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Le Conseil d'Etat recadre la téléassistance : mon analyse 🤔
Commentaire d'arrêt du Conseil d'Etat | Téléassistance | Service Public | AFRATA | Tunstall-Vitaris | Interview de Hervé Meunier et Alain Monteux
Qui doit payer pour nos vieux ?
Tel est le pivot de toutes les politiques publiques de la vieillesse depuis des siècles.
Et telle est sans doute l’une des raisons de la frilosité de nos gouvernants à voter cette loi Grand Age promise par Emmanuel Macron en 2018 et sans cesse repoussée.
C’est pourtant la pierre d’achoppement, la zone de friction, le nœud gordien de tout système de prise en charge de la vieillesse.
Et c’est encore plus vrai dans un pays qui érige la Sécurité sociale et la gratuité du service public comme des quasi-libertés fondamentales.
Mais malgré le tsunami gris qui se rapproche, malgré les alertes, les mises en garde et les rapports qui s’empilent, le sujet reste en suspens, reporté à un ultérieur non daté, laissé aux bons soins des citoyens qui doivent puiser là où ils le peuvent les ressources pour remédier aux carences des pouvoirs publics.
Aussi, toute manifestation de la puissance publique qui ferait peser la balance dans un sens ou dans l’autre doit-elle être accueillie, analysée, décortiquée et médiatisée, ce que je vous propose de faire avec un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 28 juin 2023 à propos de la mission de service public à laquelle contribuent les téléassisteurs.
Entracte : dans quelles situations le Conseil d’Etat rend-il des arrêts ?
Le Conseil d'Etat est la plus haute juridiction administrative en France. Il garantit le respect de la loi et des droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Le Conseil d'Etat rend des arrêts lorsqu'il est saisi d'un recours contre une décision administrative. En tant que juridiction, il intervient dans le champ du droit public, sur les décisions rendues par les tribunaux administratifs et les arrêts des cours administratives d’appel.
Il joue un rôle équivalent à la Cour de cassation qui intervient pour les affaires relevant du droit privé (civil, commercial, social) et du droit pénal.
Les faits
Le dispositif personnel d'alarme d'un client d'une société de téléassistance a émis un signal d'alerte vers le plateau d’écoute du téléassisteur.
Ce dernier a cherché à contacter son client ainsi que ses proches désignés, mais sans succès. Il a donc transmis l'alerte aux services d'urgence médicale qui ont fait intervenir les secours au domicile du client, comme le prévoit leur procédure d’intervention d’urgence.
En arrivant chez la personne âgée, l’équipe de secours a constaté qu'il s'agissait d'une fausse alerte. Aucune assistance n'était nécessaire.
Si l’intervention est justifiée, le coût est pris en charge par la collectivité. Dans le cas contraire, elle est facturée à la personne qui a lancé l’alerte (à tort, donc).
Les services de secours ont donc réclamé paiement de leur intervention à la société de téléassistance.
La décision
Refusant de payer cette facture qu’il estime indue, le téléassisteur demande l’annulation de l’avis des sommes à payer auprès du juge administratif (TA d’Orléans) qui rejette sa demande.
Il interjette appel auprès de la Cour d’appel administrative de Versailles qui annule le jugement.
Le SDIS saisit le Conseil d’Etat en dernière instance. Dans son arrêt du 28 juin 2023, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt d’appel.
Décision du Conseil d’Etat :
Lorsqu’il intervient en réponse à une alerte déclenchée par un téléassisteur, le SDIS remplit une mission de service public. Mission qui - à ce titre - doit être prise en charge par la collectivité. Le juge fixe cependant une condition d’exécution. L’opérateur de téléassistance a “accompli les diligences qui lui incombent pour éviter une intervention inutile”.
Que dit le droit
Le juge fonde sa décision sur l’article L142-42 du Code général des collectivités territoriales. Cet article dispose :
Les services d'incendie et de secours ne sont tenus de procéder qu'aux seules opérations de secours qui se rattachent directement à leurs missions de service public définies à l'article L. 1424-2.
S'ils ont été sollicités pour des interventions ne se rattachant pas directement à l'exercice de leurs missions, ils peuvent différer ou refuser leur engagement afin de préserver une disponibilité opérationnelle pour les missions relevant du même article L. 1424-2.
S'ils ont procédé à des interventions ne se rattachant pas directement à l'exercice de leurs missions, ils peuvent demander aux personnes physiques ou morales bénéficiaires ou demandeuses une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d'administration.
L’enjeu
L’enjeu du contentieux repose donc sur la définition de la mission remplie par le SDIS lors d’une intervention suscitée par une alerte de téléassistance.
Soit c’est une mission de service public, et donc à charge de la collectivité.
Soit cela sort du périmètre “service public” et donc, le téléassisteur ou son client devront payer.
Le juge a statué sur le droit, mais je vous propose d’approfondir la réflexion en envisageant toutes les possibilités, afin de voir ce qui aurait pu se passer si l’arrêt du Conseil d’Etat avait infirmé celui de la CAA de Versailles.
L’étude n’est pas vaine, car elle dessine la cartographie des services dans la Silver économie, avec ce qui est pris en charge par la collectivité, ce qui est à charge des citoyens et l’entre-deux qui devrait être à charge de l’un ou de l’autre, avec les avantages et inconvénients des différents cas de figure.
Commençons par nous interroger sur la notion de service public avant d’étudier les alternatives et leur impact.
Le service public : c’est quoi ?
Un service public est une prestation qui vise l'intérêt général.
Il est assuré de deux manières :
Soit par des entités juridiques publiques directement ;
Soit par des particuliers, des entreprises privées, des entreprises publiques locales ou d'autres entités juridiques privées, sous le contrôle et éventuellement avec l'aide des autorités publiques.
L'expression "service public" peut avoir deux significations :
Dans un sens fonctionnel, il s'agit d'une activité qui répond à un besoin d'intérêt général et qui est étroitement liée à une entité publique. Ce lien peut résulter de la création, du fonctionnement ou du contrôle de l'activité, qui sont influencés de manière déterminante par une entité publique.
Dans un sens organique, il s'agit de l'entité juridique chargée de la gestion de cette activité.
La question des services publics, enjeu politique et économique majeur
Le secteur public joue un rôle important dans l'économie nationale, tant en termes d'effectifs et de diversité des emplois (notamment dans la fonction publique) que de dépenses, ainsi que des prélèvements obligatoires nécessaires.
Par conséquent, les débats électoraux suscitent des questions sur les services publics, leur rôle, leur nécessité et leur efficacité.
Et c’est dans ce contexte qu’un arrêt délimitant une mission de service public prend tout son sens. Dire que cette mission est un service public, c’est désigner de fait la collectivité pour sa prise en charge.
Mais à l’inverse, décider qu’un service n’appartient pas à la sphère des services publics, c’est faire reposer son coût sur l’usager avec le risque qu’il y renonce.
Ce qui m’amène à réfléchir sur le fonds du sujet.
Qui doit payer ?
Nous avons un service rendu qui n’est pas gratuit, le SDIS ne travaille pas bénévolement et il doit facturer son service. À qui envoie-t-il la note en cas de fausse alerte ?
Client = payeur
C’est le client qui paie parce que c’est lui qui a bénéficié du service. Il a déclenché l’alerte par erreur, les pompiers sont venus, il doit payer.
Avantage : l’équité et la responsabilité. Tu as fait une erreur, tu l’assumes.
Inconvénient : pour éviter que ça se reproduise, le client risque de ne plus utiliser le service et donc de ne pas en disposer quand il en aura vraiment besoin.
Coût pour la société : élevé, car échec du modèle préventif auquel contribue la téléassistance. Et donc, on devra continuer à payer ce qu’on paie déjà (Sécu, Ehpad, APA), mais plus cher vu l’augmentation du nombre de seniors dans les années qui viennent. L’économie initiale est contrebalancée par la hausse du coût des accidents.
Téléassisteur = payeur
Si le client ne veut pas payer et que ce n’est pas un service public, une alternative serait que le téléassisteur intègre l’occurrence dans ses conditions générales de vente. Ainsi, le client n’est pas pénalisé en cas d’oubli, mais ce n’est pas à la société civile d’assumer.
Avantage : On ne fait pas supporter à la société le coût de la prestation, mais elle ne va pas non plus dissuader le client.
Inconvénient : risque que le téléassisteur renforce ses conditions de déclenchement de l’alerte, soit ceinture et bretelle, installe des caméras, et au final dégrade la qualité de son service en retardant une alerte vitale.
Coût pour la société : il pourrait sembler faible, mais la dégradation du service du téléassisteur peut entraîner des effets de bord sur la sécurité à domicile.
La situation est analogue à l’hypothèse précédente. Augmenter le risque d’accident c’est augmenter la fréquence des hospitalisations d’urgence. Une hospitalisation d’urgence pour une personne âgée victime d’un accident, c’est environ 5000 € par jour, pris en charge par la Sécurité sociale, donc par la collectivité.
Citoyen = payeur
L’adaptation de la société au vieillissement est un service public. Tant qu’on n’aura pas fait ce pivot en admettant une bonne fois pour toutes que cette charge revient à la société, la prévention ne fonctionnera pas, faute de budget. L’enjeu : déterminer ce qui entre dans la mission de service public et ce qui n’entre pas dedans. C’est justement ce à quoi contribue l’arrêt du Conseil d’Etat.
Avantage : la justice sociale : reconnaître la nécessité de prendre en charge un besoin universel.
Inconvénient : trouver de l’argent (mais est-ce vraiment un inconvénient si la volonté politique est mobilisée)
Coût pour la société : élevé, parce qu’on va demander à la société de payer pour quelque chose qui n’est pas pris en charge aujourd’hui, mais quid du bénéfice indirect : comment mesurer l’impact sur le temps long d’une vraie politique de prévention ?
L’avis des parties
Afin de compléter mon analyse, j’ai demandé un éclairage à deux des trois parties prenantes à l’affaire :
Hervé Meunier, Président de l’AFRATA et directeur général du téléassisteur Filien ADMR
Alain Monteux, Président du téléassisteur Tunstall-Vitaris
En lisant leurs réponses à mes 3 questions, vous découvrirez la confirmation de mes hypothèses sur la mission de service public. Mais vous verrez un autre argument se dessiner. Les téléassisteurs et leur association attachent beaucoup d’importance au dernier élément du dispositif : le professionnel démontre qu’il a fait tous les contrôles nécessaires avant d’alerter le SDIS.
Pourquoi selon vous ?
Quel intérêt ces professionnels ont-ils à se faire imposer une condition d’exécution aussi sévère ?
Ma réponse : Pour protéger leur corporation contre les nouveaux entrants qui offrent un service d’assistance à domicile sans recourir à un service de levée de doute avant d’alerter les secours.
Découvrons l’argumentation des intéressés…
Les protagonistes témoignent
Qui est Hervé Meunier
Je suis Hervé MEUNIER, Président de l’AFRATA (Association Française de Téléassistance). Notre association fédère 18 membres, principaux acteurs du monde de la téléassistance. Collectivement, les membres de l’AFRATA représentent 85% du marché français et reçoivent plus de 7 millions d’alarmes tous les ans.
Nous illustrons la diversité de notre secteur, riche d’opérateurs locaux ou nationaux, d’entreprises et d’associations.
Notre objectif est de promouvoir la qualité et l’éthique du service de téléassistance au service des personnes âgées ou fragilisées et de leurs aidants, notamment en termes de respect de la vie privée et du libre arbitre de nos abonnés.
Nous cherchons également à mieux faire connaître ce service de soutien à domicile, ses exigences (dont certaines sont fixées par la loi et la réglementation), et son utilité dans notre société vieillissante. C’est pourquoi l’AFRATA est un partenaire de confiance pour alimenter le débat public.
Je suis aussi le Directeur Général de l’un de ses membres, FILIEN ADMR, qui est la filiale opérateur de téléassistance de l’ADMR, le premier réseau associatif français de services à la personne.
Alexandre Faure : Pourquoi avoir engagé une procédure sur ce contentieux alors que le montant réclamé par le SDIS semble assez faible ? Sentiez-vous le moment venu de "faire jurisprudence " ?
Hervé Meunier : Le point de départ du processus est la question de la facturation des interventions, dans certaines conditions, par les Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS). Les téléassisteurs étaient préoccupés par les conséquences de cette facturation en termes d’équité territoriale, d’équité du soutien à la prévention de la perte d’autonomie, et par voie de conséquence de perte de chances face aux risques du quotidien ou des chutes.
Certes seul un petit nombre de SDIS avaient décidé cette facturation, mais avec des montants très divers, allant de quelques dizaines d’euros jusqu’à plus de 1.000 euros, et avec des écarts d’appréciation de la pertinence de l’intervention, en cas de relevage après une chute par exemple.
Cela nous paraissait problématique car la démarche semblait omettre le travail de filtre réalisé en amont par les téléassisteurs et le coût facturé revenait in fine à la charge de l’abonné.
Il est également important de se poser la question de savoir pourquoi les SDIS estimaient devoir facturer leurs interventions. En réalité, cela traduisait leur inquiétude face aux pratiques de certains prestataires de services - je précise ici que je ne parle pas de téléassistants dans ce cas - qui ne respectaient pas l'obligation de constituer un réseau de solidarité autour de l'abonné dès la signature du contrat de téléassistance, ni de procéder à une levée de doute rigoureuse à chaque alarme, avec l'appui de ce réseau.
En somme, certains pensaient pouvoir demander aux services publics de secours de réaliser leur service à leur place, en puisant dans les budgets de la collectivité !
C'est à partir de cette question qu'en 2019, les SDIS et l'AFRATA ont décidé de réfléchir ensemble pour une meilleure coordination entre les téléassistants et les sapeurs-pompiers. Un groupe de travail a été créé, à l'initiative du SDIS de Meurthe-et-Moselle, rapidement rejoint par les SDIS d'Allier, d'Eure-et-Loir et du Tarn-et-Garonne, sous la supervision de la Direction Générale de la Sécurité Civile. Le groupe de travail a permis de préciser les missions respectives et réciproques, ainsi que les conditions de continuité de la chaîne de traitement d'une alarme de téléassistance.
Alexandre Faure : Qu'apporte l'arrêt du Conseil d’Etat ?
Hervé Meunier : L'arrêt du Conseil d'État apporte de nombreux points positifs aux parties prenantes en matière d'obligation de qualité du service de téléassistance et d'encadrement de la coopération entre les téléassisteurs et les services d'incendie et de secours, au-delà de la seule procédure qui était jugée. Il reconnaît notamment l'exigence et la portée de la levée de doute sous réserve du respect de ses obligations par le téléassisteur.
Il est surprenant de constater que l'AFRATA et les SDIS ont identifié et déplorent les pratiques de certains prestataires, dont aucun membre de notre association, qui ne mettent pas en œuvre les réseaux de solidarité ni ne réalisent de levée de doute. Ces prestataires transmettent 100% de leurs alarmes aux pompiers.
Or, les téléassisteurs de l'AFRATA ont mesuré que, parmi les plus de 7 millions d'alarmes qu'ils traitent chaque année, seules 2% sont des urgences vitales nécessitant une assistance. Ils contribuent ainsi à désengorger les services de secours des SDIS et les services d'urgences des hôpitaux.
Une coopération réussie nécessite la connaissance et le respect des missions de chacun. L'arrêt précise également que le bénéficiaire de l'intervention est bien l'abonné au service de téléassistance pour le compte duquel agit le téléassisteur. Cela clarifie la réglementation antérieure.
Ainsi, l'arrêt du Conseil d'État énonce les conditions qui font de la téléassistance un atout et un maillon indispensable au soutien à domicile. Seules les alarmes liées directement aux missions des Services d'Incendie et de Secours doivent leur être transmises. Il est notamment nécessaire d'exécuter les procédures de levée de doute, d'appeler à plusieurs reprises les réseaux de solidarité, et d'être opérationnel 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
L’AFRATA salue cet arrêt qui consacre le respect des obligations et engagements des téléassisteurs, et qui permet aux SDIS d'identifier et d'accueillir sur leurs plateformes seulement les téléassisteurs exemplaires. C'est une réponse à l'égalité des abonnés dans leur service de soutien à domicile par la téléassistance, et cela justifie la participation de l'État à son financement sous la forme d'un crédit d'impôt pour tous, qui devrait être le même pour tous.
Alexandre Faure : Comment allez-vous utiliser cette décision dans votre collaboration avec les parties prenantes ?
Hervé Meunier : La première action immédiate engagée par l'AFRATA consiste à détailler, de manière précise et factuelle, les obligations en s'inspirant des exigences définies par la norme NF de téléassistance, afin qu'elles s'appliquent à tous. Ces exigences rejoindront la charte de bonnes pratiques élaborée par le groupe de travail SIS - Sécurité Civile - AFRATA dont j'ai parlé précédemment, et déjà signée en Meurthe-et-Moselle et Eure-et-Loir. Cette charte de bonnes pratiques a vocation - et nous le souhaitons - à être généralisée dans tous les départements et à identifier les téléassisteurs s'obligeant réellement à réaliser leur mission avec rigueur. La téléassistance contribuera à l'intégration des acteurs du secours, de l'urgence et du soin, dans le respect des missions de chacun.
Une autre action de l'AFRATA sera de définir comment ses membres seront reconnus dans la mise en œuvre de ces bonnes pratiques. Les SDIS ont besoin de critères simples et rapides pour les identifier. Les membres de l'AFRATA s'engagent déjà à respecter la charte d'éthique de l'association ; un niveau supplémentaire avec ces bonnes pratiques est donc légitime.
L'AFRATA et ses membres sont convaincus que la téléassistance doit être un service de prévention de la perte d'autonomie, au service des politiques d'action sanitaire et sociale. Le mode opératoire et les technologies des téléassisteurs constituent déjà un outil de repérage des fragilités, telles que les troubles de la mobilité et les déficiences physiques. Il convient de compléter cet outil par la conception d'une solution pour le relevage.
Dans l'ensemble, le coût modeste de la téléassistance permet de réaliser des économies considérables pour la collectivité, comparé aux coûts d'une intervention des services de secours (entre 800 et 900 euros par heure), d'une hospitalisation (entre 1 000 et 5 000 euros par séjour) ou d'un EHPAD (coût médian mensuel de 2 000 euros). En tant que facteur de préservation de l'autonomie, au service de tous ses abonnés et de leurs aidants, la téléassistance justifie sa place dans le choix de vie à domicile des seniors et pour l'adaptation de la société au vieillissement.
L’avis d’Alain Monteux, président de Tunstall Vitaris
Interview de Alain Monteux, Président de Tunstall Vitaris
Alexandre Faure : Pourquoi avoir engagé une procédure sur ce contentieux alors que le montant réclamé par le SDIS semble assez faible ?
Alain Monteux: Les montants en jeu étaient, au contraire, très importants pour les bénéficiaires de la téléassistance. Nous parlons de montants allant de 100 € à 500 €, soit de 10 mois à 50 mois d'abonnement à la Téléassistance après crédit d'impôt. Ce sont des sommes importantes. Les personnes fragiles ayant le plus besoin de la téléassistance se voyaient ainsi éloignées du dispositif de Téléassistance, participant ainsi à leur vieillissement prématuré à l'extérieur de leur domicile.
Il est important de rappeler que Vitaris appelle les services de secours pour signaler une situation d’urgence potentielle. Le SAMU peut alors décider de faire intervenir les pompiers.
Jusqu'à présent, les services de secours pouvaient décider de facturer leur intervention après coup dans certains cas, par exemple lorsque la personne secourue pouvait se relever entre l'appel et l'arrivée des secours ou lorsque les secours étaient appelés en urgence au domicile d'une personne âgée ayant souscrit un contrat de Téléassistance et ayant déclenché son alarme par inadvertance. Ces facturations ont causé des difficultés à certains bénéficiaires qui n'étaient pas en mesure de faire face aux coûts supplémentaires liés à des interventions imprévues, alors que le fournisseur de Téléassistance avait respecté les normes en matière de levée de doutes et de procédures.
Nous avons jugé avec l’Afrata que cette situation injuste et territorialement inéquitable méritait d’être contestée. Les actions ont pris du temps sans succès notable, et l’Afrata a dû arrêter son action, son avocat s’étant désisté.
Tunstall Vitaris a repris à sa charge et à son compte ces procédures, avec son propre avocat. Nous avons modifié nos argumentations et obtenu des succès importants confirmés par le Conseil d’Etat.
Il était important de valider le rôle de service public des services de secours et de pouvoir mettre sur la table la nécessité de trouver une solution pérenne au problème du relevage.
Alexandre Faure : Qu'est-ce que l'arrêt du CE apporte, qu'est-ce qu'il change dans la perception de la téléassistance et du service public de l'aide aux personnes en danger ?
Alain Monteux: L’arrêt du CE est très équilibré. Il réaffirme le rôle d’utilité publique de la Téléassistance, insiste sur la complémentarité et le rôle de chaque acteur, dans la gestion du maintien à domicile.
Cette décision capitale est rassurante pour les familles et les bénéficiaires qui ne vont plus craindre des facturations lourdes et imprévisibles.
Il était important que seules les entreprises qui respectent les règles de sécurité soient concernées par cet arrêt. Seulement 2% des appels des télé-assistants de l'Afrata sont envoyés aux services de secours. Le CE rappelle que les démarches qualité entreprises par les acteurs de la téléassistance sont essentielles pour respecter les procédures de levée de doute et éviter les appels non nécessaires. Vitaris est certifié pour la norme NF Téléassistance à domicile depuis février 2017. Les services de secours (BOMSIS) ont également aidé à la création de cette norme. Une charte mutuelle des bonnes pratiques a été signée avec l'Afrata grâce à l'Association Française de Téléassistance.
Alexandre Faure : Comment allez-vous utiliser cette jurisprudence ?
Alain Monteux : Cette jurisprudence n’est pas une fin en soi. Tunstall Vitaris souhaite continuer les collaborations engagées avec les services de secours. L’objectif est d’améliorer les modes de fonctionnement de concert, trouver des solutions nouvelles, ne pas laisser sans solution les personnes isolées, ce qui est d’ailleurs une demande réelle et justifiée des conseils départementaux.
Tunstall Vitaris a initié des contacts avec la Fédérations des Sapeurs-Pompiers pour trouver des solutions.
Plusieurs solutions sont sur la table comme la création d’un service public du relevage qui aurait pour mission de relever les personnes dans le cadre d’un financement défini. Ce service pourrait être assuré conjointement et de façon complémentaire par l’État et les collectivités territoriales dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.
Il pourrait être envisagé de financer les services de secours avec une taxe nationale appelée « taxe de relevage ». Cette taxe, similaire à l'écotaxe, serait obligatoire pour tous les citoyens et garantirait un financement stable sur le long terme.
Les transporteurs privés pourraient également jouer un rôle dans les zones rurales pour aider à la levée de doute et au relevage.
Les services à la personne pourraient fournir un complément d'activité pour le personnel en tension, ce qui est actuellement étudié avec la FESP1.
Il est important de continuer à inclure les personnes isolées et de lutter contre l'isolement, en cherchant ensemble des solutions locales pour les personnes pour lesquelles le domicile n'est plus adapté.
Alexandre Faure : Autre chose à ajouter, un angle que je n'aurais pas couvert ?
Alain Monteux: La décision renforce la Téléassistance, qui a été validée en tant que solution préventive par le plan anti-chutes du gouvernement. J'espère que cette décision pourra également permettre de créer un « droit à la Téléassistance » pour tous les départements, en tant qu'outil de prévention dans leurs compétences en matière d'action sociale. Dans le cadre d'une stratégie nationale claire, ce droit à la téléassistance garantirait l'égalité d'accès à cette solution pour tous les territoires. Le financement d'un montant minimal par mois pour toute personne de 75 ans et plus, vivant à domicile, en plus des heures d'allocation personnalisée d'autonomie à domicile et de prestation de compensation du handicap, garantirait l'exercice de ce droit.
Épilogue : les origines de la téléassistance en France
Les premiers systèmes de téléassistance sont apparus en 1974.
À partir de 1977, le gouvernement accompagne les incitations massives en faveur du maintien à domicile et envisage de créer un service public de téléalarme.
L’enjeu est de rattraper le retard de la France en équipements téléphoniques et en diffusion du téléphone chez les personnes âgées.
En janvier 1978, à l’occasion du 1 000 000e abonné au téléphone, le président Valéry Giscard d’Estaing annonce la mise en place d’un réseau national de téléalarme pour personnes âgées.
À la fin des années 1970, le premier réseau significatif de téléassistance pour personnes âgées est l’Écoute Marins Pompiers de Marseille qui compte 1 200 abonnés.
Les lois de décentralisation de 1982 et 1986, dites lois Defferre, ont suspendu le projet de création d’un service public national de téléalarme. Dès lors, les compétences en matière d’action sociale sont revenues aux départements.
La France, mauvaise élève de la téléassistance !
Les personnes âgées s’équipent en moyenne à partir de 80 ans, à la suite d’un accident ou d’une hospitalisation. La téléassistance souffre d’une image très liée à la dépendance qui freine sa pénétration auprès de publics plus jeunes.
Taux d’équipement en téléassistance chez les 75 ans et plus :
Royaume-Uni 36 %
Suède 26 %
Espagne 19 %
France 10 %
Allemagne 8 %
Au Royaume-Uni, une étude réalisée par le Lancashire County Council entre 2016 et 2017 auprès de 1500 bénéficiaires a montré que l’abonnement à un service de téléassistance fait diminuer le coût de l’action sociale de 5000 euros par bénéficiaire et par an.
En Espagne, une étude réalisée par le cabinet indépendant Ignetica entre 2011 et 2018 sur 256 000 bénéficiaires a montré que la téléassistance contribue à prolonger le maintien à domicile de 2,18 ans en moyenne.
Les interventions avec ambulances ont diminué de 36 %. Les bénéficiaires espagnols sont 98 % à déclarer être plus tranquilles d’esprit pour leur famille, 78 % ont un sentiment d’autonomie plus fort et 96,3 % se sentent plus en sécurité que les personnes qui n’ont pas la téléassistance.
Pourquoi c’est important ?
En France, le taux d’équipement plafonne à 10 % des plus de 75 ans, mais des disparités importantes entre les départements subsistent.
Elles sont notamment dues à la politique volontariste de certains Conseils Départementaux. En 2020, 25 départements ont mis en place un marché public pour la téléassistance et 37 % des abonnés le sont grâce à un dispositif issu d’un marché public et donc d’une politique publique.
L’enjeu clé de la téléassistance, c’est de trouver comment augmenter le taux d’équipement, en rajeunissant sa clientèle d’une part et en touchant plus de seniors équitables, mais non équipés d’autre part.
Ce qui nous amène à la conclusion suivante
Puisque nous, les Français sommes viscéralement attachés à notre service public que nous rêvons universel, nous devons nous donner les moyens de financer collectivement ce service public qui profitera à tous nos concitoyens.
Cela signifie deux choses :
L’existence d’une prestation de base prise en charge par la collectivité
La cohabitation, avec cette base, de prestations premium, plus qualitatives, mais aussi plus coûteuses.
Développer une offre globale en Silver économie, c’est adresser les deux marchés. L’enjeu de l’écosystème, c’est de reconnaître la nécessaire coexistence de ces deux besoins qui ne se rejoignent pas.
A titre de comparaison, c’est ce que propose l’Assurance maladie avec le 100% santé : vous pouvez bénéficier d’une prise en charge intégrale sur certains équipements ou bien opter pour des équipements plus qualitatifs, mais plus chers, pour lesquels la prise en charge est minorée, voire inexistante.
Pourquoi ce qui est possible et admis pour la santé ne le serait pas pour l’autonomie.
Je me pose la question et je vous pose la question.
Fédération des entreprises de services aux particuliers
Le Conseil d'Etat recadre la téléassistance : mon analyse 🤔
Les sociétés de télé assistance sont elles soumises à des contrôles qualité ? Si tel était le cas , elles respecteraient peut être, leurs engagements de solliciter en premiers lieux l’environnement du client alerteur, avant d’appeler le SDIS !
A t’on calculer les économies réalisables de ce fait ?
Les sociétés d’assurance soutiennent elles ses sociétés de télé assistance ?
Ars soutient elle des sociétés privées ?