La folle histoire de l'habitat inclusif đ
Permettra-t-il aux citoyens de vieillir dans un lieu adapté, mais choisi ?
Bonjour, câest Alexandre de Sweet Home. LongĂ©vitĂ© est notre newsletter hebdomadaire consacrĂ©e Ă lâactualitĂ© de la Silver Ăconomie. Aujourdâhui, je vous raconte comment lâhabitat inclusif est devenu le format dâhabitat alternatif le plus prometteur pour dĂ©trĂŽner lâEHPAD, et pourquoi ce succĂšs est menacĂ©.
We shape our buildings and aftewards, our buildings shape us.
Winston Churchill
Nous modelons nos maisons et celles-ci nous modĂšlent Ă leur tour.
Formule fameuse de Winston Churchill lors dâun dĂ©bat Ă propos de la reconstruction de la Chambre des Communes partiellement dĂ©truite par les bombardements de la 2Ăš guerre mondiale.
Il sâagissait de savoir si le plan initial de ce bĂątiment devait ĂȘtre repris oĂč bien sâil fallait en changer. Churchill faisait alors remarquer que ce plan avait contribuĂ© Ă faire Ă©merger une certaine forme de dĂ©mocratie (le bipartisme) qui - selon lui - Ă©tait lâessence mĂȘme de la dĂ©mocratie parlementaire anglaise.
Cette anecdote mentionnĂ©e par la gĂ©rontologue Colette Eynard dans son essai de 2016, Le Parcours RĂ©sidentiel au Grand Ăge Ă©claire le lecteur sur lâimpact que le lieu peut avoir sur la personne.
Remis dans son contexte, il montre comment lâEhpad pensĂ© comme le lieu de travail des soignants peut ĂȘtre dĂ©shumanisant.
Des alternatives Ă lâEhpad đ
Cet ouvrage captivant qui analyse le parcours rĂ©sidentiel des citoyens vieillissants met en lumiĂšre les faiblesses et limites de lâEhpad ainsi que la difficultĂ©s Ă y inventer des alternatives.
DifficultĂ© due Ă notre tendance Ă encadrer dans des normes toute forme dâhabitat alternative, sapant ainsi la crĂ©ativitĂ© des porteurs de projet.
Un problĂšme qui explique lâEhpad dâaujourdâhui et qui pourrait bien ruiner lâintĂ©rĂȘt de lâhabitat inclusif.
Interlude â°
hĂ© lĂ , minute papillon đŠ. Pourquoi tu nous parle soudain dâhabitat inclusif, câest quoi ce machin !
Tu as raison cher lecteur, je ne vais pas passer du đ à lâĂąne sans coup fĂ©rir. Je te dois une introduction explicative.
Lâhabitat inclusif est le nom que le lĂ©gislateur donne Ă des projets dâhabitat alternatifs pour des publics handicapĂ©s, dĂ©pendants ou risquant de le devenir.
Par Alternatif, vous devez comprendre que ces habitats ne sont pas de lâĂ©tablissement mĂ©dico social, ni un domicile individuel. Ils offrent une alternative Ă ces deux extrĂȘmes, sans nĂ©cessairement se positionner comme une Ă©tape intermĂ©diaire du parcours rĂ©sidentiel : tout le monde ne meurt pas Ă lâEhpad !
Si une loi dĂ©finit un rĂ©gime depuis 2019, lâhistoire commence il y a une quarantaine dâannĂ©esâŠ
Une courte histoire de lâhabitat alternatif
LâĂšre des utopistes
Depuis les annĂ©es 1970, des projets alternatifs Ă la maison de retraite (quâon nâappelait plus lâhospice, mais pas encore lâEHPAD) se sont montĂ©s au petit bonheur la chance sur tout le territoire.
Utopistes, mais dĂ©terminĂ©s, les porteurs de projet faisaient avec les moyens du bord, en navigant dans un vide juridique, sentant peser la menace dâune requalification, si leur projet empiĂ©tait trop dans le champ du mĂ©dico-social.
Cette requalification était bien souvent synonyme de fermeture, car le coût des adaptations à la norme était trop élevé pour de si petites structures.
LâĂšre du lĂ©gislatif
Au milieu de la dĂ©cennie 2010, plusieurs travaux ont Ă©tabli lâintĂ©rĂȘt de ces projets, mais la fragilitĂ© du modĂšle, en lâabsence dâun corpus juridique dĂ©diĂ©. La loi ALLUR de 2015 et la loi ELAN de 2019 ont structurĂ© lâhabitat inclusif en lui offrant une colonne vertĂ©brale lĂ©gale et rĂ©glementaire.
HĂ©las, en associant Ă cette structure un ensemble dâaides financiĂšres consubstantielles, le lĂ©gislateur a fragilisĂ© son modĂšle.
Pourquoi ?
Parce que, dĂ©sormais, les porteurs de projets nâimaginent pas un business model sans les aides prĂ©vues par la loi.
Parce que, en consĂ©quence, les porteurs de projets sâinterdisent dâimaginer des organisations qui sortent du cadre, au risque de se voir priver des aides.
Parce que les autoritĂ©s locales chargĂ©es de lâattribution de ces aides contribuent Ă la normalisation des projets en forçant les entrepreneurs Ă respecter un cahier des charges aussi strict que le rĂ©gime WeightWatcher.
Mais, concrĂštement, câest quoi un habitat inclusif đïž
Lâoffre dâhabitat inclusif peut dĂ©signer un bĂątiment collectif entiĂšrement dĂ©diĂ© Ă des personnes handicapĂ©es ou dĂ©pendants ou bien des logements regroupĂ©s sur un mĂȘme site soit de maniĂšre contiguĂ«, soit dans un pĂ©rimĂštre restreint. Elle peut Ă©galement viser une maison ou un appartement permettant la cohabitation entre personnes handicapĂ©es ou dĂ©pendantes.
Les habitats inclusifs se situent hors de la lĂ©gislation relative aux Ă©tablissements et services sociaux et mĂ©dico-sociaux. Ils sont le plus souvent construits dans le cadre de partenariats impliquant des bailleurs sociaux, des collectivitĂ©s, des associations, des reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile et les personnes elles-mĂȘmes.
Ces rĂ©alisations dĂ©veloppent par ailleurs des dispositifs dâaccompagnement Ă la vie sociale spĂ©cifiques et non mĂ©dicalisĂ©s. SolidaritĂ© collective et autonomie de dĂ©cision caractĂ©risent ainsi ces nouvelles formes dâhabitat.
Un pour tous, tous pour un đ€ș
Une multitude de termes Ă©merge pour tenter dâapprĂ©hender la diversitĂ© de cette offre elle-mĂȘme Ă©mergente : habitat regroupĂ© autogĂ©rĂ©, habitat participatif, habitat coopĂ©ratif, habitat solidaire, etc.
Bien que trĂšs diverses dans leurs dĂ©nominations et modalitĂ©s, ces diffĂ©rentes formes dâhabitat inclusif ont trois caractĂ©ristiques communes :
Lâhabitat inclusif repose sur une organisation qui fait du lieu dâhabitation de la personne en situation de handicap son logement personnel, son « chez soi »,
Lâhabitat inclusif conjugue, pour la personne en situation de handicap, la rĂ©ponse Ă son besoin de logement et la rĂ©ponse Ă ses besoins dâaide, dâaccompagnement et, le cas Ă©chĂ©ant, de ce quâil est convenu dâappeler la «surveillance»,
Lâhabitat inclusif vise toujours, en prenant en gĂ©nĂ©ral appui sur la vie organisĂ©e Ă plusieurs, une insertion active dans le voisinage, la vie de quartier, lâenvironnement de proximitĂ©.
Point important : Le dispositif Loi ELAN sâadresse aux personnes handicapĂ©es ou en risque de perte dâautonomie qui ne peuvent plus vivre chez elles, mais nâont pas besoin de lâencadrement mĂ©dicalisĂ© - et cher - que propose lâEHPAD.
On pourrait donc penser quâun habitat groupĂ© pour seniors autonomes sort du cadre de lâhabitat inclusif, non ?
Oui⊠mais non.
Si le sujet est clair Ă propos du handicap (on est handicapĂ© ou on ne lâest pas, attestation Ă lâappui), il lâest bien moins concernant les personnes ĂągĂ©es.
La notion de ârisque de perte dâautonomieâ est sujette Ă bien des interprĂ©tations et autorise Ă ce titre nâimporte quelle structure destinĂ©e aux seniors Ă choisir le statut dâhabitat inclusif.
Puisque la recevabilitĂ© des demandes dâaide est laissĂ©e Ă lâapprĂ©ciation du dĂ©partement, exception faite des quelques critĂšres dâexclusion figurant dans la loi, rien ne permet de savoir avec certitude si un projet dâhabitat partagĂ© pour les seniors entre ou non dans le cadre de lâhabitat inclusif
Câest la porte ouverte Ă toutes les fenĂȘtres !
Les formats đČ
Avant la loi ELAN, les projets Ă©taient majoritairement portĂ©s par des associations et adossĂ©s Ă des bailleurs sociaux. Un excellent rapport de lâARS Bourgogne - Franche ComtĂ© fait la synthĂšse de travaux antĂ©rieurs pour identifier les 5 formats dâhabitats inclusifs qui se dĂ©veloppaient Ă cette Ă©poque :
Lâassociation gestionnaire â location ou sous location et services : il sâagit du modĂšle le plus couramment observĂ© avec peu de variantes. Une association gĂšre le dispositif, signe un bail et propose Ă des personnes en situation de handicap une sous-location. Cette sous-location est liĂ©e Ă lâintervention dâune part, dâune personne assurant une fonction dâaccompagnement de la vie sociale et, dâautre part, dâun service spĂ©cifique pour personnes en situation de handicap. Chaque locataire sâacquitte dâun loyer pour le logement et pour les services dâaide individualisĂ©s. Une partie de la prestation de compensation du handicap (PCH) est mise en commun pour le financement des activitĂ©s de surveillance et parfois pour lâaccompagnement Ă la vie sociale ;
Bailleur public/privĂ© â flĂ©chage Personnes HandicapĂ©es/Personnes AgĂ©es : un bailleur flĂšche dans un mĂȘme immeuble ou, sur un mĂȘme macro-lot, des appartements Ă destination de personnes en situation de handicap et/ou de personnes ĂągĂ©es, adapte les logements et finance une fonction de coordination dont lâaction est destinĂ©e Ă lâensemble des locataires. Ce sont en gĂ©nĂ©ral des projets Ă forte dimension de mixitĂ© sociale / inter-gĂ©nĂ©ration. Il existe une variante sans financement de fonction de coordination ou dâanimation.
CollectivitĂ© Gestionnaire : une collectivitĂ© prend lâinitiative de dĂ©velopper un projet sur son territoire, sâassocie Ă un bailleur privĂ©/public, facilite la mise en Ćuvre dâun Ă©quipement dâhabitat et structure un service dâaccompagnement quâelle finance en partie ou en totalitĂ©. Les loyers sont financĂ©s par les locataires qui peuvent bĂ©nĂ©ficier dâune aide au logement. Le service peut ĂȘtre ouvert Ă lâensemble de la population.
Prestataire de service dâaccompagnement social de service associĂ© Ă un bailleur : un prestataire ayant une compĂ©tence dans le champ de lâaide Ă domicile sâassocie Ă un bailleur privĂ©/public, rĂ©pond Ă la demande dâune collectivitĂ© locale. Ce partenariat va permettre la construction de logements adaptĂ©s pour les PA de la commune avec un accompagnement social. Le service dâaccompagnement et les locaux collectifs sont financĂ©s par les personnes ĂągĂ©es dans le cadre dâune redevance services ou accord collectif de charge.
SociĂ©tĂ© Civile (Association usager) associĂ© Ă un bailleur : un groupe de personnes ĂągĂ©es se mobilisent pour concevoir leur habitat et les modalitĂ©s de solidaritĂ©s rĂ©ciproques ; elles se constituent en association. Celle-ci mobilise un partenariat avec une collectivitĂ© et un bailleur pour produire du logement adaptĂ©s Ă la dĂ©pendance et des espaces mutualisĂ©s qui seront financĂ©s en ce qui concerne les loyers par les locataires et pour les espaces mutualisĂ©s par lâassociation et/ou la collectivitĂ©, le bailleur.
A retenir : le rĂ©gime de lâhabitat inclusif sâest dĂ©veloppĂ© pour offrir un dispositif...aux bailleurs sociaux
Dâailleurs le Guide Pratique de lâhabitat Inclusif rĂ©alisĂ© par la CNSA en 2017 ainsi que le rapport Piveteau Wolfrom de juin 2020 sont en grande partie destinĂ©s Ă offrir aux bailleurs sociaux les moyens de crĂ©er plus simplement de lâhabitat inclusif.
Les esprits taquins pourraient objecter que ces mĂȘmes bailleurs sociaux ne se sont pas vraiment illustrĂ©s dans la gestion des rĂ©sidences autonomie (ex logements-foyers), ce qui laisse Ă penser quâils ne sont pas les interlocuteurs idĂ©aux pour construire de lâhabitat inclusif.
En fait, câest plus compliquĂ©. Compte tenu de la part du logement social en France, difficile dâimaginer une politique de promotion de lâhabitat groupĂ© sans eux.
En outre, pour beaucoup de collectivitĂ©s locales, le bailleur social est lâinterlocuteur privilĂ©giĂ© pour les projets de logement.
Enfin, ces initiatives correspondent aux attentes des citoyens.
Cependant, les pratiques restent inĂ©gales dâun bailleur social Ă lâautre. Ils sont partants pour le faire, mais pas tout seuls. Surtout sur le volet mĂ©dico-social qui sort de leur cadre habituel dâintervention.
En synthĂšse : les bailleurs sociaux sont des partenaires de valeur sur ces projets, mais ont besoin dâĂȘtre accompagnĂ©s et outillĂ©s.
Et donc, qui sont les porteurs de projet đ
A lâorigine, les acteurs privĂ©s commerciaux sont absents.
Lâhabitat inclusif du dĂ©but, câest de lâassociatif dans le champ du handicap, quelques projets destinĂ©s aux personnes ĂągĂ©es atteintes de maladies neuro-dĂ©gĂ©nĂ©ratives et une poignĂ©e de projets pour les aidants (source : Ă©tude DGCS de 2017 qui recense les projets dans les dĂ©partements).
Cependant, le dispositif devenant populaire, tous les entrepreneurs qui cherchent Ă dĂ©velopper une solution dâhabitat alternatif se tournent vers cette formule, surtout Ă partir de sa reconnaissance par la loi ELAN.
Cet entrisme du privĂ© commercial est vu dâun trĂšs mauvais oeil par le monde associatif qui aimerait conserver le monopole sur lâhabitat inclusif... et les subventions de la CNSA !
Un monopole de fait, puisque dans beaucoup de dĂ©partements, les aides Ă lâhabitat inclusif sont flĂ©chĂ©es en prioritĂ© vers les structures associatives d alors que rien dans la loi ne leur octroie une quelconque prioritĂ©.
Mais dâoĂč viennent-elles ces fameuses subventions đž
Lâargent coule Ă flots dans lâhabitat inclusif đ¶
En 2017 ou 2018 (jâai un trou de mĂ©moire), la CNSA a dĂ©bloquĂ© des fonds pour financer les projets quelques mois avant que le lĂ©gislateur dĂ©finisse le statut de lâhabitat inclusif dans la loi ELAN.
Une reconnaissance qui sert surtout Ă fixer les modalitĂ©s dâattribution des aides susmentionnĂ©es.
En effet, le texte de la loi ELAN et son dĂ©cret dâapplication constituent le cahier des charges que les porteurs de projet doivent suivre afin dâespĂ©rer percevoir les prĂ©cieuses subventions sans lesquelles leur projet serait dĂ©sĂ©quilibrĂ©.
Ce nâest pas un scoop, en France on aime bien crĂ©er des projets qui se financent sur des subventions. Câest hĂ©las une approche court-termiste, car rien ne dit que les aides de lâEtat sont pĂ©rennes. Le robinet Ă subvention peut se refermer aussi vite quâil a Ă©tĂ© ouvert et il serait de bon ton de construire des projets en recherchant la pĂ©rennitĂ© financiĂšre ailleurs que dans les poches du contribuable.
Mais lĂ nâest pas le moindre dĂ©faut de ce systĂšme.
Le problÚme principal réside dans la normalisation que ce modÚle implique... ou impose.
La norme imbĂ©cile đ€ź
Il pleut dâĂ©normes normes imbĂ©ciles et bornĂ©es, indiffĂ©rentes aux situations et malgrĂ© tout compliquĂ©es, il pleut des labels Ă©triquĂ©s quand le problĂšme est la qualitĂ© de prĂ©sence, le partage, la curiositĂ©, lâintelligence, la sensibilitĂ©, la justesse, la gĂ©nĂ©rositĂ©, la joie, la crĂ©ativitĂ©.
Yves Perret Architecte
Dans lâhabitat inclusif dâaujourdâhui, trop de porteurs de projet sont forcĂ©s de se dĂ©tourner de leur idĂ©e initiale afin de se conformer Ă une norme qui dĂ©termine celui qui touchera une aide et celui qui ne la touchera pas.
Difficile dans ces conditions dâĂȘtre crĂ©atif, de sâadapter aux attentes spĂ©cifiques du terrain et dâoffrir un service sur mesure.
LâOrpeaGate nous montre les limites de cette normalisation Ă tour de bras qui créé plus de problĂšmes quâelle en rĂ©sout.
Dans lâEhapd comme ailleurs, trop de norme tue lâidĂ©e âŁïž
Explication en vidéo par le sociogérontologue Antoine Gérard :
Et donc, on fait comment ?
Il est plus facile de ne pas normaliser que dâeffacer la norme.
On pourrait donc souhaiter aux habitats alternatifs de ne pas se faire grignoter par la normalisation et de chercher à conserver leur autonomie, garante de créativité.
Comment... et bien, jâai quelques idĂ©es.
On en parle la semaine prochaine.
Dâici lĂ , bon dimanche.
merci pour la dédicace ! et oui bon article !
TrĂšs bel article vivement la semaine prochaine !!