Les enjeux du rachat de Domitys par AG2R
Et un éclairage sur le fonctionnement des caisses de retraite et des résidences services seniors.
A ma gauche AG2R La Mondiale, 1er groupe de protection sociale français, sponsor d'une équipe cycliste du Tour de France et partenaire important de l'écosystème Silver économie.
A ma droite Domitys, 1er groupe de résidences services senior français, appartenant à Nexity.
En fin de semaine, les deux entités ont annoncé l'ouverture de négociations exclusives ayant pour objet le rachat de Domitys par AG2R. A l'issue de ces tractions, AG2R pourrait devenir actionnaire majoritaire de Domitys. AG2R prendrait 67% des parts, Nexity en conserverait 18%, le solde de 15% revenant au fondateur historique de Domitys, JMF Conseil.
La transaction va coûter 375 million d'euros à AG2R et lui offrir de nouveaux débouchés sur le marché des seniors.
Tout cela, vous l'avez déjà lu dans la presse, mais essayons de comprendre ce qui pousse une caisse de retraite à investir dans l'immobilier collectif senior et ce qui incite un promoteur immobilier à accepter le deal.
C'est quoi AG2R ?
AG2R au départ, c'était une institution de retraite complémentaire (IRC) créée dans les années 1950. Un organisme à gestion paritaire fondé par des fédérations professionnelles afin d'apporter à leurs salariés une couverture retraite en plus de celle de la sécu.
En 2021, une dizaine d'IRC gèrent la retraite complémentaire des salariés français, selon un régime unifié.
La liste : AG2R, Malakoff Humanis, Agrica, Audiens, B2V, IRP Auto, Lourmel, Pro BTP, Klesia, Ircem, Apicil, CGRC, CGRR, IRCOM.
Ils le font au titre d'une délégation du GIE Agirc Arrco, le responsable du régime de retraite complémentaire des salariés du privé.
Les caisses de retraite n'ont pas la main sur l'acquisition de nouveaux clients en retraite complémentaire. C'est le code NAF d'une entreprise qui détermine la caisse de retraite compétente. En termes de gestion, le GIE Agirc Arrco verse des dotations de gestion aux IRC avec lesquelles elles doivent organiser l'activité en interne.
En synthèse, la retraite est une activité consubstantielle des IRC, mais ce n'est pas celle qui leur offre des opportunités de croissance.
C'est même l'inverse.
Avenir incertain
Compte tenu de l'augmentation de la durée de vie, de la diminution du nombre d'actifs, de l'augmentation du nombre de retraités et du refus catégorique exprimé par les français de travailler après 65 ans, la gestion des retraite est un peu tendue.
En outre, une épée de Damoclès plane au-dessus du secteur depuis des années : que les pouvoirs publics décident de confier la gestion du régime à la CNAV dont les frais de gestion sont moindres.
Les IRC doivent donc faire mieux avec moins.
C'est pourquoi le GIE Agirc Arrco leur met la pression afin qu'elles fassent des économies, gèrent pour moins cher, mais améliorent leur service client et développent des offres qui contribuent au bien vieillir.
Les caisses de retraite complémentaires cherchent à diversifier leurs actifs afin de répondre à ces injonctions du GIE, mais aussi pour ne pas dépendre de la seule retraite complémentaire, car la croissance ne viendra pas de là.
La diversification de l'offre des IRC n'est pas un gadget, c'est un enjeu de survie.
Les IRC ont l'obligation de créer un écosystème dont la retraite est une brique, car c'est le meilleur moyen de ne pas être dépendants du bon vouloir d'un tiers. C'est aussi une façon de montrer aux pouvoirs publics qu'elles peuvent faire mieux que la CNAV !
La diversification de l'activité d'une IRC
Les caisses de retraite diversifient déjà leur activité depuis plusieurs décennies. Elles ont commencé à le faire dans les années 1960 - 1970 avec la commercialisation de régimes de prévoyance - notamment par le truchement des clauses de désignation intégrées aux convention collectives des branches qu'elles assuraient en retraite complémentaire.
Cette diversification s'est poursuivie avec le développement de complémentaires santé, puis d'autres formes d'épargne et d'assurance, afin de répondre à tous les besoins de leurs clients (les entreprises) et bénéficiaires (les salariés et leur famille, les retraités).
La diversification porte également sur d'autres services, comme les villages de vacances, les centres de santé, les médias, les ateliers de prévention, la gestion d'activités administratives et de dispositifs divers et variés qui peuvent être associés de près ou de - très très - loin à la protection sociale.
Depuis une dizaine d'années - sous l'impulsion du GIE AA - les IRC s'intéressent à la question du bien vieillir et cherchent des moyens de contribuer à la longévité heureuse de leurs bénéficiaires.
Le métier d'AG2R et des autres IRC n'est pas la retraite mais le bien vieillir
Tout ce qui contribue à élargir leur domaine d'influence, augmenter leur assise et diluer la retraite complémentaire sera utile aux groupes.
Ils pourront ainsi proposer des services additionnels à leurs adhérents et bénéficiaires - même s'ils n'ont théoriquement pas le droit d'utiliser les fichiers retraites pour faire de la prospection commerciale.
Ils pourront aussi séduire des clients qui ne sont pas adhérents chez eux pour la retraite.
C'est donc logique que AG2R s'intéresse au volet immobilier et mette un pied dedans via l'acquisition de Domitys, cela rajoute une très belle corde à son arc !
Mais quel est l'intérêt de Nexity dans cette opération ?
C'est quoi une résidence services senior ?
C'est un habitat collectif adapté aux besoins et fragilités d'un public âgé.
La résidence offre un lieu de vie sûr pour des personnes qui ne veulent pas entendre parler d'Ehpad (95% de la population) et ne peuvent plus vivre dans leur domicile personnel.
Pourquoi ?
Parce qu'il n'est pas pratique.
Parce qu'il est loin de tout.
Parce que le voisin joue de la clarinette jusqu'à pas d'heures.
Parce qu'elles s'y ennuient.
Parce qu'il n'y a pas la fibre.
Parce que leur famille habite loin.
Les résidences services seniors sont apparues dans les années 1980 et le concept se développe très fortement depuis une petite dizaine d'année. Il existe plusieurs dizaines d'enseignes commerciales de taille variable allant de mastodontes comme Domitys ou Les Senioriales à des structures qui n'ont qu'une poignée d'établissements.
Les 2 métiers de la résidence services
Une enseigne de RSS, c'est deux entités. Un promoteur immobilier qui construit l'immeuble et un exploitant qui le gère - et surtout le remplit.
Le promoteur doit trouver des terrains dans des zones sexy (et il y en a de moins en moins, car la concurrence est rude), mais aussi persuader les élus locaux de leur utilité pour les territoires.
L'exploitant doit remplir la résidence, éviter la vacance (les appartements vides) et enchanter ses clients.
Le métier de Nexity n'est pas d'exploiter mais de construire
Nexity cède Domitys, mais veut rester le promoteur privilégié de l'enseigne. Chacun gère le domaine dans lequel il excelle.
Malin, non !
Les enjeux de la RSS dans les prochaines années
Les RSS cherchent à s'imposer comme la meilleure chance de bien vieillir dans un environnement agréable, sûr et adapté.
Si le format semble bien connu des gens comme vous et moi, il reste mystérieux pour le grand public - qui ne connait que l'Ehapd.
Une enseigne de RSS qui voudrait s'implanter durablement doit non seulement se faire connaitre des gens qui ne les connaissent pas et démontrer à ses détracteurs qu'elle n'est pas un club de vacances réservés aux vieux riches.
La promesse d'un déferlement de nouveaux clients avec l'arrivée des boomers à l'âge de la fragilité ne suffira pas.
Les RSS doivent impérativement se développer sur des marchés où elles ne sont pas encore implantées.
Pour y parvenir, elles recherchent des canaux d'acquisition qui leur permettent de toucher un large public, de faire valoir leurs atouts, d'attirer plus de clients et - si possible - de rajeunir leur clientèle afin d'augmenter leur lifetime value.
Mais elles cherchent aussi des solutions pour accélérer l'onboarding de leurs prospects chauds. En effet, une personne qui emménage en RSS doit quitter son domicile, le vendre éventuellement, organiser un déménagement et gérer pas mal de formalités qui peuvent être dissuasives ou bien retarder très fortement l'entrée en résidence.
Tout ce qui contribue à augmenter le nombre de leads ou faire baisser leurs coûts d'acquisition est du pain béni pour une RSS. Et quoi de mieux qu'un deal en or massif avec un organisme qui revendique 15 millions de bénéficiaires (même si tous ne sont pas des retraités) et pourrait faciliter la prospection grâce à l'autorité dont il bénéficie auprès de ses adhérents, clients et du grand public.
Vous le voyez mieux, l'enjeu ?
Les deux groupes comptent sur ce rapprochement pour augmenter leur attractivité sur le marché des seniors et récolter de beaux fruits qui ne demandent qu'à être cueillis, à condition d'avoir une grande échelle.
Aller plus loin
Pour aller plus loin dans la compréhension de ces enjeux, je vous recommande mon interview de Romain Ganneau, le Monsieur Silver économie de AG2R.
Vous êtes entrepreneur, porteur de projet : c'est une lecture essentielle si vous voulez comprendre comment bien négocier avec AG2R pour créer des partenariats gagnant gagnant !