L’avenir que nous présentent les prospectivistes n’est pas toujours bien rose. Surtout quand ils y injectent les effets conjugués des transitions démographiques et climatiques.
Du côté du climat
Les spécialistes s’entendent sur un scénario catastrophe si nous ne parvenons pas à endiguer le réchauffement. Quand bien même nous deviendrions des ascètes de la consommation énergétique, le mal est déjà fait : le climat d’aujourd’hui est influencé par la production de gaz à effet de serre (GES) d’il y a 20 ans.
Le climat de 2023 est le fruit des émissions de GES produites en 2003
Les efforts que nous faisons aujourd’hui influenceront le climat de 2043. Pour les vingt prochaines années, les dés sont jetés. Nous devons donc nous habituer à des scénarios extrêmes.
Et donc, penser les bâtiments selon de nouvelles normes climatiques, dans un monde contraint. Arrêter la construction de tours en verre et acier.
Elles réchauffent leur environnement.
Elles nécessitent une climatisation permanente, été comme hiver, pour être vivables.
Architecturalement, elles sont un peu has been.
L’avis de Philippe Madec (architecte)
La climatisation représente 10% de l'électricité consommée dans le monde. Il y a 1,6 milliard de climatiseurs, on prévoit qu'il y en aura plus de 5 milliards au XXème siècle.
Philippe Madec est un architecte écologiste. Il se spécialise depuis 30 ans dans les bâtiments autorégulés. Ses maisons s’adaptent naturellement à la température ambiante. Elles n’ont pas besoin d’un dispositif artificiel (et énergivore) pour offrir aux habitants une température agréable. Dans une interview au Green Letter Club, ce bâtisseur militant explique comment il crée les bâtiments autorégulés. Il étudie longuement chaque lieu d’implantation en se rendant sur place. Il pense le bâti en fonction de l’habitat et des habitants.
Les besoins ne sont pas les mêmes à Nouatchok et à Novosibirsk
L’ère de l’immeuble universel et clé en main est révolue. Nous ne pouvons plus nous permettre de construire des bâtiments standards qu’on adapte à leur contexte à grand renfort de clim et de chauffage.
L’architecture adaptée au climat, c’est de la construction et de la rénovation agiles, rapides et incluses dans leur environnement.
Du côté de la démographie
Les démographes se plaisent à rappeler l’exactitude de leur science. En démographie, ce qui est prévu se réalise, sauf catastrophe naturelle ou humaine.
Ainsi, si vous observez la courbe de l’espérance de vie en France depuis 1750, vous constatez une croissance linéaire, seulement troublée par les guerres mondiales.
Pour aller plus loin sur l’espérance de vie, je vous recommande un dossier complet que j’y ai consacré pour Sweet Home.
Depuis des années, les démographes nous annoncent le tsunami gris, le papi boom et un monde de vieux : Ça va se produire.
On pourrait même, pour s’en convaincre, se fendre d’un voyage au Japon, pays qui préfigure notre propre démographie avec 10 ans d’avance.
Carte postale du Japon
Le Japon est déjà un pays de vieux.
Un quart des Japonais ont plus de 65 ans et l’archipel qui compte 127 millions d’habitants pourrait voir sa population réduite à 88 millions d’ici à 2065. En outre, comme le pourcentage de célibataires à vie atteint aujourd’hui 23% chez les hommes et 14% chez les femmes, on peut s’attendre à ce que la proportion de personnes âgées qui vieillissent seules continue à augmenter de façon inéluctable.
Le gouvernement Japonais considère toujours que l’idéal serait que l’individu soit pris en charge à son domicile par sa famille. Mais dans les faits, cette solution n’est pas facile à mettre en œuvre, d’autant qu’il n’y aura pas toujours de proches disponibles ou en vie autour de l’intéressé. Et donc, le Japon mise aussi sur les robots sociaux pour assister les vieux japonais, chez eux et à l’Ehpad.
Les conséquences
Des villes qui se désertifient (896 communes japonaises sont en voie d’extinction), des Ehpad qui poussent comme des champignons et une population jeune qui s’élève contre un “gouvernement de vieux” accusé de prendre des décisions de vieux, pour favoriser les vieux et sans se préoccuper de ses jeunes.
En mai 2017, un rapport publié sur internet a fait l’effet d’un pavé dans la mare. Intitulé « des individus inquiets, un Etat paralysé ». Ce document de 65 pages a été rédigé par trente jeunes fonctionnaires travaillant au ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie (Meti). Le rapport qui a été téléchargé plus de 1,4 million de fois a donné lieu à un déferlement de commentaires sur internet. Il reconnaît que le Japon est « paralysé » mais on y relève aussi de sévères critiques contre « une société indifférente à ses générations actives et des questions sur la place laissée aux jeunes dans le débat public ».
Les auteurs brossent le portrait d’une « démocratie des seniors », dans laquelle une grande partie de l'électorat est d’âge avancé et semble se cramponner à un modèle de société révolu. Une proportion croissante de jeunes Japonais réclame plus de pouvoirs pour leur génération et rêve d’une société qui place plus d’espoirs dans ses forces vives que dans la robotique !
Voilà donc ce à quoi nous pouvons nous attendre dans les années qui viennent sur le plan démographique.
Ce qui nous différencie des Japonais
Nuançons. Il existe une énorme différence entre nous et le Japon, c’est l’ouverture sur l’extérieur et la plus grande tolérance de nos pays Européens vis-à-vis de l’immigration.
Le Japon n’est la terre d’exil que d’une poignée de privilégiés, éduqués et opulents qui ont bien du mal à s’intégrer à une société du repli.
Depuis des siècles, l’Europe est la terre d’adoption de millions d’étrangers qui s’intègrent - plus ou moins facilement - dans une société ouverte et plurielle.
Si la transition démographique touche le monde entier, elle ne s’est pas produite avec la même force en Afrique ou en Asie. Les forces vives de ces pays pourraient représenter la planche de salut de pays vieillissants qui ne miseraient pas tout dans la robotique sociale.
Ne serait-ce que pour occuper les 300 000 postes d’aide à domicile dont nous aurons besoin d’ici à 2030… Compte tenu de la transition démographique.
Quand le bâtiment va, tout va
Et donc, quel impact sur l’habitat partagé, me direz-vous ?
Pour aller à l’essentiel, je dirais que l’habitat partagé dispose d’atouts clés dans cet environnement complexe.
En raison de sa taille et de sa configuration locale, il est le format parfait pour répondre aux enjeux climatiques :
La semaine dernière, nous avons appris qu’un projet d’habitat partagé réussi, c’est un projet par essence locale qui doit se penser avec son territoire, ses habitants et les gens qui vont y travailler. Et donc, cette règle de conception du groupe humain peut être étendue au bâtiment.
Si je monte le projet en harmonie avec le collectif qui va l’habiter, mon analyse ne doit pas s’arrêter aux besoins et attentes des gens, mais aussi aux contraintes du lieu.
Sans compter qu’au niveau énergétique, 12 personnes vivant ensemble consomment moins que 12 personnes vivant chacune dans une maison individuelle.
D’autre part, au niveau du besoin en aide à domicile, l’habitat partagé améliore les conditions de travail et le rend plus agréable pour les intervenants, de trois manières :
Il est plus facile d’organiser la prise en charge de 12 personnes vivant au même endroit que de 12 personnes vivant dans des maisons individuelles isolées. Préférez-vous travailler dans un habitat partagé ou passer les 2/3 de vos journées en voiture pour servir des citoyens isolés habitant aux quatre coins d’un territoire mal desservi ?
Les habitats partagés étant pensés pour leurs habitants et leurs intervenants sont plus adaptés et plus sûrs que le domicile privé, un lieu de travail rarement adapté et bien plus accidentogène. En 2017, le risque d’accidents du travail a diminué dans tous les secteurs à l'exception de l'aide et des soins à la personne où il ne cesse de s'aggraver, selon un bilan de l'assurance maladie-risques professionnels rendu public fin 2018. L'indice de fréquence des accidents du travail s'élève en effet "à 52,8 et à 97,2 pour les activités les plus sinistrogènes du secteur, les Ehpad et l'aide à domicile".
Un habitat partagé peut ne pas être “juste” la maison des vieux du coin, mais devenir un pôle d’activité pour la commune. Comment ? En développant des services de soin et de care. Cabinet médical, SAAD, salle de loisirs, animations, jardin partagé etc. Cessons de penser les habitats partagés comme des lieux repliés sur eux-mêmes. L’habitat partagé de demain n’est pas inclusif seulement parce qu’il permet aux vieux ou aux handicapés d’éviter l’institutionnalisation, mais parce qu’il s’intègre et anime son environnement.
Que nous manque-t-il pour y parvenir
Ce portrait idyllique n’a qu’un handicap, nous devons changer le logiciel de création des habitats partagés. Car au rythme où ils sortent aujourd’hui de terre, on ne sera pas prêts en 2030.
À ce jour, je vois trois scénarios de développement se faire concurrence, à petite échelle.
Les habitats créés par les gens du cru
Les chaînes développées par des pros de l’immobilier
Les chaînes développées par des pros du médico-social.
Ces modèles ont leurs points forts et leurs points faibles, mais je préfère me garder un édito complet pour vous les présenter, la semaine prochaine.
Merci pour votre fidélité et bon dimanche.