Pourquoi personne ne crée l'EHPAD dont tout le monde rêve ?
Alors que Tesla réinvente l'auto et Amazon la librairie, les innovateurs du grand âge préfèrent contourner l'EHPAD plutôt que le transformer. Investigation.
Bienvenue dans Longévité, où j'analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette édition, je m'intéresse à la création d'EHPAD, un parcours semé d'obstacles qui semble réservé aux acteurs historiques du secteur.
Un constat étonnant : alors que l'EHPAD est la solution la mieux identifiée par le grand public pour l'accompagnement des personnes âgées dépendantes, c'est aussi celle qui attire le moins les entrepreneurs et les innovateurs.
Mon article du jour analyse le parcours de création d'un EHPAD et révèle pourquoi il est si difficile d'innover dans ce secteur pourtant essentiel. Comment expliquer que seuls les groupes établis se lancent dans la création de nouveaux établissements, alors que le modèle actuel fait l'objet de tant de critiques ?
La semaine dernière, en étudiant les déboires des entrepreneurs qui cherchent à développer des alternatives à l’EHPAD, je me suis fait une réflexion que je vous partage :
Puisque l'EHPAD est mieux identifié que ses alternatives, créer un EHPAD innovant peut être une meilleure solution pour faire le plein. Ce serait en outre un très bon levier pour la médiatisation du projet. Problème : la création est tellement réglementée que le coût et la durée d'un projet les réservent à des acteurs en place.
Approfondissons, voulez-vous.
Ce que nous pensons de l’EHPAD
L'EHPAD du futur fait couler beaucoup d'encre - principalement celle de ses détracteurs. Qu'ils soient proches de résidents mal accompagnés, professionnels du médico-social désabusés ou lecteurs marqués par Les Fossoyeurs, tous s'accordent sur la nécessité de réinventer le modèle. Face à eux, seuls les acteurs du secteur défendent encore l'institution, souvent par intérêt plus que par conviction.
Entre ces deux camps, des entrepreneurs cherchent à imaginer l'avenir de l'accompagnement des personnes âgées dépendantes.
Mais leur démarche révèle un paradoxe saisissant : alors que l'innovation consiste à réinventer un modèle existant, ils préfèrent créer des alternatives plutôt que de transformer l'EHPAD lui-même.
Pourtant, l'histoire récente de l'innovation est riche d'exemples contraires.
Quand Elon Musk décide de révolutionner l'automobile, il crée... une voiture. Certes électrique, mais une voiture.
Quand Jeff Bezos veut réinventer la librairie, il lance une librairie - en ligne, mais une librairie.
Quand Apple transforme la téléphonie, c'est en créant un téléphone - intelligent, mais un téléphone.
À chaque fois, l'innovation part de l'existant pour le moderniser, pas pour le contourner.
Réinventer l’EHPAD en créant autre chose ?
Dans le secteur des personnes âgées, c'est l'inverse : ceux qui veulent changer les choses développent des services à domicile, créent des habitats inclusifs ou ressuscitent l'accueil familial.
Ils contournent l'EHPAD au lieu de le réinventer.
Comme si Tesla avait lancé des trottinettes électriques plutôt que des voitures, Amazon des bibliothèques publiques plutôt qu'une librairie en ligne, ou Apple des talkie-walkie plutôt qu'un smartphone.
Et si le problème, c’était la complexité apparente d’un projet d’EHPAD ?
Pour comprendre ce paradoxe, plongeons dans le parcours de l'entrepreneur qui veut créer un EHPAD aujourd'hui.
Un parcours qui ressemble à un jeu de l'oie où chaque case est un obstacle réglementaire.
Un parcours qui explique peut-être pourquoi seuls les acteurs historiques se lancent dans l'aventure, et pourquoi les nouveaux EHPAD ressemblent tant aux anciens.
Quand le chemin est si étroit, difficile de faire un pas de côté.
Premier obstacle : l'autorisation
Depuis la loi HPST de 2010, impossible de créer un EHPAD sur un coup de tête - il faut répondre à un appel à projets lancé par l'ARS et le Conseil départemental.
C'est comme si pour ouvrir un restaurant, vous deviez attendre que la mairie lance un appel à projets de restauration.
Une contrainte qui limite d'emblée la capacité d'innovation.
Les autorités définissent non seulement où et quand un EHPAD peut ouvrir, mais aussi sa taille, son organisation, et jusqu'à ses modalités de fonctionnement. Un cadre si précis qu'il laisse peu de place à la créativité entrepreneuriale.
Deuxième obstacle : le temps
Entre l'idée initiale et l'ouverture, comptez environ 40 mois dans le meilleur des cas.
Un délai qui s'explique par l'accumulation des procédures : réponse à l'appel à projets, obtention des autorisations, construction, recrutement... Tesla a mis moins de temps pour passer du concept à la production de ses premières voitures.
Ce délai n'est pas qu'une question de patience - c'est aussi un enjeu financier majeur.
Pendant ces 40 mois, il faut financer les études, les dépôts de dossiers, les expertises, tout en sachant que l'autorisation n'est pas garantie. Un risque que seuls les groupes établis peuvent se permettre de prendre.
Troisième obstacle : l'investissement
Les coûts se cumulent comme les étages d'une fusée : entre 1 500 et 2 500 euros par mètre carré pour la construction, entre 15 000 et 90 000 euros rien que pour les permis et autorisations, sans compter l'équipement médical et le personnel.
Pour un EHPAD moyen de 5 000 m², faites le calcul...
Des montants qui justifieraient pourtant d'oser l'innovation. À ce niveau d'investissement, on pourrait imaginer des concepts novateurs, des approches différentes. Au lieu de cela, on reproduit des modèles éprouvés, peut-être par peur de l'échec face à des montants aussi importants.
Quatrième obstacle : les normes
Un EHPAD doit respecter une myriade d'obligations légales - de la sécurité incendie au projet d'établissement, en passant par le conseil de vie sociale et les ratios de personnel.
Des contraintes nécessaires pour protéger les résidents, mais qui laissent peu de place à l'expérimentation.
Chaque aspect de la vie de l'établissement est normé, calibré, standardisé.
Même la surface des chambres et la largeur des couloirs sont définies au centimètre près.
Comment innover quand chaque détail est fixé d'avance ?
Cela ne s’arrange pas une fois l’EHPAD ouvert !
Et ce parcours du combattant n'est que le début de l'histoire. Une fois l'EHPAD ouvert, l'entrepreneur doit faire face aux défis classiques de toute entreprise, mais dans un contexte encore plus contraint : rentabiliser un investissement initial colossal, stabiliser des équipes dans un secteur marqué par un fort turn-over, maintenir la qualité de service sous l'œil vigilant des autorités de contrôle...
La réglementation, omniprésente, continue d'imposer son rythme et ses contraintes au quotidien.
Vous cherchez la facilité : ne créez pas une boîte !
Mais soyons honnêtes : ces difficultés ne sont pas propres au médico-social. Gérer une entreprise a toujours été un exercice d'équilibriste.
Qu'il s'agisse de restauration, d'hôtellerie ou de santé, tout entrepreneur doit jongler avec les ressources humaines, la rentabilité, la satisfaction client, la conformité réglementaire.
Ce n'est donc pas la complexité de gestion qui explique le manque d'attractivité entrepreneuriale du secteur.
Ce qui interpelle
Non, ce qui interpelle, c'est que seuls les groupes déjà établis, souvent depuis des décennies, se lancent dans de nouveaux projets.
Comme si le secteur était devenu un club fermé où l'on ne peut entrer que si l'on en maîtrise déjà tous les codes.
Un entre-soi qui explique peut-être pourquoi l'innovation peine tant à émerger : quand les seuls nouveaux établissements sont créés par des acteurs historiques, comment s'étonner qu'ils ressemblent tant aux anciens ?
Hello Alexandre, pourquoi personne ne créé d'Ehpad sauf les gestionnaires ? c'est simple, l'Ehpad ne répond plus à rien, ni aux besoins et souhaits des résidents, ni à la qualité de prise en charge que l'on voudrait offrir. En conséquence, créer un ehpad aujourd'hui c'est faire montre de peu de ''care''. Il reste quoi ? l'article 51, qui permet de faire des ''ehpad hors les murs'', ou d'associer une petite unité d'ehpad avec un gros multiservices à domicile, voire de créer un substitut à l'ehpad en partant d'un (ou plusieurs) logement inclusif. tout ça est faisable à budget presque iso..selon moi à condition de s'appuyer sur un médecin. deux obstacles principaux aux ehpad; l'altérité des résidents et la perte d'individualisation de la prise en charge directement lié à l'apparition de silos et de hiérarchies intermédiaires depuis l'accroissement de la taille des ehapd et la loi de 2002. Et ça ce n'est plus compatible avec les nouvelles donnes RH (turn-over, emploi précaire voulu etc).. fonctionner en équipes réduites, c'est plus de singularité dans l'approche résident, plus d'autonomie des équipes, etc
Limpide. La phrase de conclusion parle toute seule.