CNSA : J'analyse la feuille de route 2024
5è branche | SPDA | Budget l Centre national de preuve | Protection sociale l Nouveau site web | Conférence des financeurs l Habitat Inclusif l Etude de cas : Ogénie et Mon espace Autonomie
Je vous partage aujourd’hui mon analyse des annonces faites le 6 février dernier par Virginie Magnan et Jean-René Lecerf, respectivement Directrice générale et Président du conseil de la CNSA. Les deux dirigeants ont présenté leur plan d’action pour 2024.
Mais avant d’attaquer dans le dur, il me semble utile de rappeler ce qu’est la CNSA et quelle est sa principale mission.
C’est simple, ça tient en une phrase :
Mise en place en mai 2005, la CNSA est, depuis le 1er janvier 2021, gestionnaire de la 5e branche de la Sécurité sociale, la branche Autonomie.
Le 5è risque, c’est un dispositif complexe, réclamé par ses promoteurs pendant plus de 20 ans, dont la mise en œuvre doit être très technique, et qui mériterait un effort de communication significatif auprès de toutes les parties prenantes. Les citoyens, les fédérations et syndicats, les acteurs de la protection sociale, les pouvoirs publics, les collectivités locales. En bref, rien que ce chantier pourrait - et devrait - occuper la CNSA pendant plusieurs années.
Je suis donc étonné que cette institution - dont l’équipe compte seulement 200 personnes - se diversifie dans des actions complémentaires dont le lien avec sa mission principale n’est pas toujours limpide.
Alors que notre gouvernement semble obsédé par l’instauration d’un guichet unique pour simplifier les demandes des personnes en perte d’autonomie, le plus simple serait de commencer par restreindre les compétences des instances existantes dans le strict cadre de leur raison d’être.
Cependant, vous pouvez aussi y voir une opportunité : attendu que la CNSA ne peut pas gérer seule l’ensemble des missions qui lui sont assignées, il y est fort probable qu’elle doive en déléguer une partie.
Et donc, mon exposé aura deux finalités.
D’une part vous partager le cadre dans lequel l’action de la CNSA va s’exercer en 2024.
D’autre part, vous aider à identifier les sujets sur lesquels vous pourriez vous présenter comme facilitateur, partenaire ou prestataire de l’institution.
Budget et prévisions
2024 est une « année clé » avec l'attribution d'une ressource spécifique, une partie de la CSG (Contribution Sociale Généralisée) qui augmentera dès 2024. Cela signifie +2,6 milliards d'euros pour le secteur. Les recettes seront de 41 milliards contre 40,6 milliards de dépenses. L'excédent permettra de « compenser les déficits des premières années ». Ces fonds devraient assurer une croissance jusqu'en 2026 et financer de nouvelles opérations.
Dans le détail :
Augmentation du budget : Les charges prévisionnelles du budget initial pour 2024 s'élèvent à 40,64 milliards d’euros, marquant une hausse de 5,3% par rapport au budget de 2023.
Contribution exceptionnelle à l’APA : En anticipation de la réforme des concours aux départements prévue pour 2025, une contribution exceptionnelle de 150 millions d’euros sera versée aux départements en 2024 pour améliorer le taux de couverture des dépenses de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA).
Financement de solutions pour les personnes handicapées : Suite à la Conférence nationale du handicap 2023, une enveloppe d’1,5 milliard d’euros a été allouée pour développer l'offre à destination des personnes handicapées et sans solutions, répartie comme suit :
110 millions d’euros pour le repérage et l'intervention précoce auprès des enfants en situation de handicap.
400 millions d’euros pour soutenir la scolarisation des élèves en situation de handicap.
985 millions d’euros destinés à créer des solutions pour les enfants et les adultes en situation de handicap.
Programmation régionale des crédits : Les agences régionales de santé, en collaboration avec les conseils départementaux et les acteurs du handicap, travailleront à la programmation régionale de ces crédits pour développer ces solutions dans les territoires.
Renforcement du contrôle interne : L’opérationnalisation de la mission contrôle interne et conformité (MCIC) de la CNSA vise à garantir la bonne utilisation des fonds alloués et à promouvoir l’équité territoriale et le renforcement des droits des personnes.
En regard de ces ressources, la CNSA annonce plusieurs chantiers majeurs.
Tous les chantiers 2024 de la CNSA
Digitalisation et Systèmes d'Information
La CNSA annonce la refonte des systèmes d’information ainsi que la digitalisation de plusieurs services au niveau des MDPH afin d’accélérer les processus, mais aussi de recueillir plus régulièrement l’avis des usagers sur la qualité de services. L'objectif de ce chantier : garantir une meilleure interconnexion entre les partenaires et une équité de service accrue.
Dans le détail : La refonte des systèmes d'information est un chantier majeur, visant à faciliter l'interconnexion entre partenaires et assurer une équité de service. Les efforts se poursuivent en 2024 avec la généralisation du Dossier Unique d’Admission (DUA), la finalisation du SI-Évaluation et l'introduction de nouveaux services dans Mon Parcours Handicap. Le SI de l'Allocation Personnalisée d’Autonomie (SI-APA) voit également des avancées significatives, avec le début des tests des versions applicatives et la préparation de son déploiement.
Explications
Cela peut sembler être une annonce de troisième zone, mais dans une institution comme la CNSA, ce projet de refonte est du genre à coûter très cher en ressources, en prestations externes et en heures passées en réunions. C’est donc un projet stratégique pour eux, le truc dont tout le monde parle en permanence, qui rythme la vie de l’entreprise et peut expliquer des retards, latences, problèmes et autres indisponibilités.
Centre national de preuve
Le Centre de Ressources et de Preuve, inspiré du modèle des "What Work Centers" britanniques, est un élément central de la COG 2022-2026. Il vise à capitaliser sur les actions de prévention efficaces, les diffuser largement et développer des outils d'aide à la décision.
Préfiguré en 2023, il se focalise sur quatre enjeux principaux :
Cibler les populations éloignées des dispositifs de prévention,
Améliorer l'offre de services,
Guider les décisions de financement,
Promouvoir l'implication et la diffusion des pratiques.
Explications
Le centre de preuve de la CNSA est une boîte noire. On ne sait ni ce qu’il y a dedans, ni à quoi il servira, ni les ressources qui seront mobilisées. C’est aussi une arlésienne dont la CNSA et d’autres (filière, mutuelles, gérontopoles) parlent depuis des années. J’en ai eu vent pour la première fois dans le rapport Bourquin-Aquino de 2019, Les innovations numériques et technologiques en Silver économie. Marc Bourquin en est un fervent promoteur.
D’après ce que j’ai compris (et même si les missions présentées par la CNSA ne semblent pas aller dans ce sens), voici la définition que j’en donnerais :
Le centre de preuve est un organe de certification qui validerait la pertinence des Silver Tech avant leur mise sur le marché. Il réaliserait à la fois un contrôle sur les produits et une veille technologique, afin d’être lui-même le promoteur et l’inspirateur des innovations futures, en tenant compte des besoins spécifiques de la population.
Le sujet a souvent été abordé en CNSE1 suscitant toujours des débats entre les acteurs qui veulent un organe unique et ceux qui revendiquent une expertise locale.
D’ailleurs, des instances locales comme les gérontopoles, le Centich ou le Tasda jouent déjà ou pourraient jouer ce rôle de bureau d’enregistrement des Silver Tech.
En soutien de l’idée, on pourrait même identifier les industries sensibles, comme le médicament, qui prévoient déjà de tels organes de certification obligatoire. Mais cet exemple n’est pas anodin : imposer un organe de certification n’est justifié que dans les secteurs où la mise sur le marché peut faire courir un risque de sécurité et de santé pour le consommateur.
Deux enjeux doivent donc être mis en balance :
La sécurité des consommateurs
La fluidité du marché
La décision de soumettre le marché à un tel goulot d’étranglement ne peut se prendre à la légère. Au risque de paralyser l’innovation. En bout de course, c’est le consommateur qui est pénalisé. Il se retrouve contraint de choisir entre les offres d’une poignée de marques, et plutôt des grosses boîtes. Ce seront les seules capables de supporter le coût d’un tel parcours, d’une telle attente avant d’accéder au marché.
Il me semble donc plus pertinent d’améliorer la connaissance de l’offre par une meilleure communication globale et des points d’accès à cette information plus lisibles.
Une nouvelle forme de protection sociale ?
J’ai du mal avec l’idée que la CNSA fasse une OPA sur le terme protection sociale dont elle n’est pas dépositaire. Pour moi, la protection sociale appartient d’abord aux organismes paritaires et mutualistes qui ont :
Créé des systèmes de solidarité durant la deuxième moitié du XIXè siècle,
Inspiré et accompagné la fondation de la Sécurité sociale,
Géré et préservé le système de protection sociale (principal et complémentaire) depuis tout ce temps.
La CNSA s’est fait confier la 5è branche en 2021 :
Parce qu’elle gérait déjà l’APA et la PCH,
Qu’elle a fait un lobbying d’enfer pour en hériter (et quadrupler son budget)
Que le législateur - qui n’y comprend pas grand-chose - s’est dit que ce serait une extension logique de sa mission historique,
Et que le mouvement général de la protection social est une centralisation vers quelques caisses primaires plutôt qu’une décentralisation vers des complémentaires.
La protection sociale, c’est un socle de notre société. C’est la colonne vertébrale de la solidarité nationale (les forts paient pour les faibles).
Or, dans sa forme actuelle, la 5è branche n’a rien à voir avec les 4 autres. Je n’entre pas dans le détail, au risque de perdre les abonnés qui ne sont pas du sérail, mais c’est ma conviction. Et c’est pourquoi je pense que cette délégation de pouvoir ne raye pas 150 ans d’histoire d’un trait de plume.
Il n’y a aucune raison qui autorise la CNSA à revendiquer une autorité supérieure sur la question.
C’est pourtant l’impression que donne l’institution en proclamant vouloir :
Inventer ensemble une nouvelle forme de protection sociale.
En expliquant que :
La CNSA renforce son réseau pour améliorer l'information, l'orientation, l'accompagnement, et la prévention de la perte d'autonomie, en visant à créer une nouvelle forme de protection sociale.
En 2023, le "Cadre de coopération entre la CNSA, les ARS et les conseils départementaux" a été approuvé, menant à la tenue de 14 Rencontres Territoriales de l'Autonomie (RTA) dans toute la France.
Ces RTA servent de plateforme pour renforcer les partenariats territoriaux, partager des pratiques innovantes et simplifier les processus.
En 2024, ces rencontres continuent, facilitant la préparation de conventions tripartites CNSA/ARS/conseils départementaux. Ces conventions sont des plans d'action visant à améliorer les services aux personnes en besoin.
(re)organisation des conférences des financeurs (CFPPA)
Les Conférences des Financeurs de la Prévention de la Perte d'Autonomie (CFPPA) jouent un rôle clé dans la coordination des actions et financements de prévention au niveau départemental.
À partir de 2024, la CNSA privilégiera une animation de proximité pour ces conférences, renforçant le partage des bonnes pratiques entre les ARS et conseils départementaux.
Explications
Réaliser une veille sur les membres, les priorités et les préoccupations locales des CFPPA est un bon moyen d’anticiper les appels à projet et récupérer des missions avant vos concurrents.
Une meilleure communication
Il est important que les personnes concernées puissent mieux identifier cet ensemble et que la CNSA soit mieux repérée comme un acteur de l'autonomie. - Virginie Magnant
La CNSA annonce aussi une refonte de son site institutionnel :
Un design plus moderne et en cohérence avec le Service public de l’autonomie
Une arborescence restructurée
Un socle technique plus robuste
Une accessibilité renforcée
Lever de rideau en mai 2024 (j’ai hâte).
Par ailleurs, les deux campagnes d'information grand public « Pour les personnes âgées » et « Mon parcours handicap » sont reconduites en 2024. Une troisième aura pour cible les aidants des personnes âgées et handicapées.
Identité du service public de l’autonomie
Communication toujours, la CNSA poursuit la diffusion de l’identité du “service public de l’autonomie”. En 2023, elle a été utilisée pour la première fois dans le cadre des campagnes grand public « Pour les personnes âgées » et « Mon parcours handicap ». Cette marque repère doit permettre de mieux comprendre qui agit pour l’autonomie en France. En 2024, tous les professionnels de la branche pourront se l’approprier pour leur communication à destination du grand public.
Explications
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part le problème n’est pas tant l’identité de ce service que sa raison d’être sur laquelle j’aimerais être mieux informé. On nous parle de 5è branche ou de 5è risque, mais concrètement, ça paie quoi ? Et à qui ? Et comment ?
Soutien à l’habitat inclusif
L’augmentation du budget annuel permet à la CNSA d’augmenter sa contribution à la promotion de l'habitat inclusif. Cela offre un chez-soi sécurisé avec un animateur payé par l'aide à la vie partagée (AVP). Cela met fin à l'isolement pour les personnes âgées et handicapées dont la maison actuelle n'est plus adaptée et qui ne veulent pas aller en institution. 2000 habitats pour 20 000 personnes âgées et handicapées sont prévus en 2024.
Ces nouvelles maisons doivent avoir une place plus grande dans notre société. 20 000 places, cela peut sembler petit, mais ces nouvelles solutions, qui n'existaient pas il y a deux ans, sont maintenant courantes. - Virginie Magnant.
Explications
Je ne suis pas sûr que ces solutions soient si courantes que cela, mais ce dont je suis certain, c’est qu’elles existaient déjà il y a deux ans.
Ce que la loi Elan et l’AVP ont rendu possible, c’est leur généralisation, même si nous sommes encore bien loin des 140 000 places préconisées par le rapport Piveteau de 2020.
Ce que j’ignore, c’est si un dispositif sous perfusion de la CNSA est vraiment pérenne ? Que se passe-t-il une fois que l’Etat ferme le robinet à argent magique ? Il est bien trop tôt pour crier victoire à propos de ces projets d’habitat inclusif dont la plupart n’ont pas dépassé le stade du plan d’architecte.
Ces annonces n’ont rien d’extraordinaire et si la feuille de route s’était limitée à cela, je n’aurai pas pris la peine d’en faire un dossier. Ce qui m’a amené à vous présenter cette feuille de route, c’est la dernière annonce qu’elle contient, celle du lancement d’une usine à gaz comme nous savons si bien les imaginer en France, le SPDA.
Dans la deuxième partie de votre dossier, je vous propose de décortiquer le concept afin de comprendre ses origines, ses objectifs, son mode opératoire et les opportunités business qui pourraient découler du projet.
Continuez votre lecture avec un essai gratuit de 7 jours
Abonnez-vous à Longévité pour continuer à lire ce post et obtenir 7 jours d'accès gratuit aux archives complètes des posts.