Qui va - vous - payer ?
Comment déterminer qui est - vraiment - votre client vous aidera à choisir la meilleure stratégie dans la Silver économie (Partie 1/2)
J’ai été salarié pendant 17 ans avant de créer mon entreprise - Sweet Home - en 2018. Depuis mon départ du salariat, il n’y a pas un jour, pas une heure où j’ai regretté ce choix.
J’avais eu une activité salariée épanouissante et ce parcours chez Audiens a contribué à la vision, aux valeurs et aux connaissances que je mets aujourd’hui au service de mes clients. Et que je convoque chaque semaine pour vous écrire cette newsletter. Mais un jour, j’ai franchi la porte du salariat et je n’ai pas l’intention de revenir sur mes pas.
Or, quitter le salariat, c’est quitter le confort d’un revenu qui tombe tous les mois, y compris pendant vos congés. Et malgré les fluctuations dans l’activité de votre employeur.
Devenir indépendant - ou créer une entreprise - c’est découvrir le lien entre avoir des clients et gagner de l’argent.
Un lien que vous pouvez entrevoir quand vous êtes salarié, mais dont l’incidence sur votre rémunération ne sera jamais aussi déterminante que si vous êtes dirigeant de société, free-lance ou profession libérale.
Lorsque vous êtes salarié, en vertu du lien de subordination matérialisé par votre contrat de travail, votre seul client est votre employeur. Et c’est donc lui que vous devez satisfaire, même si cela va à l’encontre de la satisfaction de votre bénéficiaire : le client de votre entreprise.
Une situation que vous pouvez rencontrer en tant qu’entrepreneur, lorsque celui qui vous paie n’est pas votre bénéficiaire. Se pose alors la question de savoir qui vous devez satisfaire et quelle stratégie adopter à cet effet.
Une situation fréquente dans la Silver économie sur laquelle je vais me pencher aujourd’hui.
Ma thèse
Bien qu’il soit possible de solliciter de nombreuses sources de financement, vous restez sur le fil du rasoir tant que vous n’avez pas sécurisé un canal de paiement direct et récurrent de la part de clients qui paient pour un service que vous leur rendez (ou un produit que vous leur vendez).
Essayons d’illustrer le concept avec quelques schémas.
Le cas de base
Vous créez une entreprise qui apporte une solution au problème d’un client.
Votre enjeu est de trouver un marché sur lequel des gens rencontrent une difficulté conscientisée à laquelle vous allez apporter une réponse différenciante qui va justifier que des gens paient pour la solution que vous apportez à leur problème.
Jusque-là, les choses sont simples.
Tellement simples, qu’elles paraissent irréelles.
Et c’est le cas.
Car en général, vous n’êtes pas le seul à apporter une réponse à un problème.
Quel que soit votre marché, vous avez des concurrents.
La concurrence
Cela peut être de vrais concurrents qui font exactement la même chose que vous. Mais cela peut aussi être des concurrents indirects, dont l’offre voisine de la vôtre est identifiée par votre client comme une meilleure solution. Ou bien comme une solution installée dans son paysage cognitif.
Et donc, même si - vous pensez que - votre offre est supérieure, elle ne persuade pas votre client de changer ses habitudes.
Exemple de l’EHPAD
Par exemple, l’EHPAD est tellement ancré dans le parcours résidentiel que même les gens qui prétendent préférer mourir qu’y aller se résignent à y placer leur parent diagnostiqué Alzheimer si le médecin et le CCAS disent qu’il DOIT aller à l’EHPAD !
Et donc, vous, si vous développez des alternatives à l’EHPAD, vous rongez votre frein et désespérez de persuader tous ces clients en puissance que votre solution est celle qu’il leur faut.
Rien n’y fait, l’emprise de l’EHPAD sur le marché est telle qu’il fait barrage à toute alternative.
En tout cas, jusqu’à ce qu’un consensus global reconnaisse la nécessité de proposer une alternative. D’imposer une alternative. De ringardiser complètement la solution qui a été, pendant des décennies, privilégiée1.
Le besoin aidé
Notre schéma de base omet un aspect déterminant de la Silver économie : les financements indirects via des aides extérieures.
Voici comment cela se matérialise.
Ceci est une hypothèse saine ⬆️
Que votre client bénéficie d’aides pour financer son achat, peut être intéressant pour lui à condition que cela soit de son ressort.
Fait à son initiative.
Il avait un besoin. Vous l’avez satisfait. Il pourrait bénéficier d’une aide externe pour le financer. Subvention ou crédit. Crédit qui peut être proposé par un organisme externe ou par le vendeur lui-même.
Le désir d’achat est motivé par un besoin.
Celui qui relie le client à offre.
La facilité de paiement rend l’achat plus simple ou plus immédiat, mais le besoin reste d’accéder à votre service.
Nous sommes donc dans une variante du schéma d’origine : vous résolvez le problème de votre client. Votre client avait conscience de ce besoin, c’est pourquoi il a fait appel à vous pour le résoudre, car il vous a perçu comme la meilleure solution.
L’autre hypothèse : le client n’est pas le bénéficiaire
Mettez ce que je viens de vous dire dans un coin de votre cerveau et étudions à présent un nouveau cas de figure, très courant dans la Silver économie : la situation où votre client et votre bénéficiaire sont deux personnes distinctes.
Vous vous retrouvez dans ce schéma ⬇️
Et là, problème : vous devez vous demander pour qui vous le faites. Ce qui était auparavant une affirmation est devenu une question. Que nous pouvons décliner en variantes :
En cas de divergence d’intérêt, pour qui je le fais ?
Si je constate un problème chez le bénéficiaire, dois-je prévenir le client ?
Si le bénéficiaire est insatisfait, est-ce un problème tant que le client est satisfait ?
C’est une situation que vous rencontrez lorsque vous développez un service pour les seniors, mais que vous le vendez aux proches aidants.
Mon client est l’aidant
Dans ce cas de figure, vous devez penser au besoin de votre client avant tout. Et considérer le bénéficiaire comme l’objet de votre prestation, mais non sa finalité. Le proche manifeste un besoin que vous allez résoudre et la conséquence de votre service profitera à son parent âgé.
Si, par exemple, vous commercialisez un service de care management destiné à décharger les aidants de l’organisation du maintien à domicile, vous devez construire votre offre et votre marketing en direction de l’aidant et non pas insister sur le bénéfice pour la personne âgée dont l’aidant a la charge.
Vous pouvez bien entendu valoriser aussi l’impact de votre service sur le bien-être de la personne âgée, mais cela ne peut pas être le seul bénéfice du service, au risque d’avoir du mal à persuader votre prospect de devenir un client fidèle.
C’est une hypothèse assez classique de vente intermédiaire que je ne développerai pas aujourd’hui, mais si vous le souhaitez, j’y consacrerai un prochain numéro. Dites-moi :
Aujourd’hui (et dimanche prochain), un autre cas de figure va m’intéresser. C’est votre situation si vous vendez un produit ou service subventionné par un tiers dont la contribution est supérieure au reste à charge.
Cette situation fait donc la synthèse entre les deux hypothèses que je viens de décrire. Une dissociation entre le client et le bénéficiaire et en même temps une contribution financière externe, versée par le client.
Client et bénéficiaire
Puisque la prestation n’est pas payée par le bénéficiaire, il ne joue pas un rôle de client. Sa satisfaction ou son insatisfaction n’ont pas d’incidence sur votre rémunération par le client. Sa capacité de choix est limitée. Si le bénéficiaire peut avoir son mot à dire, sa parole portera moins que s’il était le client. Cette situation pose les problèmes que j’ai envisagés plus haut. Elle peut conduire à un désintérêt pour la situation du bénéficiaire qui n’est pas votre client.
Par exemple, si vous êtes hospitalisé dans un établissement public, le personnel qui est rémunéré par l’Assurance Maladie doit vous soigner, mais non vous satisfaire. Votre opinion sur la qualité du service, de la nourriture ou de la décoration n’aura aucune incidence sur la rémunération des soignants dont vous n’êtes pas le client, mais le bénéficiaire.
Mais dans ce cas-ci, le bénéficiaire est quand même demandeur du service. La situation est bien plus complexe si le bénéficiaire n’a rien demandé. Si le client définit une aide ou une subvention qui va permettre au vendeur de résoudre un problème rencontré par le client en apportant au bénéficiaire une solution qui doit résoudre un problème sociétal, permettre au client de réaliser des économies ou réaliser un objectif stratégique.
Cette situation se produit dans deux cas. Lorsque le tiers est l’Etat et lorsque c’est une institution privée.
Aujourd’hui, je vais me pencher sur la situation ou le financeur est l’Etat. Et dimanche prochain, on s’intéressera à la situation où c’est un tiers privé qui finance en partie votre produit ou service (ce que j’appelle un partenaire).
L’État
Donc, nous nous penchons sur les cas de figure où l’Etat devient votre client car il débloque des fonds afin d’inciter vos bénéficiaires à utiliser votre service à prix bas, ou nul.
D’une certaine façon, l’Etat devient le client d’une prestation que vous allez offrir à votre bénéficiaire.
Vous êtes concerné si, par exemple :
Vous commercialisez une prestation éligible au crédit d’impôt sur l’aide à domicile ;
Vous proposez une adaptation du domicile éligible à la Prim’Adapt ;
Vous gérez une résidence autonomie ou un EHPAD dont les prestations sont couvertes par l’APA et l’Assurance Maladie ;
Vous répondez à un appel à projet, un marché public, etc.
Quel impact sur le prix, le client, l’offre ?
En tout état de cause, si le financeur est l’Etat, vous n’allez pas vraiment développer une relation client - fournisseur classique. Car souvent les écarts entre votre taille et la sienne, votre statut et le sien rendront la relation commerciale classique inopérante.
Vous devez cependant veiller à la pérennité de la commande publique. En effet, si l’aide est menacée, tout l’édifice que vous avez bâti autour peut s’écrouler. Lorsque la contribution représente une partie significative du prix, sa disparition redéfinit ce que représente le produit pour le bénéficiaire. Et met donc en péril sa fidélité à votre service.
Imaginez : vous êtes un téléassisteur et vous équipez des personnes âgées d’un dispositif d’alerte. Vous leur louez un appareil relié à une équipe de veilleurs qui répondent à ses appels, identifient son besoin et y apportent une réponse adaptée.
Ce service bénéficie d’un crédit d’impôt de 50%. Et tout le business model des téléassisteurs est construit autour de cette réduction.
Vous êtes le bénéficiaire.
Si vous souscrivez un contrat à 50 €, vous payez 50 € par mois et à la fin de l’année, le Trésor Public va vous rembourser la moitié de votre dépense, soit en réduction d’impôt, soit en remboursement d’impôt si vous n’êtes pas imposable.
Donc, au lieu de payer 600 € (50 x 12), vous payez ce service 300 €.
La valeur perçue de ce service est de 300 €. C’est le prix que vous payez et sur lequel vous fondez votre jugement.
La chute
Imaginons à présent que ce crédit d’impôt soit supprimé. Et donc, que les bénéficiaires voient le montant de la prestation doubler brutalement.
Comment, en tant que téléassisteur, pourriez-vous les persuader de rester ?
Quelle valeur pouvez-vous apporter à vos bénéficiaires pour leur démontrer qu’un service à 600 € sera meilleur qu’un service à 300 €. Ce serait d’autant plus difficile que votre service coûte déjà 600 € et que tout votre business model est construit sur un service à 600 € que ne coûte que 300 € à son bénéficiaire. Vous ne pourriez donc pas booster l’offre sans dégrader votre modèle économique… Avouez que c’est une sacrée épée de Damoclès.
Surtout en ces temps de disette budgétaire.
D’où l’intérêt de ne pas trop vous laisser porter par le vent. D’être en amont. Terminons cette étude en voyant comment vous pourriez anticiper ou influencer la mise en oeuvre de cette aide, afin d’en faire un meilleur avantage compétitif.
Profiter de l’aide ou anticiper sa création ?
Bien souvent, ces actions sont accueillies a posteriori par les acteurs compétents qui vont adopter des dispositifs adossés à la règle afin de bénéficier de l’aide ou de l’utiliser comme argument de vente sur leur marché.
Toutefois, les grands gagnants sont ceux qui anticipent la décision et/ou accompagnent le processus normatif de création de cette règle. Bien entendu, cela n’est pas donné à tout le monde. Mais ce n’est pas non plus l’apanage d’une élite.
Il y a 2 niveaux. Savoir avant les autres et influencer la norme.
Savoir avant les autres
Une solide stratégie de veille permet de savoir en premier, ci qui est très utile sur les aides ponctuelles ou les budgets restreints de type appel à projet et marché public. Il s’agit d’une part de surveiller la parution des appels à projets, marchés publics, concours en tous genres afin d’être le premier à y répondre. Il s’agit aussi de se connecter aux acteurs qui publient ces offres afin de savoir ce qui se trame avant l’officialisation de l’offre.
Etre connecté à ces acteurs permet aussi de passer au second niveau : influencer la norme.
Influencer la norme
C’est plus une affaire de réseau, de contacts, de partenaires. Vous pouvez, bien entendu, adhérer aux structures qui sont les interlocutrices privilégiées des pouvoirs publics, comme les syndicats, fédérations et lobbys. Mais vous avez aussi intérêt à fréquenter les think tanks et les bons cercles du pouvoir.
Vous pouvez même les créer, comme nous avions tenté de le faire pour l’habitat partagé.
Et vous devez surtout cultiver un vrai réseau, en développant des relations de confiance mutuelle avec les bonnes personnes, au bon niveau.
Pour conclure : Ne laissez pas l’aide devenir le produit
Lorsque l’aide devient l’argument de vente, votre produit est doublement fragilisé.
D’abord, parce que vous êtes tenté de vous fonder sur l’aide pour justifier l’achat, comme le font les harassants démarcheurs téléphoniques qui cherchent à fourguer des formations, des pompes à chaleur, des panneaux solaires ou des vélos électriques financées par les aides ad hoc.
Ensuite, parce que la valeur perçue de votre produit ou service sera dégradée. L’achat étant motivé par un prix nul, votre offre ne sera pas examinée par votre cible comme si elle constituait la réponse à son besoin le plus urgent.
Oui, vous pouvez construire un modèle où votre service serait financé par une aide extérieure, mais cela ne doit pas vous amener à ne solliciter que des prospects qui viennent pour l’offre. Car si l’offre disparait, cette source de revenu se tarira immédiatement.
Et c’est fini, fidèles abonnés de Longévité !
Merci d'avoir lu ce dossier !
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Je pense bien à vous jusqu’à notre prochain rendez-vous.
- Alexandre 🤘🏼
Voyez comment le moteur à essence est en train de devenir la bête noire en Europe et comment la voiture électrique devient le véhicule motorisé désirable.
Voyez comment les supermarchés de proximité s’imposent dans les villes au détriment d’autres modes de consommation.
Voyez comment Marie Blachere a imposé un modèle de boulangerie périurbaine où l’on peut acheter des baguettes à peine cuites qui correspondent à un besoin exprimé par de - nombreux - clients qui se faisaient auparavant envoyer paître par les boulangers “traditionnels” qui refusaient de vendre un pain pas cuit, même si un marché existe pour ce type de produits.
Voyez comment la circulation à vélo s’est imposée dans les villes, grandement accélérée par le Covid (notamment à Paris).
Ces changements de paradigme ne sont pas l’apanage de politiciens inspirés, ni de militants écolos, ni même de citoyens cherchant un meilleur cadre de vie. Ils sont le fruit d’un travail acharné, de long terme et concerté entre les parties prenantes influentes qui ont - collectivement - fait bouger les lignes et/ou sauté sur des occasions conjoncturelles pour faire avancer leurs pions.