espérance de vie limitée du propriétaire expose l’animal à un risque élevé d’abandon ou de replacement.
Paradoxalement, les seniors eux-mêmes rechignent à adopter des animaux âgés, craignant d’affronter trop rapidement un nouveau deuil. Cette impasse révèle un enjeu plus profond : la difficulté pour chacun d’accepter son propre vieillissement. L’animalerie commerciale, moins regardante sur ces critères, capte ainsi une demande que les refuges refusent d’honorer – au détriment du bien-être animal à long terme.
Médiation ou inclusion : Clarifier les approches
La confusion persiste entre deux démarches distinctes. La médiation animale, d’abord, relève d’une intervention thérapeutique ponctuelle. Un chien visiteur vient pour une séance d’une heure, dans un cadre défini, avec des objectifs de soin précis. L’inclusion animale, ensuite, vise une présence permanente de l’animal dans l’environnement du résident.
“La médiation, c’est l’animal qui vient en visite. L’inclusion, c’est l’animal qui habite”, synthétise un des experts. Cette distinction n’est pas qu’académique : elle conditionne l’organisation, les financements, les responsabilités. Un établissement peut pratiquer la médiation animale sans être équipé pour accueillir les animaux des résidents au quotidien.
Les deux approches sont complémentaires mais répondent à des besoins différents. La médiation apporte des bénéfices thérapeutiques mesurables lors d’interventions ciblées. L’inclusion répond au besoin affectif profond de conserver son compagnon de vie, avec tout ce que cela implique de contraintes et de joies partagées.
Les solutions émergentes sur le terrain
Face à ces défis, plusieurs initiatives innovantes se développent. Romain Brasseau, consultant en transformation culturelle et fondateur d’Humains et Compagnie, a conceptualisé le projet Paxio : un espace inclusif pour humains et animaux en EHPAD, pensé comme autofinançable et intergénérationnel. Son approche systémique, nourrie par 25 ans d’accompagnement de projets, vise à créer des lieux de symbiose entre espèces.
D’autres pistes se dessinent : contractualisation du devenir de l’animal avec la famille, création de réseaux de bénévoles pour assurer les soins quotidiens, aménagement d’espaces dédiés permettant aux animaux de circuler librement. Certains établissements expérimentent des conventions avec des refuges locaux pour faciliter le replacement des animaux en cas de nécessité.
L’essentiel réside dans l’anticipation. Comme le soulignent les experts, la solution ne viendra pas d’un modèle unique mais d’une diversité d’approches adaptées aux contextes locaux, aux profils de résidents et aux ressources disponibles.
Ce qui fait consensus (et ce qui divise encore)
Sur certains points, les professionnels s’accordent unanimement. Les bénéfices des animaux pour les personnes âgées ne sont plus à démontrer : bien-être psychologique, lutte contre la solitude, maintien d’une activité physique, création de liens sociaux.
L’encadrement éthique et responsable de l’adoption chez les seniors fait également consensus, tout comme la nécessité de prendre en compte le bien-être animal dans tout projet d’accueil.
Les divergences portent sur les modalités pratiques. Le profil des animaux à placer chez les seniors oppose les tenants d’une approche prudente (animaux adultes calmes) aux défenseurs d’une plus grande liberté de choix.
La gestion en établissement – nombre d’animaux, espaces nécessaires, organisation des soins – ne fait pas l’objet d’un modèle standardisé.
Plus fondamentalement, la question du rôle de l’animal divise : outil thérapeutique au service du soin, ou compagnon de vie à part entière ?
Cette distinction n’est pas anodine. Elle détermine qui décide de la présence de l’animal, dans quelles conditions, avec quels objectifs.
Passer à l’échelle : les conditions du changement
Pour transformer cette évolution législative en réalité quotidienne, plusieurs chantiers s’imposent. La formation des professionnels d’EHPAD constitue un préalable : comprendre les besoins des animaux, identifier les signaux de mal-être, organiser les soins au quotidien. Beaucoup de personnels soignants n’ont jamais vécu avec un animal et manquent de repères.
Le développement d’outils contractuels permettrait de sécuriser le devenir de l’animal. Des conventions types entre résidents, familles et établissements pourraient formaliser les engagements de chacun. Des partenariats avec les associations locales faciliteraient les solutions de repli en cas de besoin.
La coordination entre acteurs – EHPAD, refuges, familles, collectivités – reste le maillon faible. Chacun dispose d’une expertise, mais les silos persistent. Créer des plateformes d’échange, documenter les bonnes pratiques, mutualiser les ressources : autant de leviers encore sous-exploités.
Conclusion : un élan sociétal à concrétiser
La loi Bien Vieillir marque une étape symbolique importante. Elle reconnaît que le lien à l’animal participe de la dignité et de la qualité de vie des personnes âgées. Mais entre le droit et sa mise en œuvre effective, le secteur doit encore inventer les modalités pratiques.
Cette invention passe par une approche décloisonnée, qui associe expertise immobilière, connaissance des publics fragiles, compétences vétérinaires et éthique animale.
Elle nécessite aussi un changement culturel : accepter que les animaux ne sont pas des objets thérapeutiques mais des êtres sensibles, dont le bien-être conditionne celui de leurs compagnons humains.
Les professionnels de la Silver économie ont une carte à jouer dans cette transformation.
Les solutions techniques existent, les bénéfices sont avérés, l’aspiration sociétale est réelle. Reste à orchestrer ces ressources pour faire du droit à l’animal en EHPAD une réalité accessible, éthique et durable.
Pour aller plus loin : Retrouvez l’intégralité de la masterclass “Comment permettre aux personnes âgées de garder leurs animaux de compagnie ?” avec les interventions complètes de Johanna Ballé (Alliance Interespèce), Réale Couchaux (Confédération Nationale Défense Animale), Romain Brasseau (Humains et Compagnie) et Frédéric Sannanes (directeur de transition et évaluateur HAS).
[Masterclass] Comment permettre aux personnes âgées de garder leurs animaux de compagnie ?
Avec mes 4 invités, nous explorons la relation entre les personnes âgées et les animaux de compagnie, en mettant l’accent sur les bénéfices psychologiques et sociaux que ces animaux peuvent apporter.


![[Masterclass] Comment permettre aux personnes âgées de garder leurs animaux de compagnie ?](https://substackcdn.com/image/fetch/$s_!5zm0!,w_1300,h_650,c_fill,f_auto,q_auto:good,fl_progressive:steep,g_auto/https%3A%2F%2Fsubstack-video.s3.amazonaws.com%2Fvideo_upload%2Fpost%2F177629864%2Ffb505e42-80ad-4237-bc97-1a4030adf721%2Ftranscoded-1761892017.png)