Papa dans la tourmente : Mon analyse d'un problème systémique dans l'aide à domicile
Limites de l'aide à domicile non professionnelle et des systèmes financés par les mutuelles
Papa don’t preach
Papa est un service de care management lancé aux Etats Unis en 2019. Ils apportent des services de confort aux personnes âgées isolées : déplacements, aide aux courses, sorties et plus largement ce qu’il est commun de considérer - à tort - comme de la “rupture de l’isolement”.
Je dis à tort, parce que payer quelqu’un pour qu’il vous rende service, même si cela contribue à avoir de la compagnie, ce n’est de la rupture de l’isolement qu’à condition que ce soit la finalité du service.
Mais il semble que depuis quelques années, le thème de l’isolement et de sa rupture soit plus vendeur que celui des menus services.
En outre, c'est un moyen pour les marques de détourner l'attention du fait qu'elles n'ont ni la compétence ni les autorisations pour fournir des services d'aide à domicile médico-sociale. Ce qui est le cas de Papa, et son handicap, comme je vais vous l'expliquer dans cette analyse.
Éléments de langage ou bullshit ?
Je ne remplace pas ton ampoule, je romps ton isolement.
Pensez-vous que les citoyens qui sollicitent ces services les pensent ainsi ?
Non.
Ils ont besoin d’aide, point.
Ils cherchent un chauffeur pour les emmener chez le docteur, un bras solide pour tirer le chariot chez Franprix ou une âme charitable pour faire la mise à jour de leur tablette afin de pouvoir jouer à Candy Crush.
Mais Papa s’en fout, parce que les vieux ne sont pas ses clients.
Non.
Les clients de Papa sont les assureurs
Papa vend sa prestation aux assureurs qui la financent à travers des bouquets de services « de confort » inclus dans leurs garanties.
Je vais vous expliquer comment cela fonctionne.
Mettons que vous soyez un jeune retraité.
En quittant votre entreprise, vous perdez votre protection sociale de salarié.
Vous souscrivez donc à une mutuelle santé individuelle qui va venir compléter les remboursements de la Sécurité sociale. De plus en plus souvent, votre assureur propose des prestations de confort.
Cela correspond à des prestations spécifiques qui n’interviennent pas en complément de remboursements de la sécu, mais peuvent avoir des vertus préventives. Exemple : les consultations chez l'ostéopathe, l'achat de compléments alimentaires ou encore des heures de prestation de services à la personne.
Limités en France, où les actuaires craignent de ne pas maîtriser les coûts, les services explosent aux USA depuis que le législateur a autorisé le programme fédéral Medicare à prendre ces prestations en charge.
Pour approfondir ce thème, rendez-vous dans mon édito du 22 janvier où j’explique la croissance de ces offres aux USA depuis 2020.
C’est tout bénef pour la mutuelle
S’il est bien calibré, c’est un dispositif très intéressant pour la mutuelle car :
Il apporte un petit plus à l’offre standard,
Est financé par 100% des adhérents,
Mais utilisé par une minorité.
Et comme c’est de la prévention, cela doit contribuer à une meilleure santé et limiter les dépenses “normales” (celles qui sont remboursées par la sécu).
Cela permet donc à la mutuelle d’améliorer son résultat, le P/C (ratio prestations sur cotisations qui doit être inférieur ou égal à 1 pour qu’une garantie soit à l’équilibre ou bénéficiaire).
Et c’est tout bénef pour Papa
Les mutuelles vont promouvoir le service auprès de leurs adhérents, et donc assurer une partie de la prospection commerciale à la place de Papa,
Papa va disposer du fichier client et pouvoir réaliser sa propre prospection, mais avec un effort financier réduit puisqu’ils ont déjà un pied dans la porte,
Papa va utiliser son capital sympathie pour faire de l’upsell à ses clients et les inciter à acheter des heures de prestation qu’ils n’ont pas à payer, puisque c’est la mutuelle qui paie.
Si tu n’es pas le client, alors tu es le produit
Et on pourrait penser que c’est tout bénef pour les bénéficiaires, vu que le service ne leur coûte rien et qu’ils sont incités par Papa à l’utiliser encore et encore.
Mais l’effet caché auquel ne pensent pas vraiment les bénéficiaires, c’est qu’ils ne sont pas les clients. Et donc, Papa va développer une offre qui répond aux attentes des mutuelles, lesquelles ne sont pas toujours les mêmes que celles des bénéficiaires.
La start-up s’est ainsi vu reprocher de pousser ses bénéficiaires à s’inscrire à des ateliers de prévention payants organisés par les mutuelles.
Elle a aussi tendance à refiler à ses clients des données analytiques collectées pendant ses prestations chez les seniors, avec leur consentement, certes, mais sans être hyper claire sur le contenu et la finalité de ces données.
En bref, Papa est un modèle vertueux pour ses investisseurs et ses clients, mais éthiquement discutable pour ses bénéficiaires et leur entourage.
Et justement, cette semaine, Papa se fait allumer dans un article paru dans Bloomberg et réalisé à partir de l’analyse de plusieurs témoignages accablants.
Là où le bat blesse
J’ai fait la traduction de l’article pour les besoins de cette newsletter. Vous pouvez donc consulter le dossier complet ici. Mais comme il est très long, je vous en propose un résumé succinct.
La start-up Papa doit recruter du personnel à tour de bras pour répondre à une demande croissante. Virtuellement présente sur tout le territoire, elle n’est pas physiquement présente dans tous les territoires où elle délivre des prestations. L’entreprise a donc développé un système de recrutement en ligne minimaliste et compte sur la bonne volonté et le bon sens de ses employés pour s’approprier rapidement les compétences de terrain nécessaire au bon déroulement de ses missions.
Aujourd'hui, Papa emploie environ 600 personnes et maintient un réseau de milliers de Pals actifs. Les exigences fédérales stipulent que les aides-soignants à domicile éligibles à Medicare doivent suivre au moins 75 heures de supervision en classe et de formation pratique.
Cependant, Papa, dont le service épuré ne propose pas les éléments cliniques des soins à domicile, n'est pas soumis à la règle des 75 heures.
La formation requise pour les Pals se compose d'une courte vidéo qui souligne l'importance d'éviter tout contact physique avec les clients. Tout ce que les Pals n'ont pas appris dans la vidéo, ils sont censés l'apprendre sur le terrain.
Hélas, ces mesures sont insuffisantes - on s’en doutait, n’est-ce pas - et la société doit faire face à plusieurs plaintes graves, notamment dans des cas d’assault, de harcelement ou d’agression des employés envers les bénéficiaires.
Quand j’entends un porte parole de la société déclarer :
"La personne moyenne n'a pas besoin d'une formation pour soutenir ses grands-parents, ses parents ou ses voisins âgés"
Je me dis que cette personne n’a sa place ni chez Papa, ni dans les services à la personne, ni dans les relations publiques.
Et c’est le problème de Papa, mais aussi de toutes ces structures qui ont construit leur business model sur le recours à des intervenants non professionnels formés sur le tas.
Un service d’aide à domicile professionnel n’a pas le droit de tolérer ces insuffisances.
Un service d’aide à domicile professionnel ne peut pas prendre les faits reprochés à Papa à la légère comme ils semblent le faire aux dires de cet article.
Cet article suscite deux séries de réflexion que j’ai envie de vous partager.
Il y a un problème de forme et un problème de fonds.
Etudions les l’un et l’autre
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