Du rififi dans l'habitat inclusif
La PPL veut réformer l'habitat inclusif | Analyse des conséquences | ERP | Norme Incendie | Mutualisation APA et PCH | Requalification EMS | Interview de Me Dahan
« Art. L. 281-4-1. – Les lieux d’habitation d’un habitat inclusif, composés des logements, des dégagements et locaux réservés à la vie commune, constituent un bâtiment à usage d’habitation au sens du 1° de l’article L. 141-2 du code de la construction et de l’habitation, quel que soit le nombre de personnes ayant fait le choix d’une vie en commun au sein de cet habitat. Un décret fixe les mesures complémentaires requises, le cas échéant, pour assurer la sécurité des habitants contre les risques d’incendie, ainsi que les personnes, physiques ou morales, auxquelles elles incombent. »
La semaine dernière, nos députés ont validé un amendement à la loi Bien Vieillir qui fait évoluer le statut de l’habitat inclusif. Ou plutôt, le statut des espaces partagés de l’habitat inclusif.
Aujourd’hui - et jusqu’à la promulgation de la loi - les espaces partagés d’un habitat collectif sont considérés comme des espaces publics. Votre appartement, c’est du privé. Les pièces partagées avec les autres colocataires, c’est du collectif.
Cette distinction entraine une qualification en établissement recevant du public pour tous les habitats inclusifs. Cela peut ralentir les procédures d’autorisation liées aux normes incendie applicables aux ERP. Cela peut aussi faire gonfler le coût des projets. Cependant, je ne crois pas que cette évolution soit une fin en soi pour ses promoteurs.
J’y vois plutôt la première pierre d’un projet plus vaste de transition des habitats inclusifs vers un statut de logements “privés” (le même que celui de votre maison).
Et donc, on ne peut étudier l’amendement “incendie” isolément. Il est nécessaire d’analyser les impacts indirects qu’un changement de statut pourrait entraîner.
C’est ce que je vous propose d’amorcer. Certes, mon étude ne sera pas la même que si j’étais moi-même exploitant d’un habitat inclusif. Mais je la fonde sur ma pratique de ces projets, acquise à travers leur étude depuis 2018, ma rencontre avec une cinquantaine d’entrepreneurs, mes échanges avec les parties prenantes nationales et locales et mes convictions en matière d’adaptation de la société au vieillissement.
Pardonnez-moi donc quelques maladresses et n’hésitez surtout pas à me les signaler, en commentaire ou par retour d’email.
Ce n’est que le début
Cet article de loi est un pied dans la porte. Un coup de semonce. Un test. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais l’un des acteurs qui travaillent dans l’instance qui est à l’origine du texte, l’Observatoire de l’Habitat Inclusif.
Il m’a écrit que :
C’est un amendement pour permettre à une norme de voir le jour.
La reconnaissance du statut de logement privé dont résulterait ce texte très spécifique pourrait être utilisée par ses promoteurs pour réclamer d’autres ajustements. Dès lors que le législateur considère l’habitat inclusif comme du logement privé, les obligations inhérentes aux ERP ne sont plus opposables, pas plus que les règles qui organisent l’aide à domicile et son financement.
Ce qui se passe dans ma maison ne regarde que moi.
Or, un habitat inclusif, ce n’est pas la maison de ses occupants. C’est un projet porté par une personne morale qui offre un service à ses bénéficiaires et profite - souvent - d’aides publiques. Ne perdons pas cela de vue.
Conservant cette idée en tête, je vous invite à étudier quatre problèmes que le changement de régime de l’habitat inclusif pourrait résoudre.
Problème 1 : La mise aux normes incendies des ERP, ça coûte cher
La première raison, c’est que le respect des normes incendie applicables aux ERP coûte un bras. Cela implique de la signalisation, de l’équipement, l’utilisation de matériaux ignifugés, des portes, des revêtements spécifiques, des procédures d’évacuation formalisées et testées, une formation particulière du personnel.
La sécurité est à ce prix.
La question qu’on pourrait se poser, et qui justifie sans doutes l’amendement, c’est si la norme incendie des ERP est bien dimensionnée pour les habitats inclusifs.
J’ai déjà lu des analyses de cette question à propos des EHPAD qui appliquent les normes hospitalières alors qu’ils n’y sont pas obligés, augmentant inutilement le coût de ce poste.
Là, nous assistons au mouvement inverse : des entreprises et des associations qui veulent faire baisser la facture en diminuant le niveau de prévention incendie.
Il faudrait que je me penche sur la question pour mieux cerner les tenants et les aboutissants de cette dégradation de la sécurité au profit de l’équilibre budgétaire, mais de prime abord, je suis dubitatif quant au bénéfice réel pour les citoyens fragiles habitant ces habitats inclusifs.
Problème 2 : La nature des prestations d’aide à domicile dans les parties communes
Un intervenant qui assiste une personne âgée et dont la prestation est prise en charge par l’APA (et cadrée par un plan d’aide) ne peut pas s’occuper de l’entretien des parties communes, mais seulement de la chambre de son bénéficiaire… et de ce dernier.
C’est somme toutes assez logique que l’aide à domicile dévolue à une personne ne consacre pas une partie de son temps à une tâche qui n’est pas de son ressort, comme faire le ménage ou répondre aux demandes des autres habitants.
Et l’on pourrait questionner les compétences manageriales d’exploitants d’habitat inclusif qui voudraient mobiliser les employés de leurs clients pour effectuer des travaux qui ne les concernent pas directement.
Certes, ces exploitants me rétorqueraient que les aides à la création et à l’animation sont insuffisantes et que les locataires ne veulent pas payer plus, mais je doute qu’un projet puisse fonctionner et se pérenniser en ayant recours à des astuces para-légales pour maintenir son équilibre financier.
Mutualiser les aides afin de mutualiser les prestations
Et c’est pourquoi, allant plus loin dans leur raisonnement, certains responsables d’établissements inclusifs aimeraient que cette règle soit modifiée pour pouvoir mutualiser les prestations.
Pour l’heure, cette option n’est ouverte qu’aux organismes qui ont l’autorisation de mutualiser les aides (APA ou PCH). Ce dispositif doit impérativement être autorisé par le département ou la MDPH.
Comment ça se manifeste : Les aides sont calculées individuellement selon le handicap ou le GIR, mais au lieu d’être versées à chaque habitant, elles sont rassemblées dans un pot commun. Par aide, comprendre : les heures de prestation accordées. Cette disposition permet de mieux organiser la vie du collectif. Une personne qui bénéficie d’un petit quota quotidien pourra profiter d’une assistance collective H24, avec du temps pour soi et du temps partagé avec ses coloc’.
Ce dispositif qui semble malin sur le papier n’est pas généralisé, notamment dans les habitats pour personnes âgées, car certains conseils départementaux sont réticents à cette mutualisation, considérant que les aides doivent être par nature individuelles.
Problème 3 : L’ambiance dans le logement partagé
Cette organisation de la prestation peut aussi jouer un rôle déterminant sur l’ambiance. Plus les intervenants sont inclus dans l’organisation, plus ils sont à l’aise avec les règles de vie, plus ils s’y adapteront et accepteront d’aller au-delà de leur mission au service d’un seul bénéficiaire.
C’est ce que j’ai appris en lisant un rapport d’étude financé par la CNSA et publié en 2022, où plusieurs sociologues ont réalisé des immersions dans 6 habitats inclusifs français. Parmi toutes leurs découvertes, ils ont constaté une gène de la part des intervenants extérieurs lorsqu’ils sont sollicités par les colocataires qui ne sont pas leur bénéficiaire ou bien sur des tâches - même simples - qui n’entrent pas dans le cadre de leur mission habituelle.
Les chercheurs donnent l’exemple d’un résident qui demande à l’intervenante de lui allumer la télévision, action que réalisent volontiers les intervenant “maison”, mais qui dérange l’intervenante externe qui n’est pas une habituée des règles de la maison.
Même si cet exemple peut sembler anecdotique, la gène partagée par l’intervenante et le locataire peut contribuer à un doute sur la qualité de vie dans cet habitat partagé. Plus les règles de vie sont fluides et acceptées, plus l’ambiance du lieu sera agréable pour tous les habitants.
Problème 4 : Le risque de requalification en établissement médico social
Le pire problème pour un habitat inclusif avec statut d’établissement recevant du public, c’est qu’il risque une requalification en établissement médico-social.
S’il subit une inspection sanitaire qui conclue que son établissement a les caractéristiques d’un EHPAD, il sera requalifié comme tel. Une procédure qui équivaut dans la plupart des cas à une fermeture administrative. En effet, les gestionnaire d’un habitat inclusif qui veulent offrir une alternative à l’Ehpad n’ont pas les moyens d’en créer un (d’Ehpad). Leur petite structure est insuffisante pour s’équilibrer financièrement en régime Ehpad. Et surtout, c’est le département qui donne le feu vert à la création d’un Ehpad et donc peut ordonner la fermeture d’un lieu qui ne serait pas passé par ses fourches caudines.
Plusieurs affaires récentes on mis ce problème en lumière. Je pense notamment un établissement pour majeurs handicapés dans la Sarthe et une colocation seniors en Normandie, car j’avais réalisé une étude sur l’un et l’autre.
Zoom : la requalification administrative d’une colocation senior dans le Calvados
Dans la commune de Valorbiquet (14), une colocation créée au printemps 2021 a été requalifiée en EHPAD et contrainte à la fermeture en octobre 2022.
Cette colocation, baptisée "Logis Vivre Ensemble", était gérée par une infirmière, ancienne cadre de santé en EHPAD. Elle accueillait six personnes âgées de 77 à 92 ans, dont certaines étaient dépendantes ou souffraient de maladies neurodégénératives. L'infirmière, nommée Valérie Levieils, avait acheté une grande habitation pour lancer ce projet qu'elle jugeait nécessaire. Les seniors y trouvaient leur bonheur. "C'est une colocation familiale conviviale, avec une bonne entente et du lien social" - Valérie Levieils.
La fondatrice assurait le gîte, le couvert et les soins, seule. Elle avait donc un pied dans la prestation de services, un pied dans le domaine médical et médico-social. C'est ce que lui reproche le conseil départemental du Calvados. Le département a assimilé la maison à un EHPAD, expliquant que les personnes qui n'étaient pas assez autonomes devaient bénéficier d'une prise en charge supérieure à ce que Valérie Levieils pouvait apporter seule.
Le département a demandé la fermeture de cette colocation en se basant sur les résultats d'un contrôle effectué sur place. Ce contrôle a révélé des anomalies inquiétantes dans le fonctionnement et l'organisation :
Les espaces extérieurs n'étaient pas sécurisés.
Le bureau était situé dans une pièce ouverte où n'importe qui pouvait avoir accès aux dossiers médicaux.
Les médicaments n'étaient pas stockés dans un endroit inaccessible et fermé à clé.
Globalement, il s'agissait d'une structure peu professionnelle. Par conséquent, il est logique que le conseil départemental ait demandé sa fermeture.
Que faut-il retenir de cette décision ?
Ce fait divers est l’illustration parfaite d'une situation où - malgré une envie de bien faire évidente et une expérience professionnelle dans le care - la personne qui gérait le lieu n'était pas professionnelle de la gestion d'un habitat partagé.
Elle a donc commis plusieurs erreurs qui ont conduit à la fermeture. Ce qui est un moindre mal, parce que cette situation anormale aurait pu conduire aussi à un accident ou un problème de santé pour l'un des colocataires.
Le problème qui se pose à l'épilogue de ce fait divers, c'est que les personnes qui étaient colocataires, vont être contraintes d'aller en EHPAD. Là où elles ne voulaient pas aller, justement.
Etonné par la fréquence des requalification, qui se sont multipliées en 2022 et 2023, j’ai demandé son avis à Maître Alison Dahan, une avocate spécialiste de notre secteur.
Je vous partage son interview.
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