La Chine lance sa filière Silver économie : analyse des opportunités
Pourquoi | Pourquoi maintenant | Enjeux et perspectives | Les aider | Aider d'autres Etats à lancer leur filière | Ce qui nous manque pour le faire
La France a-t-elle exercé une influence bienfaisante ou funeste sur la destinée des hommes de nos jours ? L’avenir seul le fera connaitre. Mais nul ne saurait douter que cette influence n’ait existé et qu’elle ne soit grande encore.
Alexis de Tocqueville - Etat social et politique de la France avant et après 1789
J’admire les Grands Hommes qui, forts d’une certaine idée de la France, ont fait de notre pays un acteur qui compte dans le ballet des nations. Arrivés aux manettes du pouvoir par la force de leur caractère et le désir de faire quelque chose de notre pays, ils ont imprimé dans l’Histoire une politique qui nous a imposés et identifiés dans un jeu de rôle dont les règles du jeu sont mouvantes.
Mouvantes, parce que la position dominante obtenue par un gouvernant pour son pays n’aura de validité que si elle est défendue avec acharnement par ses successeurs. Faillir à soutenir une posture, c’est perdre l’avantage et se condamner à regretter le temps d’avant.
Prenons la Silver économie
Inventée par deux politiciens visionnaires (Arnaud Montebourg et Michèle Delaunay), la filière économique fut, dès sa genèse, envisagée comme un levier pour l’économie nationale, mais aussi - mais surtout - comme un outil de puissance.
C’est à dire, comme une institution unique et organisée que nous puissions utiliser à l’international pour imposer une certaine façon d’adapter la société au vieillissement.
Moqué dans l’hexagone par sa consonance anglaise et une interprétation mercantile (silver = argent = finance = capitalisme = satan), le terme a fait son chemin à l’international.
Sans que nous fassions quoi que ce soit pour accompagner cette pollinisation.
Le terme circule, mais il n’est pas toujours associé à son pays d’origine (nous), pays d’origine qui ne projète pas son savoir faire dans les autres pays vieillissants, malgré une besoin évident.
Se faire piquer ses idées, c’est bien…
Tel est le paradoxe.
Le besoin d’adapter la société au vieillissement fait consensus dans de nombreux pays.
Ceux-ci instituent des structures d’accompagnement au niveau Etat et/ou marché.
Ils adoptent le terme Silver économie.
Observent - peut-être - ce que nous avons fait en France.
Mais ne sollicitent pas notre expertise pour accompagner leur projet.
A leur décharge, nous ne faisons rien pour projeter cette expertise. La présenter comme telle. Structurer une offre claire pour un accompagnement international qui permettrait à tout pays souhaitant s’adapter au vieillissement - au lieu de le subir - de construir sa filière Silver économie avec l’appui d’experts blanchis sous les harnais (nous).
… En retirer un bénéfice, c’est mieux
L’enjeu n’est pas seulement dans l’adaptation de notre société au vieillissement. Il pourrait aussi se situer dans la promotion à l’international du génie français.
Remontons le temps :
Nous avons construit une filière Silver économie.
Elle est soutenue par l’Etat Français dont elle est un organe officiel.
Son rôle d’organisateur interne est admis.
Utilisons-la comme outil de puissance à l’international.
C’est ce que nous aurions pu attendre cette fameuse mission Fougère qui a - semble-t-il - survécu au remaniement ministériel et dont la mission - obscure - consiste à réorganiser des choses qui n’en ont pas vraiment besoin.
Je rêve d’un Etat Français qui, conscient de la pertinence de notre modèle de société adaptée à son vieillissement, fasse de ce modèle un outil de diplomatie culturelle et cherche à en étendre la portée en incitant d’autres Etats à le répliquer.
L’influence d’un pays dépend étroitement de son rayonnement et de sa capacité à promouvoir les références qui sont les siennes. Cette exigence ancienne de la politique étrangère est devenue essentielle. L’influence repose de plus en plus sur la production et la diffusion d’idées, permettant notamment d’appréhender la complexité du monde contemporain et d’en offrir des grilles de lecture.
Quinzième Conférence des Ambassadeurs - 2007
On le fait déjà dans le tourisme culturel
Ne levez pas les yeux au ciel, nous faisons déjà de la diplomatie culturelle dans d’autres domaines… et ça rapporte en soft power, en aides financières directes et en contrats internationaux pour nos entreprises.
Par exemple, saviez-vous que la France pilote l’organisation touristique du site archéologique de Al’Ula, en Arabie Saoudite1 ?
Site au sein duquel sera bâtie une version saoudienne du centre Pompidou ?
Transposition dont le financement permettra à la “Maison Mère” de se rénover, vu qu’elle tombe en ruine et que l’Etat Français n’a pas les moyens de payer la facture ?
Après les Emirati (Louvre d’Abu Dhabi), voici que les Saoudiens reconnaissent le génie Français en matière de tourisme culturel.
Si nous avons su projeter notre savoir faire dans la duplication d’établissements culturels, qu’est-ce qui nous empêche de faire pareil avec l’adaptation de la société au vieillissement ?
L’audace ?
Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, et inspiré cette réflexion que je vous partage, c’est l’annonce récente de création d’une filière Silver économie en Chine.
Je vous propose d’en découvrir un peu plus sur les enjeux et perspectives, histoire d’alimenter la réflexion.
Silver economy chinoise : enjeux et perspectives
Le Conseil d'État chinois a dévoilé lundi une série de mesures visant à promouvoir la Silver economy, appelant à ce que les entreprises publiques et privées répondent mieux aux besoins des personnes âgées et annonçant des plans pour développer 10 parcs industriels ainsi que pour augmenter les investissements publics et privés ainsi que l'innovation dans les produits et services pour les personnes âgées.
Données socio-économiques
Le marché est évalué à 7 billions de yuans (982 milliards de dollars américains), soit environ 6 % du PIB total de la Chine, mais devrait passer à 30 billions de yuans (4,2 billions de dollars américains) d'ici 2035, soit environ 10 % du PIB total d'ici là, selon la Radio nationale chinoise. Il serait toutefois intéressant de savoir comment est fait ce calcul et s’il intègre toute l’économie des seniors ou seulement l’adaptation de la société au vieillissement.
Les données démographiques sont - en revanche - sans appel.
Les dernières statistiques gouvernementales publiées cette semaine montrent que la population chinoise âgée de 60 ans et plus était d'environ 297 millions en 2023, soit 21,1 % de la population totale, ce qui fait du pays une "société super-âgée" selon les normes de la Banque mondiale. Cette population devrait dépasser le demi-milliard d'ici 2050.
Etude détaillée (en anglais) : China Briefing - Unlocking China’s Elderly Market
Décisions politiques
Dans son dernier document politique, La Chine a publié 26 lignes directrices dans quatre domaines clés afin de garantir que tous les besoins émergents de la population vieillissante soient pris en compte, allant des soins de santé intelligents à la planification financière en passant par le "rajeunissement", c'est-à-dire la promotion du développement médical et cosmétique pour lutter contre les "maladies gériatriques".
Il s'agit du premier document politique introduit pour répondre spécifiquement aux besoins futurs d'une population vieillissante croissante au niveau national, selon l'agence de presse d'État Global Times. Ces plans visant à stimuler l'économie argentée ont été mentionnés pour la première fois en 2022, lorsque le Conseil d'État a exposé des objectifs et des repères "pour mobiliser l'ensemble de la société afin de répondre activement au vieillissement de la population".
Les experts affirment que le déséquilibre démographique rapidement croissant en Chine, s'il n'est pas traité de manière adéquate, constitue une catastrophe pour la deuxième plus grande économie mondiale, qui est déjà confrontée à un chômage des jeunes sans précédent et à une crise immobilière apparemment insoluble.
France - Chine, Silver économie : état des lieux
Le sujet n’est pas inédit. Il a déjà été identifié comme une opportunité par Business France et il a même fait l’objet de plusieurs actions bilatérales entre 2014 et 2017.
De l’avis des témoins avec qui j’en ai discuté sur Linkedin :
L’intérêt chinois pour les initiatives françaises était manifeste.
Les entreprise françaises étaient prêtes à y aller.
Mais seuls les grands groupes ont pu se lancer en autonomie
Les PME et ETI n’avaient pas les reins assez solide pour tenter l’aventure en solo.
Et personne n’était prêt à leur tendre la perche, à les soutenir.
Didier Pagel, entrepreneur dans les services à la personne qui réalise des missions en Chine pour la Banque Mondiale fait une excellente synthèse du problème :
La France est assez bonne pour faire de l'assistance export dans ses domaines d'expertise, mais par contre pour transformer l'essai en business, au profit des entreprises Françaises c'est loin d'être aussi flagrant. Seuls les gros opérateurs y parviennent, les PME et ETI, sont a mon avis insuffisamment intégrées dans les échanges bilatéraux.
Les grands groupes d'EHPAD sont présents à l'export, pour le autres et notamment les services à domicile, c'est un peu le désert. Peut-être devrions nous prendre exemple sur certains de nos voisins européens, ou les grands groupes amènent dans leur sillage un écosystème de plus petits acteurs, ce que nous ne faisons pas.
Didier Pagel - Président de Bien Vieillir Ile-de-France
Ce qu’il nous manque, c’est un support
Et donc, que manque-t-il à la France pour accompagner les pays qui souhaitent instaurer une Filière Silver économie ?
Une organisation qui accompagne à la fois l’organisation étatique et l’organisation économique, en fonction des besoins.
La bonne équipe
De prochaines opportunités pourront être transformées en victoire si un organisme fédérateur, fort et à l’autorité incontestée pilote l’opération. Il mettrait en oeuvre les conditions de la réussite, coordonnerait les travaux, apporterait de la structure, trouverait le bon interlocuteur, le bon partenaire pour chaque chantier et préparerait les échanges pour s’assurer de leur succès.
Si l’on s’appuie sur l’écosystème existant, les trois acteurs dont le nom revient dans ma veille sont France Silver éco, Silver Valley et Business France.
France Silver éco pilote la filière Silver économie
Présidée par Luc Broussy, elle jouit d’une très bonne reconnaissance par l’Etat et les collectivités locales qui l’identifient comme un interlocuteur privilégié et incontournable sur le plan national. Cependant, elle n’a pas eu, à ce jour, à gérer des projets internationaux ou européens et son expertise sur ce plan est à démontrer.
Silver Valley est le cluster sectoriel de la longévité
Dirigé par Romain Ganneau et soutenu par des institutions et des collectivités locales franciliennes. Le cluster est identifié comme l’acteur de référence pour l’accompagnement des start-up et la création de connexions entre celles-ci et les autres acteurs économiques. Cependant, et malgré quelques voyages d’étude organisés jusqu’à 2020, la portée internationale de l’association est à démontrer, car l’international n’est pas un terrain de jeu courant de cette équipe dynamique et volontariste.
Business France aide les PME et ETI à l’international
Cette agence publique est chargée d’aider les entreprises à mieux se projeter à l’international. Elle doit aussi attirer davantage d’investisseurs étrangers en France pour y créer ou y reprendre des activités créatrices d’emplois.
Business France est par nature connecté à l’international et s’est impliqué dans des projets de Silver économie, notamment en Italie où l’agence a accompagné la création d’une filière Silver économie. Cependant, et malgré ces premiers résultats, l’organisme ne dispose pas d’une expertise aussi profonde ni d’un réseau aussi dense que France Silver Eco et Silver Valley.
Un attelage des 3 pourrait-il accompagner des projets de création de filières Silver économie hors de France ?
Oui, à condition d’inclure d’autres parties prenantes stratégiques et aujourd’hui mal représentées par ce trio :
Les services à la personne,
L’habitat collectif senior,
Les Ehpad,
Les acteurs de la protection sociale,
Les dispositifs de santé préventive en lien avec les secteurs médicaux devrait être représenté,
Les représentants des personnes âgées à travers les instances locales et les associations auront nécessairement un rôle à jouer dans ce travail, car leur rôle dans le système français est essentiel,
Enfin, il me semble pertinent que ce travail mobilise des chercheurs et des “penseurs de la vieillesse”, afin de transmettre un savoir-faire et une vision du grand-âge qui aillent au-delà à ses applications socio-économiques.
Le bon terrain de jeu
Nous aurons aussi besoin d’opportunités pour entrainer notre équipe.
Si La Chine vous semble trop éloignée, nos voisins européens pourraient avoir besoin de nous. L’enjeu serait de mieux les informer sur nos compétences, nos réalisations, d’être à leur écoute, de répondre présent s’ils nous sollicitent, mais surtout de forcer le destin avec un peu de lobbying et d’influence.
Pour illustrer mon propos, voyez ci-dessous le taux de dépendance par pays. Ce ratio est calculé en comparant la part de personnes à la retraite au nombre d’actifs.
Parce que si nous nous avérons incapables de proposer cet accompagnement à nos voisins, qu’est-ce qui nous dit que La Chine ne proposerait pas de le faire, à présent qu’elle développe ce savoir-faire ?
C’est pas comme si elle ne le faisait pas déjà sur d’autres sujets socio-économiques, là où les Etats Européens sont incapables d’être solidaires entre eux !
L’histoire que j’ai envie de raconter
Rappelez-vous mon introduction, les Grands Hommes, la grandeur du pays…
L’histoire que j’ai envie de vous raconter c’est celle d’un outil de diplomatie culturelle construit par et pour l’Etat Français, qui incarne la grandeur de notre pays et puisse être identifié comme tel pour accompagner d’autres Etats souverains désirant s’appuyer sur notre modèle national d’adaptation de la société au vieillissement.
Je vous parle de l’opportunité de consolider des liens entre Etats et de créer des relations durables et fortes, de développer notre modèle et d’en faire un outil de puissance.
En bref, je ne vous parle pas d’un projet de consulting à la petite semaine ou d’un rapport destiné à caler les armoires, mais d’une France qui prend un problème mondial à bras le corps et en devient le paladin.
Mais peut être est-ce trop demander ?
Projet coordonné par l’Agence Française pour le Développement d’Al’Ula (AFALULA) dirigé par Jean-Yves Le Drian. Son site web : https://www.afalula.com/