Romain Ganneau, nouveau DG de Silver Valley : ses enjeux et perspectives
C'est quoi Silver Valley ? | C'est qui Romain Ganneau ? | Enjeux, perspectives et espérances | Pour Silver Valley et l'écosystème
Il y a quatre ans, je me suis fait remarquer avec une newsletter écrite avec de l’acide chlorhydrique, où je critiquais vertement la création d’un cluster Silver économie en Occitanie.
La newsletter a fait le tour de l’écosystème, tombant entre les mains de personnes investies dans le projet qui ne l’ont pas appréciée. Certains allèrent jusqu’à penser que j’étais en service commandé pour Silver Valley, le cluster francilien dont ma newsletter faisait l’apologie.
Dans les 24 heures, je recevais des appels téléphoniques et email d’abonnés m’invitant à contacter lesdites personnes pour m’excuser platement et relativiser mon acrimonie, la justifiant par une méconnaissance du dossier.
Luc Broussy prit la plume pour une réponse du berger à la bergère qui renforça la circulation du poulet.
Parmi les parties prenantes du cluster Silver Occitanie figurait Romain Ganneau, qui était - bien que ce ne soit pas son titre - le Monsieur Silver économie chez AG2R. Romain était aussi très impliqué dans d’autres organisme économiques, comme France Cluster…. et donc, selon l’abonné qui me signala le pépin, il ne fallait pas s’en faire un ennemi.
Légèrement inquiété par ce tombereau qui me déferlait sur le coin du museau, je pris mon téléphone pour contacter les 3 parties prenantes les plus stratégiques.
Le premier me raccrocha au nez (et me bloqua sur Linkedin).
Le deuxième singea le pardon, mais ne m’adresse plus la parole.
Le troisième était Romain Ganneau.
Cette mésaventure nous donna l’opportunité de discuter et je fis mieux connaissance avec un personnage central de notre écosystème, qui s’y intéressait avant Montebourg, qui a soutenu un nombre significatif de projets, et qui deviendra bientôt le troisième directeur général de Silver Valley, succédant à Benjamin Zimmer et Nicolas Menet.
Cet édito lui est consacré.
Mais je parle surtout des enjeux et perspectives de la Silver économie et de la façon dont Silver Valley pourrait y contribuer utilement (pour ses parties prenantes). Je vais développer mon exposé en trois points :
Le bilan
Les enjeux
Les perspectives
A noter : Silver Valley désigne bien d’autres choses que le cluster européen de la Silver économie. Je vous partage mes trouvailles sous forme d’illustration de cet édito.
#1 Le bilan
La Silver économie
10 ans après sa création par le gouvernement Français, la Silver économie souffre parfois de cette pesante parentèle. L’Etat sait bien faire plein de choses, parmi lesquelles ne figurent ni l’économie, ni l’entrepreunariat. Et donc, une filière économique qui cherche à se développer à travers l’innovation et les startup devrait pouvoir compter sur le soutien de l’Etat, mais non pâtir de sa tutelle.
Heureusement, les pouvoirs publics qui avaient porté le projet original s’en sont assez vite désintéressé, laissant la Silver économie en jachère jusqu’à sa reprise en main, en 2018, par France Silver économie qui en assume depuis la présidence.
France Silver économie est une association dirigée par Mathieu Alapetite et présidée par Luc Broussy. Elle fédère des acteurs privés et publics qui oeuvrent pour l’adaptation de la société au vieillissement. Elle cherche à définir un cadre favorisant les échanges entre les parties prenantes.
Si le gouvernement a confié les clés de la maison à des professionnels, il conserve un rôle de tuteur et de financeur de la filière. Et peut se réapproprier ses réalisations et ses missions s’il y voit une opportunité, comme le fait notre ministre de l’Autonomie, Aurore Bergé en confiant la réalisation d’un énième rapport à un gériatre sans doutes brillant, mais dont la connexion au sujet semble plus ténue que celles des professionnels qui s’échinent sur le sujet sans compter leurs heures.
A côté de la filière, des organismes spécialisés se sont créés pour répondre à des enjeux spécifiques :
Les gérontopôles contribuent au développement local,
Les clusters maillent et fédèrent les acteurs économiques,
Les fédérations défendent les intérêts de leurs adhérents et négocient avec les pouvoirs publics,
Les incubateurs, startup studios et accélérateurs accompagnent l’innovation,
Les think tanks font avancer la réflexion,
Les associations de seniors veulent représenter leurs membres dans le débat.
Et parce que rien n’est simple, certains organismes cumulent plusieurs casquettes.
Silver Valley
Ainsi, Silver Valley est à la fois un cluster, un accélérateur, un incubateur et voudrait aussi jouer le rôle d’un gérontopole et d’un think tank.
Soutenu localement par la région et la CNAV Ile-de-France, l’association a des ambitions européennes et se présente comme “Le premier pôle d’innovation européen dédié à la longévité”.
Organisateur d’événements, pilote d’un concours de start-up, animateur de focus group, coordinateur d’enquêtes, Silver Valley est beaucoup de choses.
Mais les adhérents ont parfois du mal à comprendre ce qu’ils peuvent retirer concrètement en contrepartie de leur cotisation. Certes, contribuer à la croissance de la Silver économie en France est un enjeu louable, mais pour une entreprise, cela doit se traduire par du business. Et si Silver Valley est le bon partenaire pour des start-up, nombre d’entreprises plus installées n’y trouvent pas leur compte. Et je le dis avec l’objectivité et le vécu d’un ancien adhérent.
Si le cluster - pôle d’innovation souhaite être l’animateur d’un réseau économique fait d’entreprises en croissance, il doit leur offrir de bonnes raisons de payer une cotisation.
L’avenir nous dira sir leur nouveau directeur général, Romain Ganneau est taillé pour la mission.
Romain Ganneau
Depuis notre discussion autour du cluster d’Occitanie, j’ai eu de nombreuses occasions de dialoguer avec Romain. Avec lui, j’ai réalisé un livre blanc pour la réunion des labs AG2R, nous avons eu de nombreux échanges informels et je l’ai interviewé à plusieurs reprises. Personnage connu dans l’écosystème, il bénéfice d’une certaine aura et d’un bon crédit.
Mais le passage d’un organisme payeur à un organisme solliciteur pourrait être un gros enjeu.
Tout comme le passage d’un rôle de prescripteur à celui de salarié mandaté par le conseil d’administration pour diriger un organisme très politique… et le redresser.
Il devra enfin prendre le relais de deux directeurs généraux qui ont - chacun à sa façon - imprimé leur personnalité à Silver Valley et - sans marcher dans leurs brisées - parvenir à préserver l’héritage tout en faisant basculer Silver Valley dans un autre modus operandi, avec des collaborateurs qui ont développé des expertises et une reconnaissance significative pendant la maladie de Nicolas Menet et après sa disparition tragique en février 2023.
Romain n’arrive pas à un moment facile et ne prend pas en charge une sinécure. Je doute qu’il bénéficie d’une parenthèse enchantée avant de voir arriver les complications internes et externes en rang serré.
Je ne vais pas revenir sur la carrière de Romain chez AG2R, mais si vous souhaitez cerner le bonhomme et percevoir son mindset , je vous renvoie vers 3 interviews qu’il m’a consacrées :
En mars 2021, sur mon blog Sweet Home, Romain est venu expliqué son rôle chez AG2R et le rôle que les groupes de protection sociale peuvent jouer dans la Silver économie.
En Juillet 2022, pour la newsletter de la filière Silver économie, Romain répond à trois questions sur la solvabilisation des seniors.
En juillet 2023, pour le prochain livre blanc de la filière Silver économie, Romain partage son analyse de l’écosystème à date.
Voyons à présent à quoi les acteurs en place doivent se préparer.
#2 Les enjeux
Délimiter la Silver économie
Le travail de délimitation du champ de la Silver économie doit être fait afin de mieux cerner les limites de la contribution. Il faudrait, je pense, arriver à la délimiter de plusieurs façons.
Spécifique ou générique
D’une part, enfin valider s’il s’agit de l’intégralité de la consommation des seniors ou bien l’adaptation de la société au vieillissement. Bien que certains l’affirment, je ne vois pas beaucoup d’acteurs économique mainstream sur les bancs du Conseil National de la Silver Economie, ni aux événements estampillés Silver économie.
Devons-nous attendre qu’ils frappent à la porte, aller les chercher pour leur montrer la lumière ou bien considérer une bonne fois pour toutes que la vérité est ailleurs ?
Avec ou sans l’EHPAD ?
D’autre part, délimiter les connexions entre Silver économie et médico-social (aide à domicile et EHPAD). Si les interactions entre les acteurs de l’adaptation de la société au vieillissement et ceux du médico-social sont indispensables, font-ils partie d’un tout ou bien sont-ils seulement des alliés de circonstance ?
La place de la Santé
Enfin - et c’est là à mon avis que beaucoup de choses se jouent - définir les corrélations entre adaptation de la société au vieillissement et santé. Savoir comment la Silver économie doit intégrer les questions relatives à la santé préventive et curative dans ses approches. Partant du constat qu’une grande partie des questions de vieillissement sont d’abord des questions de santé, ce serait - à mon avis intéressant de les associer pour 3 raisons :
Cela permettrait de montrer que l’adaptation de la société au vieillissement ne commence pas à 65 ans, mais concerne tous les citoyens, attendu qu’on commence à vieillir dès la naissance… et que des comportements préventifs profitent à tous les âges de la vie et contribuent à une prise d’âge plus agréable.
Cela permettrait de rechercher des financements plus massifs, attendu que la question de la santé intéresse plus d’investisseurs privés et institutionnels que la seule question du vieillissement qui est souvent perçue comme un sous-sujet de la santé.
Cela permettrait de clarifier les deux première délimitations envisagées dans cette réflexion et donc de rendre la Silver économie plus lisible pour toutes ses parties prenantes.
Fédérer les parties prenantes
Dix ans de pratique - et d’échecs - nous ont appris que la Silver économie s’envisage mieux à plusieurs que seul.
Les problèmes sont multifactoriels. Ils appellent donc des solutions plurielles. Des expertises et des savoir-faire à l’avenant.
Voyez par exemple comment Ma PrimAdapt’ va financer à la fois l’adaptation du logement, la coordination des projets et les conseils comportementaux et posturaux d’ergothérapeutes.
Faciliter et accompagner le travail collectif de parties prenantes pourrait donc être un enjeu aussi important que contribuer à la croissance économique du secteur. Car l’un ne va pas sans l’autre.
Or, cette tâche requiert des compétences et connaissances qui ne sont pas innées. Si les entrepreneurs comprennent vite l’intérêt de la « chasse en meute », ils ont besoin d’aide pour trouver le bon attelage.
Internationaliser la Silver économie Française
La Silver économie s’internationalise sans nous.
Répondant aux souhaits de Michèle Delaunay qui lui avait donné un nom anglais pour faciliter son développement international, la Silver économie se diffuse à l’étranger, mais bien souvent les Français restent dans leur pré carré et ne sont pas conviés dans des réflexions internationales.
D’aucuns pensent que la question du vieillissement est un sujet national compte tenu de réglementations spécifiques, mais le fonds du sujet, éminemment humain, peut être abordé sous toutes les latitudes.
Et donc, à l’instar des Droits de l’Homme que nous avons imposé au monde entier, nous aurions intérêt à être plus ouverts d’esprit et internationaux à propos du grand âge, si nous ne voulons pas que nos entreprises nationales se fassent éclater par les GAFAM quand les Californiens s’attaqueront au marché européen de la longévité. Ce qui ne saurait trop tarder, vu qu’ils on déjà commencé à baliser le terrain.
#3 Les perspectives
Comme d’habitude, je suis allé un peu plus loin que le simple enjeu de Silver Valley. En effet, il me semble que la question de l’adaptation de la société au vieillissement va au-delà des capacités d’un seul organisme.
Ce n’était pas le cas en 2013 quand une poignée d’acteurs se partageaient la gouvernance de la toute jeune Silver économie. Cela l’est encore moins dix ans plus tard, alors qu’ils ont été rejoints par les gérontopoles, des start-up studios, des fédérations et associations professionnelles ainsi que des acteurs généralistes qui développent des business unit dédiées… En France et ailleurs.
Non, à l’heure actuelle, l’écosystème de la Silver économie est un énorme plat de spaghetti dans un dé à coudre.
Le plat de spaghetti
Des dizaines d’organismes accompagnateurs se disputent un tout petit marché. Ces spaghetti doivent trouver un modus operandi pour élever l’offre, l’aligner sur la demande et structurer l’ensemble, tant pour les consommateurs que pour les nouveaux entrepreneurs.
Et ils doivent pour ce faire s’appuyer sur les acteurs institutionnels, étatiques et européens qui apporteront de la structure, du droit. Le tout contribuant à adapter la société au vieillissement, certes, mais aussi à protéger le marché contre les attaques extérieures et même - si possible - à exporter notre modèle au-delà de nos frontières.
Une fois qu’on a posé ce jalon, il me semble important pour Silver Valley de définir précisément qui ils sont, ce qu’ils veulent faire et avec qui.
Le piège à éviter
Le piège dans lequel Silver Valley doit éviter de tomber, c’est de chercher à devenir un interlocuteur privilégié du ministère de l’Autonomie.
En effet, si c’est une bonne chose que l’Etat s’empare enfin du sujet et cherche à légiférer pour renforcer la structure existante, un pôle d’innovation européen dédié au développement économique de ses parties prenantes ne devrait pas perdre son temps en réunions et comités interministériels pour “aider” les pouvoirs publics à faire le droit.
Or, j’ai remarqué que les acteurs français de la longévité adorent participer à ce genre de travaux chronophages et peu productifs.
Et j’espère que Romain Ganneau saura se dissocier de cet environnement politisé et se tourner vers les entreprises et les collectivités locales afin de traiter le problème à la racine et pas sous les ors de la République.
La communauté de l’Anneau
J’aimais bien quand Silver Valley se présentait comme le cluster de la Silver économie, car cela permettait de relier le projet à un modèle (la Silicon Valley) dans lequel la contribution étatique et universitaire à la croissance économique d’un marché est très lisible.
On retrouve la même aspiration holistique dans l’ouvrage co-écrit par Benjamin Zimmer et Nicolas Menet (Start-up, Arrêtons la mascarade) : créer une communauté de réflexion - action qui parte du problème pour accompagner la création et le développement de solutions vraiment efficaces.
Silver Valley ou ses représentants m’expliqueront peut être que c’est effectivement la stratégie qu’ils ont suivie. Mais je n’en ai pas l’impression. Comme expliqué dans mon exposé, je ne comprends plus l’offre de Silver Valley, ni sa gouvernance, ni ses ambitions.
Et j’espère donc que les choses vont se clarifier, pour faire avancer le schmilblick.
PS : je parle de communauté de l’anneau en référence à un article de décembre 2021 où j’avais qualifié Romain Ganneau de Gandalf de la Silver économie.