CNSA : l'usine à gaz
Je décortique le rapport annuel 2024 et la feuille de route 2025 de la CNSA et je vous en livre une synthèse digeste (et critique)
Bienvenue dans Longévité où, 2 fois par semaine, j’analyse les acteurs qui font la société de la longévité.
La CNSA vient de publier le premier rapport d'activité de la branche autonomie, un document de 150 pages qui dresse un état des lieux exhaustif de son action.
C'est l'occasion, pour cette institution devenue en quelques années le grand argentier du médico-social, de justifier l'utilisation des 40 milliards d'euros qu'elle gère. Mais au-delà des chiffres et des constats, ce rapport soulève des questions fondamentales sur le rôle même de la CNSA et sa dérive progressive vers un interventionnisme tous azimuts.
Car sous couvert de coordination et d'innovation, c'est bien une forme d'étatisation rampante du secteur qui se dessine.
La feuille de route 2025, présentée simultanément, confirme cette tendance inquiétante : multiplication des missions, création d'instances de contrôle, normalisation croissante...
À l'heure où le vieillissement de la population exige des réponses agiles et innovantes, cette bureaucratisation galopante interroge.
Il est temps de s'interroger sur la pertinence de ce modèle et d'envisager une approche plus libérale, qui laisserait davantage de place aux initiatives privées tout en recentrant la CNSA sur sa mission première : la gestion des prestations d'autonomie.
J’ai donc pris mon courage à deux mains et secondé par la géniale IA NotebookLM, j’ai décortiqué le rapport et je vous en livre une synthèse à ma façon.
À travers cette analyse, j’essaie de répondre à LA grande question :
Comment se passer de l’Etat pour adapter la société au vieillissement ?
Un premier rapport qui soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses
En publiant ce premier rapport de la branche autonomie, la CNSA concrétise une obligation légale issue de sa transformation en caisse de sécurité sociale depuis le 1er janvier 2021.
Le document, dense et technique, apporte un éclairage utile sur l'utilisation des 40 milliards d'euros gérés par la caisse.
Mais à y regarder de plus près, il ressemble davantage à une justification a posteriori qu'à une véritable analyse stratégique.
La photographie imparfaite d'un système complexe
Le rapport dresse un état des lieux détaillé des publics concernés par la perte d'autonomie : 7 millions de personnes de plus de 75 ans, plus de 3 millions de personnes en situation de limitation sévère, 9 millions d'aidants...
Des chiffres impressionnants qui masquent mal l'absence de projection fiable sur l'évolution de ces populations.
Si le vieillissement est évoqué comme un défi majeur, avec une estimation de 11,3 millions de personnes âgées de 75 ans ou plus en 2050, le rapport reste étonnamment discret sur les implications financières de cette transformation démographique.
Les angles morts du financement
Plus problématique encore est le silence du rapport sur la pérennité du modèle de financement. La CSG, initialement conçue comme une contribution temporaire, est devenue la source principale de financement de la branche autonomie.
Cette situation pose question à double titre : d'une part sur la légitimité du détournement de cette contribution de son objectif initial, d'autre part sur la soutenabilité d'un système qui repose sur les actifs dans un contexte de dégradation continue du ratio actifs/retraités et de remise en question du système de répartition.
Des zones d'ombre préoccupantes
Le rapport évite soigneusement d'aborder certaines questions pourtant cruciales. Quid de l'efficience des dépenses engagées ? Le document détaille les montants alloués aux différents dispositifs mais n'apporte aucun élément d'évaluation de leur impact réel.
La multiplication des instances de coordination, des comités de pilotage et autres structures bureaucratiques est présentée comme une évidence, sans que leur valeur ajoutée ne soit démontrée.
Plus surprenant encore est l'absence totale de réflexion sur les alternatives au "tout public". Alors que le secteur privé démontre régulièrement sa capacité à innover et à apporter des solutions efficientes, le rapport reste enfermé dans une vision stato-centrée du soutien à l'autonomie.
Ce premier rapport de la branche autonomie apparaît ainsi comme une occasion manquée d'engager une réflexion de fond sur l'avenir du système. Au lieu de cela, il semble davantage servir de caution à l'expansion continue du périmètre d'action de la CNSA.
Une institution qui peine à justifier l'expansion de ses missions
L'évolution de la CNSA ces dernières années est symptomatique d'une dérive bureaucratique classique : partie d'un objectif clair - la gestion des prestations d'autonomie - elle s'est progressivement transformée en un mastodonte administratif aux ambitions tentaculaires.
De la gestion de prestations à l'interventionnisme public
Le rapport de la branche autonomie illustre parfaitement cette mutation. Au-delà de sa mission première de financement des prestations (APA, PCH), la CNSA s'est arrogé de multiples prérogatives : pilotage de la prévention, animation territoriale, coordination des acteurs, développement de l'innovation... Une expansion qui pose question tant sur sa légitimité que sur son efficacité.
Le centre de preuve : anatomie d'une usine à gaz administrative
L'exemple du centre de preuve est particulièrement révélateur. Confié à l'Union des Gérontopôles de France, ce dispositif est censé "capitaliser et diffuser les actions de prévention probantes".
En pratique, il s'agit surtout de créer une nouvelle strate administrative, avec ses comités de pilotage, ses programmes de recherche et ses budgets dédiés.
Le tout pour un résultat plus que discutable : quelle est la valeur ajoutée réelle de cette structure par rapport aux mécanismes naturels d'émergence et de diffusion des bonnes pratiques ?
La dérive normative : le cas du SPDA
Plus préoccupante encore est l'expérience du Service Public Départemental de l'Autonomie (SPDA). Lancé en 2024 dans 18 départements "préfigurateurs", ce dispositif visait à créer un guichet unique pour les personnes en perte d'autonomie.
Un an plus tard, silence radio : la feuille de route 2025 n'y fait qu'une mention rapide, sans bilan ni perspective claire. Cette absence de suivi interroge sur la pertinence même de ces expérimentations coûteuses.
Une bureaucratisation rampante
Ce qui se dessine à travers ces exemples, c'est bien une forme de bureaucratisation rampante.
Chaque nouvelle initiative de la CNSA se traduit par la création de nouvelles instances, de nouveaux cadres normatifs, de nouvelles procédures.
Une complexification qui, loin de faciliter l'accès aux droits, risque au contraire de freiner l'innovation et d'alourdir les coûts de gestion.
Cette dérive est d'autant plus problématique qu'elle s'opère sans véritable contrôle ni évaluation de son efficience. La CNSA semble avoir fait sienne cette maxime de l'administration française : étendre son périmètre d'action sans jamais remettre en question la pertinence de ses interventions.
La feuille de route 2025 : le risque d'un étatisme contreproductif
La feuille de route 2025 de la CNSA, présentée en même temps que le rapport de la branche autonomie, confirme cette tendance à l'expansion bureaucratique. Sous couvert de "transformation de l'offre" et d'innovation, c'est en réalité une vision profondément étatiste qui se dessine.
Une ambition démesurée aux contours flous
La CNSA affirme vouloir "inventer ensemble une nouvelle forme de protection sociale". Une formule qui sonne bien mais qui pose question : de quel droit une caisse de sécurité sociale s'arroge-t-elle la mission de réinventer notre modèle social ?
Cette ambition démesurée traduit une confusion des rôles : la CNSA n'est pas le législateur, encore moins le concepteur légitime de notre système de protection sociale.
Un financement qui pose question
Le modèle de financement illustre parfaitement cette dérive administrative. La CNSA s'appuie principalement sur la CSG, un impôt social dont l'histoire est révélatrice.
Créé en 1990 comme une mesure temporaire pour combler le déficit de la Sécurité sociale, avec un taux initial de 1,1%, cet impôt n'a cessé de croître pour atteindre aujourd'hui 9,2%. Initialement destiné à financer la branche Famille, il a vu son périmètre s'étendre continuellement, jusqu'à devenir la source principale de financement de la branche autonomie.
Cette instrumentalisation d'une taxe "provisoire" pose un double problème de légitimité démocratique.
D'une part, elle illustre la facilité avec laquelle l'administration détourne des dispositifs temporaires pour en faire des sources pérennes de financement.
D'autre part, elle témoigne d'une forme d'improvisation dans le financement de la dépendance : plutôt que de concevoir un modèle économique cohérent et transparent, on préfère ponctionner toujours davantage une ressource existante.
Plus inquiétant encore, la CNSA prévoit d'augmenter ses ressources via la CSG dès 2024, sans véritable débat sur la pertinence de cette ponction supplémentaire sur les actifs.
Cette fuite en avant fiscale est d'autant plus problématique qu'elle s'opère dans un contexte de vieillissement démographique qui fragilise déjà l'équilibre entre actifs et retraités.
L'absence de vision prospective
Alors que le vieillissement de la population pose des défis majeurs pour les décennies à venir, la feuille de route 2025 reste étonnamment muette sur la soutenabilité du système.
Comment financer l'autonomie dans un contexte de dégradation continue du ratio actifs/retraités ?
Quelle place pour les mécanismes assurantiels privés ?
Ces questions fondamentales sont évacuées au profit d'un catalogue d'actions administratives.
La tentation du contrôle total
Plus préoccupante encore est la volonté affichée de contrôler l'ensemble du secteur. La CNSA multiplie les initiatives pour encadrer, normaliser, standardiser les pratiques. Du "centre de preuve" au "Service Public Départemental de l'Autonomie", chaque nouveau dispositif vient ajouter sa couche de complexité administrative.
Cette approche top-down nie la capacité d'innovation des acteurs de terrain et risque d'étouffer les initiatives privées.
En définitive, cette feuille de route 2025 ressemble davantage à un programme d'expansion bureaucratique qu'à une véritable stratégie d'adaptation aux défis de l'autonomie.
Elle illustre parfaitement les limites d'une approche étatiste face à des enjeux qui appelleraient plus de souplesse et d'innovation.
Approfondissez le sujet SPDA avec l’étude que nous en avons faite au printemps 2024 :
Pour une approche libérale et efficiente de l'autonomie
Face à cette dérive bureaucratique, il est urgent de repenser fondamentalement notre approche du soutien à l'autonomie. Non pas en multipliant les structures administratives, mais en libérant les énergies et en recentrant la CNSA sur ses missions essentielles.
Recentrer la CNSA sur son cœur de métier
La première urgence est de ramener la CNSA à sa mission première : la gestion efficace des prestations d'autonomie. Les 40 milliards d'euros qu'elle gère devraient être prioritairement consacrés au versement de l'APA et de la PCH, plutôt qu'à financer une multiplication d'instances de coordination et de programmes expérimentaux à l'utilité discutable.
Libérer les initiatives privées
Le secteur privé a démontré sa capacité à innover et à apporter des solutions efficientes, notamment dans le domaine des services à la personne ou de l'habitat inclusif.
Soutenus par leurs fédérations professionnelles, les acteurs ont su développer des modèles économiques viables sans recourir systématiquement aux subventions publiques.
C'est cette voie qu'il faut encourager, plutôt que de chercher à tout prix à créer des dispositifs publics concurrents.
Pour un nouveau modèle de régulation
L'approche normative et centralisée actuelle doit céder la place à une régulation intelligente qui fait confiance aux acteurs de terrain. Il ne s'agit pas de supprimer tout contrôle, mais de le recentrer sur l'essentiel : la sécurité des personnes et la qualité fondamentale des prestations.
Pour le reste, faisons confiance au marché et à la capacité d'innovation des entrepreneurs.
L'expérience montre que les meilleures pratiques émergent naturellement de la confrontation des idées et des solutions sur le terrain. Les entrepreneurs, en contact direct avec les besoins des personnes âgées et de leurs familles, sont les mieux placés pour développer des réponses adaptées.
La CNSA devrait se contenter d'observer et de faciliter cette émergence, plutôt que de chercher à tout prix à l'encadrer et la normaliser.
Cette liberté d'innovation est particulièrement cruciale dans un secteur qui doit faire face à des défis majeurs : évolution des besoins, nouvelles technologies, contraintes budgétaires...
Seule une régulation souple permettra l'émergence de modèles organisationnels et économiques innovants, capables de répondre à ces enjeux.
Repenser le financement
La question du financement mérite une refonte en profondeur. Si un socle de solidarité nationale reste indispensable pour les plus vulnérables, il est temps d'encourager activement le développement de solutions complémentaires.
L'assurance autonomie privée, aujourd'hui sous-développée en France, pourrait jouer un rôle majeur pour les classes moyennes et supérieures, à condition de créer un cadre fiscal incitatif approprié.
La mobilisation de l'épargne individuelle constitue une autre piste prometteuse. Les Français disposent d'une épargne considérable, souvent mal orientée vers des placements peu productifs. Des dispositifs fiscaux intelligents pourraient encourager la constitution d'une épargne dédiée à l'autonomie, sur le modèle de ce qui existe déjà pour la retraite.
Enfin, la valorisation du patrimoine immobilier des seniors représente un gisement de financement largement sous-exploité.
Avec plus de 75% des seniors propriétaires de leur logement, souvent sans emprunt à rembourser, il existe là une ressource importante qui pourrait être mobilisée de façon plus efficace, notamment via des mécanismes de prêt viager hypothécaire modernisés ou de démembrement de propriété.
Conclusion
La CNSA, dans sa configuration actuelle, illustre parfaitement les limites du "tout public" face aux défis du vieillissement.
Son expansion continue, loin d'apporter des solutions, risque au contraire de freiner l'innovation et d'alourdir les coûts.
Il est temps de revenir à une approche plus équilibrée, où l'État se concentre sur ses missions régaliennes tout en laissant le champ libre aux initiatives privées. C'est à cette condition que nous pourrons construire un système de soutien à l'autonomie à la fois plus efficace et plus soutenable.
La CNSA est un exemple (parmi beaucoup d'autres) des conséquences d'une «superproduction» d'élites.
La taille des élites croit plus vite que les postes nécessaires à leur épanouissement.
Il faut donc créer de nouvelles tâches pour occuper l'excédent.
Dans ce registre les bac +10 excellent.
Ce ne serait pas grave si cela n'avait pas de répercussion sociale et financière sur le reste de la communauté et principalement la acteurs qui assurent la «vie réelle».
Je vous engage à relire Peter Tuchin (les causes de décadence des civilisations) ou Joseph Tainter (le phénomène de la multiplication des technostructures et les risques d'implosion sociale)
La pléthore d'élites serait-elle antisociale ?
Étrange paradoxe!