Digitaliser les seniors à tout prix : le guide ultime pour perdre clients et humanité en même temps
Comment la tech mal pensée transforme vos innovations en cauchemars pour vos clients âgés (et pour votre business plan)
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Aujourd’hui, je me penche sur la question du digital et plus particulièrement sur la digitalisation de l’offre. Ce qui m’a emmené vers ce sujet, c’est de constater l’écart dans l’usage du digital d’une génération à l’autre et le manque de perception de cet écart dont font preuve certains entrepreneurs, pensant - à tort - que les seniors vont s’acclimater à leur tech.
Heureusement, ce biais n’est pas systématique dans notre écosystème et je vous montre donc les deux faces de la pièce.
A travers cette réflexion, je vous amène à LA question du jour :
Comment digitaliser sans déshumaniser ?
De la digitalisation volontaire à la marche forcée : le grand malaise des seniors
Je n'arrive plus à m'enthousiasmer devant l'abondance, la diversité et la technicité de l'univers digital vers lequel nous nous précipitons à grands pas, et parfois à marche forcée.
Cette accélération numérique, présentée comme une évidence incontournable, cache une réalité troublante : nous imposons collectivement un rythme et des outils qui génèrent souffrance et exclusion, particulièrement chez les citoyens qui ne baignent pas dans le web en permanence.
Les termes sont importants.
Y aller à grands pas volontaristes, en conscience, c'est bien.
Devoir y aller à marche forcée, c'est dur.
Obliger nos parties prenantes à s'y rendre à marche forcée, c'est mal.
Et ce d'autant plus quand la technologie que vous leur imposez en substitution de l'alternative non-tech qu'ils utilisent, connaissent et - on le suppose - apprécient, est mal conçue.
Pas juste éthique
En matière de Silver économie, cette situation n'est pas qu'une question d'éthique : c'est un véritable enjeu économique.
Comment expliquer que tant d'entrepreneurs s'obstinent à développer des services "full digital" pour une population qui exprime clairement d'autres besoins, d'autres aspirations ?
Les données scientifiques sont pourtant sans appel.
L'impact psychologique documenté : quand le digital devient source de stress
Les études récentes dressent un tableau préoccupant de l'impact psychologique de la digitalisation forcée sur les seniors.
Un tiers des plus de 70 ans ne possèdent aucun équipement numérique et 45 % n'ont pas d'accès internet à domicile1.
Pour ces personnes, l'obligation soudaine d'utiliser des services numérisés représente bien plus qu'un simple désagrément - c'est une véritable source de souffrance.
Les symptômes de l’isolement numérique
L'isolement numérique génère des symptômes documentés : sentiment d'angoisse, de panique, voire de honte.
Les seniors témoignent d'un stress négatif, d'une peur de l'erreur et d'une remise en cause de leurs capacités lorsqu'ils sont confrontés à des démarches en ligne ou à des outils complexes.
Ce stress peut aller jusqu'à la panique ou à la détresse psychologique, avec un impact direct sur l'estime de soi.
Dépression et anxiété
Plus inquiétant encore, l'incapacité à utiliser les outils digitaux est associée à un risque accru de dépression et d'anxiété.
L'impossibilité d'effectuer des démarches administratives, de gérer ses finances ou de prendre rendez-vous médical sans aide renforce la dépendance envers l'entourage, affectant l'estime de soi et accroissant le stress.
La fracture numérique n'est pas qu'une question d'accès aux outils - c'est aussi une fracture psychologique.
Les seniors intègrent souvent des stéréotypes négatifs sur leur capacité à utiliser le numérique, ce qui alimente démotivation, anxiété et performances moindres lors de l'apprentissage ou de l'utilisation de nouveaux outils.
Silver économie : une approche contrastée
Face à ce constat, on pourrait s'attendre à ce que les entrepreneurs de la Silver économie adaptent leurs offres. C’est vrai pour certains, mais ce n’est pas une généralité.
La bonne approche
Les acteurs des services à la personne sont conscients de la nécessaire préservation du lien humain dans leur action, le digital n’intervenant qu’en soutien.
Les téléassisteurs traditionnels demeurent attachés à leur plateau d’écoute, la plateforme téléphonique qui effectue les levées de doutes et répond aux appels des clients qui “poussent le bouton rouge”.
Comme je l’explique dans mon analyse de la cartographie 2025 de la Silver économie, malgré l'essor du numérique, l'humain conserve une place prépondérante.
52 % des entreprises du secteur privilégient l'intervention humaine et utilisent peu de technologie (Low Tech), particulièrement dans les services et l'accompagnement des personnes.

Cette approche s'explique par la complexité et la diversité des besoins des clients.
Une solution purement technologique ne suffit pas — le contact humain reste indispensable pour offrir un service véritablement personnalisé et adapté.
Analyse détaillée et explications dans cet article :
La mauvaise approche
Et à côté, certains acteurs, souvent des nouveaux entrants qui n’ont pas l’expérience du terrain, se lancent dans une sorte de course au "tout digital", comme si le modèle économique primait sur les besoins réels des utilisateurs.
Cette approche pose un problème fondamental : vous ne pouvez pas développer une offre de Silver économie en méconnaissant les attentes de vos clients en matière relationnelle, puis vous plaindre que les seniors ne veulent rien acheter et chercher un partenariat auprès des mutuelles en espérant qu'elles vous aideront à vendre indirectement un service dont vos prospects ne veulent pas.
Ces entrepreneurs de la Silver économie semblent oublier une règle essentielle du marketing : la valeur d'un produit ou service réside dans sa capacité à résoudre un problème réel pour son utilisateur.
Si votre solution digitale crée plus de problèmes qu'elle n'en résout, comment pouvez-vous espérer séduire votre marché cible ?
Uniformisation des services, diversité des besoins
Il existe plusieurs facettes au problème : les jeunes, adolescents et jeunes adultes actuels ont des problèmes spécifiques liés à leur immersion permanente dans le digital et les réseaux sociaux.
Les seniors qui utilisent le digital de façon marginale ont d'autres problèmes, d'autres besoins.
Uniformiser l'offre de service sans tenir compte de ces besoins fait courir un risque de souffrance psychologique, un sentiment de décrochage.
Mais au niveau de l'offre, c'est aussi renforcer le risque que les seniors ne veuillent pas de votre service.
Si vous développez un service aux seniors, avant de penser "full digital", assurez-vous que votre cible est sur la même longueur d'onde, qu'elle est prête pour le tout digital et qu'elle achèterait un service tout digital.
Cette démarche n'est pas seulement éthique - elle est économiquement rationnelle.
Vers une approche équilibrée : l'humain d'abord, la technologie ensuite
La solution n'est pas de rejeter en bloc la digitalisation, mais bien de repenser son déploiement en fonction des besoins et des capacités réelles des utilisateurs. Plutôt qu'une approche "tech-first", privilégiez une démarche "human-first".
Cela implique de :
Maintenir des alternatives non-digitales pour les services essentiels
Développer des interfaces simples, adaptées aux capacités cognitives et motrices des seniors
Offrir un accompagnement humain dans la transition numérique
Privilégier les solutions hybrides qui préservent le lien social
L'expérience montre que les modèles hybrides, combinant interface digitale et relation humaine, sont plus efficaces pour ce public.
Aller plus loin :
Écoutez l’entretien entre des professionnels du domicile et des services digitaux associés, ils ont une vision techno - humaniste du sujet qui me plaît beaucoup.
Conclusion : pour une Silver économie à visage humain
La digitalisation a sa place dans la Silver économie, mais comme un moyen, non comme une fin. L'enjeu n'est pas de savoir si les seniors doivent s'adapter au digital, mais comment le digital peut s'adapter aux seniors.
Pour les entrepreneurs qui souhaitent véritablement réussir dans ce secteur, le message est clair : écoutez vos utilisateurs, observez leurs comportements, identifiez leurs blocages et leurs aspirations.
Ne partez pas du postulat que le "tout digital" est la solution universelle.
La véritable innovation dans la Silver économie ne sera pas technologique, mais sociale et organisationnelle.
C'est dans la capacité à orchestrer intelligemment services humains et outils numériques que réside l'avenir de ce secteur.
Car au fond, la technologie doit servir l'humain, et non l'inverse.
C'est en gardant ce principe à l'esprit que nous construirons une Silver économie digne et respectueuse de nos aînés.
Source : Baromètre du Numérique 2023 (ARCEP, CGE, ANCT)
Bonjour Alexandre, Vous avez parfaitement raison, je vis complètement ce cauchemars depuis quelques années alors que je suis toujours en activité à temps plein dans le viager et je me sens de plus en isolé et perdu face à la génération 100% numérique. Je souhaitais être un passeur entre les séniors et les jeunes générations et je m'aperçois que cette idée est mise en échec par la binarité de la société numérique et de son immédiateté et nous ne prenons plus de recul pour décider et agir : "Quand l'immédiat dévore, l'esprit dérive" Edgar Morin
"La véritable innovation dans la Silver économie ne sera pas technologique, mais sociale et organisationnelle". Oui.