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🔴 Hommage à Nicolas Menet
Le directeur général de Silver Valley est décédé le 11 février 2023
Nicolas Menet s’est éteint la semaine dernière. Il était âgé de 44 ans et j’aimerais aujourd’hui lui rendre hommage en republiant une interview qu’il m’a accordée en juin 2021.
Mais avant cela, quelques repères pour situer le bonhomme.
La Genèse
Sociologue de formation, Nicolas Menet était le directeur général de Silver Valley depuis fin 2017. Avant cela, il a dirigé un cabinet de conseil en stratégie appelé Adjuvance. En janvier 2016, Adjuvance publie Génération Seniors1, une étude de la population senior reposant sur l’observation d’un panel pendant plusieurs années.
Ce travail remarquable est repéré par Benjamin Zimmer - alors directeur général de Silver Valley. Les deux entrepreneurs se rencontrent, débattent, sympathisent et de fil en aiguille écrivent un livre ensemble (Startup, arrêtons la mascarade). Enfin, en décembre 2017, le CA de Silver Valley désigne Nicolas Menet pour succéder à Benjamin Zimmer qui part fonder la Silver Alliance chez Ouicare.
Outre Génération Seniors et Startup Arrêtons la Mascarade, Nicolas Menet est l’auteur de deux essais consacrés à la longévité :
Construire la société de la longévité, une opportunité pour le futur ?
Le grand livre de la longévité, un ouvrage collectif dont j’ai écrit le chapitre consacré à l’adaptation de l’habitat.
L’impact
Nicolas Menet était de la race des dirigeants qui se vouent à leur entreprise.
Et moi, j’aime ça ❤️
Quand tu es CEO d’une boîte, c’est ta raison d’être de la défendre. C’est là que tu es attendu par tes parties prenantes. Quand tu endosses le costard du CEO, tu dois incarner ta boîte. Quand elle se fait attaquer, tu dois la défendre. À tout instant, tu dois trouver des opportunités de valoriser ta boîte, ton équipe, de remettre ton action en perspective. De montrer comment elle fait bouger les lignes. Et si tu es valorisé personnellement par ton statut d’expert, cette mise en lumière doit rejaillir sur ta boîte.
Nicolas était comme ça.
On n’était pas d’accord sur tout.
Mais je respectais son travail et son engagement de dirigeant.
Les connexions 🪢
Nicolas Menet fait partie des premières personnes qui m’ont fait confiance dans la Silver économie.
Nous étions en contact et nous avions des échanges réguliers.
J’étais adhérent à Silver Valley (je ne suis pas sûr de le rester, mais ce n’est pas le sujet du jour).
Je l’ai interviewé 2 fois et j’ai coécrit un livre avec lui (et 9 autres auteurs) : Le Grand Livre de la Longévité (Eyrolles, 2019).
Ma première interview, en 2019, portait sur la parution de son deuxième essai : Construire la Société de la Longévité2.
Ma seconde interview, en 2021, portait sur l’innovation et le rôle de Silver Valley dans le soutien à l’innovation. C’est celle dont je reprends un long extrait aujourd’hui, car je trouve qu’elle incarne ce que Nicolas voulait insuffler à la Silver économie.
Je trouve que cette interview l’illustre bien.
Innovation et Silver économie, par Nicolas Menet (juin 2021)
Nicolas Menet (N.M) : Silver Valley part du constat suivant : la Silver économie est une idée géniale avec l’espoir de compenser un jour les besoins de soins de la personne par la technologie. Désormais, l’enjeu c’est de diffuser ces innovations, de les faire sortir de leur niche. Aujourd’hui peu d’entreprises de la Silver économie sont capables de passer à l’échelle. Il y a les exceptions notables des groupes OuiCare et Indépendance Royale, mais ils s’inscrivent dans des secteurs déjà bien installés.
Notre objectif est de faire émerger des innovations utiles et viables, mais surtout des entreprises capables de les porter.
Nous sommes contents d’avoir des grands groupes dans notre conseil d’administration parce que s’ils s’emparent d’innovations ils pourront les déployer à grande échelle.
Mais cela ne suffit pas.
Nous voulons donner la chance à des start-up de faire de même.
Aujourd’hui, tous les parcours d’accélération qui existent en France sur ce sujet s’arrêtent à la petite start-up qui a levé quelques millions d’euros. Ça ne suffit plus.
Nous avons besoin d’entreprises capables de toucher les millions de personnes prêtes à investir dans leur longévité.
Marché mature ?
Alexandre Faure (A.F) : As-tu le sentiment qu’il y a une réponse du marché ?
Nicolas Menet : Oui, je le sens. Nous quittons le fameux syllogisme français “la vieillesse est une maladie, la maladie est remboursée par la sécu”. Comme les personnes concernées sont encore jeunes, nous n’en voyons pas encore les effets, d’autant qu’elles vieillissent longtemps en bonne santé.
Mais la vague est à venir.
Les personnes âgées qui entreront dans la dépendance autour de 2025-2027 ont conscience du coût du vieillissement.
Elles ne le voient plus comme une déficience parce qu’elles ont été aidantes. Ou parce qu’elles ont été sensibles aux messages de prévention.
Préserver les retraites c’est bien, mais ça ne suffit plus
Il y a une autre raison pour laquelle les gens seront prêts à investir, c’est le développement de l’empowerment. Nous sortons petit à petit de l’image du senior vindicatif qui cherche à préserver le système de retraites. Nous pensons de plus en plus à l’utilité sociale. `
Préserver les retraites c’est bien, mais ça ne suffit plus.
Les personnes âgées ont pris conscience qu’à 60 ans elles ont 24 ans d’espérance de vie, plus ou moins en bonne santé. Ce n’est plus une retraite : c’est un projet de vie, c’est une carrière à part entière.
Pour reprendre les mots de Michèle Delaunay “nous les boomers, nous savons tout du vieillissement”. On sait que le vieillissement se prépare, qu’il est marqué par l’utilité sociale, qu’il peut aussi mener à la maladie. On sait que le vieillissement va nous coûter cher et qu’on doit mettre la main à la poche.
Le senior nouveau sera solvable 💰
Par ailleurs, le nouveau senior sera solvable. Il sera solvable parce que 58% du patrimoine français est possédé par les plus de 60 ans. Même ceux qui viennent de classes sociales plus défavorisées sont souvent propriétaires de leur logement. Ils ont du patrimoine à disposition, même s’il n’est pas toujours liquide.
Silver Valley a récemment publié son top 40 des start-up de la Silver économie3. C’est quelque chose que l’on n’aurait jamais pu faire il y a 5 ans. Parce qu’il n’y avait aucune start-up de la Silver économie avec un chiffre d’affaires digne de ce nom, à quelques exceptions près. Aujourd’hui des entreprises venant de secteurs beaucoup plus variés parviennent à lever des fonds et obtiennent surtout du chiffre d’affaires, des clients. Je pense à OSO-AI, Entoureo ou Famileo par exemple.
La filière Silver économie, exception culturelle française ?
L’État a été particulièrement prospectif avec la Silver économie. En 2013, on n’était peut-être pas totalement prêt. Au cours des 10 dernières années on a assisté à la structuration d’un marché au-delà du traditionnel champ médico-social et sanitaire. Un changement de regard s’est opéré, d’abord au niveau institutionnel, avec la création de lois et dispositifs comme la filière Silver économie. Ensuite au niveau sociologique, avec une nouvelle génération de vieux qui entrent dans le grand âge et qui a conscience de ces enjeux.
À l’attention des start-up
Il y a beaucoup de signaux au vert pour les 5 prochaines années. Cependant, je m’adresse aux start-up qui se créent : regardez attentivement ce qui existe parce que si vous réinventez l’eau chaude ou répondez à un microbesoin, votre projet est mort-né. Mais vous associer, composer des PME avec des plateformes de services complètes, voilà ce qui intéresse les investisseurs. Formez-vous à l’innovation au sens large et à la gestion au-delà de votre produit.
À l’attention des investisseurs
Aux investisseurs je veux dire : ce n’est pas parce que le vieillissement vous rebute que vous devez ignorer la Silver économie. Il y a des rendements très intéressants en perspective sur les 5 ans à venir. Il y a un contingent de personnes âgées solvables intéressées par des produits et services capables de les accompagner dans leur longévité. C’est maintenant qu’il faut faire les investissements.
À l’attention des acteurs économiques hors écosystème
Un dernier point sur la filière de la Silver économie : celle-ci est très visible, bien installée, c’est une bonne chose. On a désormais besoin que les instances de développement purement économiques s’intéressent à la Silver économie comme une filière de la relance.
Évolution du marché (2019 - 2021)
AF : Tu déplores qu’il y ait des projets trop naïfs dans leur approche. Mais y en a-t-il moins qu’il y a 2 ans ? Est-ce qu’il y a encore beaucoup de rêveurs qui partent avec l’idée d’inventer un système pour aider leur grand-mère ?
N.M : On a souvent cette discussion avec la CNAV qui regrette la baisse du nombre de projets. J’ai tendance à penser que c’est une bonne nouvelle. Les gens qui réinventent l’eau chaude ne viennent plus. En revanche, c’est la première année qu’un des finalistes de la Bourse Charles Foix4 réussit à lever 4 millions d’euros avant d’être lauréat !
Les projets qui avant auraient été en première position font face à davantage de compétition à présent. En 2017, les finalistes pour la bourse Charles Foix ont levé 40 millions d’euros. Cette année, on est à 71 millions d’euros. Bien sûr c’est ridicule face aux Licornes et aux 6 milliards d’euros levés en France par l’ensemble des start-up. Mais les start-up numériques sont dans la course depuis 30 ans alors que la Silver économie n’a véritablement commencé qu’en 2013.
Aujourd’hui Silver Valley accompagne près de 300 projets de façon personnalisée sur une année. Depuis plus de trois ans, je constate un réel progrès parmi les entrepreneurs. Désormais certains ont le niveau des grands entrepreneurs de la tech, ils ont les mêmes parcours, les mêmes logiques. Et ils viennent dans la Silver économie, c’est quand même génial !
Du côté des investisseurs également, les choses sont en train de bouger. Pendant des années, nous avons eu un seul partenaire investisseur. À présent, nous avons plus de 10 partenaires qui sont entrés chez Silver Valley, notamment des fonds à impact, mais pas seulement.
Les fonds à impact sont très importants : je pense à la Caisse des Dépôts, la Banque des Territoires ou la CNAV. Ce sont des fonds qui sont dans une logique de gestion sociale, qui sont très précieux pour notre secteur. Mais il y a aussi des fonds d’investissement, des business angels, qui attendent de nous qu’on fasse de la veille sur les innovations. Ils s’appuient sur le Scale Up Lab5 pour identifier les innovations prometteuses.
Des trous dans la raquette 🏸
AF : Dans les besoins émergents que tu détectes, est-ce qu’il y a aujourd’hui des secteurs sur lesquels on manque d’entreprises ?
N.M : Nous travaillons sur ce sujet avec des étudiants de Centrale Supélec. Nous nous intéressons surtout aux points de friction qui émaillent la vie des personnes âgées :
Aller au supermarché,
Accéder à son logement,
Téléphoner, etc.
Nous voulons dresser une cartographie des points de friction auxquels on est confrontés passé 60 ans.
Nous avons listé dix points de friction de la salle de bains. En détaillant au maximum les cas d’usage, on voit au-delà du simple risque de chute. On discerne les facteurs derrière ce risque, les moments où il se concrétise.
Nous ouvrons alors autant de champs d’innovations potentielles. Ce seront peut-être des micro-innovations, peut-être des innovations qui n’ont aucun intérêt parce que les stratégies de contournement sont suffisantes. Mais en établissant cette cartographie, nous obtenons tous les trous dans la raquette du quotidien des personnes âgées.
Ensuite, chez Silver Valley, nous comparerons cette cartographie aux innovations existantes. Nous pourrons alors montrer les points de friction saturés et ceux qui sont vides.
Empowerment (again)
Pour répondre de façon moins précise, je pense qu’il y a un besoin très fort mais encore abstrait : l’empowerment et l’utilité sociale. C’est la question existentielle des années 2020 pour le senior.
Qu’est-ce que je fais ?
À quoi je sers ?
Comment écoute-t-on ma parole en dehors de la maladie, du soin et de la retraite ?
Il y a des projets intéressants sur le sujet, la plateforme Benevolt par exemple, et surtout ce que fait AG2R LA MONDIALE sur la création d’un projet de vie à partir de la retraite.
Je pense aussi à la start-up Educawa. Elle aide les personnes à trouver une place dans la société dissociée de leur âge, une place qui corresponde à leur libre choix. Ce n’est pas de la solidarité, ça s’inscrit dans une logique intergénérationnelle productive et réelle.
Il y a des associations comme EGEE, OTECI, etc. Tous ceux qui auront trait à l’utilité sociale de la personne vont à mon avis cartonner dans les 5-6 ans à venir.
Je vois une autre perspective intéressante dans le fait que beaucoup de start-up qui viennent à l’origine de la tech rejoignent la Silver économie avec des innovations organisationnelles. Ce sont par exemple des plateformes open source, des solutions d’interfaçage entre des objets connectés et des logiciels de soins, etc.
Je pense à Mobaspace ou Mementop par exemple. Elles ne s’adressent pas aux seniors mais aux blocs institutionnels qui les entourent. C’est un signal faible que je trouve très positif parce qu’il enclenche un cercle vertueux pour le soignant, l’usager et les proches, qui permettra de libérer du temps pour les soins avec des technologies au coût très modéré.
La longévité biologique, un sujet d’avenir ?
AF : Aujourd’hui on trouve de plus en plus de précurseurs, des molécules qui permettraient d’améliorer la longévité cellulaire6. Le sujet demeure tabou et on manque d’informations alors qu’il y a indéniablement des gens intéressés. Est-ce que vous vous penchez sur le sujet ?
N.M : C’est un sujet sur lequel on pourrait se pencher mais pour l’instant on se concentre sur des sujets sociétaux. C’est la priorité, car dans cinq ans, les besoins seront massifs. L’axe Santé de Silver Valley est encore insuffisamment développé. C’est surtout les Gérontopôles qui sont sur ces sujets et ils font très bien leur travail !
Néanmoins, ce sujet recoupe un autre signal faible : l’alimentation personnalisée dans le secteur médico-social et sanitaire. Les personnes qui vieillissent ne supportent plus l’idée de ne pas pouvoir personnaliser leur alimentation. Quand tu es très dépendant, tu n’as plus que deux façons d’exprimer ta souveraineté : l’habillement et l’alimentation. Les personnes qui ont 90-95 ans aujourd’hui ont toujours accepté que le collectif prenne le pas sur l’individu. Ce n’est plus le cas pour quelqu’un qui a 75 ans aujourd’hui. C’est impossible pour ces personnes, qui pourraient être en établissement dans 10 ans, d’imaginer qu’elles mangeront la même chose que leur voisin ou leur voisine. Jamais ils n’ont eu cette obligation.
Le dernier signal faible nous vient des grands secteurs classiques de la Silver économie qui présentent également de belles perspectives de développement. Les services à la personne, l’adaptation de l’habitat ou le parcours résidentiel notamment. Ces secteurs sont bien structurés, capables d’absorber la croissance du marché et témoignent de la bonne santé de l’écosystème.
Ils montrent que les meilleures années sont à venir.
Le mot de la fin
C’était important pour moi de vous partager ces échanges et j’espère qu’ils vous ont éclairé.
Dans les prochains numéros
Rendez-vous mercredi 15 février pour le 3è dossier des Analyses de Longévité. Il est consacré au care management et j’ai hâte de vous le faire découvrir, car j’y ai mis beaucoup d’analyses inédites et d’idées neuves qui devraient permettre aux entrepreneurs de développer quelque chose d’utile.
Rendez-vous dimanche 19 février pour une newsletter consacrée au rapport Xerfi sur les métiers du grand âge, avec l’interview de sa rédactrice en chef et quelques analyses bien stimulantes sur le paysage à horizon 2030 et 2050.
Rendez-vous mercredi 1er mars pour le 4è dossier des analyses de Longévité. Il est consacré à l’habitat inclusif et j’y ferai une synthèse des derniers travaux publiés ici et là (le dernier rapport Matières Grises sur le logement paru le 9.2, le rapport Xerfi susmentionné, des travaux que j’ai moi-même réalisés pour plusieurs clients en 2022 et 2023). Cela devrait vous donner des idées et perspectives pour créer des projets pertinents et attractifs dans l’habitat partagé.
D’ici là, je vous souhaite un bon dimanche et une bonne semaine.
L’étude Générations Seniors publiée par Adjuvance en 2016 : https://www.silvereco.fr/wp-content/uploads/2016/11/Extraits-recherche-GENERATIONS-SENIORS-by-Adjuvance-NOV-2016.pdf
Mon interview de Nicolas Menet en 2019 : https://sweet-home.info/droits-et-finances/construire-la-societe-de-la-longevite-entretien-avec-nicolas-menet/
Article sur le TOP 40 de Silver Valley : https://www.silvereco.fr/silver-economie-secteur-de-relance-ces-40-start-up-qui-font-leurs-preuves-selon-silver-valley/311513062.
Concours de start-up annuel organisé par Silver Valley et ses partenaires. À partir de 2022, ce concours a été remplacé par le prix Silver Valley. Plus d’informations sur ce prix : https://silvervalley.fr/evenements-silver-valley/prix-silver-valley/
Plus d’informations sur ce dispositif : https://silvervalley.fr/nos-services/scale-up-lab/
En voici une petite liste : https://sweethomecom.notion.site/fe2fc8fc44094b6aa0f54ad427884d4e?v=78de49f4f8844059b6af2553c570247b
🔴 Hommage à Nicolas Menet
Très bel hommage, un travail remarquable pour nos seniors et futurs seniors.
Nb: Nicolas est décédé le 4 Février , cela m‘a doublement marqué car c‘est la journée de lutte contre le cancer et le jour de mon anniversaire.
Longévité en bonne santé à vous Alexandre.