Partenariats : La clé du succès dans la Silver économie ?
Comment déterminer qui est - vraiment - votre client vous aidera à choisir la meilleure stratégie dans la Silver économie (Partie 2/2)
Nous poursuivons la réflexion lancée dimanche dernier.
But de cette série : vous guider dans la compréhension de ce qu’un partenariat réussi peut vous apporter et de ce qu’un partenariat raté peut vous coûter.
Cette approche est valable quelle que soit la taille de votre organisme.
Mais plus vous êtes vulnérable (en termes de trésorerie et de visibilité sur votre avenir) plus un mauvais deal vous coûtera cher. Soit vous perdrez du temps, soit vous perdrez de l’argent et souvent les deux.
Si vous appartenez à un grand groupe, le risque financier est moindre, mais miser sur le mauvais cheval vous fera perdre du temps et de la crédibilité en interne.
Vous êtes prêt ?
Alors c’est parti.
Aujourd’hui, je vous explique comment construire un partenariat avec un acteur privé qui rémunérerait un service que vous apportez à ses clients.
C’est une option qui est viable si et seulement si vous apportez à votre client / partenaire un bénéfice réel.
Partenaire - Client : quelle différence je fais ?
Vous l’aurez remarqué, j’emploie le terme de partenaire et de client pour parler de votre interlocuteur. Pourtant, la vente et le partenariat diffèrent.
Dans une vente, vous délivrer un produit ou un service en échange d’une rémunération.
Dans un partenariat, les parties se partagent un bénéfice généré en commun. Le retour sur investissement n’est pas toujours de même nature pour les parties, mais l’opération profite à chacun, le bénéfice allant au-delà de ce qu’une vente apporterait.
Toutes les ventes ne sont pas des partenariats, mais certaines peuvent être considérées comme telles lorsqu’elles portent sur une collaboration durable et spécifique. Notamment si cette collaboration implique des échanges réguliers entre les parties prenantes.
Dans la Silver économie, les partenariats sont pertinents pour la vente en B2B2C, car vous avez intérêt à instaurer un processus d’échange et de partage de valeur avec votre client. Ce partenariat peut renforcer le lien et vous permettre de récolter plus d’insights qu’une simple vente.
C’est quoi un bon deal pour votre partenaire ?
Rappelez-vous notre petit schéma :
Vous apportez une solution à votre client et en contrepartie il vous rémunère le service. Si votre client est le bénéficiaire, la triangulation est parfaite. En revanche, si votre client n’est pas le bénéficiaire, vous devez apporter au client un service qui justifie sa contribution financière.
Vous ne pouvez pas le convaincre de vous payer pour une prestation qui bénéficierait uniquement à votre bénéficiaire. Votre client doit trouver son compte dans l’opération :
Soit vous lui faites gagner de l’argent,
Soit vous lui faites faire une économie.
Mais vous ne pouvez pas l’embarquer sur le seul bénéfice apporté à votre bénéficiaire, même si ce dernier est aussi le client de votre client.
Je vais illustrer l’idée à travers deux produits de la Silver économie.
#1 Vous vendez des détecteurs de chute aux EHPAD
Le produit : Vous développez un dispositif qui alerte l’infirmière de garde lorsqu’un résident fait une chute. Elle peut ainsi le relever plus rapidement et lui éviter une hospitalisation ou des séquelles.
Le bénéfice pour le bénéficiaire : il est relevé plus vite, c’est mieux pour sa santé.
Le bénéfice pour le client : il économise des ETP, limite le risque d’accidents et donc les plaintes des familles. Cela peut constituer un atout pour convaincre les familles que cet établissement est plus sécurisé.
La bonne stratégie : vous devez disposer de preuves qui attestent que votre système permet à l’établissement de réaliser des économies sur les ETP mobilisés pour les gardes de nuit.
La mauvaise stratégie : construire un discours commercial sur les seuls bénéfices pour la personne âgée.
#2 Vous vendez du care management aux mutuelles
Le produit : Vous avez créé un réseau d’étudiants qui peuvent intervenir chez les personnes âgées isolées pour leur rendre de menus services et leur tenir compagnie
Le bénéfice pour le bénéficiaire : il a de la compagnie, il ne souffre plus de solitude, il retrouve sa joie de vivre.
Le bénéfice pour le client : vous devez trouver comment votre service contribue à la santé de son client. Comment, grâce à votre présence, vous améliorez effectivement sa santé, limitant le risque d’accident, de surconsommation de médicaments, etc.
La bonne stratégie : disposer de preuves qui attestent de la réalité de votre promesse. Montrer comment vous avez un impact réel sur la santé de votre client et l’économie que cela peut faire réaliser à la mutuelle. Vous devez parler le langage de votre client. Il doit comprendre ce qu’il va économiser grâce à vous.
La mauvaise stratégie : S’en tenir à un discours mielleux sur la rupture de l’isolement et faire des promesses vagues et non vérifiables.
En synthèse
Si vous souhaitez construire votre business autour d’une stratégie de partenariat, vous devez apporter des preuves tangibles de votre impact sur le business de votre client. Si vous êtes vagues ou si vos bénéfices pour le client sont trop faibles, vous ne l’intéressez pas et donc trois possibilités :
Il vous dira non (meilleur choix possible)
Il vous fera mariner et vous perdrez des mois en réunions stériles qui n’aboutiront sur rien (le projet s’étiolera ou bien vous ferez faillite à force d’attendre un deal qui ne se fait pas)
Il vous proposera un deal bancal ou précaire.
L’implication de votre partenaire sera proportionnelle à la valeur que vous lui apportez. C’est le meilleur baromètre pour mesurer l’impact de votre offre lors de la négociation.
Vous devez absolument avoir conscience de cette limite. Oui, les partenariats sont importants dans la Silver économie, compte tenu des difficultés du marché (voir ci-dessous), mais vous devez vous donner les moyens de faire de bons partenariats et pas des partenariats bancals.
3 bonnes raisons de rechercher des partenaires dans la Silver économie
#1 Le déni de vieillesse des gens
Ils ne sont pas conscients de leur problème, donc il est préférable de présenter votre proposition par l'intermédiaire d'une tierce personne de confiance en laquelle ils ont confiance. On pense naturellement aux professionnels de la santé, mais d’autres acteurs de terrain pourraient faire l’affaire : les commerçants du quartier, l’entourage et les médias s’ils sont utilisés à bon escient.
Par médias, j’entends : les médias que consomment vraiment vos cibles. Donc si vous ciblez les seniors, ce n’est ni Maddyness, ni Capital, ni B-Smart, ni BFM Business, mais le canard local, la feuille de chou gratuite distribuée dans la supérette ou la chaîne Tik Tok préférée des petits enfants…
Par à bon escient, j’entends : ne pas communiquer sur votre marque, mais mettre le problème que vous résolvez en exergue afin que votre solution soit perçue comme une évidence.
#2 L’hyper fragmentation des services
Vous devez conceptualiser le parcours résidentiel, le projet de vie, le bien-vieillir comme un ensemble d’usages dans lequel votre offre spécifique va s’intégrer.
Vous avez donc intérêt à vous allier à des partenaires complémentaires afin que votre offre soit plus claire pour vos cibles que si vous la présentez de façon isolée.
Par exemple, si vous distribuez une boîte à clé, il serait cohérent d’intégrer votre offre dans un package global pour les personnes qui rencontrent ce problème et n’ont pas conscience qu’il existe une solution. La boîte à clé peut être plus facilement vendue en upsell sur de la téléassistance ou des services à la personne que directement de façon isolée.
#3 La compétition avec vos concurrents et la nécessité de vous différencier
Vous avez besoin de vous différencier de vos concurrents et proposer une offre globale, soutenue par des prescripteurs qui ont la confiance de vos cibles, dans le cadre d’une prestation qu’ils comprennent et qui les fidélise est un levier énorme pour le succès et la croissance de votre projet. Vous avez donc intérêt à identifier des partenaires qui contribuent à cette stratégie.
Par exemple, si vous vendez des suppléments alimentaires de longévité, il serait cohérent de vous allier à un distributeur de montres connectées et à une app de suivi des constantes. Vous pouvez ainsi proposer à vos clients un pack global de services qui permettent d’améliorer la longévité et de suivre leurs progrès, ce qui les motive à consommer vos suppléments. Alors que si vous vendez des suppléments seuls, il sera difficile pour vos clients d’en mesurer l’impact visible sur le long terme.
À quoi ressemble un bon partenariat ?
Sans présumer de son succès futur, j’ai trouvé intéressant le partenariat annoncé cette semaine entre La Poste et l’assisteur IMA à propos de l’assistance des particuliers dans la description des dommages suite à un dégât des eaux.
Étude de cas et analyse du partenariat IMA / La Poste “Dégât des eaux”
Le contexte
Lorsque vous êtes victime d’un dégât des eaux, vous contactez votre assureur afin de faire prendre en charge les travaux de réparation. L’assureur doit comprendre le problème afin d’évaluer le montant de sa prise en charge. La collecte de l’information précise est déterminante pour l’instruction du dossier et le dépannage du client.
Or, les victimes d’un dégât des eaux sont rarement les mieux placées pour répondre aux questions de l’assureur, ce qui peut conduire à un mauvais diagnostic causant des retards dans la résolution du problème et son indemnisation.
Retard qui peut être dommageable pour la victime, mais aussi pour son assureur qui perd du temps sur un dossier qui traîne.
L’assureur pourrait mandater un expert, mais il réserve cette option coûteuse aux cas les plus graves. Dans la plupart des situations, ce n’est pas justifié. Et donc le risque d’un mauvais diagnostic reste entier.
La solution
Le partenariat imaginé par IMA et LA Poste confie aux facteurs la mission de réaliser le diagnostic basique à la place de la victime et d’adresser les éléments standardisés à l’assureur (IMA).
C’est malin à condition que la victime ait confiance dans le facteur pour réaliser le diagnostic. Mais La Poste s’appuie sur la confiance “naturelle” des Français vis-à-vis de leur facteur pour valoriser cette opération qui :
Ne coûterait pas aussi cher que le mandatement d’expert,
Rassurerait la victime en lui envoyant une personne facilitante,
Et serait prise en charge par IMA dont l’image et la réputation seraient donc améliorées, contribuant à fidéliser son client (la victime du dommage).
Les bénéfices mutuels
Nous avons donc un partenariat gagnant - gagnant entre La Poste qui peut :
Occuper ses facteurs désœuvrés par la raréfaction des courriers
Diversifier ses missions en s’appuyant sur ses forces (son réseau, sa réputation)
Donner une image nouvelle des facteurs et ainsi attirer de nouveaux partenaires sur des services à domicile que personne ne peut faire aujourd’hui car cela coûterait trop cher d’envoyer quelqu’un à domicile1.
Et IMA qui va :
Proposer une solution facile à son client paniqué
Fidéliser le client avec ce service rapide et utile
Ne pas se ruiner en recrutant sa propre équipe de terrain
Comment un tel partenariat est possible
Mais un tel partenariat n’est possible qu’entre partenaires homogènes.
Par homogène, j’entends : qui peuvent s’apporter des bénéfices mutuels comparables… Et supporter sans broncher les délais de mise en œuvre d’une telle opération.
Je le rappelle très souvent aux start-up que même si c’est très séduisant de négocier un partenariat avec une mutuelle nationale comme Vyv, un CHU ou une collectivité locale, vos interlocuteurs n’ont pas la même temporalité que vous. Un projet prend des mois à aboutir tandis que votre temporalité se mesure en journées de trésorerie avant d’être à sec.
Vous ne pouvez donc pas vous permettre d’être dépendants de l’agenda d’un grand groupe. C’est comme avec les aides publiques : vous pouvez avoir un projet de ce type dans votre planning, mais pas en faire votre unique source de revenus.
En l’espèce, ce partenariat a pu se faire parce que IMA et La Poste sont des acteurs de même taille, qui peuvent signer un partenariat reposant sur la confiance, des valeurs mutuelles et un volume d’affaire potentiel qui justifie la mobilisation des deux parties prenantes.
Si vous cherchez à développer un partenariat pertinent, vous devez choisir des partenaires que vous pourrez satisfaire et qui seront en mesure de vous offrir des conditions équitables.
Pourquoi je vous raconte tout cela ?
Il y a quinze jours, j’ai assisté aux cinquièmes Journées Vieillesse et Maintien de l’Autonomie organisées par le CHU de Tours, l’ERVMA… Et le Professeur Bertrand Fougère2.
Cet événement qui s’adresse aux soignants propose deux jours de conférences et des collations servies dans une agora qui accueille une trentaine d’exposants. Ces derniers sont des organismes dont le business model repose sur la recherche de partenariats tels que je vous les ai décrits dans cette newsletter.
Des entreprises qui développent des solutions de santé curatives et préventives à destination de citoyens et patients âgés et qui vendent ces solutions à des professionnels de santé et des établissements.
Ces entreprises doivent donc prouver l’utilité de leur solution tant pour les soignants que pour leurs patients.
J’ai discuté avec plusieurs de ces entreprises et constaté qu’elles cherchent toutes à mettre en œuvre des partenariats avec les assureurs (mutuelles, IP, assurances) en santé. Mais faute de connaître le fonctionnement des compagnies, leurs modèles économiques et actuariels ainsi que leurs enjeux, ces entreprises perdent du temps à s’adresser aux mauvais interlocuteurs.
Elles risquent donc de se retrouver dans le schéma que je vous ai décrit plus haut, celui où vous perdez votre temps parce que vous ne prouvez pas à votre client que vous allez lui faire gagner de l’argent.
Et cela m’a inspiré une série de réflexions imbriquées que je vous livre en matière d’épilogue.
Un problème, une solution
Ces start-up proposent des services qui ont tous un impact sur la prévention en santé, même si les impacts sont différents.
Si chaque start-up négocie un partenariat dans son coin avec une seule complémentaire, le bénéfice pour elle, pour la complémentaire et pour la collectivité sera restreint, sans compter les délais de négociation et les risques d’échec dont je vous ai parlé aujourd’hui.
Comment persuader un collectif d’assureurs des bienfaits de ces solutions afin de mettre sur pied un produit, une prestation ou un module qui puisse être inséré facilement dans une garantie complémentaire santé ?
Ceci ferait gagner du temps aux start-up qui devraient juste prouver l’impact de leur produit ou service selon un cahier des charges standardisé.
Cela ferait aussi gagner du temps aux assureurs dans la recherche de partenaires techniques pour répondre à leurs objectifs de rentabilité
Et cela bénéficierait aux citoyens et à la société qui pourraient utiliser ces dispositifs dont une partie serait prise en charge par leur complémentaire santé, dans le cadre des forfaits prévention.
Qu’est-ce qui m’inspire ce schéma ?
C’est tout simplement le modèle économique de Papa, une licorne américaine dont l’offre de care management est financée par les assureurs américains via Medicare, le programme fédéral de santé complémentaire des retraités américains.
Certes, il existe de grosses différences entre les modèles de santé Français et US, mais plutôt que de chercher la petite bête, il me semblerait intéressant d’essayer d’importer ce schéma en France pour bénéficier à toutes les parties prenantes susmentionnées.
C’est en tout cas un projet auquel je me suis attelé depuis mon retour de Tours.
Contactez-moi en commentaire ou en répondant à cet email si vous souhaitez que nous en discutions plus en profondeur.
Et pour vous donner du grain à moudre, je vous donne rendez-vous mercredi prochain pour une étude de Papa. Je vous expliquerai pourquoi et comment cette entreprise a bâti une offre de care management pour les seniors, qui sont ses bénéficiaires et les complémentaires santé qui sont ses clients.
Et c’est fini, fidèles abonnés de Longévité !
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Je pense bien à vous jusqu’à notre prochain rendez-vous.
- Alexandre 🤘🏼
Approfondissez ce sujet de diversification de La Poste dans les services à la personne en lisant ma récente étude, réalisée à partir de l’audition du PDG de La Poste, Philippe Wahl, par la commission des finances du Sénat qui s’est déroulée début avril 2024.
Chef du pôle vieillissement du CHRU de Tours, le Pr Bertrand Fougère est aussi le responsable de l’Équipe régionale vieillissement et maintien de l’autonomie (ERVMA) du Centre-Val de Loire.