Hold Up sur la cohabitation intergénérationnelle 🔫
L'histoire d'une bataille menée contre le mauvais ennemi.
Bonjour, c’est Alexandre de Sweet Home. Longévité est notre newsletter hebdomadaire consacrée à l’actualité de la Silver Économie. Aujourd’hui, je vous dresse un tableau de la cohabitation intergénérationnelle. Je reviens sur la décision de justice qui a confirmé que ce dispositif n'est pas la chasse gardée du monde associatif et j'explique pourquoi c'est une bonne chose.
"- Non, ils n'ont pas osé ?
- Si !
- Mais, pourquoi ?
- Ils ont peur, ils pensent qu'ils ne pourront pas rivaliser, alors ils se barricadent."
Je ne vais pas parler des émeutes en Guadeloupe, mais d'une triste bataille que des associations de la cohabitation intergénérationnelle ont livré - et perdu - contre les entreprises privées commerciales.
La cohabitation intergénérationnelle, c'est un dispositif qui facilite l'hébergement d'un jeune chez une personne âgée. Un système où le jeune ne paye pas un loyer en espèces sonnantes et trébuchantes, mais en présence, menus services et une petite contribution aux frais du foyer.
La cohabitation intergénérationnelle n'est pas une innovation
Ce dispositif existe depuis des décennies à Barcelone et il a sauvé pas mal de vies âgées pendant la canicule de 2003. C’est justement un reportage sur ce sujet, diffusé sur France 2 en octobre 2003, qui a donné aux premiers acteurs associatifs l’idée d’importer la cohab’ dans l’hexagone à partir de 2004.
Le plus ancien de ces acteurs, l'association parisienne Le Pari Solidaire est à l'origine du premier réseau associatif de la cohabitation intergénérationnelle, COSI.
Tout au long de son existence en France, la cohabitation intergénérationnelle a attiré des entreprises et des associations. Mais faute d'un business model pertinent, d'une réglementation facilitatrice et d'un marché suffisant, toutes les entreprises se sont plantées tandis que les associations survivaient tant bien que mal.
Les forces en présence
En 2021, du côté des associations, les acteurs majeurs de la cohabitation intergénérationnelle sont le réseau Cohabilis (né en 2020 du rapprochement entre les réseaux COSI et LIS) et l'association Ensemble 2 Générations créée en 2005.
Cohabilis fédère une quarantaine d’associations locales tandis que E2G est une association indépendante qui dispose d'une demi-douzaine d'agences sur le territoire.
Politiquement très actif, le secteur associatif de la cohabitation intergénérationnelle a travaillé avec fédérations, syndicats et représentants de l'Etat à l’élaboration d’un texte législatif intégré à la loi ELAN de novembre 2018. L'article 117 de la loi ELAN donne à la cohabitation intergénérationnelle un statut légal dérogatoire du droit commun, notamment sur le plan fiscal. Je présente ce régime en détails dans un dossier Sweet Home dont vous trouvez le lien tout en bas de cet édito.
Lex specialis derogat legi generali ♎
Attendu comme le Messie, ce texte aide tous les acteurs de la cohabitation intergénérationnelle à se développer grâce à une réglementation qui doit à la fois rassurer et protéger les vieux comme les étudiants.
Ce régime est tellement prometteur que les associations ont cherché à se l’accaparer en limitant son application… aux associations. En 2021, Cohabilis a intenté un procès à une société commerciale en demandant au juge de valider que l’article 117 de la loi ELAN n’est pas applicables aux sociétés commerciales.
Pourquoi ? Pour des raisons idéologiques et opportunistes.
D’une part, le monde associatif voue une haine farouche aux entreprises qui marchent sur leurs plates bandes.
D’autre part, ce même monde associatif est conscient qu’il ne peut pas lutter à armes égales avec des sociétés commerciales, notamment au niveau commercial et marketing.
C’est bien simple, les associations de la cohabitation intergénérationnelle ne font pas de marketing, ni d’actions commerciales. Elles se contentent d’être là, pour les gens qui ont besoin d’elles et pensent profiter de la médiatisation de certaines opérations pour augmenter leur portée.
Malheureusement, cela ne suffit pas à persuader les prospects de devenir des clients.
Quelques illustrations pour étayer mon propos.
Les limites au modèle associatif 🎭
Au printemps 2018, Le Pari Solidaire, Ensemble 2 Générations, la Ville de Paris et le bailleur social Paris Habitat ont lancé une campagne de communication afin d'inciter les quelques 50 000 locataires parisiens âgés vivant dans des logements sociaux trop grands à accueillir un étudiant.
L'opération a bénéficié d'une énorme couverture médiatique. Des milliers de courriers ont été envoyés aux locataires éligibles. Des bénévoles de Voisins Malins et Uni Cités ont fait du porte à porte pendant des jours pour présenter la cohabitation intergénérationnelle.
Résultat : Z.E.R.O.
Aucun des seniors contactés n'a accepté la proposition 😭
Lancé la même année par la CNAV Ile-de-France en partenariat avec Le Pari Solidaire et Ensemble 2 Générations, le programme Toit Plus Moi proposait de la cohabitation intergénérationnelle aux étudiants étrangers via le programme Erasmus.
Largement médiatisé à son lancement, le programme n'a pas rencontré son public.
Repris par l’Union Européenne en 2021, le dispositif qui s’appelle désormais WeShareCare végète dans l’indifférence générale, comme l’atteste leur carte européenne des associations ⬇️
Plus largement, le bilan chiffré des associations est un peu léger.
Le bilan ⤵️
Depuis 2004, la cohabitation intergénérationnelle séduit sur le papier, mais les associations ne parviennent pas à créer un nombre significatif de binômes.
Ensemble2générations en revendique 5000 créés en 15 ans, donc 10 000 personnes aidées (un binôme = 1 jeune + 1 vieux)
Cohabilis déclare que ses 40 structures ont aidé 30 000 personnes depuis 2004.
ça ne fait pas lourd.
Parce que, vous vous en doutez, c'est pas avec 40 000 clients sur 20 ans que 40 structures peuvent atteindre l'équilibre financier, même avec une lifetime value de 3 ou 4 ans.
Et donc, ces structures doivent aller chasser….des subventions.
La chasse aux subventions 🏹
Puisque ces asso ne s'équilibrent pas avec leur activité, elles sont contraintes de passer une grande partie de leur temps à chasser la subvention ou plier leur organisation dans des appels à projets qui les obligent à créer des dispositifs sur mesure pour répondre aux exigences d'un donneur d'ordre.
Le temps qu'on passe à chasser la subvention, on ne le passe pas à chasser le prospect.
Et l'argent qu'on gagne avec des appels à projets, on ne peut pas l'utiliser pour développer autre chose vu qu'il est fléché sur le projet en question.
Mais quand on parle ce langage aux promoteurs du tout associatifs, ils mouchent la chandelle d’un définitif : “On ne doit pas faire d’argent sur le dos des vieux.”
Une question de point de vue
Est-ce “faire de l’argent sur le dos des vieux” de proposer à des citoyens en pleine possession de leurs moyens une solution à un problème qui leur pourrit la vie ?
Surtout quand cette solution, loin de leur coûter de l’argent, aurait plutôt tendance à leur en rapporter ?
Tirons le fil un peu plus loin : si on ne "fait pas d’argent” en vendant un produit ou service à la personne qui en a besoin, qui doit payer ?
Est-ce plus juste de faire payer la famille ? la collectivité ?
Quel que soit le débiteur, quelqu’un doit payer.
Les vocations ne paient pas les factures
Oui, nous avons besoin du monde associatif, mais il ne pourra remplir sa fonction qu’en laissant du champ aux entreprises pour faire ce qu’elles savent bien faire et que les associations ne peuvent ni ne savent faire : de la croissance.
Si des entreprises commerciales développent la cohabitation intergénérationnelle, elle créent un effet de loupe qui va profiter à tous les acteurs, y compris les asso qui ne vendaient pas un caramel.
Dans la cohabitation intergénérationnelle, les asso ont posé les bases, mais la stagnation de la demande montre qu’elles atteignent les limites de leur impact. Une poignées d’entreprises tentent de repousser ces limites. Mes deux préférées sont Colette et Colibree.
Aujourd’hui, je vais faire un focus sur Colette. Je connais très bien cette startup, car je suis en contact avec son co-fondateur, Matthieu Vaxelaire, depuis l'été 2019 et j'ai suivi toutes les étapes de leur croissance (je vous partage en fin de lettre une interview que Matthieu m'a accordée en octobre 2020).
J’ai fait la connaissance de Colibree plus récemment. J’adore leur énergie et leur enthousiasme et je vous les présenterai sans doutes dans un prochain épisode de “Longévité”.
New kid in town ⭐
Colette ne réinvente pas le concept, mais inverse le paradigme
Tout simplement.
En invitant les seniors à rendre service à un étudiant dans le besoin.
Trop souvent présentée comme une solution pour lutter contre l'isolement des seniors, la cohabitation selon Colette invite les seniors à s’engager dans la lutte contre la précarité des étudiants.
Autour de sa vision, Colette a fédéré une communauté de seniors et d'étudiants engagés et ils développent d'autres activités pour compléter leur offre et renforcer cet esprit de communauté.
Bref Colette c'est de la cohabitation intergénérationnelle, mais c'est aussi autre chose.
Ce que j’aime chez eux, ce qui me secoue, c’est leur énergie. Leur obstination. Colette n'a pas inventé une punchline, postulé à trois concours et frimé sur LinkedIn.
Ce sont des VRP de la cohabitation intergénérationnelle.
Ils sont allé sur le terrain et ils ont trouvé des clients avec les dents.
Ils ont mouillé la chemise.
Ils ont arpenté les rues, fait du porte à porte, tracté sur les marchés.
Icarius flight 🪶
Et leur travail a payé.
Ils ont réussi à créer des binômes.
Bien plus de binômes que les associations.
Ils ont réussi à lever des fonds (1 million en Seed) et ils se sont faits aimer de leurs clients.
Et les associations ont pris peur. Parce que Colette, cette méchante entreprise capitaliste guidée par le profit, cette startup pompeuse et boursouflée, parvenait à faire mieux qu'elles.
Elles qui n'avaient pas imaginé un seul instant qu'une société commerciale puisse prendre pied sur leur pré carré.
Elles qui appliquent une politique de déni complet du rôle pourtant essentiel des société commerciales dans le développement et la notoriété du dispositif.
Confère le rapport Cohabilis de septembre 2020 intitulé Cohabitation Intergénérationnelle solidaire, quels leviers de développement ? qui décrit un dispositif exclusivement associatif, public et paritaire (p.29) sans évoquer une seule seconde le rôle des entreprises pourtant déjà actives à l'époque.
Confère aussi la campagne de sensibilisation lancée par Make.org avec l'appui du ministère de l'autonomie et la participation active de Cohabilis et Ensemble2Générations. Selon une source proche du dossier, les réseaux associatifs auraient fait front commun contre la présence d'une seule organisation commerciale dans cette campagne.
L'offensive associative 🔫
Mais cet ostracisme n’a pas suffi à effacer le sourire du visage de Colette, alors Cohabilis a dégainé un plus gros flingue.
Puisque les associations pensent ne pas pouvoir lutter à armes égales avec Colette, elles ont décidé d'utiliser une autre arme, plus pernicieuse : faire déclarer Colette hors la loi.
Cohabilis qui a contribué à la rédaction de l'article 117 de la loi Elan a soutenu devant la justice que ce statut doit être réservé aux associations.
Une validation de la thèse condamnait Colette, Colibree et tous les acteurs commerciaux actuels et futurs à repenser leur Business model, perdre une part significative de leurs clients et prendre un sérieux retard dans leur développement commercial.
Le rendu du jugement, c'était le 7 décembre.
Le juge a confirmé que le dispositif de la loi Elan n'est pas réservé aux associations et peut donc être utilisé par une société commerciale.
Et ça, c'est une bonne chose.
Pourquoi c'est une bonne chose ?
On ne peut dresser le tableau de la cohabitation intergénérationnelle sans saluer le rôle fondateur des associations. Elles ont posé les bases, essuyé les plâtres, créé des liens avec les collectivités publiques et l’ESS, construit un dispositif et faire entériner ce dispositif dans une loi.
Mais on ne peut réserver l’application de la loi et le développement de ce dispositif aux seules associations et cette tentative de mainmise d'une organisation associative sur son marché n'est pas un cas isolé.
La même lutte s'est jouée dans le monde des crèches, des Ehpad, des services à la personne et mon petit doigt me dit que les acteurs associatifs de l'habitat inclusif aimeraient bien construire une barricade autour de l'Aide à la Vie Partagée (AVP).
C'est pourquoi, je tiens à remercier la justice d'avoir pris une décision qui remet l'église au milieu du village.
Les entreprises commerciales jouent et joueront un rôle et ce serait malhonnète de leurs préter tous les vices.
Les associations jouent et joueront un rôle et ce serait naïf de leur prêter toutes les vertus.
2 ressources pour aller plus loin
#1 Notre interview de Matthieu Vaxelaire en octobre 2020. Le co-fondateur de Colette explique comment Colette a levé 1 millon et ce qu'ils comptent en faire.
#2 Si vous souhaitez tout savoir sur la cohabitation intergénérationnelle, nous avons réalisé un énorme dossier sous forme d’abécédaire en trouvant une chose à dire pour presque chacune des 26 lettres de l’alphabet.
Certes la cohabitation intergénérationnelle ne doit pas seulement être réservée aux associations. Cependant je vous rappelle que dans la loi Elan on parle de cohabitation intergénérationnelle "solidaire" et d'une participation financière demandée aux jeunes à caractère "modeste". Or je ne vois pas en quoi un loyer demandé à un jeune de plus de 500€ est solidaire et modeste. En demandant de tels montants on fait tout de suite une sélection des jeunes qu'on veut aider.
Par ailleurs avant de dire qu'il n'y a aucune cohabitation dans le parc social je vous invite à vous renseigner en contactant les associations car ce que vous avancez est erroné (je le sais, je travaille dans l'une d'elles).
Il y a des entreprises dans le réseau Cohabilis.