Crédit d'impôt services à la personne : pourquoi cette épée de Damoclès sur un dispositif qui rapporte plus qu'il coûte ?
Rapport d'étonnement depuis les assises de la FESP : un secteur rentable pour l'État mais constamment menacé par l'instabilité budgétaire.
Bienvenue sur Longévité, la newsletter qui se questionne sur l’adaptation de la société au vieillissement et tous ses composants.
Hier matin, je me triturai les méninges à la recherche d’un bon sujet pour votre newsletter du mercredi quand je me suis rappelé que je devais participer aux assises de la FESP l’après-midi même et que, compte tenu de l’actualité brûlante autour d’une énième remise en question du crédit d’impôt sur l’aide à domicile, je tenais mon sujet.
La voici donc, cette newsletter et figurez-vous que, au-delà de la réflexion centrale sur les services et le rôle que joue le crédit d’impôt dans leur succès (4,7 millions de ménages utilisateurs), j’ai pris conscience de la place centrale que les SAP jouent dans l’adaptation de la société au vieillissement.
Jusqu’alors, je les voyais comme des acteurs de la Silver économie parmi d’autres, mais j’ai eu comme une illumination, voyant dans cette profession la colonne vertébrale de notre secteur. C’est encore frais dans ma tête et je dois donc poser le truc à plat pour mieux vous l’expliquer…
En attendant, je vous invite à découvrir ce que j’ai appris lors des Assises de la FESP et, si possible, de trouver la réponse à LA question :
Comment persuader les pouvoirs publics qu’une niche fiscale qui rapporte plus qu’elle coûte est un bon investissement pour le pays ?
Un secteur qui fonctionne, des entreprises qui prospèrent, des emplois qui se créent... et pourtant, l'épée de Damoclès budgétaire plane toujours.
Rapport d'étonnement depuis les Assises nationales de la FESP.
Mardi 3 juin, Station F.
Les assises nationales de la Fédération des Entreprises de Services à la Personne (FESP) sont en feu.
Sur scène se succèdent ministres, anciens ministres, dirigeants d'entreprises et experts économiques.
Tous convergent vers le même message : le crédit d'impôt fonctionne, génère plus qu'il coûte, et pourtant reste menacé à chaque exercice budgétaire.
Un paradoxe français qui interroge.
L'épée de Damoclès budgétaire
Le ton est donné dès l'ouverture par Brice Alzon, président de la FESP : face aux 40 milliards d'euros d'économies recherchées par le gouvernement pour 2026, les Services à la Personne sont dans le viseur.
La proposition d'Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, de recentrer la deuxième plus importante niche fiscale française (6,7 milliards d'euros en 2024) sur les seuls jeunes parents et personnes âgées dépendantes résonne comme une menace existentielle.
Cette inquiétude dépasse les frontières habituelles de la concurrence. Frank Nataf, président de la Fédésap - l'autre principale fédération professionnelle regroupant les acteurs privés commerciaux du secteur -, publie la veille un communiqué cinglant.
"Ce secteur est fragile, à faible rentabilité, mais à très forte utilité sociale", martèle-t-il.
Les chiffres qu'il brandit interpellent : 3 millions de salariés, 4,7 millions de ménages utilisateurs, un marché de 20 milliards d'euros et 250 000 emplois supplémentaires nécessaires d'ici 2030.
Que les deux principales fédérations du secteur, habituellement concurrentes, se retrouvent sur un combat commun en dit long sur l'urgence de la situation.
Face au péril budgétaire, FESP et Fédésap parlent d'une seule voix pour défendre leurs adhérents et, surtout, le dispositif central et déterminant du crédit d'impôt.
L'angoisse permanente des entrepreneurs
Ce qui frappe dans les témoignages des dirigeants présents aux Assises de la FESP, c'est cette angoisse récurrente face à l'instabilité réglementaire.
"Ce qui est difficile, c'est quand ce n'est pas stable."
Ces dirigeants de PME et ETI, dont certains emploient des milliers d'intervenants à domicile, vivent avec la peur permanente qu'un trait de plume du législateur anéantisse vingt ans d'efforts de structuration.
L'épée de Damoclès de la réglementation changeante plane en permanence sur leurs entreprises.
Cette fragilité contraste avec la solidité économique du modèle. Les entreprises affichent certes des marges faibles, mais le retour sur investissement pour les finances publiques est spectaculaire.
Une équation économique pourtant vertueuse
Les arguments chiffrés présentés lors de l'assemblée sont implacables. Contrairement aux idées reçues, le crédit d'impôt n'est pas un "cadeau fiscal" mais un investissement rentable.
"Chaque euro investi par l'État génère entre 1,20 et 1,87 € de retour pour les finances publiques", en comptabilisant recettes directes (TVA, cotisations sociales) et indirectes (maintien à domicile évitant des coûts d'EHPAD).
Olivier Babeau, président de l'Institut Sapiens, résume l'enjeu avec une formule choc : "L'argent que vous n'aurez pas, l'emploi que vous ne créerez pas, les cotisations sociales que vous ne collecterez pas." Sans le dispositif fiscal, c'est tout un écosystème économique qui s'effondre.
D'autant que l'alternative au travail déclaré a un nom : le travail dissimulé.
Les études du secteur sont catégoriques : sans incitation fiscale, le taux de travail au noir grimperait entre 30 % et 60 %. "Les besoins ne disparaîtront pas du jour au lendemain si les aides fiscales sont moindres", prévient Frank Nataf. "Ils seront simplement couverts par de l'emploi non déclaré : ménage, jardinage, aide à domicile, garde d'enfants."

Le témoignage historique de Borloo
L'intervention de Jean-Louis Borloo, père du plan éponyme de 2005, apporte une perspective historique saisissante. Accueilli par une standing ovation spontanée, puis une seconde à la fin de son intervention, l'ancien ministre bénéficie d'un respect et d'une émotion palpables de la part des quelque 1000 professionnels présents.
Ces applaudissements saluent celui à qui ils doivent un régime qui a rendu possible l'émergence et la structuration d'un secteur privé commercial dans les services à la personne, avec toutes les externalités positives décrites pendant cette assemblée générale.
Borloo rappelle le contexte de création : un chômage à 10 % et la conviction que "le redressement d'un pays, c'est le redressement de ses ressources humaines." Son récit d'une "visiteuse du soir" lui prédisant il y a 20 ans le passage "de la propriété à l'usage" résonne étrangement aujourd'hui.
"Le bonheur ne va pas être d'acheter une septième paire de chaussures mais quelques heures de confort pour la famille", prophétisait-elle.
Oui, mais…
Certes, on pourrait penser que sa vision s’est matérialisée dans les 4,7 millions de ménages utilisateurs actuels. Mais en même temps, la société actuelle me semble plus matérialiste que jamais, avec cet engouement morbide pour la fast fashion, l’hystérie à chaque nouvelle version de l’Iphone, la folie de l’hyper tourisme ou encore le bling-bling généralisé sur Tik Tok ou Instagram. Ce n’est pas l’argument choc qui m’a le plus convaincu dans le discours de Borloo.
ça ne s’est pas fait tout seul
L'ancien ministre explique aussi les difficultés qu’il a rencontrées pour faire valider son idée de valorisation des services à la personne et comment il a contourné les résistances institutionnelles et politiques en montant une énorme campagne d’influence avec les médias et la société civile.
Une démonstration qui m’a rappelé mon dernier essai consacré à l’action d’Alexandre Jardin contre les ZFE !
Et qui me confirme que le vrai pouvoir, il est dans la société civile et que l’enjeu c’est donc de trouver comment l’animer ! Comment dompter le tsunami gris !
Au-delà des chiffres, une transformation sociale
Car derrière les statistiques se cache une mutation profonde de la société française. Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du Commerce et de l'Artisanat, l'admet sans détour : elle soutient le crédit d'impôt "compte tenu de ces besoins", reconnaissant que "toutes les familles sont concernées."
Cette universalisation du recours aux services à la personne révèle une évolution sociétale majeure.
Comme le souligne la Fédésap, contrairement aux clichés, les grands perdants d'une suppression ne seraient pas les foyers les plus aisés : 39 % des utilisateurs sont non imposables, 27 % vivent avec moins de 28 000 euros bruts par an, et 42 % des utilisateurs ont plus de 80 ans.
"Les classes moyennes, celles qui travaillent, qui paient des impôts et qui tiennent le pays debout, commencent à en avoir ras-le-bol", s'emporte Frank Nataf. "Ce crédit d'impôt, il faut le préserver pour elles."
Les nouveaux piliers de nos modes de vie
En sortant de Station F, un constat s'impose. Au-delà des enjeux budgétaires immédiats, c'est toute l'adaptation de la société française au vieillissement qui se joue dans ce débat.
Car la certitude démographique d'une demande croissante (+25% d'ici 2050) se double d'une acclimatation progressive des Français aux services à la personne pour se faciliter la vie.
Baby-sitter, nounou, ménage, jardinier, dame de compagnie, aide à domicile... Ces 26 prestations ne sont plus des "aides de confort" réservées aux plus aisés, mais les nouveaux piliers d'une organisation sociale qui permet à chacun de vivre la vie de son choix sans être perpétuellement tenaillé entre le plaisir et les corvées.
L'écart entre la faible valeur perçue de ce secteur et sa création de valeur réelle (1,5 euro de recettes fiscales pour chaque euro investi) révèle notre difficulté collective à penser cette transformation.
Pourtant, face au vieillissement démographique, pouvoirs publics, société civile et acteurs de la silver économie ont tout intérêt à construire ensemble un modèle pérenne.
Rarement une politique publique aura été aussi efficace tout en restant aussi fragile. "Toucher au crédit d'impôt, c'est gâcher 20 ans de structuration du marché", prévient la Fédésap.
Mais au-delà de la défense d'acquis, c'est bien l'avenir d'une société vieillissante qui se dessine.
N’attendons pas pour passer à l’action !