🚀C'est pas parce que ça existe déjà que c'est pas innovant !
Enfin une explication claire sur l'innovation !
Une innovation, est-ce l’invention de quelque chose qui n’existait pas ou l’amélioration d’un existant qui ne donne pas satisfaction ?
Une innovation, est-ce l’idée de départ ou l’organisation qui rend cette idée utile au plus grand nombre ?
Les réponses semblent évidentes, mais je constate chaque jour que ce n’est pas le cas et que des perceptions erronées de l’innovation contribuent à récompenser des projets bancals et passer à côté de projets bien ficelés.
Voici deux illustrations pour éclairer vos lanternes.
Le mois dernier, j'étais jury dans un concours de startup organisé par la CCI de la Côte d'Azur. Une dizaine de projets se disputent la première marche du podium.
Les dix startup pitchent et j'ai le coup de foudre pour un projet d'innovation sociale : La Charly's Family.
Voici leur histoire.
Une question de transports
Jérôme Martin est kiné. Il travaille avec les très vieux depuis 19 ans, à domicile. En discutant avec sa patientèle, il constate que ces gens n'ont pas de vie sociale. Les offres de la commune, du CCAS ou d'acteurs privés ne sont pas adaptées à leur besoin spécifique.
Leur problème principal, c'est la mobilité. Ces vieux ne sont pas assez autonomes pour se rendre au lieu de rendez-vous ou pour des activités qui nécessitent des déplacements qui vous paraissent anodins, mais sont épuisants pour eux. Et puis ils ne sont pas fans des propositions de sorties. Et on ne leur demande jamais leur avis sur le programme.
Alors, Jérôme Martin imagine un dispositif qui répond au problème de son marché :
Il va créer des petits groupes de 5 ou 6 personnes autour d'une activité choisie ensemble,
Un bénévole motorisé viendra chercher chaque personne en bas de chez elle,
Le groupe se cotisera pour payer la place du bénévole,
Lequel racompagnera chacun chez soi en fin de journée.
Simple comme bonjour, non ?
Et innovant sans être tech.
Parce que ça apporte une solution à un problème pour lequel l'existant n'est pas adapté aux besoins de tous.
And the Oscar Goes To🏆
La messe est dite.
Le gars maîtrise son marché, il a inventé une solution innovante, il aide sa communauté à mieux vivre, il est pile dans le scope.
Il ne peut QUE remporter ce concours haut la main !
Mais hélas, le halo technologique a aveuglé le jury qui considère que l'innovation doit être une invention technologique. Nécessairement.
A contre-courant 🌊
Et le prix revient donc à un labo italien qui a breveté une technologie de focus du signal. Il installe son dispositif dans des lunettes qui vous permettent d'entendre la personne qui vous fait face, même si vous êtes dans une boite de nuit bondée. Théoriquement intéressant, le produit n'est pas commercialisé, faute d'un marché identifié, en Silver économie ou ailleurs.
A l'issue de ce camouflet, plusieurs personnes qui ont remarqué mon dépit viennent me tenir le même discours compassé.
ça existe déjà, le CCAS propose des sorties depuis 50 ans
ou encore
Ce n'était pas assez technologique !
Le double malentendu de l'innovation
Créativité vs utilité
Tous ces gens se trompent. Tous les jurys qui privilégient la créativité sur l'utilité se fourvoient et je pleure des larmes de sang à chaque fois que je suis témoin de ce phénomène qui se répète - hélas - à chaque concours de startup.
Mais ce n’est que le début.
Idée vs exécution
Il y a un autre problème dans l’évaluation de l’innovation, c’est de penser que le potentiel de réussite d’un projet repose sur l’idée et non sur sur son exécution.
L'innovation ne repose pas uniquement dans ce qui est vendu, mais dans la façon dont c’est vendu.
A bien y regarder :
L’innovation originelle de Facebook n’est pas le réseau social (coucou Myspace), mais la stratégie de diffusion employée par Zuck, via les fraternités de la Ivy League.
L’innovation de SpaceX n’est pas la fusée, mais l’organisation qui lui permet de faire des lancers qui coûtent 50x moins cher que la NASA,
L’innovation de Airbnb n’est pas le couch surfing, mais l’organisation qui a transformé une pratique marginale en mode de résidence mainstream.
L’innovation, c'est pas juste un produit, c’est une organisation.
Les cimetières sont pleins d'inventeurs primés au concours Lépine qui ont épuisé leur capacité d'innovation dans la création de leur objet et n'ont pas su inventer le processus qui permettrait à leur entreprise d'être aussi innovante que le produit qu'elle commercialise.
Sans l’innovation organisationnelle, l’innovation sur le produit est inutile. En voici une démonstration éclatante.
L'histoire d'une entreprise innovante qui développe un service qui ne l'est pas
C'est l'histoire d'un quadra breton fan de kite surf qui s'appelle Xavier Delahaye.
Biz dev dans le déménagement depuis plus de dix ans, ce gars massif, barbu et aussi tatoué qu'une rockstar semble plus à son aise sur les pelouses de Clisson que les plateaux de la Station F.
L'habit ne fait pas le moine, l'incubateur ne fait pas l'entrepreneur !
Un jour, Xavier découvre une asso nantaise qui organise de l'aide au déménagement pour les seniors : Demen'Age.
Les bénévoles de Demen'Age aident les vieux à faire le tri dans leurs affaires et bien vivre le déménagement. Parce que - c'est Xavier qui me l'a appris - quand un vieux doit partir en Ehpad, il n'emporte avec lui qu'un mètre cube d'affaires, un fauteuil et un petit meuble.
Et donc, il doit renoncer à la plus grande partie de ses souvenirs.
Et c'est pas facile.
Ce qui explique que si peu de très vieux citoyens déménagent de leur plein gré.
Reclus et isolés dans des maisons pas adaptées, ils finissent par avoir un accident qui les conduit manu militari à l'Ehpad, sur ordre du médecin.
L'assistance au déménagement, outil 🔑 du bien vieillir
L'assistance au déménagement doit éviter ce drame et faciliter la décision de déménager au bon moment - et pas au pire moment.
C'est génial et c'est une vraie innovation sociale qui répond à des situations critiques, en aidant les seniors à changer de lieu de vie quand ils savent qu'ils doivent le faire, mais ont peur de le faire.
Et c'est pourquoi Demen'Age n'est pas le seul acteur à proposer ce service.
D'autres associations réalisent cette prestation aux quatre coins de l'hexagone (sic).
Un besoin social, mais pas de demande
Malheureusement, malgré leur nom, les projets ne décollent pas.
Pourquoi ?
Parce que la demande n'existe pas.
Les gens qui pourraient en bénéficier ignorent l’existence de ce service.
Vous-même, vous étiez-vous imaginé un seul instant qu’il existe un service professionnel pour aider les vieux à emballer leurs bibelots, choisir ce qui les accompagne à l’Ehpad et ce qui finira chez Emmaüs ?
Où l’on reparle de l’innovation organisationnelle
Non, n’est-ce pas. Et c’est là le drame. Nous sommes témoins d’une idée intéressante (mais pas vraiment innovante) à laquelle il manque un système de distribution bien taillé. Un système que les associations ne savent pas inventer, car ce n’est pas dans leur ADN (c’est pas une critique, c’est un constat. Je vous en reparlerai plus en détails le 12.12.21).
Ce qu'il manque au déménagement assisté pour grandir, c'est un entrepreneur ambitieux et volontariste qui transformera une idée géniale en produit génial…et mainstream.
Cet entrepreneur, ça pourrait être Xavier Delahaye.
Xavier qui est amoureux du déménagement accompagné a bien compris qu'en l'état actuel, le marché était condamné à végéter.
Première itération
Alors sa première idée, c'est de créer une plateforme nationale qui fédère tous les services locaux : My Jugaad. Xavier se lance au printemps 2019. Voici comment ça marche :
My Jugaad prend en charge toute la prospection commerciale :
Trouver les clients
Négocier des deals avec les caisses de retraite et les mutuelles pour faire prendre en charge l'accompagnement
Trouver le déménageur
Réaliser l'accompagnement s'il a lieu dans la zone d'action de Solid'R ou confier la mission à une asso locale qui couvre une autre zone.
Génial, non ?
Génial oui, mais contraint par le faible nombre d'acteurs locaux de la mobilité résidentielle. En l'état, ce dispositif sera limité par la capacité de projection des partenaires sur leur zone d'action.
Augmenter l'impact
Or, le problème c'est que les acteurs en question ne sont pas installés là où vivent la plupart des citoyens. Exemple : le Grand Paris est assez mal desservi, avec une seule association active (Movadom).
Si My Jugaad se restreint aux seules zones d'action des acteurs en place, la plateforme n'a pas l'impact recherché.
Xavier Delahaye va donc imaginer un plan B pour élargir sa zone d'influence : labeliser les déménageurs.
Il formalise sa méthodologie et créé un label. Il propose à des déménageurs de se labelliser pour réaliser ses accompagnements.
Génial, non ?
Oui, mais pas suffisant. Rappelez-vous ce que je vous ai dit plus haut ⬆️ ⬆️ ⬆️
Le problème de ce marché, c'est son invisibilité.
L'aide à la mobilité, personne ne sait que ça existe. Or, les gens recherchent ce qu'ils connaissent et la meilleure pub du monde ne persuadera pas quelqu'un qui n'a pas besoin de vous. Les stratégies d'acquisition évidentes ne sont pas adaptés à cette offre.
Le pull (SEO, SEA), car il n'existe pas de mots clés transactionnels sur lesquels faire reposer une stratégie d'acquisition pertinente.
Le push (publicité, marketing direct), car le segment cible est compliqué à délimiter : un vieux de plus de 60 ans (ou son aidant), qui souhaite déménager, mais pense avoir besoin d'être assisté.
Attirer le chaland : Plan B
En testant ces canaux, Xavier Delahaye réalise qu'il cherche à remplir le tonneau des Danaïdes.
Alors, notre entrepreneur imagine un plan B.
Sur le web, où vont les gens qui veulent déménager ?
Sur les plateformes de déménagement !
Ces marketplaces qui mettent en relation les gens qui veulent déménager avec les déménageurs 🚛 🚚.
Au troisième trimestre 2020, My Jugaad acquiert la plateforme de déménagement collaboratif My Déménageur et conçoit un nouveau parcours client :
Il offre un service de mise en relation à tous les visiteurs du site qui souhaitent déménager et à tous les services de déménagement qui peuvent les y aider,
Il perçoit un abonnement de la part des déménageurs inscrits,
Et quand le déménagement concerne une personne âgée de plus de 60 ans, il lui adresse sa proposition de service d'assistance.
Résultat :
Les prospects sont hyper bien ciblés,
Les déménageurs ont une raison supplémentaire de se faire labelliser,
La promesse sociale est tenue.
Dans entreprenariat social, il y a entreprenariat
Sur l'année 2020, My Jugaad réalise un CA de 30k€.
Grâce à sa stratégie d'acquisition innovante, la startup réalise un CA x 10 en 2021, emploie 8 personnes, attire 100 000 visiteurs par mois, a réalisé 800 accompagnements, organisé 10 000 déménagements collaboratifs et 5 000 déménagements professionnels.
Enfin, cette stratégie dite "des muses" permet à My Jugaad de disposer d'un revenu passif suffisant pour couvrir son BFR.
My Jugaad peut ainsi investir dans une seconde plateforme de déménageurs au troisième trimestre 2021 et persuader plus de partenaires mutuelles et caisses de retraite de financer ses accompagnements, puisqu'il est en mesure de garantir un volume d'affaire représentatif.
En effet, AG2R ou la MAIF ne signent pas des partenariats juste pour une idée innovante, mais parce qu'ils y voient un intérêt pour leurs millions de bénéficiaires. Ils sont donc plus stimulés par les promesses d'une entreprise capable de couvrir le territoire national.
La semaine prochaine
Je ferai une analyse commentée du palmarès 2021 de la Silver Academy, le concours de startup du salon Silver Economy Expo. Trois startup - supposées - innovantes se disputent la récompense.
Qui le jury va-t-il récompenser ?
Pourquoi ce choix ?
Comment vous - entrepreneurs - devez-vous interpréter ce message ?
Je vous livrerai les clés pour comprendre le résultat, sans langue de bois.