Stratégie Aidants 2023-2027 : Mon analyse
Catégories d'aidants | Avenir des aidants | Nécessité d'une stratégie innovante | Limite de la Stratégie proposée par l'exécutif | Comment changer de paradigme ?
En France, entre 8 et 11 millions de nos concitoyens soutiennent un proche en situation de handicap, en perte d'autonomie ou atteint d'une maladie chronique ou invalidante. Aurore Bergé - Ministre des solidarités et de la famille
Aurore Bergé introduit la Stratégie 2023-2027 en utilisant un chiffre issu du baromètre April-BVA de 2019. Il provient d’un sondage réalisé par BVA auprès de 2008 personnes “représentatives”. Ce chiffre a été repris dans la stratégie Aidants de 2020-2022 et il apparaît dans tous les articles, plaidoyers et pitch de start-up qui veulent aider les aidants. Pourtant, une enquête réalisée par la DREES en 2021 donne une évaluation plus fine à 9,3 millions.
C’est quand même cocasse que la ministre ne tienne pas compte des chiffres produits par sa propre administration et préfère se baser sur l’estimation à grosse maille réalisée il y a bientôt 5 ans par un organisme privé.
De quoi parle ce dossier
Le gouvernement vient de rendre publique sa Stratégie de mobilisation et de soutien pour les aidants. Elle fixe des actions qui doivent être mises en œuvre entre 2023 et 2027. Elle fait suite à une première itération qui portait sur la période 2020-2022.
Dans ce dossier, j’analyse le bilan de la première Stratégie et les engagements de la seconde.
J’introduis cette analyse en exposant les enjeux de l’accompagnement des aidants ainsi que la crypto-stratégie qui semble guider les actions gouvernementales en l’espèce : inciter plus de citoyens à devenir des aidants.
Je mets aussi en lumière le manque d’audace de cette Stratégie et j’invite les lecteurs à agir au lieu d’espérer un sursaut de la part de l’exécutif.
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Le chiffre est important, mais ne suffit pas
D’accord, Aurore Bergé utilise un chiffre périmé, mais au fonds, ce n’est pas important. Ce chiffre laisse à penser que 9,3 millions de citoyens ont un problème identique.
Or, ce n’est pas le cas.
Les aidants, ça ne veut rien dire. C’est un mot-valise qui décrit des situations très différentes, vécues par des citoyens très différents qui ne se considèrent pas comme tels jusqu’à ce qu’une âme charitable le leur explique, soit pour les aider, soit pour leur vendre un service.
Il n’y a pas une typologie, mais des dizaines de typologies.
Selon la situation professionnelle et matrimoniale de l’aidé et de l’aidant
Selon le lien de parenté entre aidant et aidé
Selon l’âge de l’un et de l’autre
Selon l’espérance de vie de l’aidé
Selon les rapports qu’entretiennent l’aidé et l’aidant
Selon leur proximité géographique
Selon les moyens financiers de l’un et de l’autre.
Etc.
En synthèse, “les aidants” est un terme aussi vague que “les étudiants” ou “les handicapés” : quelques points communs, beaucoup de différences.
Cette difficulté explique la complexité de créer un dispositif de prise en charge universel, mais elle n’explique pas, en revanche, pourquoi l’Etat tient tant à poursuivre des Stratégies de Mobilisation nationale. On n’a pas besoin de tout ce barnum pour mettre une aide financière en place.
Il y a donc une autre raison à la publicité faite par les pouvoirs publics et cette raison, à mon avis, c’est que l’avenir s’annonce bien sombre pour l’aidance.
Du côté des professionnels, on va manquer de bras et personne n’a encore trouvé comment remédier à cette carence qui mine le secteur médico-social depuis des années.
Et donc, puisque l’Etat veut pousser ce virage domiciliaire qui coûte moins cher que l’Ehapd où plus personne ne veut aller de son plein gré, il faut bien trouver quelqu’un qui supplée aux carences du système. Quelqu’un qui accepte de s’occuper des personnes dépendantes et handicapées.
L’État veut faire la publicité de l’aidance et la dédramatiser.
Voici pourquoi.
Indispensables aidants
Non seulement nous ne pourrons pas nous passer des aidants dans les années qui viennent, mais nous aurons besoin qu’un paquet de citoyens s’y mettent.
Y compris ceux qui n’y ont pas pensé.
Oui, il est là l’énorme angle mort.
La question de l’ignorance à propos de l’aidance ne concerne pas seulement les aidants qui ne savent pas qu’ils sont des aidants, elle concerne surtout les non aidants qui devront le devenir.
Et ça, ce n’est pas une nouveauté.
On le sait depuis des années.
Pour 3 raisons qui vont se télescoper à horizon 2030 - 2040
L’État n’a pas assez d’argent pour prendre en charge la dépendance de toutes les personnes qui seront dépendantes. Et donc, il va être obligé de diminuer le montant de sa prise en charge aux publics les plus précaires et les citoyens qui n’ont pas de famille.
Le nombre d’aidants professionnels sera insuffisant pour répondre à 100% des besoins, à domicile comme en établissement. Et donc les missions des professionnels vont être concentrées sur leur cœur de métier. Et même ainsi, ils ne seront pas assez nombreux.
Pour les personnes âgées dépendantes, le nombre de proche aidant potentiels ne va pas augmenter aussi fortement que le nombre d’aidés potentiels. La part des premiers augmentera de 20% et celle des seconds de 90%, provoquant un croisement de courbes que les professionnels qualifient de “ciseau démographique”
Conclusion :
Plus d’aidés
Moins d’aidants professionnels
Moins d’argent pour aider tout le monde
Et là, je pose une question : Madame Le Premier ministre, Mesdames les ministres et secrétaires d’Etat, C’est si difficile d’expliquer aux Français qu’il va falloir s’occuper physiquement des citoyens dépendants et que personne ne pourra se reposer intégralement sur la collectivité ?
Il existe une façon très simple et absolument pas démagogique d’appuyer cet effort national, c’est en insistant sur la solidarité intergénérationnelle.
La solidarité intergénérationnelle c’est quoi ?
C’est aider les membres de la communauté qui en ont besoin.
Cela débouche sur plus de solidarité familiale pour prendre en charge la dépendance.
Une sorte de retour aux sources.
Retour aux sources ?
L’aidance, ce n’est pas quelque chose qui se développe, c’est quelque chose qui subsiste.
Espèce en voie de disparition ?
Il n’y en a pas de plus en plus, mais de moins en moins. Au temps de nos grands-parents, tout le monde était aidant. Les proches âgés étaient pris en charge par leurs enfants et l’ancêtre de l’EHPAD qu’était l’hospice accueillait seulement les cas désespérés, trop pauvres, trop seuls, trop malades et souvent les trois à la fois.
Aujourd’hui, nous nous déchargeons sur des aidants professionnels car nous n’avons plus le temps, l’envie, les compétences, les connaissances pour gérer ces situations.
Qu’est-ce qui a changé ?
L’évolution est multifactorielle :
Les modes de vie ont changé. Les familles ne vivent plus à trois générations sous le même toit (sauf pendant les grandes vacances).
Le niveau d’éducation s’est amélioré et les proches qui se dévouaient pour s’occuper des invalides du collectif sont aujourd’hui incités à privilégier leur carrière et leurs descendants à la gestion de leurs parents.
La longévité s’est améliorée et donc des personnes qui souffrent d’une pathologie invalidante la subissent pendant plus longtemps.
Des véhicules plus sûrs, une meilleure sécurité routière et une meilleure prise en charge des blessés ont fait diminuer le nombre de morts sur la route, mais n’ont pas supprimé les accidents. Nombre de survivants souffrent d’un handicap, notamment les cérébro-lésés.
Le nombre de structures d’accueil, de dispositifs de prise en charge et d’aides financières pour déléguer l’aidance à des professionnels a explosé.
Et donc, se concentrer sur les aidants d’aujourd’hui, c’est vouloir relancer la machine, remettre les aidants au cœur de la question de la vieillesse, mais c’est aussi demander aux citoyens de renoncer à leur confort.
Ce qui n’est pas facile.
Ce que devrait faire une Stratégie Nationale Aidants
Et c’est pourquoi une stratégie nationale en faveur des aidants ne devrait pas seulement aider les aidants, mais chercher à changer l’intenable paradigme actuel.
En adoptant une ligne de rupture, assez radicale avec la politique de la mollesse qui caractérise l’action actuelle concernant les personnes âgées.
Trois possibilités :
Soit inciter les descendants à devenir les aidants de leurs ascendants, ce qui se rapprocherait de la politique neo-confucianiste chinoise.
Soit créer les conditions pour que le recours aux aidants n’augmente pas avec le vieillissement de la population, en misant massivement sur le progrès médical et la médecine préventive pour limiter le nombre de personnes à aider et leur niveau de dépendance aux aidants.
Soit rémunérer plus généreusement et réformer le secteur du care, pour augmenter l’offre médico-sociale proportionnellement à la demande.
Fixer un objectif audacieux, une politique de rupture qui sorte le pays de l’incertitude liée au vieillissement de la population et à la raréfaction des aidants professionnels : C’est ça que j’attends de l’exécutif.
Et c’est ça que j’appelle une stratégie.
La stratégie, c’est la mise en perspective d’une vision, un chemin à suivre pour atteindre un objectif ambitieux. Elle modèle l’avenir du groupe social en l’amenant vers cette vision improbable et nécessaire à la fois qui constitue le destin de la collectivé que nous confions démocratiquement aux dirigeants que nous élisons.
La Stratégie qui n’en était pas une
J’ai l’immense regret de vous annoncer que le document pompeusement intitulé Stratégie de Mobilisation et de soutien 2023 - 2027 n’est pas une stratégie, mais un ensemble de promesses peu audacieuses qui ne sont même pas des tactiques dans la mesure où elles ne s’accrochent à aucune véritable stratégie.
Ce sont tout au plus des ajustements qui ne cherchent pas à transformer le monde pour l’adapter aux défis de demain, mais simplement à calmer le jeu, donner un os à ronger aux aidants.
J’ai analysé le bilan de la précédente stratégie et les promesses de la suivante, je me suis ennuyé, j’ai failli décrocher, mais j’ai voulu aller au bout, ne serait-ce que pour vous épargner cette peine.
Épargnez-vous la peine
Mon constat est sans appel.
Cette soi-disant Stratégie est d’une incroyable médiocrité. Elle affiche sans vergogne son manque d’audace et je n’ai qu’un conseil à vous donner : n’y accordez pas le moindre intérêt. Ni le moindre espoir.
Ce n’est pas cette promesse qui va changer le monde.
Si vous voulez faire avancer la cause des aidants en 2023, ce n’est pas l’Etat qui vous aidera.
Ce sont les acteurs privés qui cherchent de vraies solutions aux problèmes, sur le terrain. Acteurs sur lesquels l’Etat s’est appuyé pour mener sa stratégie précédente à bien et sur lesquels il compte encore s’appuyer demain.
Car ne nous y trompons pas, la seule volonté de l’Etat, en rémunérant - chichement - les aidants, c’est de leur déléguer la charge de la dépendance et du handicap.
Je vais à présent vous livrer mon analyse du bilan de la Stratégie 2020-2022 et des engagements de la Stratégie 2023-2027.
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