De la suppression des ZFE à la Silver économie : quand la société civile dicte l'agenda politique
Alexandre Jardin a fait tomber les ZFE par la mobilisation citoyenne. Les entrepreneurs de la Silver économie peuvent s'en inspirer.
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La semaine dernière, nos députés ont défait ce que leurs prédécesseurs avaient fait, preuve qu’une loi n’est jamais absolue et qu’elle peut être déconstruite si elle ne s’avère pas adaptée.
Dans cet épisode dominical, je reviens sur les causes de ce retournement et sur le rôle central de l’opinion et de la société civile.
À travers cette analyse, je vous invite à réfléchir à LA question
Comment utiliser à bon escient la société civile et l’opinion pour avancer vos pions sur l’échiquier politique ?
C'est l'histoire d'un retournement politique qui en dit long sur notre époque. Le 28 mai 2025, l'Assemblée nationale votait la suppression des Zones à Faibles Émissions, ces dispositifs qui restreignent la circulation des véhicules polluants.
Un camouflet retentissant pour le gouvernement et les écologistes, mais surtout la démonstration éclatante qu'une société civile bien organisée peut faire avancer le schmilblick.
Au départ, les ZFE étaient pensées pour les grandes métropoles - Paris, Lyon, Marseille. Des territoires où l'offre de transports en commun permet, théoriquement, de se passer de voiture. Mais c'est leur extension progressive à des dizaines de villes moyennes, selon des plans d'urbanisme manifestement "hors sol", qui a mis le feu aux poudres.
Allez donc expliquer à un retraité de Reims ou à un ouvrier de Rouen qu'il ne peut plus accéder au centre-ville avec sa vieille Clio, alors que le bus passe trois fois par jour.
Cette révolte porte un nom : Alexandre Jardin.
L'écrivain a réussi l'exploit de transformer un mécontentement diffus en tsunami politique, démontrant qu'une personnalité charismatique peut cristalliser des revendications et faire plier le pouvoir.
Une leçon que les entrepreneurs de la Silver économie, confrontés aux blocages du vieillissement démographique, auraient tort d'ignorer.
Car si un romancier peut faire tomber une politique environnementale, imaginez ce que pourrait accomplir une mobilisation coordonnée de 20 millions de seniors...
La stratégie Jardin : anatomie d'une mobilisation réussie
Un diagnostic social qui frappe juste
Alexandre Jardin n'a pas simplement critiqué les ZFE : il les a qualifiées de "plus grande loi de ségrégation sociale qu'on ait jamais imaginée". Cette formule choc a permis de transformer un débat technique sur la pollution automobile en combat pour la justice sociale. En ciblant l'exclusion des "gueux" - ces citoyens trop pauvres pour changer de véhicule -, Jardin a donné un visage humain à une problématique abstraite.
Génial, non ?
Pendant que les technocrates s'emmêlaient dans leurs courbes de particules fines, lui pointait l'essentiel : ces mesures créaient de facto deux catégories de citoyens.
D'un côté, ceux qui ont les moyens de rouler en Tesla, de l'autre, les "gueux" condamnés à rester en périphérie.
Cette approche révèle une méthode redoutable : identifier une injustice claire et la nommer sans détour.
Les ZFE pénalisaient les ménages modestes, les retraités et les travailleurs précaires, incapables de renouveler leur véhicule. En pointant cette inégalité frontalement, Jardin a construit un récit mobilisateur qui dépasse tous les clivages partisans.
Une coalition trans-partisane redoutable
Le succès du mouvement tient aussi à sa capacité à rassembler au-delà des frontières politiques habituelles. Droite, extrême droite, mais aussi élus de gauche et du centre ont repris les arguments de Jardin.
Cette alliance objective s'explique par un positionnement habile : plutôt que de défendre des intérêts catégoriels, l'écrivain a ancré son discours dans les valeurs républicaines d'égalité et de liberté.
L'enseignement est limpide : une mobilisation qui transcende les clivages politiques multiplie ses chances de succès.
En évitant soigneusement les positionnements partisans, Jardin a permis à des élus de tous bords de s'approprier sa cause sans perdre la face. Il a compris que dans notre paysage politique fragmenté, la seule façon de gagner = jouer la carte de l'union sacrée contre l'injustice sociale.
Des outils de mobilisation modernes
Sur X et Facebook, l’écrivain militant a mobilisé sa communauté autour du hashtag #Gueux.
Une fois le mouvement lancé, on a vu l’écrivain sur les plateaux des talk show à la télé, sur le fauteuil de Thinkerview et dans les JT des chaînes d’info.
Incarnant la grogne citoyenne, Jardin a utilisé sa notoriété d'écrivain et son expérience de fondateur de mouvements citoyens (Bleu Blanc Zèbre) pour donner une visibilité maximale à la contestation.
Plus intéressant encore : sa logique de "do-tank" privilégiant l'action concrète au débat théorique. Fini les colloques ronflants et les think tanks poussiéreux !
Cette approche pragmatique résonne particulièrement bien auprès des citoyens fatigués des discussions sans suite. Les pétitions, manifestations et campagnes sur les réseaux sociaux ont créé une dynamique participative qui s'est imposée dans le débat public.
Résultat : des centaines de milliers de personnes mobilisées et des députés contraints de se positionner.
Les leviers d'influence transposables à la Silver économie
Le pouvoir démographique des seniors
Les entrepreneurs de la Silver économie disposent d'un atout majeur que Jardin pourrait leur envier : leurs clients constituent une force démographique considérable.
Les plus de 60 ans représentent près de 20 millions de personnes en France, soit un potentiel de mobilisation qui ferait pâlir d'envie n'importe quel syndicat. Cette population présente des caractéristiques favorables à l'engagement citoyen.
D'abord, le temps disponible après la retraite pour s'investir dans des causes. Contrairement aux actifs pressés par le métro-boulot-dodo, les retraités peuvent se permettre de s'engager durablement.
Ensuite, une expérience civique et une connaissance du système politique acquises au fil des décennies.
Ces citoyens ont vu passer suffisamment de promesses électorales pour savoir comment fonctionne la machine.
Ajoutez à cela des moyens financiers souvent supérieurs aux autres classes d'âge et un ancrage territorial fort qui facilite l'action locale, et vous obtenez une base militante de rêve.
L'identification des exclusions silencieuses
À l'image de Jardin dénonçant la ségrégation sociale des ZFE, les entrepreneurs de la Silver économie peuvent identifier et nommer les exclusions que subissent les seniors.
Ces injustices sont nombreuses mais souvent invisibilisées, ce qui les rend d'autant plus scandaleuses une fois mises en lumière.
Prenez l'âgisme dans l'accès aux services bancaires ou d'assurance : combien de sexagénaires se sont vus refuser un crédit ou une police d'assurance auto sous des prétextes fallacieux ?
Ou encore la fracture numérique qui exclut les seniors des services dématérialisés : allez donc renouveler votre carte d'identité en ligne quand vous avez 75 ans et que l'ordinateur vous fait peur.

Digitaliser les seniors à tout prix : le guide ultime pour perdre clients et humanité en même temps
Sans parler des déserts médicaux qui pénalisent particulièrement les personnes âgées, contraintes de faire 50 kilomètres pour voir un généraliste, ou de l'inadaptation criminelle des logements au vieillissement.
Créer un "observatoire des exclusions seniors" dans chaque secteur d'activité permettrait de documenter ces discriminations et de construire un plaidoyer en béton armé.
Le principe est simple : sortir de l'ombre ces injustices du quotidien pour en faire des sujets politiques.
La construction d'identités collectives positives
Le mouvement #Gueux montre l'efficacité du retournement de stigmate : transformer un terme péjoratif en étendard de fierté. Cette stratégie serait pertinente face à l'âgisme ambiant qui gangrène notre société.
Plutôt que de subir passivement les stéréotypes sur le vieillissement, créez des identités collectives valorisantes.
Pourquoi parler de "retraités" quand on peut dire "les Actifs" ?
Pourquoi accepter le terme "dépendants" quand "les Libres" sonne tellement mieux ?
Cette réappropriation positive du vocabulaire lié à l'âge peut transformer radicalement la perception sociale du vieillissement.
Car les mots ont un pouvoir : ils façonnent les représentations et, in fine, les politiques publiques.
Applications concrètes
Logement adapté
Inspiré de la méthode Jardin :
Créer un mouvement "Habitat Libre" dénonçant l'exclusion des seniors du marché immobilier.
Organiser des "États Généraux du Logement Senior" dans chaque territoire
Développer un plaidoyer pour le "droit au logement adapté" auprès des collectivités.
Sortez de la logique commerciale pure pour adopter une posture de défense des droits. Cette approche peut paradoxalement servir vos intérêts économiques en sensibilisant les décideurs aux besoins non satisfaits.
Services de santé et bien-être
Applications directes :
Lancer une campagne "Santé Sans Frontières" contre les déserts médicaux qui affectent les seniors
Créer des "Ambassadeurs Santé Senior" parmi les clients pour porter les messages
Développer des partenariats avec les pharmacies locales comme relais de mobilisation
L'objectif est de transformer les clients en militants de leur propre cause, créant un effet d'amplification des revendications.
Services à la personne
Un prestataire de services à domicile pourrait initier un mouvement "Autonomie Préservée" valorisant le maintien à domicile face à l'hégémonie de l'EHPAD.
Car ne nous voilons pas la face : notre système pousse systématiquement vers l'institutionnalisation, alors que 90% des seniors souhaitent vieillir chez eux.
La méthode consisterait à organiser des démonstrations publiques des services pour sensibiliser les décideurs locaux.
Rien de tel qu'une mise en scène concrète des bienfaits de l'aide à domicile pour convaincre un maire récalcitrant.
Ces initiatives pourraient s'appuyer sur des "Témoins de l'Autonomie" - des clients satisfaits qui acceptent de partager leur expérience dans les médias locaux et devant les élus.
L'impact va bien au-delà de la simple relation commerciale : ces démarches permettent de construire une véritable communauté engagée qui porte collectivement une vision alternative du vieillissement.
Vers une stratégie d'influence citoyenne
Les trois piliers de la mobilisation efficace
L'analyse du succès de Jardin révèle trois conditions essentielles pour influencer les décisions politiques.
Un diagnostic social clair qui nomme l'injustice et propose un récit mobilisateur - sans cela, vous prêchez dans le désert.
Une méthode d'action collective qui fédère les énergies au-delà des clivages traditionnels - sinon vous restez cantonnés à votre chapelle.
Des outils de communication adaptés aux différents publics et plateformes - parce qu'à l'ère numérique, la bataille se gagne aussi sur les réseaux sociaux.
L'alliance avec les élus locaux
Contrairement aux approches de lobbying traditionnel qui visent les sommets de l'État, la méthode Jardin privilégie l'influence locale.
Les maires et conseillers départementaux, plus proches des réalités de terrain, sont souvent plus réceptifs aux témoignages directs des citoyens.
Cette stratégie d'alliance locale présente plusieurs avantages décisifs.
Une meilleure connaissance des besoins grâce à la proximité des élus avec leurs administrés seniors. Ces responsables voient au quotidien les difficultés de leurs concitoyens âgés et comprennent intuitivement les enjeux.
Des décisions plus rapides que dans les instances nationales où tout s'enlise dans les commissions.
Un effet de démonstration qui peut essaimer vers d'autres territoires : une fois qu'une commune a adopté une mesure favorable aux seniors, les voisines suivent souvent.
L'effet de levier médiatique
Jardin a magistralement utilisé sa notoriété d'écrivain pour amplifier son message.
Inspirez-vous de cette stratégie en identifiant des personnalités influentes sensibles aux questions du vieillissement. Sollicitez des comédiens, des journalistes ou des intellectuels qui vivent personnellement ces enjeux avec leurs propres parents !
La création d'événements médiatiques autour des problématiques seniors peut aussi porter ses fruits.
Une "Journée nationale du refus de l'âgisme" ou des "Assises territoriales de l'autonomie" peuvent attirer l'attention des médias locaux et nationaux.
L'important est de développer des contenus facilement partageables sur les réseaux sociaux, en s'appuyant sur des témoignages authentiques plutôt que sur des arguments techniques abscons.
Conclusion : l'heure de la mobilisation citoyenne
La suppression des ZFE démontre qu'à l'heure des réseaux sociaux et de la défiance envers les élites, la société civile organisée peut peser plus lourd que tous les lobbys parisiens réunis.
Pour les entrepreneurs de la Silver économie, cette leçon est d'autant plus précieuse qu'ils disposent d'une base militante potentielle considérable : 20 millions de seniors français qui ont parfaitement conscience des défis du vieillissement et du mépris dont ils sont victimes.
L'exemple d'Alexandre Jardin montre le chemin : identifier les injustices sans fard, créer des identités collectives positives, mobiliser les énergies locales et construire des alliances qui transcendent les clivages partisans.
Cette méthode d'influence citoyenne peut transformer les entrepreneurs en véritables acteurs du changement social, au bénéfice de leurs clients comme de leur développement économique.
Le message est limpide : plutôt que de perdre votre temps à courtiser les seuls décideurs politiques dans leurs bureaux feutrés, mobilisez la société civile.
Organisez vos clients, donnez-leur une voix, transformez-les en force de proposition.
Car dans une démocratie digne de ce nom, c'est la société civile qui dicte l'agenda politique. La suppression des ZFE en est la preuve éclatante, et les entrepreneurs malins sauront s'en inspirer.