Luttez contre la désinformation sur le grand âge
Debunkage d'un article | pièges grossiers à éviter | Conseils pour mieux informer vos parties prenantes
Il existe un problème grave dans notre pays.
Un problème qui vous touches toutes et tous.
Directement et indirectement.
C’est la désinformation
La désinformation, c’est un acte d’influence volontaire réalisé par une personne qui cherche non seulement à vous induire en erreur, mais aussi influencer vos décisions en produisant une information détournée, mais crédible, car le vrai et le faux y sont si intimement mêles que la cible n’a pas les moyens de les dissocier.
Et donc, elle les accepte en bloc.
Et ce qui est validé, devient sa vérité.
Une désinformation grossière ne trompera pas un spécialiste averti du sujet
Mais combien parmi vos clients, vos bénéficiaires et les citoyens d’une manière générale sont-ils suffisamment experts de vos sujets pour être capables de séparer le bon grain de l’ivraie ? Distinguer le vrai, le factuel, l’empiriquement exact dans le fatras d’information merdique qu’il consomme sommairement chaque jour, par l’entremise des réseaux sociaux ou des médias ?
Pas des masses, admettez.
C’est pourquoi, en tant que spécialistes d’un sujet, vous jouez un rôle dans la transmission de l’information. Si vous espérez que vos parties prenantes vous comprennent, vous avez besoin qu’elles comprennent dans quel contexte vous agissez. Et il est donc utile de mettre les points sur les I.
Connais ton ennemi
Or, si vous contrôlez votre propre communication, vous ne contrôlez pas les sources auxquelles vos parties prenantes s’informent.
Vous avez pourtant intérêt à connaître les sources auxquelles vos parties prenantes s’abreuvent.
Mesurer leur qualité.
Détecter la désinformation, l’erreur, l’approximation voire les fake news.
Vous devez savoir qui se cache derrière cette information : l’auteur est-il un vrai journaliste ou un faux-nez ?
Le cas échéant, vous devez comprendre ses motivations. Et savoir comment vous prémunir contre ses intentions peu louables.
Dans ce dossier, je vous propose de réaliser ce travail à partir de l’analyse critique d’un article paru dans un média grand public.
Je vous donnerai ensuite quelques pistes pour contrer la désinformation.
Un article destabilisant… pour un spécialiste
Le 5 décembre dernier, le site Pourquoi Docteur publie un article intitulé Grand Age et dépendance : quel maintien à domicile. Il reprend et contextualise les citations phare d’un gériatre interviewé dans un podcast sponsorisé par Vyv et consacré au maintien à domicile.
L’article se concentre sur les messages forts et renforce leur impact avec des chiffres “sans appel” qui ont trois défauts.
Ils sortent de nulle part,
Ne sont pas sourcés,
Sont erronés,
Et pourtant, le journaliste les présente comme des vérités premières.
Enrobant ces chiffres et ces citations renforcées par le statut de leur auteur (le médecin = l’autorité ultime), l’auteur aligne les platitudes et les écrans de fumée qui ne devraient pas résister au scan de votre radar à bullshit.
Mais, comme je l’ai dit dans mon introduction, votre partie prenante n’a pas votre sens critique et il est probable qu’elle tombe dans le panneau, qu’elle se fasse avoir par le piège d’un article écrit avec un médecin, publié dans une revue de vulgarisation médicale, sponsorisé par la première mutuelle de France et qui semble avoir été écrit par un journaliste qui connait le sujet, attendu qu’il écrit dans ce média depuis des années.
Je vous propose de décortiquer l’article pour en souligner les écarts à la réalité… et donc, la dangerosité.
Je vous délivre donc l’article entrecoupé de mes commentaires.
J’ai mis en gras les passages qui m’ont marqué
J’ai aussi ajouté un triangle rouge devant les titres de mes analyses, pour vous aider à les distinguer des extraits de l’article.
A noter : L’accès intégral est réservé aux abonnés premium. En free, vous accédez à 50% de mon analyse.
Mon analyse de l’article
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 28,7% de personnes de plus de 65 ans touchées par la dépendance, une proportion en augmentation constante notamment en raison du vieillissement de la population, la question de leur prise en charge est devenue un sujet de société majeur.
🔺 D’où sort ce chiffre ?
Méfiez-vous des périphrases. Ces évidences autoproclamées qui jalonnent les articles de presse et affirment avec aplomb que :
“les chiffres parlent d’eux-même”,
“[sujet] est plus que jamais…”,
“de tous temps l’homme a [usage]”, etc.
Dès qu’elles apparaissent, vous devez impérativement allumer votre radar à bullshit. L’auteur cherche à masquer la faiblesse de son propos avec une expression péremptoire. Il voudrait vous faire admettre que ces chiffres sont tellement évidents qu’ils n’appellent aucune analyse.
Aucun questionnement.
En l’espèce, un chiffre en soi ne veut rien dire. Il appelle une analyse, une explication et une contextualisation. Quand il dit que le chiffre parle de lui-même, l’auteur cherche à se dédouaner d’une absence d’explication. Et donc, deux possibilités : soit il ne sait pas expliquer ce chiffre, soit il ne le veut pas.
Le reste du paragraphe n’arrange rien. En effet, s’il parlait, la seule chose que ce chiffre me hurlerait au visage, c’est son incroyable exagération. Ainsi que son manque hallucinant de précision. 28,7% des 65+, cela correspond à 7,7 millions de citoyens.
Des recherches dans les données statistiques de la DREES, de l’INSEE donnent des résultats plus nuancés.
Le chiffre qui se rapprocherait le plus de ce que l’article prétend illustrer est celui donné par la CNSA dans son rapport annuel 2020 : 7,7% = la part de 60+ qui bénéficient de l’APA au 31.12.18. Cela représente 1,3 millions de personnes sur une population estimée à 17,2 millions.
Alors bien sûr, tous les seniors dépendants ne sont pas à l’APA et tous les bénéficiaires de l’APA n’ont pas le même niveau de dépendance.
Mais si le journaliste ne se base pas sur l’APA pour son estimation, ou diable est-il donc allé pêcher son chiffre ?
Et comment se fait-il que personne ne l’ait vérifié ?
Cette première partie suscite l’angoisse en insistant sur la gravité d’un problème qui serait devenu un sujet de société majeur.
Compte tenu de sa prise en compte par les pouvoirs publics et les citoyens, en France et dans le monde, on est en droit de s’interroger sur cette affirmation. Des explications ou une énumération de manifestations qui attestent que c’est bel et bien un sujet de société majeur permettraient de mieux cerner le propos, d’en valider la pertinence.
Ce qui est bien entendu impossible… puisque c’est faux. C’est un sujet, c’est votre sujet, c’est mon sujet, mais ce n’est pas un sujet majeur.
(…) Le choix se pose en termes simples : le placement de ces personnes âgées dépendantes en établissement de type Ehpad ou le maintien à domicile.
🔺7,7 millions de légumes
Si le premier paragraphe suscitait l’angoisse, la suite est de la même eau (vous avez bien compris que c’est la finalité même de l’article, donc rien d’étonnant).
Après avoir assommé le lecteur avec le chiffre massif de 28,7% de seniors dépendants chez les 65+, l’auteur enfonce le clou avec les conséquences : ces seniors dépendants sont de vrais légumes et leur situation préoccupante se règle de deux façons : soit le “placement” en Ehpad, soit le “maintien” à domicile.
Dans un cas comme dans l’autre, la personne âgée n’est plus en mesure de décider par elle-même. Elle va être soit placée en Ehpad, soit maintenue à domicile.
Cette affirmation est glaçante car elle révèle une méconnaissance des différentes situations de dépendance. Des différents niveaux. Ce qui est gênant n’est pas l’ignorance du journaliste, qui a dû se contenter de reconstituer un article à partir d’une veille bâclée.
Non, ce qui est gênant, c’est d’imaginer que ce texte publié dans un média grand public puisse refléter une idée communément admise sur l’état de dépendance.
Nous avons affaire à un journal qui se présente comme médical, dont le comité éditorial est constitué de médecins et dans lequel un article construit à partir des propos d’un gériatre affirme sans nuance que la dépendance résulte nécessairement dans l’incapacité de la personne à se gouverner seule (ce qui n’est pas la définition de la dépendance, mais de l’hétéronomie, c’est à dire le contraire de l’autonomie).
Imaginez le niveau de désinformation que ce média diffuse à ses lecteurs. Imaginez leur grille de lecture de la société en général et de la vieillesse.
C’est glaçant.
(…) Choix difficile qui ne correspond pas toujours aux souhaits exprimés lorsque tout va bien. «Dire que l’on préfère vieillir et être accompagné chez soi, c’est souvent une réponse de personnes en bonne santé», assure le Dr Eric Kledjian, gériatre, qui, s’il confirme le faible consentement préalable au placement en établissement, relativise le sujet : «J’entends souvent dire “notre parent revit depuis qu’il est en Ehpad”, la qualité de vie y est souvent bonne, ce sont de vrais lieux de vie», explique-t-il.
🔺L’EHPAD, c’est bien
Un médecin, gériatre (j’ai vérifié, il existe bien un Dr Eric Kledjian, gériatre dans la Vienne) affirme avec force des choses qu’il fonde seulement sur son appréciation personnelle. D’une part, il prétend que seules les personnes en bonne santé déclarent vouloir vieillir chez elles, puis il retourne une perception de l’Ehpad communément partagée en citant des gens (qui ?) qui disent que leur parent revit depuis qu’il est en EHPAD, que la qualité de vie y est souvent bonne, etc.
Supposons que ces affirmations soient vraies.
Les questions que vous devez vous poser :
Sont-elles fondées sur des observation scientifiques ?
Où est l’étude qui en valide la pertinence ?
Sommes-nous dans la science ou dans la rhétorique ?
Parce que moi aussi, je peux vous affirmer avec aplomb que ma voisine de pallier a dit que …. ou bien décocher une vérité première qui ne reposerait que sur mon autorité et ma blouse blanche.
Bien entendu, la portée de cette affirmation faite à l’emporte pièce sera faible compte tenu de la masse hallucinante des affirmations contraires sur ce même sujet.
Mais il me semble cependant utile de rappeler qu’une affirmation, si elle n’est pas fondée, aura au mieux la portée d’une discussion de comptoir.
Et vous ne devriez pas lui prêter une portée supérieure sous prétexte que son auteur est un médecin. C’est à lui d’apporter la preuve de son argumentation.
Mais combien de lecteurs douteront de cette affirmation au motif qu’elle n’est pas argumentée ?
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