Livre Blanc du Travail Social 2023 : Mon analyse
Contexte | Enjeux | Perspectives | Propositions | Limites | Critique constructive | 3 Questions à Christophe Capuano
Début décembre 2023, l’homme politique (PS) Mathieu Klein, président du haut conseil du travail social (HCTS) a remis aux ministres Aurore Bergé (Autonomie) et Olivier Dussopt (Travail) le Livre Blanc 2023 du travail social. Réalisé par le HCTS, le livre pèse 314 pages (179, hors annexe). Il ambitionne de proposer au gouvernement les mesures qui pourraient - enfin - faire sortir le travail social de l’ornière.
Ce dossier devait vous en livrer l’analyse, car si vous avez connaissance de cette actualité, je souhaite vous faire gagner du temps quant à son analyse, ce genre de pavé - dans la mare - étant souvent plus bavard que nécessaire, peut être pour dissuader les destinataires de les lire.
Cependant, j’ai dévié de ma route initiale. Je vais vous dresser un panorama, vous partager plein d’éléments utiles à la compréhension des enjeux et perspectives, mais je ne vais pas décortiquer le pavé ligne à ligne. Pour des raisons que je vous explique plus loin dans mon exposé.
Mais là, tout de suite, j’aimerais que vous vous remémoriez ce que vous avez pensé en lisant l’annonce de la remise de ce rapport, en grande pompe.
Moi, je me suis dit…
“Un de plus”
Un énième livre blanc sur le travail social. L’annexe dudit livre blanc ne manque pas de rappeler que ce travail s’inspire des 29 rapports et 246 recommandations réalisés depuis 2015 à la demande ou sous l’égide du gouvernement. Dans ces conditions, qu’est-ce qu’un rapport de plus pourrait bien apporter ?
Et comment pourrait-il débloquer l’attractivité des métiers dans le médico-social, véritable serpent de mer qui met en péril le fragile équilibre des institutions, acteurs et associations concernés.
Loin d’être récent, le problème se dresse, tel un récif, depuis des décennies. Et si on a parfois réussi à le contourner avec une réforme, une enveloppe ou une loi, force est de constater son retour aussi inexorable que celui du Père Noël, quoique moins désiré.
Note : je concentre mon analyse sur le secteur de la dépendance, et plus spécifiquement encore sur l’aide à domicile. Le livre blanc balaye un champ plus vaste puisqu’il s’intéresse à tout le médico-social.
Mais quel est le problème, à l’origine ?
Ne serait-ce pas la décorélation entre solidarité et intention ?
Avant que cette solidarité soit démocratique, elle était gérée par les sociétés de patronage, les paroisses, les associations ouvrières, les organismes de secours mutualiste… bref de manière locale et ciblée auprès d’un public particulier, avec une intention sous-jacente. Eduquer la bonne ménagère, renforcer la communauté, fidéliser les ouvriers en entretenant un climat paternaliste et sain.
Le service était financé à fonds perdu par les institutions chapeau, car le projet répondait à un objectif plus vaste que le service rendu. Ce qui justifiait son coût.
Et puis, bien sûr, il y avait les familles étendues, qui prenaient en charge les écarts, aidant les jeunes, les vieux et les malades de la communauté.
Et c’est pour cela que les familles faisaient beaucoup d’enfants. D’une part, elles luttaient contre la mortalité infantile. D’autre part, elle développaient une communauté pour prendre en charge les corvées. Enfin, elles produisaient un troupeau de petits ouvriers afin de financer la retraite des aînés, quand ceux-ci n’avaient plus les moyens de travailler.
Qu’est-ce qui a fait changer le système ?
C’est d’abord la transition démographique, qui a eu pour effet de faire chuter la mortalité infantile, supprimant la nécessité de procréer massivement pour compenser les décès.
Ensuite, le développement d’un service d’assistance national a petit à petit grignoté les services locaux, mutualistes, paroissiaux. On constate encore ce mouvement centripète aujourd’hui. Les petites structures ne peuvent pas lutter contre la complexité administrative et se font manger par des gros faiseurs qui développent leur réseau tentaculaire par croissance externe.
Enfin, la création d’un système de protection sociale individuelle a supprimé la nécessité, pour les descendants, de financer la retraite des ascendants. Bien qu’une obligation perdure dans le code civil, elle n’est que l’ultime vestige d’un dispositif de solidarité qui n’existe plus que dans les pays n’ayant pas de système de protection sociale1.
A quoi assistons-nous aujourd’hui ?
Des solidarités religieuses ou ouvrière subsistent-elles ?
Sont-elles encouragées ?
Comme nous venons de le voir, le rouleau compresseur des obligations, déclarations, autorisations les a depuis longtemps écrasées, les contraignant à céder leur organisme à un gestionnaire mieux organisé, souvent commercial, qui sache faire face à l’hydre administratif à défaut de gérer le besoin local avec le même engagement que l’organisme historique.
Institutionaliser la solidarité permet peut-être de la généraliser et de l’harmoniser, mais ce travail normatif se fait au détriment d’une raison d’être qui donnait du sens aux actions ciblées.
Pire, comme l’aide apportée n’est pas perçue comme la norme (les gens normaux n’en ont pas besoin), elle n’est pas valorisée par la société. Ce n’est pas un service d’exception, qui requiert une expertise ou un savoir-faire artisanal. Et donc, ce n’est pas un service qu’on accepte de payer cher, attendu qu’il n’est qu’une délégation de la vie quotidienne. Délégation souvent caricaturée ou simplifiée à ses manifestations les plus identifiables : le ménage, la cuisine, les sorties.
En même temps, on assiste à une mutation des solidarités familiales. Tous les âgés dépendants n’ont pas de famille, mais pour ceux qui en ont une, toutes les familles n’ont pas la vocation pour aider un parent âgé dépendant. Et même si les descendants en ont l’obligation, les stratégies d’évitement sont parfois recherchées pour déléguer la charge, à moindre coût à des travailleurs sociaux.
Le problème
Et comme ces métiers ne sont valorisés ni financièrement, ni sociétalement. Comme ils ont perdu leur raison d’être idéologique, plus personne ne veut les exercer. Le ratio rémunération / difficulté est même moins attractif que d’autres activités “alimentaires”.
Le sujet n’est pas récent, mais le problème pourrait s’accentuer à cause de l’impact conjugué du vieillissement de la population, de l’augmentation des besoins en assistance sociale et du tarissement des ressources, tant financières qu’humaines.
Un regard à 360 degrés, porté par des professionnels permettra donc de faire un état des lieux exhaustif.
C’est l’objectif de ce livre blanc.
Voyons ce que nous réserve sa lecture.
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