"Un tiers des aidants meurent avant leur aidé" : anatomie d'une statistique trompeuse
Ce chiffre choc sur les aidants est répété partout. Mais d'où vient-il vraiment ? Analyse d'une statistique trompeuse et de ses conséquences concrètes.
Bienvenue dans Longévité, la newsletter qui rétablit la vérité sur la société de la longévité et lève le voile sur les grossières approximations parfois utilisées comme justification de stratégies oiseuses.
C’est à cet exercice que je vous invite aujourd’hui : nous allons décortiquer et exposer à la réalité des faits l’affirmation : “un tiers des aidants meurent avant leur aidé”.
Je l’entends de plus en plus souvent ces derniers temps, je sais d’où il provient et c’est loin d’être une généralité. Il me paraît donc utile de vous partager mes réflexions afin de vous aider à répondre à LA question :
Comment analyser les besoins de mon marché afin de proposer un service qui réponde à un vrai besoin ?
"Un tiers des aidants meurent avant leur aidé" : la dangerosité d'une statistique non vérifiée
Ce chiffre choc, omniprésent dans les médias et les politiques publiques françaises, résiste étonnamment bien à l'épreuve du temps.
Mais d'où vient-il vraiment ?
Et que masque-t-il de la réalité complexe des aidants ?
Enquête sur une approximation statistique devenue vérité d'évangile.
Une statistique omniprésente et alarmante
"Un aidant sur trois meurt avant la personne qu'il aide." La phrase est lâchée à l'occasion d'un colloque sur les aidants, citée dans un rapport ministériel, reprise dans une brochure d'association, mentionnée lors d'une levée de fonds pour une startup de la Silver économie. Ce chiffre brutal et mémorisant s'est imposé comme une évidence dans le débat public français, symbolisant à lui seul l'ampleur du sacrifice consenti par les 8 à 11 millions d'aidants en France.
Puissant, synthétique, il coche toutes les cases du bon élément de langage : facile à mémoriser, dramatique dans sa formulation, universel dans sa portée. Il illustre parfaitement le fardeau écrasant des aidants et justifie l'urgence d'agir. Mais est-il fiable ?
À la source d'une statistique voyageuse
Remontons à la source. Ce chiffre provient d'une étude américaine publiée en 1999 dans le prestigieux Journal of the American Medical Association (JAMA) par le chercheur Richard Schulz, intitulée "Caregiving as a Risk Factor for Mortality: The Caregiver Health Effects Study".
Premier élément à considérer :
Cette étude a plus de 25 ans.
Elle a été conduite dans un contexte américain très différent du système français de prise en charge de la dépendance.
Elle portait exclusivement sur des conjoints aidants de personnes âgées dépendantes – et non sur l'ensemble des aidants.
Après quatre ans de suivi, elle révélait effectivement une surmortalité, mais uniquement chez un sous-groupe spécifique : les aidants exprimant un fort sentiment de fardeau par rapport à des non-aidants du même âge.
Plus significatif encore : le résultat n'était pas statistiquement probant pour l'ensemble des aidants étudiés, seulement pour ce sous-groupe particulièrement exposé au stress.
Comme le souligne le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), cette statistique d'un "tiers" provient de cette étude américaine ancienne, sur une population particulière, et les données françaises manquent pour confirmer ce taux dans la population générale des aidants (source).
La diversité ignorée des situations d'aidance
L'application générale de ce chiffre est d'autant plus problématique que l'aidance recouvre des réalités extrêmement diverses.
Considérez un instant la variété des situations :
Le conjoint qui accompagne son époux atteint d'Alzheimer 24h/24
L'enfant qui s'occupe de ses parents vieillissants tout en travaillant
Le parent qui prend soin de son enfant en situation de handicap
Le membre de la fratrie qui vient en aide quelques heures par semaine
Le petit-enfant qui visite régulièrement ses grands-parents pour les courses
Les besoins d'aide varient tout autant : handicap permanent, limitation fonctionnelle passagère, maladie neurodégénérative, cancer, perte d'autonomie liée à l'âge...
Sans compter l'intensité de l'aide apportée, qui peut aller de quelques heures par semaine à une présence permanente.
Comment peut-on raisonnablement affirmer qu'une même statistique s'applique uniformément à toutes ces situations ?
Laura : la réalité derrière les chiffres
Pour comprendre les limites de cette généralisation, plongeons dans l'histoire réelle d'une aidante.
Laura, 55 ans, fille unique de Michèle et René, enseignants retraités, vit à Rodez. Divorcée, mère de deux jeunes adultes, elle est experte-comptable indépendante. Une vie bien remplie, épanouissante – avant.
Avant que sa mère ne commence à ressentir des douleurs insupportables dans le dos en septembre 2013, prémices d'une descente aux enfers. Après une première opération, les symptômes s'aggravent. Sa mère est à nouveau hospitalisée suite à l'effondrement de sa moelle épinière. Si la douleur s'atténue, Laura doit faire face à la démence de sa mère qui s'accélère.
Laura pensait qu'avec la flexibilité de son travail indépendant, elle pourrait gérer la garde de sa mère au domicile de ses parents, quitte à réduire légèrement son activité professionnelle. La réalité fut tout autre.
"Avec le recul, je me rends compte à quel point j'étais naïve," témoigne-t-elle. "Mes clients ont abandonné, certains après plus de 20 ans de collaboration. Vous ne pouvez pas vous occuper de quelqu'un qui a des besoins aussi élevés tout en parvenant à consacrer une journée de travail."
Dans les années qui suivent, la mère de Laura se casse la hanche, sa démence s'aggrave. Son père reçoit également un diagnostic de démence. Il devient parfois violent.
Sans aide extérieure, Laura se retrouve prise dans une spirale infernale : changement de couches, bain, lavage de literie, préparation de repas... "Le sentiment n'était pas différent de s'occuper d'un bébé, seulement les bébés grandissent et leurs soins deviennent plus faciles. Pour les soins aux personnes âgées, c'est le contraire."
Cette réalité quotidienne n'a rien à voir avec une statistique abstraite de "risque de mourir avant l'aidé". Ce qui préoccupe Laura, ce sont des problèmes concrets et immédiats, pas une perspective statistique lointaine.
Les impacts réels et documentés
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