Pourquoi j'ai décidé d'apprendre le chinois
Le bac philo en 1992, un podcast avec François Jullien, l'intelligence culturelle, les résultats d'un sondage, le nombre de brevets chinois en 2023 et autres stimuli.
En 1992, quand je suis arrivé en terminal B, j’étais impatient de découvrir la philosophie.
Comme tous les lycéens qui sont passés par là, j’idéalisais la pratique philosophique. Je m’imaginais déjà prendre une posture avantageuse, lever la tête vers l’horizon infini et déclamer une pensée inédite qui bouleverserait un auditoire en pâmoison.
Hélas, philo en terminale = bachotage + lecture assidue des classiques.
La douche froide.
J’ai donc vécu les 5 heures hebdomadaires de philo comme un chemin de croix. Et je me suis désintéressé de la pratique philosophique sitôt passé le bac philo.
Je me suis réintéressé à la philosophie en 2018, lorsque j’ai voulu savoir comment le vieillissement et la vieillesse sont appréhendés par les philosophes. Cette recherche m’a ouvert de nombreuses pistes de réflexion.
Cours méthodologiques et populaires
Cherchant la synthèse plutôt que la lettre, je choisissais d’écouter une série de cours “méthodologiques et populaires” proposés par un collectif de philosophes français en partenariat avec la Fondation Maison des Sciences de l'Homme et le Collège d'études mondiales.
Ce collectif s’était constitué en 2002 en réaction à l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.
Inquiétés par le déclin intellectuel et moral qui peut conduire une démocratie éclairée à basculer dans l’obscurantisme du vote populiste, les penseurs voulaient ainsi susciter une réflexion ouverte et citoyenne en partageant en public des conférences philosophiques d’une grande profondeur.
Parmi tous les intervenants que je découvrais à cette occasion, c’est l’hélleno-sinologue François Jullien qui retenait le plus mon attention.
François Jullien
François Jullien est un philosophe, helléniste et sinologue français, né en 1951 à Embrun (Hautes-Alpes). Sa pensée et son travail sont marqués par une approche originale et interculturelle, qui cherche à créer des ponts entre la philosophie occidentale et la pensée chinoise.
La philosophie de François Jullien se caractérise par plusieurs concepts et approches clés :
L’écart
Il défend l'idée que c'est en créant des "écarts" entre deux pensées ou langues que l'on peut produire du "commun" et non pas à partir du "semblable". Ce concept d'écart est central dans son travail, notamment à travers la notion de dé-coïncidence, qui signifie :
Sortir de l'adéquation et des gonds sous lesquels se tiennent scellés les possibles.
La pensée comparée
Jullien explore les différences et les similitudes entre la pensée chinoise et la philosophie grecque, évitant ainsi les pièges de l'ethnocentrisme et de l'exotisme. Il utilise cette approche pour questionner les évidences de la philosophie occidentale et pour ouvrir de nouvelles perspectives sur des sujets tels que le bonheur, la géopolitique et l'existence.
La philosophie contre le développement personnel
Jullien est critique envers les recettes de bonheur et les approches simplistes du développement personnel. Il préfère une approche plus profonde et existentielle, qui accepte le manque et se départit des idéaux abstraits.
On pense en langue
Le 2 octobre 2017, François Jullien donne une conférence intitulée “On pense en langue”. Il utilise de nombreux exemples pour mettre en évidence les différences entre le grec ancien et les langues européennes, ainsi qu'entre ces dernières et le chinois, pour démontrer l'impact de la langue sur notre façon de penser.
“la pensée ne s'active, ne s'effective que dans une langue ou que dans l'éducation d'une langue.”
C’est dans la partie où il compare les langues européennes et le chinois que l’auteur m’a révélé une vérité renversante :
Être n’existe pas en chinois
La révélation
Ni l’épithète, ni le concept d’Etre / Ego n’ont d’équivalence dans la langue Chinoise qui se pense donc sans cette idée centrale de la pensée occidentale.
Cette découverte m’a bouleversé. Elle révélait une différence si profonde dans la conception du rapport à l’autre que je voulais comprendre par quoi ce fondamental était remplacé et comment cela influençait la vie des chinois.
J’ai développé une forte curiosité à l’égard de la Chine. J’ai consommé avec avidité des contenus évoquant l’histoire, la politique, la société, les rites, la pensée, ainsi que les romans policiers de Qui Xiaolong.
En revanche, freiné par sa complexité extrême, je n’ai pas osé attaquer l’étude de la langue chinoise.
Le chinois, c’est compliqué
Complexité qui s’explique par :
Son système d'écriture : Le chinois utilise des caractères (plus de 40 000) au lieu d'un alphabet latin, ce qui peut être intimidant pour les débutants. Cependant, il suffit de connaître entre 3 000 et 5 000 caractères pour atteindre un niveau de base.
La prononciation et les tons : Le chinois mandarin comporte quatre tons et un ton neutre, ce qui peut être difficile pour les locuteurs non natifs. Les tons sont essentiels pour la compréhension et la prononciation correctes.
Les différences culturelles et linguistiques : Le chinois a des constructions linguistiques et un vocabulaire différent de ceux des langues européennes, ce qui peut rendre l'apprentissage plus complexe pour les Occidentaux.
Ce qui me motive vraiment
Et cependant, hier, j’ai pris la décision de consacrer quelques mois - et sans doute plus - à l’apprentissage du chinois, et surtout le chinois écrit.
Ma veille sur l’actualité et la civilisation chinoise m’invite à cette évolution dans ma pratique. Chaque jour ou presque, je fais de nouvelles découvertes sur les différences entre nos deux civilisations et la façon dont nous appréhendons le monde. Notamment le vieillissement de la population.
Et j’ai acquis la certitude que, si nous utilisons nos propres schémas mentaux, nous commettons des erreurs d’interprétation. Il me paraît donc indispensable de m’immerger plus en profondeur dans la culture et la langue chinoises afin d’affiner mon analyse.
Et si je consacre ce temps à la Chine, c’est en raison du rôle que l’Empire du Milieu veut - et va - jouer dans le paysage mondial.
La position dominante ?
La dernière information qui m’a fait réfléchir et, je pense, m’a donné l’impulsion, c’est cette étude réalisée par Alix Partners à propos du marché de la voiture électrique. Le cabinet a réalisé un sondage international auprès de 10 000 conducteurs. Il leur a d’abord demandé la probabilité pour que leur prochain achat soit un véhicule électrique. Le résultat :
43% des Européens (France, Allemagne, Italie, UK)
35% des Américains (USA)
97% des chinois.
Je ne comprends pas un tel écart, un tel plébiscite. Cela peut bien sûr s’expliquer par une politique volontariste de la Chine, mais cela n’explique pas tout. Et je pense qu’une partie de l’explication réside dans l’état d’esprit. Et c’est cette essence que j’aimerais mieux capter à travers une connaissance de l’écriture chinoise.
Comprendre plutôt que déchiffrer
Ce que je recherche dans l’apprentissage de la langue, c'est moins de déchiffrer les textes, que de comprendre leur structure et, partant de là, la structure de pensée des gens qui écrivent et lisent ces textes.
Bien entendu, je serais très présomptueux de croire que la seule compréhension des structures linguistiques m’ouvrira l’esprit des chinois, mais j’aimerais disposer d’une clé de compréhension supplémentaire pour aborder cette civilisation.
Je ne me suis jamais contenté de la superficialité et je dois donc me battre pour puiser le savoir à la source. Or, il suffit de lire des mots chinois et leur traduction en français ou en anglais pour comprendre que nous perdons beaucoup de sens dans la traduction. Ne serait-ce que parce que certains mots n’existent pas dans une langue ou l’autre !
J’ai donc commencé à chercher des ressources en ligne et des livres pour démarrer mon apprentissage. Je vous ai mis les résultats de ma recherche en annexe1.
Je vous en dirai plus quand j’aurai progressé !
En attendant de parler chinois comme un pro, je dois me contenter de lire du contenu traduit. Heureusement, si vous comprenez l’anglais, vous disposez de beaucoup de ressources.
Dans la dernière partie de ce dossier, je vous partage les sources de ma veille sur l’Empire du Milieu.
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