Quand les clubs de lecture créent du lien entre générations
Les book clubs révèlent des bénéfices inattendus pour les relations intergénérationnelles. Marques et collectivités s'y intéressent.
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Aujourd’hui, je vous présente un phénomène qui explose aux US et commence à se développer en France, les books clubs. Et je vous montre comment vous pourriez les intégrer à votre stratégie de marque.
À travers une analyse du phénomène et de ses impacts prouvés, je vous aide à répondre à LA question :
Comment créer un événement qui tire parti des relations intergénérationnelles ?
J’ai participé à plusieurs clubs de lecture, il y a une quinzaine d’années, avec un groupe d’amis rencontrés sur un forum de lecteurs.
Nous nous retrouvions ponctuellement, chacun son tour, les participants lisaient un texte que nous commentions ensuite en groupe. C’était l’opportunité de faire des découvertes, mais aussi de partager des idées et des points de vue.
Et plus largement, d’être ensemble.
La particularité de ces clubs, c’est qu’ils mixaient les gens différents. Un couple de professeurs à la retraite, des étudiants, un militaire, des cadres du tertiaire, un dilettante… Et ça n’avait pas grande importance.
Tout ce qui comptait, c’était de pouvoir partager nos passions, faire des découvertes.
C’est très excitant de chercher un texte qui convienne, le contextualiser, le partager, défendre un point de vue… Et lire en public à voix haute donne à un texte - même un que vous connaissez bien - une saveur nouvelle.
Malgré leur intérêt, ces books clubs étaient compliqués à organiser. Surtout, c’était dur de faire venir des nouveaux, de conserver un groupe cohérent, avec des participants qui se prêtaient au jeu, savaient écouter, dialoguer, etc.
Comme tous les événements, cela demandait à un volontaire de se coller à l’organisation et, petit à petit, les événements se sont espacés, pour cette raison.
Bien que je n’aie pas fait de book club depuis des années, j’ai conservé un attachement émotionnel au format et c’est pourquoi j’ai été ravi de découvrir qu’il connaît un nouvel âge d’or…
Chez l’Oncle Sam
Depuis quelques années, aux États-Unis, les book clubs connaissent un renouveau intéressant. D'événements intimistes, ils deviennent des rassemblements ouverts, parfois payants, réunissant plusieurs centaines de participants dans des espaces publics.
Cette croissance s'appuie sur plusieurs facteurs. D'un côté, ces clubs attirent des personnes en quête d'authenticité, lassées des interactions superficielles des réseaux sociaux. De l'autre, leur popularité explose grâce à Instagram, TikTok et YouTube, où influenceurs et célébrités promeuvent leurs propres clubs auprès de millions d'abonnés.
Au-delà de l'effet de mode, ces espaces de partage autour de la lecture révèlent des bénéfices inattendus pour les relations sociales, particulièrement entre générations. Une opportunité que commencent à explorer marques et collectivités.
Des espaces de transmission bidirectionnelle
Un laboratoire de relations intergénérationnelles
Les book clubs créent des conditions uniques d'échange entre générations. Contrairement aux activités traditionnellement proposées aux seniors, ces clubs placent la transmission et le partage au cœur de leur fonctionnement.
Les personnes âgées y retrouvent un rôle d'acteur social valorisé. Mais le bénéfice n’est pas que dans le rôle social, il est aussi dans le gommage des préjugés âgistes.
La participation à un club réunissant différentes générations améliore la perception mutuelle et encourage l'émergence de stéréotypes positifs.
Une étude valide l’hypothèse
Une étude américaine récente apporte des preuves scientifiques des bénéfices des book clubs intergénérationnels. La recherche "Read to Succeed: How Book Clubs Can Improve Intergenerational Relations and Foster Age Friendliness in Communities" a suivi 41 participants répartis en deux groupes : 21 seniors (61-82 ans) et 20 jeunes adultes (18-22 ans).
Le protocole était simple : tous les participants ont lu le même livre ("A Man Called Ove") et se sont retrouvés trois fois pour se présenter puis échanger sur leur lecture. Avant la première rencontre et après chaque session, ils ont rempli des questionnaires mesurant leurs croyances et stéréotypes liés à l'âge.
Les résultats sont probants. L'âgisme bienveillant - ces préjugés "positifs" mais condescendants envers les seniors - a diminué chez les jeunes participants au cours du programme. Plus significatif encore : les stéréotypes positifs sur les personnes âgées ont augmenté dans les deux groupes d'âge, de même que les stéréotypes positifs sur les jeunes adultes.
L'étude conclut que les book clubs intergénérationnels constituent "un moyen efficace d'améliorer les relations intergénérationnelles et de réduire les attitudes âgistes chez les jeunes adultes". Ces résultats corroborent les observations de terrain et donnent une base scientifique solide aux initiatives qui se multiplient outre-Atlantique.
Changer de paradigme : les seniors acteurs, pas seulement bénéficiaires
Le besoin d'utilité sociale des retraités
Selon moi, l’enjeu majeur, clé de l’adaptation des sociétés au vieillissement, c’est de donner aux citoyens de tous âges un rôle actif. Les jeunes “pré-actifs”, les actifs, mais aussi les retraités, dont la situation est d’autant plus dure à vivre qu’ils passent d’un rôle actif à un rôle… passif.
Or, de nombreux retraités que je connais m’ont exprimé sans détour leur désir de conserver un rôle social majeur, à l’aune du rôle qu’ils jouaient avant la retraite.
Nicolas Menet l’explique très bien dans son essai “La société de la Longévité” (2019) : les seniors ne doivent pas être - seulement - considérés comme des consommateurs.
Les book clubs répondent à cette aspiration en créant des espaces où l'expérience et les savoirs des seniors deviennent des ressources valorisées.
Ces clubs placent la transmission et le partage au cœur de leur fonctionnement.
L'exemple structurant du "One Book Guide"
L'initiative "One Book, One City" a développé un guide pratique pour accompagner les organisateurs souhaitant créer des book clubs communautaires.
Cette approche "clé en main" répond à un manque crucial : beaucoup de projets intergénérationnels échouent par absence de finalité claire et d'outils structurants.
Un book club présente l'avantage de la simplicité : sa finalité s'explique en deux phrases et ses bénéfices sont tangibles.
Cette clarté contraste avec de nombreuses initiatives intergénérationnelles qui peinent à définir leurs objectifs concrets au-delà du simple rapprochement des âges.
Si vous songez à organiser votre book club, One book, One city a publié son guide méthodologique que je vous recommande de feuilleter.
Comment les marques s'approprient le phénomène
Stratégies du secteur du luxe
Les marques de luxe ont identifié le potentiel des book clubs comme levier de fidélisation. Dior propose son "Dior Book Tote Club", où ses ambassadrices partagent leurs coups de cœur littéraires, transformant la lecture en expérience premium. Miu Miu organise des book clubs à Milan, mettant en scène ses invitées influentes autour d'œuvres littéraires.
Cette appropriation répond à plusieurs objectifs : valoriser le patrimoine culturel de la marque, créer un imaginaire esthétique autour de la lecture, et s'inscrire dans la tendance "librarian core" où la bibliothèque devient un signe d'élégance. Le livre devient accessoire de style et objet statutaire.
Les conditions d'une approche saine
L'implication des marques dans l'organisation de book clubs n'est pas problématique en soi. Elle peut même apporter des moyens et une visibilité utiles. Les conditions de réussite reposent sur le respect de certains principes :
Privilégier l'utilité sociale sur la promotion commerciale directe
Maintenir la gratuité d'accès pour préserver l'inclusivité
Garantir l'autonomie des participants dans les choix de lecture et d'animation
Éviter l'instrumentalisation des échanges intergénérationnels
Les collectivités peuvent également soutenir ces initiatives.
L'objectif reste de créer des espaces authentiques d'échange intergénérationnel, où chaque participant trouve sa place sans arrière-pensée commerciale.
Vers une exportation du modèle ?
Premiers signes en France
Le phénomène américain fait des émules dans l'Hexagone. Le Biaggi Book Club, lancé en 2025 par le créateur de contenus Maxime Biaggi, a rapidement dépassé les 65 000 membres, principalement des jeunes adultes. Cette communauté choisit mensuellement un livre puis échange sur Twitch, Instagram et Discord.
L'association #BookTokFrance sur TikTok favorise la découverte et le partage, tandis que les plateformes Goodreads et Babelio structurent les communautés de lecteurs. Les clubs se multiplient dans les bibliothèques, librairies et cafés littéraires, souvent enrichis d'un aspect intergénérationnel.
Recommandations pour un développement durable
Pour que les book clubs deviennent un outil efficace de lien intergénérationnel, plusieurs conditions doivent être réunies :
Définir une finalité claire : au-delà du simple échange littéraire, expliciter les objectifs de transmission et de valorisation des savoirs
Structurer l'animation : s'appuyer sur des guides pratiques comme le "One Book Guide" pour professionnaliser l'organisation
Garantir la régularité : l'impact positif se renforce avec la continuité des rencontres
Équilibrer la prise de parole : veiller à ce que toutes les générations puissent s'exprimer
Intégrer le numérique : utiliser les outils digitaux pour faciliter l'organisation et élargir l'accessibilité
Conclusion
Les book clubs intergénérationnels offrent une réponse concrète aux défis du vieillissement démographique. En transformant les seniors en acteurs valorisés plutôt qu'en bénéficiaires passifs, ces initiatives répondent à un besoin profond d'utilité sociale tout en créant du lien authentique entre générations.
Leur succès tient à leur simplicité : la finalité s'explique en deux phrases et les bénéfices sont tangibles. Cette clarté contraste avec de nombreuses initiatives intergénérationnelles qui peinent à définir leurs objectifs concrets.
Pour les acteurs de la Silver économie, le message est clair : plutôt que de multiplier les services destinés aux seniors, mieux vaut créer des occasions où leur expérience devient ressource collective.
Les book clubs offrent un modèle simple, structurant et reproductible pour y parvenir. À condition de ne pas dévoyer l'objectif premier au profit d'une logique purement commerciale.