L'IA au service du maintien à domicile : la France face à ses contradictions
Un livre blanc dévoile le grand paradoxe : 65% des Français veulent vieillir chez eux mais rejettent les technologies qui le permettraient
Bienvenue sur Longévité, la newsletter où, deux fois par semaine, je décortique les enjeux et perspectives de l’adaptation de la société au vieillissement.
Dans cet opus, j’analyse les enseignements tirés d’un livre blanc, publié en février 2025, sur l’enjeu de l’IA dans le médico-social et plus particulièrement dans l’aide à domicile.
Cette étude très intéressante révèle une inquiétante levée de boucliers du côté des citoyens et une timide, mais enthousiasmante adoption du côté des professionnels, malgré une vision du sujet un rien restrictive.
En tout état de cause, c’est un ouvrage très intéressant que j’ai pris grand plaisir à lire et à analyse. Il m’inspire LA question de la semaine :
Comment accélérer l’adoption de l’IA à bon escient et au service de la longévité ?
Une crise mondiale des vocations
La crise des vocations dans le médico-social prend une ampleur mondiale. De la France à la Chine, en passant par l'Afrique, les jeunes se détournent des métiers du soin et de l'accompagnement.
Cette désaffection arrive au pire moment : les aidants familiaux, traditionnelle variable d'ajustement, se raréfient sous l'effet des mutations démographiques et sociétales. Les déserts médicaux s'étendent, aggravant l'isolement des personnes âgées qui, pourtant, expriment massivement leur souhait de vieillir à domicile.
L'IA comme solution potentielle
Face à cette équation complexe - moins de soignants, moins d'aidants, mais plus de besoins - l'intelligence artificielle pourrait apporter des solutions. C'est ce défi qu'explore le livre blanc publié le 5 février 2025 par ABILITIS, fonds de dotation dédié à l'inclusion des personnes vulnérables.
En interrogeant 1000 Français et en donnant la parole aux acteurs majeurs du secteur, cette étude révèle une situation préoccupante : alors que 63% des sondés se disent concernés par la perte d'autonomie et que 65% souhaitent vieillir à domicile, leur méfiance envers l'IA reste écrasante.
Un décalage d'autant plus problématique que la technologie représente l'une des rares réponses systémiques aux défis du maintien à domicile.
Cette initiative d'ABILITIS s'inscrit dans une démarche plus large de soutien à l'innovation. Depuis 2022, le fonds accompagne déjà des projets novateurs à travers des appels à projets ciblés. Ce livre blanc constitue une nouvelle étape : au-delà du simple état des lieux, il propose des pistes concrètes pour accélérer l'adoption de l'IA dans le secteur médico-social.
Les Français craignent l'IA. - Jamal Mekhaemar / Directeur technique et innovation de CORELIA
Le grand paradoxe français
Une méfiance généralisée envers l'IA
80% des Français estiment que l'intelligence artificielle menace les interactions sociales.
Une inquiétude qui s'inscrit dans un climat général de défiance, avec 61% des sondés peu enthousiastes et 65% peu confiants envers cette technologie.
Plus révélateur encore, 47% se sentent tout simplement dépassés par l'IA.
Le défi du vieillissement à domicile
Ce rejet massif contraste violemment avec la conscience aigüe qu'ont les Français des enjeux du vieillissement. L'étude commandée par ABILITIS montre que 63% d'entre eux se sentent concernés par la perte d'autonomie, tandis que 30% ont déjà un proche dépendant maintenu à domicile. Le choix est d'ailleurs clair : 65% souhaitent rester chez eux s'ils perdent leur autonomie.
"Les Français craignent l'IA. Entre fascination et peur du déclassement, les sentiments sont véritablement partagés", analyse Jamal Mekhaemar, directeur technique et innovation de CORELIA1. Une situation paradoxale qui s'explique en partie par un déficit d'information criant : seulement 14% des Français se sentent bien informés sur le sujet de l'IA.
Plus inquiétant encore, cette méfiance s'étend aux usages les plus concrets. Même sur des applications pourtant essentielles comme la détection des chutes ou le suivi des constantes vitales, une majorité reste sceptique. Ainsi, seuls 48% pensent que l'IA pourrait faire aussi bien qu'un humain pour la surveillance de la santé des personnes âgées.
L'IA est un véritable game changer, notamment dans la prédiction. Elle intervient dès le début de la chaîne en analysant les données pour identifier les profils les plus à risque et les besoins prioritaires. - Alexandre Petit / Président d'Alogia2
Un premier pas essentiel vers la réflexion collective
Le livre blanc d'ABILITIS marque une étape importante : c'est l'une des premières études d'envergure qui analyse concrètement la perception de l'IA dans le secteur du maintien à domicile.
En interrogeant un panel représentatif de 1000 Français et en donnant la parole aux acteurs majeurs du secteur, ce document pose les bases d'une réflexion collective devenue urgente.
Des initiatives prometteuses
Parmi les initiatives mises en avant, certaines démontrent déjà le potentiel de l'IA. Centrale Supélec, par exemple, a développé Emobot3, un robot capable de détecter les risques de dépression chez les personnes âgées. "Les résultats montrent que les soignants s'en emparent pour mieux suivre leurs patients, ce qui évite des accidents et améliore le lien social. L'IA devient ici un outil préventif", explique Renaud Séguier, chercheur à CentraleSupélec.
De son côté, Alexandre Petit, président d'ALOGIA Groupe, mise sur l'analyse prédictive : "L'IA est un véritable game changer, notamment dans la prédiction. Elle intervient dès le début de la chaîne en analysant les données pour identifier les profils les plus à risque et les besoins prioritaires."
Une approche pragmatique
Les professionnels s'accordent cependant sur une vision prudente du déploiement de l'IA. Cette approche pragmatique se traduit par des propositions concrètes dans le livre blanc. ABILITIS suggère notamment la création dans chaque région d'une "maison et/ou plateforme de l'intelligence artificielle" sur le modèle de la Maison intelligente de Blagnac.
Plutôt que de multiplier les lois contraignantes, il faudrait un cadre éthique et déontologique global pour réguler l'innovation et non la brimer. - Frank Nataf / Président de la Fedesap
Les angles morts d'une réflexion trop conservatrice
Une vision limitée des possibilités technologiques
La frilosité du secteur se manifeste particulièrement dans sa façon d'aborder l'innovation. Alors que les technologies disponibles permettraient des transformations profondes des modes d'accompagnement, la plupart des acteurs se cantonnent à une vision minimaliste où l'IA ne serait qu'un outil d'optimisation des processus existants.
Cette approche prudente reflète une inquiétude légitime concernant la protection des personnes vulnérables. Cependant, comme le souligne Frank Nataf, "plutôt que de multiplier les lois contraignantes, il faudrait un cadre éthique et déontologique global pour réguler l'innovation et non la brimer." Cette perspective libère le potentiel de l'IA tout en garantissant une utilisation responsable.
Une vision restrictive de l'IA
Même les propositions les plus innovantes du livre blanc restent dans un paradigme où la technologie ne fait qu'assister l'humain. La crainte de la déshumanisation conduit paradoxalement à sous-estimer le potentiel transformatif de l'IA.
L'exemple d'Emobot, présenté comme une avancée majeure, illustre cette timidité : le robot ne fait que détecter des signes de dépression pour alerter le personnel soignant, sans explorer les possibilités d'interaction directe avec les résidents.
Le risque du dépassement technologique
Le danger de cette approche prudente est double. D'une part, le secteur risque de rater le virage de l'innovation pendant que d'autres acteurs, notamment les GAFAM, développent des solutions plus ambitieuses. D'autre part, en refusant d'envisager certaines évolutions, les professionnels se privent des moyens d'en maîtriser le déploiement éthique et raisonné.
Les propositions d'ABILITIS : vers un cadre facilitateur
Face à ces constats, ABILITIS formule plusieurs propositions concrètes pour accompagner le développement de l'IA dans le maintien à domicile :
Créer dans chaque région une "maison de l'intelligence artificielle" rassemblant tous les acteurs liés à l'accompagnement des personnes en situation de handicap ou en perte d'autonomie
Développer des solutions hybrides associant IA et présence humaine
Mettre en place des programmes éducatifs labellisés par l'État
Faciliter les échanges internationaux pour s'inspirer des bonnes pratiques, notamment dans les pays plus avancés dans ce domaine
Conclusion : Pour une approche facilitatrice de l'innovation
La transformation numérique du maintien à domicile est inéluctable.
Le rôle de l'État et des institutions ne devrait pas être d'entraver cette évolution par une réglementation excessive, mais au contraire de créer les conditions d'un développement serein et éthique de ces technologies.
Comme le suggèrent plusieurs contributeurs du livre blanc, le développement de l'IA dans le maintien à domicile gagnerait à s'enrichir des expériences internationales. Les pays nordiques et le Royaume-Uni, notamment, offrent des exemples inspirants de coopération réussie entre acteurs publics et privés.
Plus qu'une simple évolution technologique, c'est un changement de paradigme qui s'impose. L'IA ne devrait pas être vue comme un simple outil d'optimisation des tâches administratives, mais comme une opportunité de réinventer fondamentalement la relation d'aide aux personnes âgées.
Les professionnels du secteur ont encore une fenêtre d'opportunité pour prendre les devants de cette transformation, à condition que le cadre réglementaire encourage l'innovation plutôt que de la brider.
La société Corelia peut être définie comme une entreprise spécialisée dans le domaine de la science des données et du data modeling pour les entreprises. Elle se concentre sur la corrélation des données, de l'informatique et des métiers pour améliorer la performance et l'innovation. Corelia valorise les données en les rendant performantes, intégrées, conformes, structurées et sécurisées. L'entreprise a plusieurs implantations en France, notamment à Paris, Lille, Lyon, Nantes, Bordeaux et Toulouse, et elle recrute également en Europe (définition générée par Perplexity à partir du site web de l’enseigne).
ALOGIA Groupe peut être défini comme une entreprise spécialisée dans la Silver Économie, se concentrant sur le développement de technologies prédictives et de services de prévention pour améliorer le bien vieillir à domicile. Elle utilise l'intelligence artificielle (IA) et le Big Data pour optimiser les stratégies seniors, notamment grâce à son logiciel RevealCare. Ce logiciel analyse et croise plus d'un milliard de données pour aider les organisations à prendre des décisions stratégiques éclairées dans le domaine du vieillissement (définition générée par Perplexity à partir du site web de l’enseigne).
Emobot peut être défini comme une entreprise spécialisée dans le développement de solutions numériques pour améliorer la santé mentale et le développement de médicaments. Elle propose des outils tels qu'EmoDTx et EmoCare, qui utilisent la psychothérapie digitale pour aider les patients à objectiver leur état émotionnel et à suivre leur progression. Ces solutions visent à améliorer l'efficacité des soins, l'observance des traitements et l'expérience patient, tout en soutenant le développement et l'approbation des médicaments (définition générée par Perplexity à partir du site web de l’enseigne).
Tant qu’on ne sortira pas du prisme Vieux = Fragile et Malade, on fera fausse route. Il faut commencer par le commencement, un vieux est une personne à part entière, parfois fragile, parfois malade, mais même pour ceux là, ce n’est pas le principal, ce sont des hommes et des femmes avec une vie, passée et présente, avec des envies, avec des soucis. Pour moi, l’IA changera la donne du maintien à domicile car elle permet de décoder la vie quotidienne et de mettre en place un écosystème parfaitement adapté autour de la personne, ajusté. Pour moi, l’IA permettra de réaliser beaucoup de tâches aujourd’hui considérées comme complexes ou irréalisables par nombre de seniors et diminuer leur sensation de déconnexion d’un certain monde. Pour moi, l’IA apportera une présence auprès des personnes isolées et les reconnectera au monde. Mais pour arriver à tout cela il faut placer la Personne au coeur, au centre, et utiliser l’IA telle qu’elle est, c’est à dire un outil savant, un assistant dévoué et corvéable à merci. Sans inquiétudes et angoisses infondées, sans naïveté non plus. Je pense qu’avec l’IA, par rapport à la situation d’aujourd’hui, on a beaucoup plus à gagner qu’à perdre.