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Les métiers du grand âge 🤔 à horizon 2030
Plongez dans ce rapport Xerfi avec son auteur, Cathy Alegria, et découvrez ce que l'avenir nous réserve.
J’accueille Madame Cathy Alegria, directrice d’études chez Xerfi et responsable du rapport intitulé Les stratégies des acteurs du Grand Âge qui est paru au quatrième trimestre 2022.
J’ai ouvert mes colonnes à Cathy Alegria le temps d’une interview où elle présente les éléments saillants de ce rapport.
Nous parlons des métiers du grand âge dans leur ensemble et faisons un focus sur l’habitat, grand enjeu de cette décennie et qui devrait, selon l’étude, connaître des bouleversements significatifs. Pas tant dans l’offre - qui semble fixée et doit désormais se développer - mais plutôt dans le parcours résidentiel et le temps que les citoyens âgés vont passer à l’Ehpad, pour ceux qui doivent y finir leur vie.
Ces travaux serviront d’avant-propos au prochain épisode Longévité Premium qui paraîtra le 1er mars 2023 et sera consacré à l’avenir de l’habitat inclusif.
Mon échange à bâtons rompus avec Cathy Alegria
Périmètre du rapport
Alexandre Faure
Dans votre rapport Les stratégies des acteurs du Grand Âge, vous circonscrivez le champ du Grand Âge sur le médico-social et un peu de médical. Pourquoi cette délimitation-ci ?
Note : pour Xerfi, le champ du grand âge =
Ehpad
SAAD, SSIAD, SPASAD
Résidences services seniors (privé commercial) et résidence autonomie (associatif ou public)
Habitat Alternatif (inclusif, béguinages, colocations)
Soins de Suite et de réadaptation (SSR)
Cathy Alegria
Cela correspond au périmètre d'activité observé chez les acteurs dominants.
Concentration centripète ⭕
Alexandre Faure
Peu d'acteurs aujourd'hui ont intégré toutes les étapes du parcours résidentiel d’un senior. Est-ce que vous percevez une évolution chez des acteurs qui ont une ambition de faire à la fois de l'EHPAD, de la résidence services, du SSR, des services à domicile. Ces synergies sont-elles perceptibles ?
Cathy Alegria
Les groupes – surtout commerciaux – témoignent d’une volonté d'intégrer l'ensemble des maillons, ce qui s'est d'ailleurs manifesté par de nombreux rachats de réseaux de services à la personne orientés personnes âgées. Mais c'est vrai aussi dans le privé non commercial.
Je pense notamment à des concepts novateurs qui sont en train d'émerger. Par exemple Aesio avec la Cité des aînés1 ou Fondation Partage et Vie avec son premier Campus de vie2. Pour l'instant, ce sont plus des tests, des tentatives d'intégration d'une offre globale pour les personnes âgées sur un même site. Mais ces acteurs ont une volonté d'intégrer l'ensemble des métiers.
De même, certains gestionnaires de plusieurs EHPAD se sont diversifiés depuis plusieurs années dans l’exploitation de résidences seniors. C’est particulièrement le cas d’acteurs privés de moindre envergure comme DOMIDEP et STEVA. Indépendamment des statuts des acteurs ou de leur cœur de métier, ces mouvements d'intégration de la filière ont plutôt tendance à se généraliser.
Tous les acteurs désirent se transformer en guichet unique, mais les groupes commerciaux disposent de plus de moyens, ce qui leur permet d’avancer plus vite que l’associatif.
Alexandre Faure
Et pourtant, aujourd'hui, c'est un marché dont l'offre demeure très segmentée ?
Cathy Alegria
Complètement segmentée. Plusieurs raisons à cela :
Les activités dédiées aux seniors peuvent être très différentes les unes des autres,
Leurs financements aussi : notamment le degré d’implication financière de la puissance publique,
Tout comme le public ciblé : en termes de dépendance, mais aussi de revenus.
Pour l'instant l’ensemble des prestations et de l’offre d’hébergement pour les seniors est très cloisonné. Pour autant, Xerfi prévoit depuis longtemps leur décloisonnement.
Cette évolution est souhaitée par les pouvoirs publics comme en témoigne la future création de guichets uniques dans le domicile (les futurs services autonomie à domicile - SAD), mais pas seulement. Ainsi, l'introduction de la procédure d'appel à projets pour la création de nouveaux EHPAD, en 2010, a permis au privé commercial d'ouvrir de nouveaux établissements en EHPAD à condition de jouer la carte du guichet unique en allant vers d'autres segments moins attractifs, moins rentables mais qui permettaient une certaine cohérence de l'offre au niveau des territoires. Ce mouvement a coïncidé avec l'arrivée des grands acteurs de la dépendance dans le domicile.
Donc, a priori, tout va dans ce sens et cela va sans doute s'amplifier au cours des années à venir.
Les enjeux du bouleversement à horizon 2025-2030
Alexandre Faure
On peut dire que d'ici 2025, 2030 au plus tard, le paysage médico-social va être complètement bouleversé. Quels sont, selon vous, les enjeux clés et comment les anticiper ?
Cathy Alegria
Le principal bouleversement à venir, c'est un énorme boom démographique qui fera bondir le nombre de personnes dépendantes.
Parallèlement, nous allons connaître une évolution des attentes des personnes âgées, avec l'émergence d'une génération qui subit moins sa dépendance, qui souhaite avoir le choix entre ses modes de prise en charge et ne souhaite pas forcément aller en maison de retraite.
Un graphique illustratif

Note : Ce graphique est hallucinant. C’est la première fois que je visualise cette façon de représenter le tsunami démographique. Ce moment où les boomers sont entrés massivement - et brutalement - dans l’âge de la fragilité. Et la continuité de ce mouvement qui ne s’arrêtera pas avant des décennies.
Cette dataviz a été réalisée par StratSenior3.
Et en face, une offre qui évolue lentement et ne semble pas capable de faire face au boom démographique et à cette évolution des attentes.
D'un point de vue quantitatif, si on devait faire face au boom démographique en plaçant autant de personnes âgées dépendantes dans les EHPAD demain qu'il y en a aujourd'hui, il faudrait construire énormément de nouvelles structures.
Pour autant, les autorités ne semblent pas vraiment vouloir choisir cette voie. Les autorisations de création sont faibles depuis quelques années.
Ces constats nous ont conduits à créer des projections sur la structure de l'offre d'hébergement pour personnes âgées à très long terme en fonction de ses caractéristiques actuelles.
La révolution du parcours résidentiel ♻️
Alexandre Faure
Qui est concerné par cette révolution ?
Cathy Alegria
Les gestionnaires d'Ehpad sont les plus concernés par cet enjeu, pour le moment. Va se poser pour eux la question d'ouvrir de nouvelles places de maisons de retraite (sous réserve que les pouvoirs publics rouvrent le robinet des autorisations administratives) ou d’accélérer leur diversification dans d’autres formes d'habitat. Voire d’agir sur ces deux leviers.
Après, se pose la question des autres types d'acteurs. Je pense notamment aux gestionnaires de résidences seniors. Leur offre semble relativement adaptée aux nouvelles attentes des seniors autonomes. Mais ils risquent de devoir faire évoluer leurs modèles pour pouvoir aussi accueillir des personnes âgées dépendantes demain. Pour eux le défi consistera à faire évoluer leurs services, en matière d’accompagnement à la mobilité et de prévention de la perte d’autonomie. En ce sens, des partenariats pourront être noués avec des réseaux de services à la personne.
L’Ehpad toujours dominant dans l’offre de 2030 🏥
Alexandre Faure
En ce qui concerne les hébergements, même si vous constatez une croissance de tous les modes d'hébergement, l'Ehpad restera l'offre dominante. Quels sont leurs enjeux spécifiques pour 2025 à 2030 ?
Cathy Alegria
Si les EHPAD auront incontestablement un rôle à jouer pour faire face au vieillissement « massif » de la population française, en dépit de la crise réputationnelle qu’ils traversent actuellement, ils seront probablement amenés à se concentrer sur l’accueil des seniors les plus dépendants.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui puisque 8% des résidents actuels en EHPAD relèvent des GIR 5 et 6.
Si les EHPAD parviennent à se recentrer sur la grande dépendance, au moins 50 000 des 600 000 lits que compte le parc actuellement seraient libérés.
Les EHPAD ont aussi vocation à devenir en parallèle, au moins pour partie, des plateformes de ressources au service du domicile, sous réserve que les expérimentations actuelles, menées autour des EHPAD hors les murs, soient concluantes.
Effet d’opportunité pour les EHPAD 💰
Autre défi pour les gestionnaires d’EHPAD : les placements en institution risquent de devenir plus tardifs et plus courts (leur durée moyenne avoisine les deux ans aujourd’hui). Or d’un point de vue financier, cela peut être perçu positivement dans la mesure où la tarification est libre à l'arrivée d'un nouveau résident (les augmentations de tarif sont à l’inverse plafonnées par décret pour la partie hébergement d'une année sur l'autre pour des résidents déjà accueillis).
Avoir un turnover de résidents plus important peut permettre aux EHPAD de générer plus de rentabilité.
Alexandre Faure
Comment vont-ils s'adapter à cela ?
Cathy Alegria
En optimisant leur gestion de leurs files d'attente. Ils devront consacrer des ressources plus importantes à la gestion des entrées et sorties. Pour maintenir des taux de remplissage constants, ils vont sans doute aussi être incités à nouer plus de partenariats avec des structures pourvoyeuses de flux entrants.
Voire pour certains à accélérer leur diversification dans le domicile et la gestion de cliniques SSR, toutes deux étant des activités pourvoyeuses de flux pour les Ehpad.
Au-delà, ils vont devoir relever un autre défi de taille, mis en exergue par l’affaire Orpéa : trouver un meilleur équilibre entre l’optimisation de leurs organisations et la qualité des soins dispensés. Un impératif qui passera inéluctablement par un arrêt des stratégies de croissance débridée propices aux courses aux volumes et visant l’atteinte d’une rentabilité élevée.
Le défi de la gestion des ressources humaines 👥
Cathy Alegria
L'autre grand défi, c'est la gestion des ressources humaines. Réussir à attirer et à fidéliser des salariés peu séduits par les métiers du grand âge.
Le grand retour de la résidence autonomie ? 🏘️
Alexandre Faure
Il y a un point qui m'a sauté aux yeux quand j'ai lu l'étude et que je n'avais pas forcément bien détecté avant. C'est la convergence dans l'offre entre certains habitats inclusifs. Je pense notamment aux colocations seniors pour personnes dépendantes et aux résidences autonomie qui s'adressent aux mêmes publics, avec une offre qui mélange aussi l'habitat avec le care.
Qu'est ce qui explique que les résidences autonomie aujourd'hui cela ne bouge pas ?
Cathy Alegria
C'est le profil des exploitants des résidences autonomie. Ces établissements sont en grande partie gérés par des acteurs du privé non lucratif et du public. Ils n'ont pas les moyens d'innover, de remettre à niveau leur parc. Un parc vieillissant. En outre, j’ai le sentiment que, dans l’imaginaire des consommateurs, les résidences autonomie s'apparentent un peu à des Ehpad. Cela ne paraît pas être un concept assez novateur, donc les consommateurs qui ont le choix et des moyens s'orienteront plus vers une colocation, car c'est plus moderne.
Alexandre Faure
Il y a aussi un gros écart au niveau de la perception des pouvoirs publics, notamment des collectivités locales, qui continuent à considérer que la résidence autonomie demeure la solution et l'habitat inclusif, le gadget à la mode. Ces collectivités n'ont pas nécessairement les budgets pour l'inclusif et se méfient des projets d'inclusif qui sont portés par des acteurs privés commerciaux.
Cathy Alegria
Les résidences autonomie ont une vocation sociale à l'origine. Donc cela ne m'étonne pas que les collectivités locales soient plus réceptives à cette offre plutôt qu'à des concepts novateurs portés par le privé commercial. Cela fonctionne plutôt bien jusqu'ici, donc ces formats ont un côté rassurant. Petit bémol cependant : les créations de lits dans les résidences autonomie sont quasiment à l'arrêt depuis des années.
Alexandre Faure
Quand je vois les difficultés que rencontrent certains porteurs de projets en l'habitat inclusif, je me dis qu'ils veulent peut-être aller sur ce régime pour les mauvaises raisons et que la résidence autonomie serait parfois plus simple.
L’habitat alternatif en 2030 : un clone de la RSS ?
Ce que je perçois aujourd'hui sur l'évolution du marché dans l'habitat inclusif, ce sont des modèles qui se professionnalisent et qui en termes de business model, se rapprochent des résidences services.
Un promoteur immobilier qui construit,
Un gestionnaire qui exploite et lui paie un loyer.
Un SAAD dédié ou mutualisé qui s’occupe du care.
Peut-être que le marché va évoluer de la même façon qu'en résidences services, avec une marque majeure qui va avoir 15 % du marché, un deuxième gros-porteur dans sa roue et tout un peloton de petits porteurs qui se disputeront le reste du marché ?
Cathy Alegria
Ce segment des hébergements alternatifs, pour l'heure, fourmille d'initiatives individuelles. Certains acteurs commencent à se détacher, mais on reste sur une offre émergente.
L’offre va toutefois se structurer avec l'appui d’acteurs financiers et d'acteurs positionnés sur la gestion d'Ehpad. C'est le cas de Korian avec Ages & Vie, mais il y en a d'autres. Cela ne me surprendrait pas que Orpea rachète un acteur de ce type sous peu. Peu à peu, la concentration de ce segment va s’accélérer et probablement qu’une poignée d’acteurs seulement se distinguera à l’avenir.
L’avenir du SAAD
Alexandre Faure
Vous percevez aussi des mutations profondes sur les aides à domicile. Comment est-ce que les SAAD peuvent s'appuyer sur l’évolution du marché du grand âge pour tirer leur épingle du jeu et devenir des interlocuteurs clés dans le vieillissement ?
Cathy Alegria
Les SAAD ont du mal à trouver un business model solide.
Une grande partie de leurs recettes est absorbée par les frais de personnel. Cela tient parce que le marché s'est beaucoup consolidé. Des grands réseaux arrivent à mutualiser les coûts. Donc, ils arrivent à s'en sortir, mais ce n'est pas la panacée. Pour ceux qui sont spécialisés ou majoritairement orientés vers l'aide aux personnes âgées dépendantes, une des clés sera sans doute de prester davantage dans ces formes d'hébergement intermédiaires qui ne seront pas ou peu médicalisées.
Pour l’heure, l’ADMR est l’un des rares acteurs à avoir franchi le pas à travers ses interventions dans les résidences multigénérationnelles Complicity4 développées par Nexity.
Pourtant, sur le plan financier, l’avantage est évident puisqu’il s’agit d’augmenter le temps de présence des équipes, de prester « en masse » au même endroit et donc de limiter le manque à gagner lié aux déplacements.
D'autre part, les SAAD ont vocation à nouer plus de liens avec des prescripteurs pour mieux s'intégrer dans cet écosystème des personnes âgées (cliniques SSR, dispositifs d’appui à la coordination, gériatres, autres professionnels de santé…).
Si vous souhaitez aller plus loin…
Je vous encourage à vous procurer l’étude Xerfi dont nous parlons ici. C’est un investissement, certes, mais l’ayant moi-même lu avant d’interviewer Cathy Alegria, je suis enthousiaste sur le travail réalisé, la pertinence des analyses, la densité des informations et l’objectivité de la vision. Une objectivité qui peut faire défaut dans certains rapports, plus politiques, publiés sur le sujet par des organismes plus ou moins proches du pouvoir.
Pour en savoir plus, vous pouvez visiter la page de présentation de cette étude, ici : https://www.xerfi.com/presentationetude/Les-strategies-des-acteurs-du-grand-age_22SME92
Quant à moi, je vous donne rendez-vous dimanche prochain pour un nouveau dossier gratuit, puis le 1er mars pour le dossier premium consacré à l’habitat inclusif.
Plus d’informations sur la Cité des aînés ici : https://www.aesio-sante.fr/cite-des-aines/
Présentation du projet Campus de vie dans cet article : https://www.silvereco.fr/fondation-partage-et-vie-pose-de-la-premiere-pierre-de-la-plateforme-services-seniors-de-demain-a-auberchicourt/311533494
Article complet de StratSenior ici : https://www.linkedin.com/pulse/le-grand-papy-boom-larriv%C3%A9e-massive-des-baby-boomers-%C3%A0-l%C3%A2ge-
Plus d’information sur les résidences Complicity ici : https://www.lequotidiendesseniors.fr/complicity-une-nouvelle-forme-de-residence-multigenerationnelle/