Téléassistance : arrêtons de regarder dans le rétroviseur !
Entre technologies émergentes et nouveaux usages, le secteur doit dépasser l'organisation héritée des années 70 pour construire le service de demain
Bienvenue dans Longévité, où j'analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette édition, je m'interroge sur l'avenir de la téléassistance, un marché qui stagne depuis 50 ans malgré des besoins croissants.
Je décrypte les limites du modèle historique centré sur les plateaux d'écoute, j'explore les nouvelles approches technologiques qui émergent, et j'essaie de répondre à LA grande question : Comment transformer la téléassistance d'un service d'urgence stigmatisant en une solution préventive naturellement intégrée dans notre quotidien ?
La téléassistance de demain ne sera pas celle d'hier
La publication de mon dossier - écrit en partenariat avec France Silver Eco - dans
a suscité des réactions parfois vives de certains acteurs du secteur.Au-delà des débats sur les chiffres, ces réactions révèlent un attachement profond à un modèle historique qu'il convient aujourd'hui de questionner.
Car le véritable enjeu n'est pas tant de compter les utilisateurs actuels que de comprendre pourquoi, malgré un demi-siècle d'existence et des millions investis en promotion, la téléassistance ne convainc que 10% des Français de plus de 75 ans, quand ce taux atteint 36% au Royaume-Uni, 26% en Suède ou 19% en Espagne.
Cette situation paradoxale mérite une analyse plus approfondie que la simple invocation d'une prétendue réticence française à la prévention. Peut-être faut-il accepter une évidence : si après 50 ans d'efforts pour "éduquer le marché" avec toujours la même offre, le taux d'équipement stagne, c'est que le problème n'est pas dans la communication mais dans le service lui-même.
L'enjeu n'est donc pas de faire passer artificiellement ce taux de 10 à 20% en persistant dans les mêmes stratégies, mais d'aller conquérir un autre marché : celui des personnes déjà engagées dans une démarche préventive, comme en témoigne leur usage d'objets connectés type Apple Watch, et qui attendent des services adaptés pour gérer les alertes et les situations critiques.
La solution ne réside plus dans la promotion acharnée d'une organisation héritée des années 1970, mais dans la capacité à répondre aux besoins réels des utilisateurs d'aujourd'hui, en s'appuyant sur les structures médico-sociales et d'urgence existante.
Les origines de la téléassistance en France
Pour comprendre les limites du modèle actuel, il faut revenir à ses origines. La téléassistance s'est développée en France dans les années 1970, sous l'impulsion de Valéry Giscard d'Estaing, en parallèle de la politique d'équipement téléphonique des foyers1.
Le modèle organisationnel qui s'est alors mis en place - un équipement relié à une plateforme téléphonique - répondait aux contraintes techniques de l'époque : l'impossibilité de réaliser une "levée de doute" (diagnostiquer la gravité d'une chute) sans interaction humaine.
Cette organisation, comme l'a souligné Olivier Bessières, directeur commercial d'Arkea On Life dans
reste aujourd'hui structurée autour des plateformes téléphoniques. "Le défi réside dans l'équilibre entre la technologie et l'accompagnement humain", explique-t-il, tout en reconnaissant que "les contraintes économiques et de personnel nous obligent à trouver des solutions alternatives."Les vieux de 2024 ne sont pas les vieux de 1974
Nous devons déstigmatiser ces solutions : on parle systématiquement de personnes âgées dépendantes, alors qu'elles peuvent être utiles dans de nombreuses situations. — Pascal Perrin - Urmet France2
Abordons la question sous un angle différent. Plutôt que de partir de l'organisation existante pour justifier son efficacité, posons-nous la question du besoin réel de l'utilisateur.
En tant qu'enfant de parents vieillissants ou futur utilisateur moi-même, de quoi ai-je besoin pour me sentir en sécurité à domicile ? Est-ce vraiment un plateau téléphonique qui m'apporte la meilleure réponse ?
Oui, selon Alain Monteux, président de Tunstall-Vitaris :
Le lien humain a énormément de valeur. Il est à la fois précieux d'un point de vue commercial, mais il a également une valeur pour la santé, au sens large défini par l'OMS.- Alain Monteux, Président de Tunstall-Vitaris.
La pertinence du plateau d’écoute en question
Je l’entends, cher Alain et cependant, je m’interroge. Cette dimension humaine doit-elle nécessairement prendre la forme d'un centre d'appels ?
Les opérateurs de téléassistance mettent souvent en avant que 90% des contacts sont des appels de convivialité plutôt que des levées de doute. Est-ce vraiment le rôle d'un service d'urgence financé à 50% par le crédit d'impôt ?
Je connais les réactions à cette question, car je l’ai déjà posée et j’ai déjà eu la réponse sur le lien capital du chargé d’écoute3 avec son bénéficiaire. Il est parfois le seul contact humain d’une personne âgée isolée. La question, cependant, c’est celle du qui : pourquoi serait-ce le rôle du plateau de téléassistance ?
Le problème de ce débat, c'est qu'il se termine inévitablement par un cas de conscience social autour de l'isolement, mais il détourne la conversation de l'enjeu principal : l'efficacité du service d'urgence.
En mélangeant mission sociale et service de sécurisation, ne risque-t-on pas de fragiliser les deux ?
La lutte contre l'isolement des personnes âgées mérite une réponse dédiée, structurée, professionnelle. Les chargés d'écoute, aussi bienveillants soient-ils, ne peuvent être à la fois des opérateurs d'urgence et des animateurs sociaux.
Cette double mission, loin de renforcer le service, pourrait même nuire à sa qualité en dispersant les ressources et l'attention.
D'autant que les techs permettent d'envisager d'autres approches pour la levée de doute. Exemple : l'analyse comportementale automatisée peut détecter des situations à risque avec une précision croissante. L'enjeu n'est plus tant de réagir à une chute que de la prévenir, en identifiant les signes avant-coureurs d'une perte d'autonomie.
Le véritable défi n'est-il pas de repenser le service dans sa globalité ?
Un service de téléassistance moderne pourrait très bien s'articuler avec d'autres dispositifs de lien social - associations, services municipaux, réseaux de voisinage - tout en se concentrant sur sa mission première : assurer la sécurité des personnes âgées à domicile.
Le modèle économique en question
La question du modèle économique se pose également. L'organisation actuelle, centrée sur des plateaux téléphoniques, génère des coûts fixes importants qui déterminent le prix du service.
Ce modèle est-il le plus pertinent à l'heure où les technologies permettent d'envisager d'autres approches ?
Pascal Perrin d'Urmet apporte un éclairage intéressant avec leur solution Solinnov : "Nous installons des capteurs de mouvement et d'ouverture, sans aucune caméra, qui analysent pendant 6 à 8 semaines les habitudes de vie de la personne. Le système identifie ainsi des routines et génère une alerte en cas d'anomalie."
Cette approche préventive, basée sur l'analyse des comportements plutôt que sur la seule réaction à l'urgence, illustre l'évolution possible du secteur.
Les Gafam ne construisent pas de plateaux d’écoute
Apple l'a bien compris en intégrant des détecteurs de chute dans ses Apple Watch. La multiplication des objets connectés et l'amélioration des algorithmes de détection ouvrent la voie à des solutions plus sophistiquées que le simple bouton d'alarme.
Cette approche révèle une vision radicalement différente du service. Quand Apple développe sa fonction de détection de chutes, l'entreprise ne crée pas un centre d'appels - elle s'appuie sur les services d'urgence existants et sur le réseau de proches préalablement identifiés par l'utilisateur.
Google, Amazon et les autres géants de la tech suivent la même logique : ils créent des solutions technologiques qui s'intègrent dans des écosystèmes existants, plutôt que de réinventer une infrastructure complète.
Cette stratégie n'est pas qu'une question de coûts. Elle reflète une compréhension moderne du service : l'utilisateur veut une solution qui s'intègre naturellement dans son quotidien, pas un dispositif qui le stigmatise ou qui l'enferme dans une relation de dépendance.
C'est pourquoi je pense que le marché de la téléassistance ne doit plus être pensé uniquement à travers le prisme de l'équipement dédié et du plateau d'écoute.
Des device polyvalents intégrés dans nos usages
L'avenir se dessine autour d'usages multiples et d'une intégration naturelle dans le quotidien des seniors.
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