Démocratie participative : les vieux aussi ont le droit de donner leur avis
Comment la France a réussi l'exploit de créer une instance démocratique que personne ne connaît... et pourquoi c'est peut-être voulu
Bienvenue dans Longévité, où j'analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette édition, je plonge au cœur d'une institution méconnue mais essentielle : le Conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie (CDCA).
J'analyse les rouages de cette démocratie participative locale, je décortique ses forces et ses faiblesses à travers le témoignage de ses acteurs, et j'essaie de répondre à LA grande question : Comment transformer une instance consultative en véritable force de proposition sans perdre l'expertise d'usage qui fait sa singularité ?
Le paradoxe français : une instance puissante que personne ne connaît
"On a le CDCA qu'on mérite", me glissait récemment un observateur avisé du secteur. Cette petite phrase, apparemment anodine, révèle pourtant un monde de paradoxes et d'opportunités manquées.
Le CDCA, c'est le Conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie. Une instance créée par la loi ASV de 2015 pour représenter les personnes âgées et handicapées. Sur le papier, c'est l'arme fatale de la démocratie participative locale. Dans la réalité ? C'est plus compliqué.
"Nous sommes 15 millions de retraités. Mais qui nous représente ? Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Enfin, si, je le sais, ce sont les départements", lance Olivier Calon, président de la CORERPA Île-de-France et membre des CDCA 92 et 78. Une façon cash de pointer du doigt l'étrange paradoxe français : nous avons créé une instance de représentation... que personne ne connaît.
Et pourtant, les enjeux sont colossaux. Imaginez : vous siégez dans un comité d'arbitrage pour un appel à projet de 30 millions d'euros. Autour de la table, des décideurs politiques. Vous êtes bénévole, fraîchement entré au CDCA. Comment porter la voix des usagers sans formation solide ? Comment peser dans les décisions sans légitimité reconnue ?
C'est toute l'histoire que je vous propose d'explorer aujourd'hui. Une histoire de pouvoir, de démocratie et de transformation silencieuse. Une histoire qui prend un relief particulier alors que la CNSA s'apprête à dresser le bilan 2020-2024 des CDCA et que le déploiement des SPDA dans toute la France se profile pour 2025. L'heure de vérité approche pour ces instances citoyennes : sauront-elles enfin prendre la place qui leur revient dans le paysage institutionnel français ?
Attachez vos ceintures, on plonge dans les coulisses d'une institution méconnue qui pourrait bien devenir l'un des acteurs clés de la Silver économie de demain.
Le paradoxe français : une instance puissante que personne ne connaît
Le CDCA, c'est un creuset. - Olivier Calon.
Voilà une formule qui résume bien la singularité de cette instance où se côtoient bénévoles engagés et professionnels du secteur. Mais un creuset qui peine parfois à faire entendre sa voix.
Sur le papier, le dispositif est séduisant : 96 personnes réunies en formation plénière, représentant à la fois les usagers, les institutions et les professionnels. Mais c'est le premier collège, celui des bénévoles, qui tient les rênes. Une dizaine de membres, issus de ce collège, animent le bureau et font vivre le CDCA au quotidien. Les autres ne se réunissent qu'une à deux fois par an.
Un fonctionnement atypique dans le paysage institutionnel français, où les "sachants" ont généralement la main. Ici, ce sont les usagers qui pilotent. Enfin, quand on les laisse faire...
"Certains départements jouent le jeu, d'autres ne le font pas du tout", observe Olivier Calon. Les chiffres de la CNSA lui donnent raison : 66% des CDCA réclament une meilleure reconnaissance de leur instance par les partenaires. 43% souhaitent une fluidification des échanges. En clair : ils veulent être pris au sérieux.
"C'est indécent, inutile et inefficace de développer des entités qui concurrencent les CDCA", s'agace le président de la CORERPA Île-de-France. "Nous disposons d'une instance publique qui regroupe à la fois les personnes handicapées et les personnes âgées. Cette force représentative doit être écoutée à tout prix."
Le paradoxe est là : alors que la France cherche à renforcer sa démocratie participative et que le vieillissement de la population devient un enjeu majeur, l'instance censée porter la voix des premiers concernés reste dans l'ombre. Un comble quand on sait que les CDCA sont consultés sur des dossiers cruciaux : schémas départementaux, rapports d'activité des MDPH, financements de la prévention...
"Imaginez devoir participer au comité d'arbitrage d'un appel à projet de 30 millions d'euros", poursuit Olivier Calon. "Autour de la table se trouvent des décideurs politiques. Vous venez tout juste d'entrer dans le CDCA et vous ne voulez pas dire de bêtises. Difficile, n'est-ce pas ?"
La formation des bénévoles devient alors un enjeu crucial. Car la légitimité ne se décrète pas, elle se construit. "Une fois formés, nous pouvons prendre la parole. Nous sommes en confiance sur les sujets techniques abordés en séance plénière. Nous osons nous exprimer, notre parole est respectée et réellement prise en compte."
Les rouages
"La loi donne le cadre et confie aux instances l'organisation de leurs travaux. Elles peuvent même aller au-delà des missions légales", explique un expert du secteur. Résultat ? Il n'existe pas un CDCA type dupliqué dans chaque département français, mais 100 CDCA construits localement selon les enjeux, les perspectives et la vision de leurs membres.
Cette liberté pourrait être une force. Elle devient souvent une faiblesse. Tout dépend du bon vouloir des interlocuteurs au Conseil départemental. Certains appliquent la loi a minima, d'autres voient plus loin.
La loi ASV définit pourtant un socle solide : avis consultatifs sur les schémas départementaux, contrôle des rapports d'activité de la MDPH, de la conférence des financeurs... Les CDCA peuvent même formuler des recommandations sur le respect des droits et la bientraitance des personnes âgées ou handicapées.
"Regardez ce qui a été réalisé ces dernières années sur la question des aidants", souligne Olivier Calon. "Le relayage, la VAE, le congé proche-aidant, les dons de RTT, l'aménagement de la durée de cotisation à la retraite, la déconjugalisation... Cela montre qu'il est possible de faire bouger les lignes."
Mais ce succès soulève une question : pourquoi deux poids, deux mesures ? Pourquoi ce qui fonctionne pour les aidants ne pourrait pas fonctionner pour l'ensemble des questions liées à l'autonomie ?
"À l'heure actuelle, les acteurs qui s'expriment sur le sujet sont très dispersés", analyse notre expert. "Il n'existe pas de lobby des retraités comme l'AARP aux États-Unis. Pourtant, c'est au niveau national que cette représentation aurait le plus d'impact."
C'est là qu'intervient la CORERPA Île-de-France, qui coordonne l'action des CDCA depuis 2008. "Nous voulons soutenir les CDCA et améliorer leur visibilité", explique son président. "La CORERPA souhaite jouer un rôle de liaison entre le terrain, le législatif et l'exécutif."
Une ambition qui prend tout son sens à l'aube d'une année 2025 qui s'annonce décisive : entre le bilan d'activité orchestré par la CNSA et le déploiement national des SPDA, les CDCA vont devoir montrer qu'ils sont à la hauteur des enjeux.
De l'influence à l'action : le temps de la maturité
"Il y a un enjeu de rassemblement des voix", martèle Olivier Calon. Une conviction qui résonne différemment alors que les SPDA (Services Publics Départementaux de l'Autonomie) s'apprêtent à bouleverser le paysage de l'autonomie en France.
Ces guichets uniques, imaginés par Dominique Libault, visent à simplifier l'accès aux droits et à l'information. Une belle ambition.
Mais qui pose question : quelle place pour les CDCA dans ce nouveau dispositif ? "Nous avons participé à la création de l'Agence Autonomie. Les deux CDCA se sont impliqués dans l'élaboration du cahier des charges", rappelle Olivier Calon, évoquant l'expérience des Yvelines et des Hauts-de-Seine.
Pour lui, la réponse est claire : les CDCA doivent devenir des partenaires privilégiés de l'action locale en faveur des publics âgés et handicapés. "Nous pouvons apporter notre connaissance locale fine. Beaucoup de dispositifs ne sont connus que par l'association ou l'institution porteuse. Apporter cette information à la collectivité facilitera l'accès aux aides."
Mais cette montée en puissance nécessite des moyens. "J'aimerais voir se créer une association publique intitulée 'France Autonomie' qui fédère, accompagne et anime les CDCA", propose le président de la CORERPA. Une structure qui disposerait d'un budget pour former tous les représentants et "revaloriser le bénévolat".
Car c'est bien là que se joue l'avenir des CDCA. "Quelle reconnaissance pour leur contribution ?", s'interroge un observateur. "Des réponses à ces questions dépendront la qualité des futurs membres de l'instance et de la contribution du CDCA à la démocratie locale."
2025, l’heure de vérité
Le bilan 2020-2024 sera décisif. Il dira si les CDCA ont su s'imposer comme des acteurs incontournables de la démocratie participative locale. Si ce n'est pas le cas, le risque est grand de les voir dilués dans le grand chambardement des SPDA.
"On a le CDCA qu'on mérite", écris-je en introduction. La formule prend ici tout son sens. À l'heure où la France repense son modèle d'accompagnement de l'autonomie, la voix des premiers concernés n'a jamais été aussi précieuse. Reste à savoir si nous saurons l'entendre.
Approfondissements
Pour aller plus loin, je vous recommande deux publications connexes.
Le dossier consacré aux SPDA publié dans
en juin 2024 avec la participation de Stéphane Corbin, Dominique Libault et Olivier RichefouMon analyse de la feuille de route 2024 de la CNSA avec - entre autres - un focus sur le programme de préfiguration des SPDA.