La grande illusion du tout-locatif : comment le marché de l'habitat senior s'est coupé de sa cible
72% des seniors français sont propriétaires de leur logement, mais les nouveaux projets d'habitat collectif ne proposent que de la location. Un choix qui pose question
Bienvenue dans Longévité, où j'analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette édition, je m'intéresse à un paradoxe tenace du marché de l'habitat senior : alors que 72% des Français âgés sont propriétaires de leur logement, tous les nouveaux projets d'habitat collectif senior sont systématiquement conçus en mode locatif.
Après avoir échangé avec de nombreux professionnels du secteur, analysé les différents modèles économiques et étudié les rares exceptions comme le projet Chamarel à Vaulx-en-Velin, je constate que cette situation n'est pas une fatalité mais plutôt le résultat d'une forme de pensée unique qui s'est imposée au fil des ans.
Ce dossier analyse les raisons de cette standardisation du marché et explore les opportunités manquées, particulièrement pertinentes dans le contexte actuel de tension sur les financements.
Comment développer une offre d'habitat senior en accession à la propriété qui réponde aux attentes des seniors tout en assurant la viabilité économique du projet ?
En France, 72% des seniors sont propriétaires de leur logement depuis plus de 30 ans en moyenne. Un chiffre qui illustre l'attachement profond des Français à la propriété, particulièrement marqué chez les personnes âgées.
Pourtant, quand il s'agit de proposer des solutions d'habitat adapté au vieillissement, le marché français a fait un choix radical : celui du tout-locatif. Un paradoxe qui soulève des questions sur l'adéquation entre l'offre actuelle et les aspirations réelles des seniors.
Alors qu'aux États-Unis, le marché des résidences seniors s'est construit autour de la propriété, incarné notamment par des succès comme "The Villages", la France a pris une direction différente.
Les résidences services seniors (RSS) de seconde génération, qui se sont multipliées depuis les années 2000, ne proposent qu'une formule locative.
Comment expliquer ce décalage ?
Est-ce vraiment la seule voie possible ?
Une histoire de choix et de contraintes
Comme le détaille remarquablement le dossier « Les études de Matières Grises » de mars 2022, une analyse approfondie qui fait référence sur le sujet, l'histoire des RSS en France est révélatrice.
Dans les années 1970, les premières résidences services seniors voyaient le jour sous un modèle de copropriété. Le concept, initié par des promoteurs comme Hervé Picot à Biarritz puis repris par des groupes comme Cogedim avec Les Hespérides, rencontrait alors un franc succès.
Les seniors pouvaient acheter leur appartement tout en bénéficiant de services collectifs, une formule qui correspondait à leurs aspirations d'autonomie et de sécurité patrimoniale.
Mais ce modèle de première génération s'est progressivement essoufflé, confronté à plusieurs écueils : confusion entre charges de copropriété et charges de services, difficultés dans la revente des biens, complexité de gestion des services collectifs. Ces obstacles ont conduit le marché à basculer vers un modèle locatif dans les années 2000, avec l'émergence des RSS de seconde génération.
Un marché qui s'éloigne de sa cible
Ce virage vers le locatif s'est accompagné d'un phénomène inattendu : le vieillissement significatif de la population accueillie. L'âge moyen d'entrée en RSS est aujourd'hui de 80 ans, soit à peine 5-6 ans de moins que l'âge d'entrée en EHPAD.
Un chiffre qui interroge : n'aurions-nous pas, en abandonnant le modèle de la propriété, écarté toute une population de jeunes retraités potentiellement intéressés ?
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon une étude récente de l'Insee, environ 12% des jeunes retraités profitent de leur passage à la retraite pour déménager.
Ces mobilités se concentrent principalement vers le Massif central et les littoraux de l'Ouest et du Sud. Un potentiel considérable de nouveaux habitants qui, paradoxalement, ne trouve pas d'offre correspondant à leurs aspirations de propriétaires.
Le paradoxe américain
Le contraste avec le marché américain est saisissant. Aux États-Unis, les résidences type "The Villages" ciblent prioritairement les 65-75 ans, proposant un modèle basé sur la propriété qui s'inscrit naturellement dans le parcours résidentiel des seniors.
Cette approche permet de toucher une population plus jeune, plus active, créant des communautés dynamiques qui contribuent à leur attractivité.
Pourquoi imaginer que les Français de la même tranche d'âge aient des attentes diamétralement opposées ?
D'autant plus que l'attachement des Français à la propriété ne se dément pas, bien au contraire.
Dans un contexte d'instabilité économique et sociale, la propriété reste perçue comme un ancrage rassurant, particulièrement pour cette génération.
Le piège du modèle économique
Comment expliquer alors cette persistance du modèle locatif ?
La réponse se trouve en grande partie du côté des investisseurs institutionnels. Comme le souligne le rapport Matières Grises, depuis 2015 et la reconnaissance législative des RSS, le secteur attire de plus en plus d'acteurs institutionnels : Caisse des Dépôts, caisses de retraite, mutuelles, SCPI/OPPCI.
Pour ces investisseurs, le modèle locatif présente un double avantage : des revenus réguliers et une gestion simplifiée du patrimoine.
Cette logique financière a conduit au développement de la "vente en bloc", où des résidences entières sont vendues à des investisseurs institutionnels plutôt qu'à des particuliers. Un système qui, s'il a contribué à la professionnalisation du secteur, a aussi figé le marché dans une approche uniquement locative.
Un décalage culturel coûteux
L'ironie de la situation n'échappe pas aux observateurs : alors que la location est généralement associée à des séjours temporaires (hôtels, résidences de vacances, établissements de santé), le marché propose ce mode d'occupation pour un habitat censé être permanent.
Cette contradiction crée un frein psychologique important : pour des seniors propriétaires depuis des décennies, devenir locataire est souvent perçu comme une forme de régression sociale.
Nous avons peut-être vieilli artificiellement le marché en passant d'un modèle propriété à un modèle locatif.
Un constat d'autant plus pertinent que toutes les formes de logements collectifs pour seniors (RSS, RA, habitat inclusif, famille d’accueil, Ehpad, etc.) peinent à attirer les jeunes retraités, pourtant plus enclins à anticiper leur vieillissement et disposant souvent des moyens financiers nécessaires.
Vers un modèle hybride ?
Une approche hybride permettrait de répondre à différents profils et différentes attentes, tout en créant une véritable mixité au sein des résidences.
Les résidences de première génération, loin d'être un échec total, pourraient servir de source d'inspiration. Leurs difficultés ont certes été réelles, mais elles étaient principalement liées à des problèmes de gestion et de gouvernance, non au principe même de la propriété. Avec les outils et l'expérience accumulés depuis, de nouveaux modèles plus robustes pourraient voir le jour.
Le défi : convaincre les acteurs du marché (à commencer par ceux qui me lisent) de sortir des sentiers battus. Si le modèle locatif a permis un développement rapide du secteur en RA et RSS, il montre aujourd'hui ses limites face aux aspirations réelles des seniors français.
Une solution inexploitée
Le marché de l'habitat senior collectif se trouve confronté à un paradoxe persistant. Si la location convient à certains profils, notamment en situation de fragilité ou de grand âge, elle ne répond pas aux aspirations d'une large partie des seniors français, profondément attachés à la propriété.
Pourtant, à l'exception de quelques initiatives citoyennes comme le projet Chamarel à Vaulx-en-Velin, porté par un collectif de retraités, aucun opérateur ne semble vouloir explorer la piste de l'accession à la propriété.
Cette frilosité apparaît d'autant plus paradoxale dans le contexte économique actuel. Alors que l'accès aux financements se complexifie et que les banques se montrent plus prudentes depuis 2022, la vente en accession pourrait constituer une alternative pertinente au modèle dominant. Elle permettrait aux opérateurs de s'affranchir partiellement de la recherche de financement par la dette ou les fonds propres, tout en touchant une clientèle qui reste aujourd'hui en dehors du marché.
Car c'est bien là l'enjeu : en se focalisant exclusivement sur le locatif, le secteur se prive d'un potentiel de développement important. Ces seniors propriétaires, souvent plus jeunes et plus autonomes, pourraient constituer une clientèle précieuse pour dynamiser le marché de l'habitat collectif adapté. Encore faudrait-il leur proposer des solutions qui correspondent à leurs aspirations patrimoniales.
L'avenir de l'habitat senior ne peut se concevoir sur un modèle unique. La diversification des solutions, incluant des formules en propriété, apparaît comme une nécessité pour répondre à la variété des situations et des attentes. C'est à cette condition que le secteur pourra pleinement jouer son rôle dans l'adaptation de la société au vieillissement.
Bonjour, à mon avis âgé de 77 ans et vendant des viagers que depuis 1977, je pense que les résidences les plus adaptées au 4ème âge tant comme locataire que propriétaire sont "Les Sénioriales" mais bien évidemment si et SEULEMENT si le service au quotidien défini dans le contrat est sérieux et tient la route. Le problème qui est d'ailleurs sociétal et inhérent à toute société, notre pays compris : Ne pas s'arrêter au beau tableau Excel et à l'immédiateté pour effectuer et tenir ses engagements et être intraitable sur le sujet est le maître mot pour tenir dans le temps : "Dire ce que je fais, faire ce que je dis et pouvoir en permanence le prouver"
C'est en cela que l'initiative d'Altarea avec la reprise fin 2023 de 23 résidences Les Hespérides (Sopregi / Sopregim) en syndic de copropriété auprès de Compass Group est intéressante. Le groupe a ainsi créé un nouvel ensemble baptisé ARIAS (Altarea Résidences Intergénérationnelles Avec Services) dédié aux RSS et composé de Nohée (ex Cogedim Club, RSS 2ème génération, accessibles en location) et Les Hespérides (RSS 1ère génération, accessibles via acquisition).