Comment j’ai créé le "collectif de l'habitat inclusif" et ce que m’a appris cette aventure
L'histoire secrète du collectif "150 000 en 2030", ses buts, sa stratégie, sa composition et les causes de sa dislocation | Que faut-il en retenir
Dans ce dossier Premium, je vous explique pourquoi et comment j’ai contribué à la création d’un collectif de l’habitat inclusif, ce qu’il a apporté à la réflexion sur ce modèle de vivre ensemble, pourquoi le collectif s’est arrêté. Et je vous partage mes apprentissages sur cette aventure humaine hors du commun.
Lundi matin, j’ai eu l’opportunité d’interviewer Denis Piveteau, le coauteur du rapport Piveteau-Wolfrom consacré à l’habitat alternatif dont la publication remonte à 4 ans, déjà (lire mon étude du rapport, réalisée en juin 2020).
En son temps, ce rapport a suscité un intérêt soutenu de la part des élus et fonctionnaires locaux, comme nationaux, car il proposait, enfin, un chiffrage du besoin en habitat alternatif.
140 000 places supplémentaires par an étaient préconisées pour répondre à une demande - supposée - croissante.
Ramené à d’autres chiffres de l’habitat collectif adapté : places en EHPAD (700 000), en résidence autonomie (120 000) ou comparé au nombre total de logements en France (28 millions) cette estimation du besoin semble dérisoire.
Et donc aisément atteignable.
140 000 sur dix ans, cela représente 14 000 logements par an. Soit à peine 10% du nombre total de logements neufs qui, chaque année, sortent de terre en France.
Sauf que l’habitat alternatif n’est pas produit par des promoteurs immobiliers ayant pignon sur rue, qui construisent les logements par lots de 1000.
Non.
L’habitat alternatif, c’est de l’artisanat
Le plus gros opérateur, Ages&Vie, créé en 2008 et cédé à Korian en 2020, propose seulement 186 colocations et environ 2500 places1.
Son challenger, CetteFamille annonçait - avant la guerre Russie vs Ukraine - l’ouverture de 500 maisons à horizon 2030, soit au maximum 5000 places, sans doute un peu moins2.
En 2022, la CNSA déclare avoir financé environ 1800 projets, mais seulement la moitié existent autrement que sur le papier, soit environ 6300 places (900 projets x 7 habitants).
Si je récapitule : 2500 + 5000 + 6300 = 13 800
La totalité de l’offre de ces trois acteurs n’atteint même pas le nombre de logements qui devraient être produits chaque année. Et encore, pour CetteFamille, j’utilise une projection à 10 ans, très éloignée de la taille actuelle du parc de cette jeune et dynamique entreprise sociale.
Et donc, même si ces trois pourvoyeurs ne totalisent pas 100% du marché, vous pouvez constater que l’écart entre l’intention et la réalité est colossal.
On pourra donc gloser en petit comité sur les mérites de cette forme de vivre ensemble (sécurité, convivialité, santé, prévention, prix, etc.), il faudrait susciter un sursaut plus radical pour transformer l’injonction en action.
Qu’est-ce qui freine la croissance de l’offre ?
Les faux freins : le problème n’est pas là
À mon avis, le problème ne se situe pas au niveau de la demande. Malgré des sursauts passagers liés à la conjecture, le secteur du logement n’est pas en crise puisqu’il répond à un besoin fondamental, celui d’être en sécurité sous un toit.
Les projets existants n’ont pas de mal à se remplir, à condition d’être installés dans des zones de chalandise pertinentes et d’être bien connectés à un réseau de prescripteurs locaux.
Un enjeu existe autour de l’investissement, surtout pour les petits projets isolés (ceux qui sont financés par la CNSA). Ce qui justifie la création de réseaux, plus aptes à séduire des investisseurs immobiliers avec un projet massif.
Les vrais freins : c’est difficile l’immobilier
La création d’un logement collectif pour personnes dépendantes ou handicapées n’est pas devenue une partie de plaisir par la magie d’un rapport gouvernemental.
Créer des projets était tout aussi difficile en juillet 2020 qu’un an auparavant !
Et donc, le nombre de candidats en lice pour créer des réseaux puissants et solides est très faible. Malgré leur talent et leurs ambitions, les projets français ne seront pas en mesure de répondre aux objectifs - pourtant peu ambitieux - de MM Piveteau et Wolfrom3.
Autre problème : la visibilité et la reconnaissance
Donc, d’une part, la profession manque de bras et de soutien politique pour faciliter les créations. Et d’autre part, malgré leurs atouts, les modèles manquent de visibilité populaire. Résultat : l’offre est insuffisante, la demande n’est pas éduquée (elle ignore l’existence de l’offre et n’a donc pas un effet de traction).
Or, à défaut d’une communication impactante, d’une offre stimulante et de perspectives éblouissantes, difficile de faire exploser l’offre comme la demande.
Les entrepreneurs pleins de sève préfèrent se lancer dans des projets prometteurs, soutenus par la demande et par les pouvoirs publics, comme l’IA en ce moment.
Ajoutez à cela que - des bénéficiaires aux élus - personne ne sait vraiment ce qu’est l’habitat alternatif.
Et vous disposerez d’un tableau assez complet des causes d’un marché timide.
Le blues de l’entrepreneur débutant
J’ai un ami qui s’appelle Stéphane Sauvé. Il va bientôt ouvrir sa première Maison de la Diversité, à Lyon. C’est un habitat partagé pour seniors LGBT+. Il y travaille depuis 2017. Cela fait donc 7 ans qu’il se bat pour faire sortir son projet de terre.
Son cas n’est pas isolé.
Quand on part de zéro, qu’on n’a ni expérience, ni terrain, ni budget, ni réputation, créer un projet demande au minimum 4 ans. 4 années où votre projet peut à chaque instant péricliter, si l’une de vos parties prenantes prend la tangente, que la réglementation évolue ou que le maire qui vous a tendu la main est battu aux élections et que son successeur privilégie la résidence autonomie ou l’EHPAD voisins.
Certes, des structures d’accompagnement et de représentation existent, mais elles ne sont pas faites pour tout le monde.
La représentation univoque de l’habitat alternatif
Il existe plusieurs organismes collectifs rassemblant les acteurs de l’habitat alternatif. On citera : Familles Solidaires, le collectif Habiter Autrement, le réseau HAPA et l’Observatoire de l’Habitat Inclusif. Hélas, ces organismes aux statuts variés ont un point commun : leur refus catégorique de l’offre commerciale.
Pour des raisons idéologiques, les organismes fédérateurs ne veulent pas être associés aux structures commerciales et préfèrent se complaire dans l’entresoi.
Quelques exceptions notables existent, mais les structures commerciales admises à la table bénéficient tout au plus d’un strapontin, voire d’un siège éjectable. Elles ne peuvent donc pas affirmer ouvertement leurs aspirations, ni parler boutique, au risque d’être évincées, bannies, clouées au pilori.
Pourtant certains acteurs commerciaux, qui ont développé un réseau massif, pourraient apporter à cet écosystème un niveau de réflexion adossé un niveau de développement qu’aucune autre structure membre de ces différentes instances ne peut prétendre avoir.
Alors, puisque les instances - soi-disant - représentatives ostracisent les acteurs commerciaux, pourquoi ne pas lancer un collectif qui les accueillerait, les représenterait et leur offrirait l’opportunité de parler d’une seule voix ?
C’est ce constat qui nous a décidés, avec Ages&Vie, à créer un collectif plus ouvert, qui accepterait tous les acteurs, quel que soit leur statut juridique, leurs convictions, leur raison d’être, leur taille et leur niveau d’avancement à condition qu’ils opèrent dans le champ de l’habitat alternatif.
150 000 en 2030
Nous avons baptisé cet organisme 150 000 en 2030, car nous étions encore plus ambitieux que MM Piveteau et Wolfrom !
Comment nous y sommes-nous pris ? Qu’avons-nous fait ? Comment ? Avec qui ? Qu’est-ce qui a marché et n’a pas marché ? Pourquoi le collectif s’est-il arrêté ? Qu’est-ce que je ferais différemment aujourd’hui ? Voici toutes les questions auxquelles je réponds dans la partie Premium de ce dossier.
Important : Ce que je vous partage aujourd’hui ici est en grande partie inédit, car je suis avec Simon Vouillot le seul à connaître toute l’histoire. Elle n’est pas secrète, mais ni Simon ni moi ne l’avons encore racontée. Vous avez de la chance !
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