William Saurin et le mirage du marché senior : quand le géant de la conserve se prend les pieds dans le tapis roulant de l'âge d'or
Analyse de l'échec de La Cuisine de William sur le marché des seniors : comment Cofigeo, géant de l'agroalimentaire, a sous-estimé les défis du secteur et mal interprété les besoins de sa cible.
Bienvenue dans Longévité, où j'analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette édition, je décortique la tentative ratée de William Saurin sur le marché des seniors (2020 - 2022).
J’analyse ce cas en profondeur et j’essaie de répondre à LA grande question : Comment créer une marque générationnelle pour les boomers ?
Par une chaude journée d'août 2020, alors que la France sort à peine d'un confinement qui a bouleversé les habitudes alimentaires de millions de personnes, une nouvelle marque fait son apparition sur le marché.
La Cuisine de William, avec son logo à la graphie évocatrice mais sans revendication claire de ses liens avec le géant William Saurin, se lance dans l'aventure de l'alimentation pour seniors.
Le concept est simple mais ambitieux.
Proposer des plats préparés de qualité, adaptés aux besoins nutritionnels des personnes âgées, le tout accessible d'un simple clic. La marque concocte une stratégie marketing et vente 100% digitale.
Un mois plus tard, en septembre, les téléspectateurs découvrent pour la première fois le spot publicitaire de La Cuisine de William, une invitation à repenser l'alimentation des seniors.
Le groupe derrière la marque
Derrière cette nouvelle marque se cache Cofigeo, un géant de l'agroalimentaire français. Avec un chiffre d'affaires de 320 millions d'euros en 2020, Cofigeo domine le marché des plats cuisinés en France, détenant 65 % des volumes en combinant ses marques propres et les marques “distributeur”.
Premier succès… Mitigé
Rapidement, La Cuisine de William enregistre 25 000 ventes.
Pour une start-up partant de zéro, ce chiffre aurait été salué comme une preuve de concept en béton armé. Mais pour une filiale de Cofigeo, c'est comme si Metallica s’enorgueillissait de faire le plein pour un concert à la MJC de Bretigny-Sur-Orge.
William Saurin écoulant 40 millions de conserves par an, gageons que sa filiale senior s’est donné des objectifs un poil plus ambitieux que ces 25 000 ventes !
Si la stratégie initiale a fait chou blanc, il faut se réinventer… Et au trot !
Ne pouvant concurrencer ses propres produits en supermarché, La Cuisine de William envisage une nouvelle stratégie. Elle se tourne vers ceux qui — selon les stratèges de Cofigeo — côtoient quotidiennement les seniors : les services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAD). Cette décision, logique en apparence, va révéler une profonde incompréhension du marché des seniors et de la réalité du terrain.
C'est cette histoire, mêlant ambitions, innovations et désillusions, que nous allons explorer. Un récit qui vous éclaire autant sur les complexités du marché des seniors que sur les défis de l'innovation dans le secteur alimentaire, même pour un géant comme Cofigeo.
I. Cofigeo : un géant de l'agroalimentaire à la conquête d'un nouveau marché
Cofigeo, un titan de l'industrie agroalimentaire française, domine le marché des plats cuisinés avec une part impressionnante de 65 %. Affichant un chiffre d'affaires de 320 millions d'euros en 2020, le groupe emploie 1 200 salariés répartis dans huit usines à travers l'Hexagone.
Son portfolio de marques emblématiques — William Saurin, Raynal et Roquelaure, Zapetti, Garbit et Petitjean — évoque des noms familiers dans les foyers français depuis des générations.
La stratégie senior
La décision de Cofigeo de se lancer sur le marché des seniors avec La Cuisine de William témoigne d'une volonté d'expansion stratégique.
Face à un marché des plats cuisinés traditionnels saturé, le groupe voit dans le segment senior une opportunité de croissance prometteuse.
Cette initiative reflète également une prise de conscience des enjeux démographiques et des besoins spécifiques d'une population vieillissante — un marché en pleine expansion qui offre des perspectives alléchantes pour un groupe déjà bien établi.
II. Le contexte : un marché des seniors prometteur mais complexe
Le marché de l'alimentation pour seniors représente une opportunité considérable. Porté par le vieillissement de la population et l'augmentation de l'espérance de vie, il attire l'attention des entreprises agroalimentaires.
Les seniors d'aujourd'hui, souvent plus aisés et soucieux de leur santé que leurs aïeux, constituent une cible attractive.
Cependant, ce marché présente des défis uniques.
Les seniors forment un groupe hétérogène aux besoins et préférences variés. Certains privilégient la facilité de préparation, d'autres le goût et la qualité, tandis que d'autres encore accordent une importance primordiale à la valeur nutritionnelle.
De plus, l'alimentation des seniors est étroitement liée à des enjeux de santé publique, notamment la prévention de la dénutrition et le maintien de l'autonomie.
Ces considérations rendent le marché complexe à appréhender et à satisfaire pleinement, même pour un géant comme Cofigeo.
III. La stratégie initiale de La Cuisine de William
La Cuisine de William opte pour une stratégie de vente directe aux consommateurs (B2C) via une plateforme numérique. Ce choix du « tout digital » vise à capitaliser sur l'essor du commerce en ligne, y compris chez les seniors, et à proposer une solution pratique pour commander des repas adaptés depuis son domicile.
Cette approche permet à La Cuisine de William de se démarquer de l'image « grande surface » associée à William Saurin et d'éviter toute cannibalisation des produits du groupe en supermarché.
Cependant, les premiers résultats s'avèrent mitigés. Avec seulement 25 000 ventes, La Cuisine de William est loin des objectifs fixés, surtout en comparaison des 40 millions de conserves écoulées annuellement par William Saurin. Cette performance met en lumière les limites de cette approche face aux ambitions d'un groupe de l'envergure de Cofigeo.
IV. Le pivot vers le B2B2C : une solution apparente
En réaction à ces résultats décevants, La Cuisine de William envisage une nouvelle stratégie. Ne pouvant concurrencer ses propres produits en supermarché, la marque se tourne vers les services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAD) comme partenaires potentiels.
Cette décision semble logique : les SAD sont en contact quotidien avec les seniors, offrant ainsi un canal de distribution direct vers la cible visée.
Les espoirs placés dans cette nouvelle stratégie sont grands. La Cuisine de William compte s'appuyer sur la confiance établie entre les SAD et leurs bénéficiaires pour promouvoir ses produits.
De plus, cette approche pourrait permettre d'atteindre des seniors moins à l'aise avec les outils numériques. Cependant, ce pivot révèle aussi une compréhension imparfaite du marché des seniors et de la réalité du terrain, soulevant de nouveaux défis que la marque n'avait pas anticipé.
V. Les obstacles rencontrés
Une lecture erronée du marché des seniors
La stratégie de La Cuisine de William de s'associer aux SAD révèle une compréhension incomplète du marché des seniors. Le public des SAD est composé de personnes âgées fragiles, parfois avec des problèmes de santé ou de mobilité.
Ce profil diffère significativement de la cible initiale de La Cuisine de William : des seniors actifs et indépendants.
De plus, les intervenants à domicile des SAD, bien qu'en contact régulier avec les seniors, ne sont ni formés ni destinés à jouer un rôle commercial. Leur mission principale est l'aide et le soin, non la promotion de produits alimentaires.
Cette inadéquation entre les attentes de La Cuisine de William et la réalité du terrain crée un fossé difficile à combler, mettant en lumière les défis de l'intégration d'une offre commerciale en B2B2C via les services à la personne.
Problème d'image et de positionnement
Malgré ses efforts pour se positionner comme une marque spécialisée pour seniors, La Cuisine de William peine à se dissocier de l'image « grande distribution » associée à William Saurin. Cette perception entrave la différenciation de ses produits par rapport aux plats préparés classiques.
Par ailleurs, la marque fait face au délicat équilibre entre cibler efficacement les seniors et éviter de les stigmatiser.
Communiquer sur des produits pour seniors peut être perçu négativement par une partie de la population âgée qui ne se considère pas comme vieille ou dépendante.
Cette difficulté à trouver le bon ton dans sa communication limite l'attrait de la marque auprès de sa cible, illustrant les subtilités du silver marketing.
Quiproquo avec les partenaires potentiels
L'association avec les SAD se heurte à un obstacle économique et commercial. Les marges sur les produits de La Cuisine de William, vendus à moins de 5 euros l'unité, s'avèrent peu attractives pour les SAD.
Ces structures, déjà sous pression financière, ne voient pas l'intérêt de s'engager dans une activité commerciale annexe aux bénéfices limités.
De plus, les dirigeants de SAD, concentrés sur leur cœur de métier et les défis quotidiens de l'aide à domicile, ne perçoivent pas toujours la valeur ajoutée d'un tel partenariat.
Cette approche révèle une erreur d'appréciation de Cofigeo, similaire à celle commise par La Poste quelques années auparavant avec sa tablette Ardoiz et ses abonnements « Veiller sur mes parents ».
Dans les deux cas, ces grandes entreprises ont mal compris les motivations et le profil des intervenants à domicile. Cette méconnaissance du terrain conduit à une offre mal adaptée et à une approche inadéquate des partenaires potentiels.
VI. Mon analyse des causes de l'échec
L'échec de La Cuisine de William sur le marché des seniors met en lumière plusieurs facteurs critiques.
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