Y a un truc génial, avec Sweet Home, c’est qu’on a l’opportunité d’interviewer des gens formidables.
Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir faire des interviews.
D’une part, parce que ce n’est pas donné à tout le monde de SAVOIR faire des interviews. C’est une compétence qui s’acquiert avec le temps, beaucoup de curiosité, beaucoup de patience et un peu d’audace.
Et d’autre part, parce que vous devez avoir une bonne raison de contacter ces gens-là.
Savoir faire des interviews
J’ai appris à faire des interviews quand j’écrivais pour les webzines de Metal, et notamment pour celui avec lequel j’ai le plus longtemps collaboré, Metal-Impact et son directeur - fondateur, Ludovic Fontanet. C’est avec Ludovic que j’ai appris le métier et réalisé mes 30 premières interviews (que vous pouvez lire ici, si vous êtes fan de Metal).
Je n’ai pas fait le compte, mais avec Metal Impact, les autres blogs où j’ai écrit puis Sweet Home, je dois avoir réalisé entre 100 et 200 interviews.
Et si j’en ai fait autant, c’est parce que j’aime ça….
Une bonne interview c’est…
Une bonne interview, c’est une bonne préparation amont afin de pouvoir mettre son interlocuteur en confiance, en lui montrant qu’on le connait bien et qu’il ne va pas avoir droit à une interview merdique de plus. Si vous faites bien votre boulot, ce ne sera pas une interview, mais un dialogue (enfin, moi c’est comme ça que j’aime faire).
A moins d’être Raphaël Mezraï, vous ne devez pas découvrir votre invité au moment de l’interview. En général, il est un peu connu et vous avez donc moyen de trouver des infos sur lui ailleurs.
Vous devez préparer une trame de questions, mais pas trop rigides. Pour ne pas vous laisser enfermer par votre script.
Vous savez de quoi vous allez parler, mais vous vous laissez la liberté d’être emmené là où votre invité vous emmène, et de rebondir sur ses digressions qui peuvent être plus intéressantes que ce que vous aviez prévu de demander.
Et parfois, vous allez simplement laisser tomber vos questions, parce que vous réalisez que votre interlocuteur ne les comprend pas. Ce qui m’est arrivé avec les fondateurs d’un groupe de Black Metal Japonais qui baraguinaient dans un anglais si incompréhensible, que j’ai fini par reconstituer mes questions à partir de leurs réponses.
Le live, y a que ça de vrai
Les interviews sont plus intéressante quand on peut discuter avec la personne que par email. Et puis, si vous interviewer une personnalité, et surtout une personnalité que vous admirez, le face à face est un moment hyper satisfaisant. Parce qu’il vous permet de sortir du cadre strict de l’interview pour aller un peu au-dela.
Et si je vous raconte tout cela, c’est parce que cette semaine, j’ai interviewé le Professeur Christophe Capuano, auteur d’un ouvrage intitulé Le maintien à domicile, histoire de 1800 à 2015. Cette interview se déroule dans le cadre du rapport sur l’habitat alternatif que nous réalisons pour la Fedesap. Il sera prêt pour la rentrée.
J’ai eu envie d’interviewer le professeur car son livre laisse entendre que l’habitat partagé pourrait être utile aux services à la personne en offrant aux intervenants un poste à responsabilité, stable et sédentaire. Un poste qui pourrait contribuer à l’attractivité d’un secteur qui souffre cruellement d’une crise de l’emploi durable et inquiétante.
Mais le livre de Christophe Capuano ne se contente pas d’énumérer des solutions, il va surtout dresser un tableau sans concession du monde médico-social d’hier et d’aujourd’hui.
De quoi parle le livre de Christophe Capuano
Cet essai retrace rapidement (moins de 100 pages, un exploit) 200 ans d’histoire de l’assistance aux personnes invalides en établissement (les fameux hospices) et à domicile. Cette lecture m’a apporté de nouveaux points de vue sur l’industrie pour laquelle je travaille. Je pressentais certaines vérités qui dérangent. Je les devinais dans mon angle mort, mais je ne les avais pas conscientisées.
La plus fondamentale, c’est que de tous temps le système de prise en charge des vieux et des handicapés s’est construit avec une seule obsession : en limiter l’impact (le poids) et le coût.
Concrètement, à l’heure où Louis XIV créé les hospices et jusqu’à la fin du XIXè siècle, les familles pauvres ne peuvent pas se permettre d’entretenir une bouche à nourrir qui ne produit rien. L’institution les décharge de ce poids pour qu’elles puisse à nouveau consacrer tout leur temps à suer comme des bêtes dans les champs ou les usines.
Mais très vite, cette institution qui ne coûte rien aux familles, la prise en charge étant assurée par l’Etat à 100%, devient pesante pour les finances publiques. Les pouvoirs publics appliqueront donc des politiques de restriction des ouvertures afin de maîtriser le coût institutionnel au détriment d’une offre suffisante pour répondre à la demande.
Ces mêmes pouvoirs publics utiliseront aussi l’institution comme voie de garage pour l’hôpital. Jusqu’au milieu du siècle dernier, le niveau de médicalisation de l’institution était nul et c’est donc là qu’échouaient les grabataires, handicapés physiques et mentaux considérés comme inguérissables.
Les logiques économiques et financières ont toujours prévalu sur les logiques sanitaires, les droits humains et les réformes. Dans certains cas, réduire les coûts revient tout simplement à reporter la charge de l’aide sur d’autres que la collectivité publique : parfois sur les proches aidants, parfois sur les aidants professionnels, parfois sur les personnes fragiles elles-mêmes.
Christophe Capuano
Bien entendu, la configuration et la qualité de ces établissements on beaucoup évolué à partir des années 1970 - 1980 et l’Ehpad d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec les hospices. Mais ce qui n’a pas changé, c’est le poids du coût dans les arbitrages politiques.
Et bien sûr, ce sujet concerne tous les postes de dépenses et pas uniquement l’Ehpad, l’hôpital ou les services à la personne.
Il suffit de lire un journal ou d’écouter les représentants politiques.
La question du coût, de l’impôt, du pouvoir d’achat, de la dette publique et de la croissance sont systématiquement mises au premier plan.
Avant d’aborder les questions, pourtant essentielles du confort, de la santé, de ce que ces dépenses servent à financer.
En retournant le paradigme on habitue les citoyens à voir le prix avant le bénéfice et, du côté des pouvoirs publics, à évaluer l’intérêt d’un dispositif en fonction du prix qu’il va coûter à la collectivité. Quiconque a déjà participé à un appel à projets ou un marché public vous le confirmera : la variable d’ajustement, c’est toujours le prix.
Et comme ces pouvoirs publics sont obsédés par la recherche d’économie, ils se sentent obligés de chiffrer l’impact de toutes les actions qu’ils proposent.
Le prix de la chute 🚶🏻♂️
Il en va ainsi avec ce Plan National Antichute qui a fait un peu de bruit à sa sortie en février 2022, malgré la pauvreté de ses propositions.
L’argument massue de son sponsor ministériel, Brigitte Bourguignon, c’est que ce plan pourrait réduire la facture annuelle des chutes évaluée à 2 milliards d’euros. Une somme monstrueuse obtenue en faisant l’addition de tous les coûts directs et indirects liés aux chutes et notamment les frais d’hospitalisation.
Quel est le problème avec cette analyse basée sur le coût ?
En mettant en exergue le nombre de chutes et le nombre de morts annuelles, le rapport commet l’erreur de mettre toutes les chutes dans le même panier, de l’accident mortel à la chute molle et bénigne.
Mais aussi, en se focalisant sur les hospitalisation et le coût massif des conséquences de la chute, le rapport va inciter les équipes chargées de sa mise en oeuvre à imaginer des trains de solutions pour faire baisser l’addition. Du plan de communication pharaonique aux consignes directives adressées aux SAAD et établissements en passant par des appels d’offre pour accéléer le parcours patient aux urgences. Bref, on va encore une fois s’attaquer aux conséquences sans s’interroger sur la cause… ou plutôt sur la graduation de la cause.
La question à 1 milliard : est-ce si grave que cela si les vieux font des chutes ?
Un début de réponse ici :
Plus de 50% des chutes chez les personnes âgées sont responsables d’une blessure. Bien que la plupart des blessures ne soient pas sérieuses (p. ex., contusions, abrasions), les blessures liées aux chutes sont la cause d’environ 5% des hospitalisations chez les plus de 65 ans.
Environ 5% des chutes entraînent des fractures de l’humérus, du poignet ou du bassin.
Environ 2% des chutes entraînent une fracture de hanche. D'autres blessures graves (p. ex., traumatismes crâniens et blessures internes, lacérations) compliquent environ 10% des chutes.
Certaines blessures liées aux chutes sont fatales. Environ 5% des personnes âgées qui souffrent de fractures de hanche meurent au cours de l’hospitalisation.
La mortalité globale au cours des 12 mois suivant une fracture de la hanche est comprise entre 18 et 33%. (source)
En synthèse, dans 1 cas sur 2, la personne qui chute ne se blesse pas et les blessures graves concernent moins de 10% des chutes de personnes âgées. Donc, le problème de la chute n’est pas dans la descente, mais dans la reprise de contrôle une fois au sol.
Chute molle
On le sait, les chutes dites molles ne sont pas graves parce que la personne tombe, mais parce qu’elle n’arrive pas à se relever et que si personne ne l’aide son état de santé peut vite se dégrader.
C’est très bien expliqué dans la thèse de Florent Lachal : Les nouvelles technologies : une réponse aux effets physiologiques du vieillissement et des maladies liées au grand âge.
Si la chute est moins grave que le fait de ne pas pouvoir se relever, l’enjeu n’est pas de lutter contre les chutes, mais d’éviter la station prolongée au sol.
Et tout de suite, c’est plus facile à circonscrire, non ?
Relativiser
Quand bien même 1 senior sur 3 chute dans l’année, c’est quoi une chute sur un an ou même sur une journée. Au lieu de pousser des cris d’orfraie et d’angoisser les vieux, essayons de relativiser la portée de cet événement pour éviter qu’il soit traumatisant ou anxiogène. Que la peur de la chute obstrue le quotidien et provoque une tétanie (appelée syndrome du fauteuil par les professionnels).
Pas besoin d’inventer des airbags, des plans nationaux de prévention. Pas besoin de financer des études longitudinales qui vont coûter une blinde (et faire vivre un pote du ministre pendant 6 mois aux frais de la princesse). Pas besoin de se casser la nenette avec toutes ces innovations à la mords moi le noeud qui n’ont ni marché ni intérêt.
Non, il suffit de s’appuyer sur des services qui existent déjà. Dont l’efficacité est attestée. Et qui permettraient à des seniors, fragiles mais pas en sucre, de se faire aider en cas de petite chute sans gravité sans alerter les enfants, le médecin traitant, sans risquer de finir aux urgences ou à l’Ehpad.
Vous pensez à quels services quand je vous dis ça ?
Moi, il y en a un qui me plait beaucoup et dont je vous parlerai la semaine prochaine.
Je vous donne 3 indices :
Il a été créé en 2019 par un ancien international de Rugby installé à Montpellier,
Il a déjà séduit 8000 clients en Europe et au Canada (dont 85% en France),
Il n’a participé à aucun concours de pacotille ni quémandé un sou d’argent public.
Je sais de qui tu parles, et je vais être très attentif à la prochaine ...
La problématique de la chute des personnes âgées est au centre de mes préoccupations de kiné, et je te suis à 100% quand tu dis préférer travailler sur l'évènement que sur tous les machins que les politiques vont mettre en place pour limiter les coûts du tour de manège Hospitalier.
Le plus drôle, c'est que ces mêmes politiques sont partiellement responsables de ce coût, depuis qu'ils ont inventé la rentabilité des services. Combien de fois j'ai du faire de gros efforts pour extraire des patients de services de soins de suite et de réadaptation, alors qu'aucun soins ne pouvant pas être faits à domicile ne leur étaient offerts.
Laissons les s'amuser avec leurs calculettes et que les gens sérieux se mettent au boulot pour s'attaquer aux vrais problèmes, pour éviter les chutes et leur impact.
Et tant pis, si on réussit notre mission et qu'ils s'en attribuent les lauriers croyants que les 263 réunions, 78 audits, et quelques centaines de milliers d'euros cramés dans l'agitation auront eu raison de la problématique de la chute du sujet âgé.
Si LA lutte contre la chute du dollar semble prioritaire sur la chute de personne vieillissante,
(malgré leurs expériences d être déjà tombée amoureux ) "laisse béton alors" ? :)
Oui, en plus de la sensibilisation aux moyens efficaces de prévention, pourquoi ne pas mieux analyser toute ces déclarations d évènements indésirables de chutes par les Représentant des Usagers des ARS ?