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Devez-vous croire les promesses de Jean-Christophe Combe ?
Analysons son dernier post LinkedIn pour le savoir
Je vous propose un exercice ludique : nous allons étudier ensemble un post LinkedIn attribué au ministre Jean-Christophe Combe et publié mercredi 5 avril 2023.
Ce post présente les annonces du ministre quant au futur de la loi Grand Age.
L’annonce été faite sous forme d’un discours, lui-même intégré à un colloque rassemblant les personnalités politiques ou assimilées qui ont contribué de près ou de loin à la réflexion amorcée depuis 2018 et dont la dernière incarnation était une série de réunions publiques organisée dans le cadre du Conseil National de la Refondation.
Comment l’attestent les photos de l’événements publiées dans le billet de Monsieur Combe, il n’y avait que du beau linge.
Parmi ces 6 photographies, ma préférée est celle-ci.

J’adore la tête de Bayrou.
Il est tellement stupéfait qu’on croirait contempler sa marionnette du Musée Grévin.
Ou Rastapopoulos, dans Vol 747 pour Sidney, quand l’effet de l’hypnose s’estompe et qu’il réalise que la situation s’est retournée contre lui, que Tintin va encore gagné tandis que lui se retrouve attaché et menacé par une mitraillette.
Il y a de quoi être stupéfait quand on s’attendait à hériter d’un marroquin et qu’on se retrouve à diriger une agence gouvernementale resuscitée et passablement inutile qui l’amène à participer à des réunions barbantes.
Mais je m’éloigne de mon propos.
Cette actualité me donne l’occasion de vous faire réfléchir à la portée de notre action. Et plus particulièrement à son périmètre. Mais aussi au bon usage de la com pol, de la rhétorique et de LinkedIn.
C’est un bouquet garni en fait.
Mais c’est aussi le constat d’un énorme problème, car…
En contemplant les ronds de manche de notre ministre et en lisant sa prose, je constate que le gouvernement se complait dans une rhétorique de l’attentisme.
Oui, parce que cette annonce du 5 avril n’est que le dernier soubressaut d’une réflexion de longue haleine, qui aurait dû être de courte haleine.
Rappelez-vous.
Rappel des événements marquants
Cette liste peut vous semble redondante, mais il me parait utile de rappeler tout ce qui s’est passé ou plutôt tout le contenu qui a été produit sans déboucher sur rien depuis bientôt 5 ans.
On a eu la promesse de Macron en juin 2018, dans ce discours enflammé où il annonçait cette “grande loi” que nous avons attendue et que nous attendons encore.
On a eu le rapport Libault en mars 2019, lequel a mobilisé des centaines de sachants qui ont fait la somme de choses que savions déjà, mais qu’il convenait - peut-être - de remettre au goût du jour.
On a eu une vingtaine de rapports successifs où le meilleur a cotoyé le pire (je vous laisse élire vos favoris et et distribuer vos bonnets d’âne).
On a eu le covid qui a mis en exergue, brièvement, la situation des soignants et des résidents en Ehpad, cloitrés pour leur bien.
On a eu Les Fossoyeurs qui a balancé un bon coup de pied dans la fourmilière et incité le gouvernement à agiter les bras en poussant de grands cris, lancer des contrôles et remplacer quelques lampistes.
On a eu les reports, puis le renoncement, malgré quelques victoires, comme la cinquième branche, la Prime Adapt ou l’aide à la vie partagée dans l’habitat inclusif
On a eu la création d’un comité consultatif itinérant censé recueillir les avis que les précédents rapports avaient déjà formalisé, mais sait-on jamais, on peut découvrir quelque chose…et puis les citoyens aiment parler à des ministres, ils ont l’impression d’être entendus.
On a eu l’annonce d’une loi d’initiative parlementaire à la portée restreinte et réclamant la création d’une grande cause financée on ne sait pas trop comment.
Et tout cela nous amène à l’annonce faite par JC Combe le 5 avril 2023.
Je vous la partage in extenso avant d’en faire le commentaire.
L’annonce
JC, c’est à toi 🎤
La question que vous vous posez tous c’est « à quoi serviront ces propositions du Conseil National de la Refondation? ».
La réponse est simple : elles vont nourrir directement la réforme du grand âge que je vous annonce aujourd’hui.
Certains attendaient simplement une loi, nous serons plus ambitieux que cela.
Certains ne voulaient parler que financement, nous parlerons de tout.
Certains voulaient se concentrer sur le médico-social, nous embarquerons la société dans son ensemble.
J’ai toujours défendu une approche large de cette question, c’est donc des solutions globales autour de 4 priorités que nous proposerons :
👉 Reconnaitre & simplifier la vie de ceux qui entourent les personnes âgées.
👉 Repérer l’isolement social et mieux prévenir la perte d’autonomie.
👉 Simplifier l’accès aux services publics et à l’offre.
👉 Lutter contre les maltraitances.
L’analyse
JC Combe et Linkedin
Je suis abonné au profil de notre ministre et donc je suis avec intérêt toutes ses publications. Elles ont 3 points communs :
Le style narratif : de la com pol bien propre où l’on emploie des formules rhétoriques apprises à Science Po afin de masquer la vacuité des annonces. Cela suscite de l’émotion, créé de l’engagement et essaye de faire oublier que rien n’est dit.
Des photos du ministre en action : elles sont à l’aune du texte, bien propres et bien léchées, qui veillent à mettre notre souriant ministre en valeur, le campant en homme d’action, jeune, la machoire volontaire, le costume impeccable, les chaussures bien cirées, la coupe de cheveux parfaite… et toujorus dans des postures avantageuses et dominantes.
Jamais, jamais, jamais une seule réaction aux commentaires. C’est de la communication descendante, produite par le service com du ministère et à laquelle le ministre ne touche jamais, si tant est qu’il aille sur son profil LinkedIn.
Et c’est ce troisième point qui me dérange le plus, car il va à l’encontre de l’essence même d’un réseau social.
Comment - bien - utiliser LinkedIn
Si je créé mon profil sur LinkedIn, je m’y exprime en mon nom et j’accepte les interactions que suscitent mes publications. L’algorithme de Linkedin va d’ailleurs récompenser en valorisant mes publications lorsqu’elles me permettent d’interragir avec les gens qui la commentent.
Un profil Linkedin alimenté par un tiers pour pousser des contenus qui ressemblent à des communiqués de presse, c’est à la limite de la malhonnèteté intellectuelle.
Et je le dis d’autant plus volontiers que certains ministres ou secrétaires d’Etat gèrent eux-même leur profil et interagissent avec leur audience.
Tandis que dans la Timeline de JC Combe nous pousse du contenu standardisé au pied duquel les pros et antis vont s’écharper dans des débats stériles sans que le maître daigne descendre de sa thébaïde pour prendre la parole dans l’agora.
La forme
L’équipe de communication qui seconde Jean-Christophe Combe emploie une technique de rédaction dont vous avez peut être entendu parler, voire étudiée au lycée : la rhétorique.
La version qu’on apprend dans le secondaire consiste à connaitre des figures de style, à les identifier dans des textes classiques et à expliquer pourquoi l’auteur a choisi telle figure plutôt que telle autre.
Mais si on l’utilise de manière active pour écrire des textes ou des discours, la rhétorique est un formidable outil de manipulation, parce que voyez-vous, la rhétorique, c'est l'art de bien parler et de convaincre les autres.
C’est quoi la rhéthorique ?
C'est utiliser les mots et le langage pour persuader les gens de votre point de vue. Les politiciens, les publicitaires et même les enseignants utilisent la rhétorique pour convaincre les autres de penser comme eux.
Ils l’utilisent notamment dans les discours, exposés et débats.
Un discours, c’est facile parce que vous l’adressez à une audience passive, tandis que pour préparer un débat, vous devez aussi anticiper les objections de votre audience, voire les susciter, afin de gagner le match verbal… c’est à dire de persuader la partie adverse ou pour le moins la frange de la partie adverse que vous cherchez à persuader.
Par exemple, dans le débat présidentiel d’entre deux tours, les candidats ne vont pas chercher à persuader les purs et durs de chaque parti, mais la frange des indécis. Ils peuvent donner l’impression de s’adresser à leur adversaire, mais à travers lui, ils parlent à une audience que leurs arguments vont pouvoir faire basculer dans leur camp.
On ne va pas faire une analyse détaillée, mais je vous invite à copier - coller cette petite grille de lecture facile à utiliser.
Lorsque nous sommes confrontés à une argumentation, nous devons garder à l’esprit trois grandes questions :
- Les preuves se tiennent-elles ?
- Toutes les options ont-elles été envisagées ?
- Le raisonnement mène-t-il bien à sa conclusion?
Ces interrogations sont essentielles : elles nous permettent de mettre à jour les ressorts sur lesquels pivotent les principaux sophismes.Viktorovitch, Clément. Le Pouvoir rhétorique (French Edition) (p. 352). Seuil. Édition du Kindle.
Appliquez cette grille de lecture au post qui nous intéresse
Que constatez-vous ?
Qu’est-ce qui vous saute aux yeux ?
Moi, c’est 4 choses :
L’absence de transition logique entre la première partie (les trois “certains”) et la seconde (l’annonce des 4 pililers).
Le flou sur les constats
Le focus des promesses sur un seul problème
L’absence de financement
C’est ce que je vous propose de découvrir en analysant le fonds du post.
Le fonds
J’ai gardé le meilleur et le plus évident pour la fin, car il n’y a aucun fonds à cette annonce.
La première partie sculpte de la fumée 💨
“Certains attendaient simplement une loi, nous serons plus ambitieux que cela.
Certains ne voulaient parler que financement, nous parlerons de tout.
Certains voulaient se concentrer sur le médico-social, nous embarquerons la société dans son ensemble.”
La première partie de chaque affirmation est claire, factuelle. Elle exprime une idée claire.
La seconde partie met en balance une promesse vague, impalpable :
C’est quoi “être plus ambitieux” qu’une loi ?
C’est quoi “parler de tout” ?
C’est qui “la société dans son ensemble” ?
La seconde partie façonne de l’air chaud 🌬️
“J’ai toujours défendu une approche large de cette question, c’est donc des solutions globales autour de 4 priorités que nous proposerons :
👉 Reconnaitre & simplifier la vie de ceux qui entourent les personnes âgées.
👉 Repérer l’isolement social et mieux prévenir la perte d’autonomie.
👉 Simplifier l’accès aux services publics et à l’offre.
👉 Lutter contre les maltraitances.”
“une approche large” et “des solutions globales” : en utilisant des formules aussi floues, Combe permet à chacun de comprendre ce qu’il veut. Et donc, le ministre peut se permettre de rester dans le vague sans passer pour un bonimenteur. Surtout qu’il embraye avec quatre propositions censées faire consensus et qui ressemblent aux promesses qu’elles ne sont pas.
Des propositions qui ont un défaut majeur : elles confinent le grand âge dans le champ de la dépendance. Elles n’envisagent des solutions que pour aider les personnes dépendantes et leurs aidants.
Alors que l’enjeu de l’adaptation de la société au vieillissement, ce serait plutôt de penser la question de la transition démographique comme composante d’autres sujets de société qui nous occupent tous.
Rester bloqués dans la case dépendance, c’est interdire l’entrée à tous les citoyens qui ne sont pas concernés et ne veulent pas l’être.
Au contraire, nous devons considérer le sujet du vieillissement comme une composante aux questions de logement, emploi, circulation, tourisme, précarité, etc. Ainsi, nous ouvrons le sujet à toute la population que que soit son âge. Et je pense que le véritable avenir du sujet se situe dans cette approche que j’aimerais étudier avec vous la semaine prochaine.
Mais avant cela, je dois conclure mon analyse par ce que je n’ai pas trouvé dans cette annonce.
L’éléphant dans le magasin de porcelaine
Le joli programme n’est pas chiffré.
Or :
À l’échelle d’un grand pays de l’Union européenne, si une décision politique se chiffre en millions d’euros, elle est de l’ordre du symbole. En dizaines de millions, elle reste modeste. En centaines de millions, elle devient substantielle. En milliards, on peut commencer à parler d’une véritable priorité.
Viktorovitch, Clément. Le Pouvoir rhétorique (French Edition) (p. 184). Seuil. Édition du Kindle.
Conclusion
Le post de Monsieur Combe est handicapé par :
une forme tendancieuse qui cherche à masquer un fonds creux.
Le ministre ne répond pas directement aux commentaires de ses abonnés sur LinkedIn, ce qui peut donner l'impression qu'il ne veut pas vraiment écouter les opinions des autres. Cela pourrait être perçu comme une faiblesse dans sa rhétorique, car il ne montre pas qu'il est à l'écoute des autres… et donc qu’il ne dispose d’aucune réplique à des arguments contraires.
un fonds creux qui souffre principalement d’une absence de chiffrage. On se contente d’aligner des vérités premières et on ne prend aucun engagement sur les montants qui seront mobilisés pour cette action.
Dans l’absolu, ce n’est pas dramatique. Des post comme celui-ci, le cabinet de com du ministre en produit 3 par semaines et dans 10 jours, vous l’aurez oublié. Mais cette analyse m’a donné l’occasion de vous montrer comment éviter les pièges de la rhétorique. Comment ne pas tomber dans le panneau d’une communication politique bien ciselée qui cache la merde du chat sous une pluie de roses.
Si vous souhaitez approfondir le sujet, je vous recommande la lecture de l’édifiant ouvrage de Clément Viktorovitch dont j’ai reproduit deux citations : Le Pouvoir rhétorique.
Quant à moi, je vous donne rendez-vous dimanche prochain pour appronfondir le sujet développé ici en essayant de voir comment la question du vieillesse pourrait être intégrée à une réflexion plus large au lieu d’être autocentrée.
Devez-vous croire les promesses de Jean-Christophe Combe ?
Bravo pour cette brillante démonstration.
Elle montre l'incapacité ou plutôt le MANQUE de détermination de nos élites dirigeantes à mettre en œuvre des solutions pour PALLIER aux CONSEQUENCES d'un vieillissement de la population, pourtant prévisible depuis belle lurette .
Je viens de réaliser, avec effroi, que l'ALTERNATIVE serait, comme pour toute situation, de TRAITER les CAUSES du problème.
J'observe qu'en ce moment nos élites sont très impliquées et très motivées sur un sujet comme le "droit de mourir dans la dignité".
Cela pourrait être le début d'un vaste chantier vers la vulgarisation de l'euthanasie.
D'ailleurs, en novlangue étatique, cela pourrait tout à fait se justifier comme une "avancée sociétale SOLIDAIRE" !
Mais cette fois, contrairement à la retraite par répartition, la SOLIDARITE serait inversée : des vieux au profit des plus jeunes !