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C'est pas au vieux singe qu'on apprend Ă faire la grimace đ”
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Ă la tĂȘte que faisait mon gendre et Ă l'air plus mielleux qu'un baklava de ma fille, j'ai senti qu'ils me prĂ©paraient un sale coup.
Et je n'ai pas été déçue !
Ils ont débarqué chez moi à l'heure du goûter
Ils avaient apporté une tarte au citron meringuée, mon péché mignon.
Ils les achĂštent Ă la boulangerie d'en bas.
Elles ne sont pas aussi bonnes que la mienne, bien sĂ»r, la pĂąte sablĂ©e industrielle, ça ne remplacera jamais une vraie pĂąte maison, mais je nâarrive plus Ă faire ma pĂąte Ă cause de mon arthrite et donc, comme le disait ma grand-mĂšreâŠ
Faute de grives, on mange des merles.
Mais vous nâĂȘtes pas venu parler pĂątisserie, jâimagine.
Je vous disais donc quâhier, mon gendre et ma fille ont dĂ©barquĂ© chez moi, avec des airs de conspirateurs, pour me demander de dĂ©mĂ©nager dans une rĂ©sidence pour vieux.
De lourds sous-entendus
Oui, comme ça.
Comme si j'étais un bibelot qu'on déplace, du guéridon à la commode.
Ils ont tourné autour du pot pendant une heure avant de casser le morceau.
Ils avaient ces petites questions sournoises, ces remarques idiotes :
Il est bien raide, cet escalier, Odette
Quand est-ce que tu as refait la salle de bains, déjà ? Tu es sûre que le chauffe-eau est aux normes.
Vous n'avez pas peur de tomber, la nuit ? Si vous aviez un accident, comment feriez-vous pour appeler à l'aide puisque vous ne portez pas votre médaillon.
Et patati, et patata...
Ils avaient dû répéter leur petit numéro.
Noter leurs arguments sur un bristol, en se les répartissant l'un et l'autre.
C'était pathétique.
Jâavais envie de les gifler.
Mais je lâai pas fait, vous vous en doutez.
Brochure en papier glacé
Quand on a eu fini la tarte - vraiment trop sucrée - ils ont sorti la brochure en papier glacé avec liseré doré qui présentait la merveilleuse résidence.
Sur chaque page, des bandes de vieux rigolards en chemise pastel et à la chevelure trop blanche partagent un moment de félicité avec une infirmiÚre aussi radieuse qu'une hÎtesse de l'air devant un coucher de soleil en technicolor.
Cela me faisait penser Ă un roman-photo inspirĂ© du film Barbie (bien sĂ»r que je lâai vu ! ArrĂȘtez de croire que les vieux ne vont voir que les films avec Pierre Arditi).
Ils tournaient les pages en poussant des cris dâextase exagĂ©rĂ©s, espĂ©rant me transmettre leur enthousiasme. Et en coin, ils se jetaient des regards entendus en guettant mon approbation.
Menaces
Et comme je restais de marbre, ils ont dĂ©gainĂ© les menaces :Â
Tu vas finir par avoir un accident et lĂ tu iras Ă l'hĂŽpital et on ne pourra rien faire pour toi si le docteur dit qu'il faut t'envoyer Ă l'hospice.
Mais je les ai vus venir de loin, les deux marlous.
Elle nâest pas nĂ©e de la derniĂšre pluie, la mĂšre Odette
Alors, je leur ai fait le numéro du mutisme.
Ils n'ont pas réussi à me tirer une parole.
Je restais assise, serrant mon mouchoir, lÚvres pincées, regard vague posé sur la ligne bleue des Vosges.
S'ils comptaient sur moi pour approuver leur idĂ©e dĂ©bile, ils ont dĂ» ĂȘtre déçus.
Le choix
Le jour oĂč je dĂ©ciderai de dĂ©mĂ©nager pour une de ces rĂ©sidences pour vieux, j'aimerais faire le choix toute seule, comme une adulte.
Aller sur internet, trouver l'endroit qui me plaĂźt, appeler pour avoir des informations, peut ĂȘtre mĂȘme aller visiter.
Je n'ai pas besoin que mes enfants me débitent des arguments sortis tout droit d'une plaquette commerciale pour m'expliquer combien ma vie serait plus simple si je portais ce médaillon. Ces chaussures orthopédiques. Si j'achetais ce lit d'hÎpital ou ce truc lumineux à colle sur la plinthe pour me guider quand je vais faire mon pipi nocturne.
Ils sont marrants, les jeunes
Ils ne supportent pas qu'on leur donne des conseils - trÚs judicieux pourtant - sur l'éducation de leurs enfants ou la recette du veau marengo et ils voudraient qu'on accepte les leurs comme s'ils savaient mieux que nous.
Non franchement, je vous le dis en toute amitié, si vous cherchez à me vendre quelque chose "pour mon bien", appelez-moi directement.
N'allez pas croire que ça sera plus facile de vendre à mes enfants en les chargeant ensuite de me convaincre.
Une histoire pour faire passer un message
Jâai Ă©tĂ© inspirĂ© par lâun de mes romans policiers prĂ©fĂ©rĂ©s (qui est aussi un excellent film) : LâĂ©tĂ© Meurtrier de SĂ©bastien Japrisot.
Japrisot Ă©tait un spĂ©cialiste des histoires racontĂ©es Ă plusieurs voix et je pense que LâĂ©tĂ© Meurtier est son chef-dâĆuvre.
Câest lâhistoire dâune vengeance, longuement prĂ©parĂ©e, par une jeune fille nĂ©e dâun viol survenu dans une baraque paumĂ©e dans la montagne provençale (vers Digne). Sa mĂšre se souvient que les types qui lâont violĂ©e transportaient un piano mĂ©canique. Partant de cet indice, la jeune fille mĂšne lâenquĂȘte afin de tuer les trois types dont lâun pourrait ĂȘtre son pĂšre.
Il y a notamment un personnage de vieille femme sourde comme un pot, incarnĂ© dans le film par Suzanne Flon, et câest Ă elle que jâai pensĂ©e en Ă©crivant ce texte.
En bref, si vous cherchez quoi lire, je vous recommande vivement LâĂ©tĂ© Meurtrier.
La semaine prochaine, je vous propose une autre fiction, consacrée à un sujet un peu grave, afin de vous montrer comment intéresser votre audience à des sujets compliqués en adaptant votre narration à votre cible.
C'est pas au vieux singe qu'on apprend Ă faire la grimace đ”
je peux pas, Adjani me rend fou dans ce film. Je vais plus arrivé à l'effacé de mon cerveau pendant des jours
je ne sais pas jusqu'à quel point c'est inspiré de "l'été meurtrier", mais çà se lis bien.