L’augmentation de l’espérance de vie n’est pas due à un allongement de la durée de vie
Mais à la disparition progressive des causes de mortalité liées à l'âge
Le 16 juin 2021, une équipe scientifique internationale a publié une étude renversante. Ce travail de recherche démontre que l’augmentation de l’espérance de vie n’est pas due à un allongement de la durée de vie, mais à la disparition progressive des causes de mortalité qui ne soient pas liées à l’âge.
Dit autrement : nous ne vivons pas plus longtemps, mais moins de gens meurent jeunes.
il me semble intéressant de partager avec vous une actualité scientifique dont la médiatisation est inversement proportionnelle à la complexité - ce qui n’est sans doutes pas une coïncidence !
L’article paru dans la revue Nature s’appuie sur des concepts souvent mal compris comme l’espérance de vie et l’âge de décès moyen. Afin de vous aider à mieux cerner le sujet, je vous propose - dans un propos introductif - d’expliquer ce que sont l’espérance de vie et les notions associées. Je vous donnerai ensuite un éclairage sur l’étude et je conclurai par l’avis éclairé d’un expert du sujet.
On est partis ?
C’est quoi l’espérance de vie ?
L’espérance de vie donne une information, et une seule. L’âge maximum théorique qu’une personne née l’année suivant la mesure peut espérer atteindre si les conditions sanitaires et sociales du pays restent identiques à celles de l’année de mesure.
⬆️ la courbe de l’espérance de vie, troublée par les guerres qui ont égrenné notre histoire, croît sans discontinuer depuis 1945.
Modes de calcul de l’espérance de vie
Le plus simple pour calculer l’espérance de vie pourrait consister à compter les morts afin de calculer la moyenne de l’âge de décès de tous les morts sur une année. Mais procéder directement à la moyenne des âges de décès pose deux problèmes.
Ce calcul mélange des données disparates. Des gens décédés à l’âge de 80 ans qui ont vécu une vie très différente de ceux décédés à l’âge de 10 ans.
Le calcul de la moyenne ne permet pas de comparer des pays dont les structures de population sont différentes.
Si vous comparez les moyennes des âges de décès à un pays qui compte beaucoup de jeunes, par rapport à celles d’un pays qui compte beaucoup de personnes âgées, même si en moyenne les nombres de morts sont identiques dans les deux pays, vous obtiendrez une moyenne beaucoup plus faible dans le pays très jeune.
C’est pourquoi nous devons rechercher une méthode de calcul qui fait ressortir ces nuances.
Pourquoi pas un âge moyen de décès sur une cohorte ?
C’est-à-dire un groupe homogène d’individus qui sont nés durant une année donnée. Par exemple, on regarde toutes les personnes nées en 1850, on les suit au cours du temps, on note les âges de décès et on fait la moyenne. Cela donne un indicateur plus fiable, car tous les individus ont connu peu ou prou le même genre d’existence.
Mais il y a un point délicat.
Nous devrons attendre que tout le monde soit mort avant de faire notre calcul. Pour l’année 1850, cela ne devrait pas poser de problème. En revanche, ce n’est pas un système très adapté aux projections annuelles !
Nous devons chercher un système qui a la clarté de la moyenne et la fiabilité de la cohorte. Pour y parvenir, les démographes réalisent une moyenne sur une cohorte fictive construite à partir des tables de mortalité. Cela semble un peu compliqué ! Essayons d’y voir plus clair en découpant le procédé.
Les tables de mortalité
Une table de mortalité est une liste des taux de mortalité par classe d’âge pour une année donnée. Pour chaque classe d’âge, la table de mortalité recense le nombre de morts dans l’année divisée par le nombre total d’êtres humains recensés dans le pays. Les morts qui avaient entre zéro et un an, entre un an et deux ans, et ainsi de suite jusqu’à la classe ultime des morts qui avaient l’âge le plus avancé. Une fois que l’on a réalisé ce recueil, on crée une population fictive de 100 000 personnes et on applique à chaque âge le taux de mortalité emprunté à la table de mortalité.
On va fabriquer une population en donnant un âge à chacun des 100 000 individus de notre cohorte fictive. Par exemple, si le taux de mortalité pour la classe de zéro à un an est de 1 pour mille, notre cohorte compte 100 000 x 0,001 = 100 individus. Une fois le travail terminé, on dispose de la liste complète des âges de décès de ces 100 000 personnes fictives. C’est à partir de ces données que l’on calcule l’âge moyen de décès de la cohorte. Et cet âge moyen, c’est l’espérance de vie.
D’accord, mais cela semble un peu tordu, non ? Pourquoi ce résultat est-il plus fiable ?
L’espérance de vie ne dépend pas de la structure de la population
Contrairement à la moyenne, ce résultat ne dépend pas de la structure de la population. L’espérance de vie contient l’information sur les taux de mortalité de l’année choisie et permet de faire des prédictions.
Par exemple, on peut dire que les enfants qui naissent en 2020, s’ils ont exactement les mêmes conditions de vie que les humains de 2019, vivront en moyenne aussi longtemps que l’espérance de vie de 2019. C’est vrai, c’est très théorique et peu réaliste.
Cette probabilité qui ne tient compte ni des progrès médicaux et sanitaires ni — à l’opposé — des guerres et des épidémies donne une tendance. Elle est plus utile pour faire des comparaisons historiques ou internationales que pour savoir individuellement quelle est votre espérance de vie personnelle.
Qu’est-ce qui fait varier l’espérance de vie ?
Nous savons à présent calculer l’espérance de vie et nous comprenons comment elle varie. Cette donnée permet de faire des comparaisons entre les pays et de suivre l’évolution de l’espérance de vie au cours des âges. Vous devez vous assurer que les données comparées sont cohérentes.
L’espérance de vie est éclairée par les données qui la constituent. Prenons un exemple en analysant l’évolution de l’espérance de vie, en France, depuis le Moyen Âge.
Nous avons vu que pour calculer l’espérance de vie, nous devons disposer de la table de mortalité. C’est-à-dire le relevé de toutes les naissances et de tous les décès. Premier problème, pour la France et l’Europe, cette donnée n’est relevée scientifiquement que depuis le 19e siècle. Nous ne pouvons pas faire un calcul de l’espérance de vie au Moyen Âge sauf à faire du spécifique pour une population sur laquelle nous avons ces informations, comme les nobles ou — encore mieux — les familles régnantes. En outre, quand bien même nous parviendrions à reconstituer les tables de mortalité de l’époque, l’espérance de vie doit être analysée avec circonspection, parce que la structure de la population a énormément changé en quelques centaines d’années.
Analyse d’une variation pour bien comprendre
Pour le comprendre, comparons la structure de la population française en 2014 et en 1806. Aujourd’hui, l’espérance de vie reflète bien la réalité de l’âge moyen de la mort.
Si l’on compare le chiffre de l’espérance de vie avec la moyenne et la médiane, on est dans des valeurs très voisines et proches de l’âge maximum de vie constaté pour la période.
Mais si la distribution des données est différente, cela attire la moyenne vers le pic de distribution.
Cela provoque une décorrélation entre la moyenne, la médiane et l’âge maximum de la vie.
Conclusion : dans les pays ou aux époques où la mortalité est élevée, l’espérance de vie ne reflète pas l’âge typique auquel les gens meurent ou mourraient.
Et vous dans tout cela ?
L’espérance de vie à la naissance n’est pas pratique pour calculer votre espérance de vie individuelle, que les démographes appellent l’espérance de vie résiduelle. Pour calculer cette espérance de vie résiduelle, nous devons avoir recours à une moyenne tronquée. On enlève les données qui ne sont pas utiles au calcul.
L’espérance de vie résiduelle se calcule sur les estimations des taux de mortalité à l’âge pour lequel vous souhaitez réaliser votre mesure.
On reprend notre table de mortalité en supprimant les données antérieures à cet âge. On constitue ensuite une nouvelle population fictive de 100 000 individus avec les classes d’âge qui nous intéressent. Ainsi, en 2019, l’espérance de vie :
à 40 ans est de 81,1 ans pour les hommes et 86,4 ans pour les femmes
À 65 ans est de 84,6 ans pour les hommes et 87 ans pour les femmes
Et si l’on reprend notre année 1806 :
L’espérance de vie à la naissance est de 42 ans,
L’espérance de vie à 10 ans est de 59 ans,
La courbe de survie
Ces mesures individuelles ne permettent pas d’obtenir une vue complète de la situation et surtout de l’évolution de la mortalité par classe d’âge. Pour obtenir cette représentation, nous devons construire un diagramme qui est appelé courbe de survie où x = âge et y = nombre de survivants sur 1000 personnes. La courbe de survie mesure l’évolution de l’espérance de vie au cours du temps.
Comparons à nouveau 1806 et 2014.
La courbe s’arrondit entre les deux relevés. De concave, elle devient convexe. Cette poussée est due à :
l’augmentation de l’espérance de vie,
La disparition de la mortalité infantile,
La raréfaction et des causes de mort des êtres humains avant 65 ans.
Rectangulariser la courbe
Le profil de 2017 correspond à un phénomène appelé la rectangularisation de la courbe. Cela signifie que la courbe tend à atteindre une forme rectangulaire, car la mort ne frappe pas avant la sénescence.
C’est sur ce phénomène que porte l’étude publiée dans Nature et je me devais de vous donner les éléments de contexte pour bien en cerner la portée.
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A présent, revenons à nos 🐑
Selon ce fameux article paru dans Nature :
On ne vit pas plus longtemps, mais moins de gens meurent jeunes
Le but de cette étude est de découvrir s’il est possible de ralentir la vitesse du vieillissement, ou si les contraintes biologiques limitent sa plasticité.
L’équipe de chercheurs a testé l'hypothèse du taux de vieillissement invariant - qui postule que le taux de vieillissement est relativement fixe au sein des espèces - en analysant les données démographiques de 39 ensembles de données de primates humains et non humains dans sept genres.
Elle commence par récapituler, chez les primates non humains, la relation très régulière entre l'espérance de vie et l'égalité de la durée de vie observée chez l'homme.
Elle démontre ensuite que la variation du taux de vieillissement au sein des genres est de plusieurs ordres de grandeur plus petite que la variation de la mortalité pré-adulte et indépendante de l'âge.
Enfin, elle démontre que les changements du taux de vieillissement, mais pas d'autres paramètres de mortalité, produisent des changements frappants et atypiques pour les espèces dans les schémas de mortalité.
Les résultats soutiennent l'hypothèse du taux de vieillissement invariant, impliquant des contraintes biologiques sur la mesure dans laquelle le taux de vieillissement humain peut être ralenti.
La mort humaine est inévitable. Peu importe combien de vitamines nous prenons, à quel point notre environnement est sain ou combien nous faisons de l’exercice, nous finirons par vieillir et mourir.
Dit autrement, les gourous de l’anti-âgisme racontent des sornettes. A ce jour, il n’existe pas un régime alimentaire ou une pilule miracle qui permette de dépasser la limite connue de la vie humaine : le chiffre de 125 ans qui fait consensus dans la communauté scientifique demeure la limite ultime.
Une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
Si la recherche scientifique contribue à éradiquer les causes de mortalité liées au vieillissement, l’augmentation de l’espérance de vie se poursuivra, non pas parce que des super centenaires dépasseront les 125 années de vie, mais parce que l’ensemble de l’humanité vivra globalement de plus en plus longtemps.
Et à ce propos - toujours la semaine dernière, décidément riche en émotions - un longétiviste bien connu a fait une déclaration bien plus fracassante que l’union des gauches aux régionales en Ile-de-France.
Réagissant à l’étude dont nous venons de parler, Aubrey de Grey, le fondateur de la fondation SENS (une ONG qui recherche un remède au vieillissement) a déclaré qu’il sera plus utile de rajeunir les vieux que de ralentir le vieillissement.
Dit autrement, il vaut mieux rechercher la fontaine de Jouvence que le sérum de vie éternelle.
Pour aller plus loin dans la pensée de Aubrey de Grey, j’ai déniché une explication claire et rationnelle du concept sur le site Fight Aging (affilié à la fondation SENS).
La fontaine de Jouvence
Si la recherche scientifique progresse au même rythme qu’aujourd'hui, il nous faudra au moins 20 ans avant de pouvoir commercialiser la première thérapie efficace pour ralentir ou inverser le vieillissement. Beaucoup d'entre nous seront vieux à ce moment-là. Les méthodes de ralentissement du vieillissement qui fonctionnent en réduisant le rythme auquel les dommages s'accumulent feront très peu pour quelqu'un qui est déjà âgé et très endommagé.
Une thérapie qui peut même inverser partiellement le vieillissement en réparant les dommages qui causent la dégénérescence sera beaucoup plus bénéfique pour les personnes âgées. De plus, une thérapie qui répare les dommages peut être utilisée encore et encore car les dommages se reproduisent avec le temps, et apportera un bénéfice à chaque fois qu'elle est utilisée.
Les médicaments qui ralentissent le vieillissement devraient être pris sur une base continue, ne produisant qu'un petit bénéfice de courte durée à chaque dose, et le résultat final est toujours qu'un individu vieillira jusqu'à la mort. En comparaison, un ensemble de thérapies réparatrices suffisamment efficaces pourrait être entrepris une fois toutes les quelques années pour retarder indéfiniment la progression du vieillissement.
Les différences d'utilité sont très claires.
Donc, si des milliards de dollars et des décennies de temps doivent être consacrés au développement d'un moyen de ralentir le vieillissement ou d'inverser le vieillissement, pourquoi ne pas travailler sur la solution manifestement meilleure plutôt que sur la solution manifestement pire, étant donné que les coûts sont du même ordre ?
La véritable menace pour notre avenir que je vois aujourd'hui est que la majeure partie du financement et des travaux actuels sur la longévité humaine se concentre sur la découverte de médicaments pour ralentir le vieillissement - une recherche qui n'apportera probablement que peu ou pas d'avantages pour toute personne entrant dans l'âge moyen aujourd'hui.
Si vous et moi voulons vivre plus longtemps et en meilleure santé, alors le travail de rajeunissement doit devenir la priorité.
Le mot de la fin
Trop souvent perçue comme futile, la recherche sur les causes du vieillissement pourrait apporter une solution radicale au problème de la dépendance… en la supprimant purement et simplement.
Je ne dis pas que c’est “pour demain”, mais ne nous interdisons pas d’y réfléchir.
Quel est votre avis sur la question ?
Bravo ! Pas facile d'expliquer l'espérance de vie !
Merci - SI cela "rapporte" je suis sur que le Marché proposera des solutions ... SI cela coûte un "pognon de dingues" comme du l'Autre je suis inquiet "politiquement" ... les Jeunes vont-ils pouvoir prendre cette problèmatique en compte ??? Vaste sujet et inquiétudes vu l'égocentrisme de nos sociétés. Soyons en veille !