Pourquoi La Poste s'intéresse aux vieux
Et comment elle compte leur vendre ses nouveaux services
Saviez-vous que La Poste n’a plus le monopole de la distribution des courriers depuis 2011 !
Aujourd'hui, n'importe qui pourrait créer un service concurrent à La Poste sur ce métier historique. Et pourtant, personne ne s'y colle.
Bien qu’une trentaine d’entreprises aient demandé un agrément à l’ARCEP depuis 2011, aucune ne se positionne comme un concurrent à La Poste sur la distribution de courrier sur le territoire.
Pourquoi d'après vous ?
Vous l’avez deviné, l’activité peu rentable nécessite une énorme infrastructure et dégage une marge dérisoire. En outre, c’est une activité en déclin. Le volume des échanges par courrier décroît depuis 2002.
Confère le bilan 2019 de l’ARCEP (c’est l’autorité de régulation des communications)
Les flux d’envois de correspondance distribués en France se contractent pour la douzième année consécutive, à un rythme compris entre -6 et -9 % depuis 2015.
La diminution du revenu afférent aux envois de correspondance distribués en France (-3,7 % en 2019), près de deux fois inférieure à celle du trafic, est notamment contenue par les accroissements tarifaires qui touchent pratiquement tous les types de courrier.
Comment La Poste s’adapte-t-elle à cette nouvelle donne ?
1 - Elle augmente ses tarifs
Depuis le passage à l’euro en 2001 et jusqu’en 2017, le tarif du timbre postal a augmenté de 3,91 % par an en moyenne. Comparativement, entre 1991 et 2014, l’inflation en France s'élevait à 1,59 % par an en moyenne. La Poste explique que les plus fortes augmentations des années 2010 sont décidées « *pour assurer la pérennité du service universel dans un contexte de baisse des volumes du courrier »*.
2 - Elle réduit ses effectifs
La Poste ne remplace pas les départs en retraite. Elle ferme des centres de tri et cherche à occuper ses services de proximité en développant de nouvelles missions.
3 - La Poste se diversifie et se spécialise
Sur le marché des professionnels, cela donne Docaposte, une entité spécialisée dans la gestion des flux et la dématérialisation.
Sur le marché des particuliers, cela donne La Poste Silver et La Poste Santé, deux entités qui proposent un bouquet de services pour le maintien à domicile.
La Poste Silver se développe par croissance externe. Elle rachète des entreprises spécialisées : Axeo pour les services à la personne, Asten pour la santé à domicile, Diadom et Newcard pour les objets connectés de santé, Tikeasy pour les tablettes senior (la fameuse Ardoiz).
Mais elle tente aussi des opérations en nom propre, notamment le fer de lance de cette stratégie, le service « Veiller sur mes parents ». C'est un dispositif de surveillance à domicile assuré par le facteur et pris en charge par la famille.
Concrètement, vous payez un facteur qui passe chez vos parents pour s’assurer qu’ils vont bien. Il vous envoie un rapport circonstancié de sa visite.
Lancé en grande pompe en 2017 et bénéficiant d'une bonne visibilité médiatique, le service n'a pas trouvé son public. Il ne comptait que 6000 abonnés fin 2019.
Le poids de la Silver économie dans les activités de La Poste
En 2019, les activités Silver économie & Santé ont généré un chiffre d’affaires de 170 millions. C’est une goutte d’eau pour La Poste dont le chiffre d’affaires consolidé est 25,98 milliards d’euros.
Pourquoi dépenser une telle énergie (la BU “Silver Economie et Santé” = 1000 salariés) pour un résultat aussi dérisoire ?
Malgré l’attrition du courrier, le métier historique de La Poste, celui dans lequel elle excelle, c’est la distribution, non ? Elle pourrait donc se relever les manches et chercher à piquer des parts de marché à ses concurrents, ou inventer de nouveaux modes de distribution, plus en phase avec notre temps.
Eh bien non, désormais, la mission de la Poste s’exprime comme suit :
« Au service de tous, utile à chacun, La Poste, entreprise de proximité humaine et territoriale, développe les échanges et tisse des liens essentiels en contribuant aux biens communs de la société tout entière. »
Dans ce cadre, La Poste s’intéresse aux vieux.
Essayons de comprendre pourquoi.
Pourquoi La Poste s’intéresse-t-elle aux vieux ?
1 - Parce que, elle les connaît
Elle quadrille le territoire avec ses facteurs
Elle dispose des infrastructures pour distribuer des choses partout et très vite
Elle jouit d’une connaissance fine de tout le pays, mais aussi, localement, des gens.
2 - Parce qu’ils la connaissent
Les citoyens connaissent les postiers qui sont les seuls courageux à venir les voir tous les jours et par tous les temps (dans la légende)
La Poste existe depuis des siècles et dans tous les pays
C’est une institution ancrée dans l’imaginaire collectif
3 - Parce que tout le monde la connaît
Les élus lui font confiance
Les citoyens lui font confiance (surtout les plus vieux ou les ruraux qui ont ce lien si particulier avec le facteur)
Elle peut facilement nouer des partenariats avec les autres services publics, l’État et les collectivités locales.
Elle incarne l’économie sociale et solidaire, ce n’est pas une méchante entreprise commerciale
4 - Parce qu’elle doit s’imposer comme un acteur global et non plus comme le distributeur du courrier
La connaissance du facteur, c’est surtout vrai à la campagne ou dans les petits commerces qui « voient le facteur » tous les jours. En ville, on le voit une fois par an, quand il sonne à votre porte pour vous vendre son calendrier.
Donc, jouer sur cette réputation, ça ne durera que le temps de la génération qui « connaît le facteur et l’admire ».
Les plus jeunes et les citadins ont plus confiance en Amazon ou Deliveroo pour livrer à l’heure dite, le produit attendu. Tout le monde déteste se rendre au bureau de Poste pour récupérer un colis ou un recommandé que le facteur n’a pas pris la peine de livrer à domicile, préférant laisser un avis de passage dans la boîte à lettres.
La Poste est engagée dans une vaste opération de transition, mais vu sa taille, l'âge moyen de ses effectifs, ses syndicats de salariés et son passé de service public, le changement se fait à un rythme lent. Et certaines choses ne changeront pas du tout.
Pourquoi La Poste ne parvient pas à transformer le métier de ses facteurs
La Poste peut jouer sur son image et sa réputation pour se développer dans la Silver économie, mais elle ne parvient pas à s’appuyer sur son réseau pour l’upsell.
Ce qui va vendre, c’est la marque et non pas les forces vives.
Les clients vont acheter à La Poste pour la même raison qu’ils ont pris un CCP et qu’ils filent 10 euros pour le calendrier du facteur : parce qu’ils ont confiance dans l’image de La Poste. Mais il ne faut pas compter sur les facteurs pour vendre des services concurrentiels.
Car ce n’est pas leur ADN.
On ne peut pas transformer des intervenants de terrain persuadés d’effectuer une mission de service public en force de vente. Pas dans un pays où « la vente » est aussi mal perçue. Pas dans un pays qui sanctifie le service public, ses fonctionnaires, les associations et estime que les plus beaux métiers sont ceux qu’on fait par vocation. Dans un tel pays, un facteur est fier de son rôle social. Il refusera de « tromper » ses utilisateurs en se transformant en vendeur.
Et donc, même si La Poste peut se targuer d’un monstrueux réseau de facteurs qui quadrillent le territoire dans leurs voitures jaunes, elle ne peut pas compter sur ce réseau pour l’upsell.
C’est pour cela qu’elle s’appuie sur des partenaires plus orientés business.
C’est aussi ce qui la pousse à se développer sur le marché des résidences services.
Le patrimoine immobilier de La Poste
L'histoire d'amour entre La Poste et les vieux ne se limite pas au domicile.
La Poste s'implique également dans les résidences services seniors. Concrètement, elle recycle ses anciens hôtels des Postes en résidences services seniors dont elle confie la gestion au groupe Les Jardins d'Arcadie, en demandant à l'exploitant d'offrir (ou plutôt, de louer) les services de La Poste Silver à ses locataires.
Malin, non ?
Techniquement, voilà comment cela va se passer :
Poste Immo, filiale immobilière du Groupe La Poste, la Banque des Territoires, et 123 Investment Managers, société de gestion spécialisée notamment dans la gestion de fonds d'investissement immobiliers, ont signé un protocole d'investissement en vue de s'associer dans une société conjointe, qui accompagnera la transformation d'anciens sites de La Poste en résidences services séniors.
La SCI Résidences Seniors La Poste sera détenue à 59 % par Poste Immo, à 21 % par la Banque des Territoires, chargée d'accompagner et de financer les projets de transformation des territoires, et à 20 % par 123 IM par l'intermédiaire de son OPPCI 123 Parcours Résidentiel. La société financera un premier portefeuille d'investissement immobilier estimé à environ 185 millions d'euros.
La SCI va ainsi acquérir au fur et à mesure de leur réalisation une douzaine de résidences services séniors, idéalement situées en plein centre-ville (Amiens, Auch, Brest, Châteauroux, Metz, Perpignan, Roubaix, Saint-Etienne, Villefranche-de-Rouergue, Strasbourg, etc.). Les bâtiments issus du patrimoine postal seront restructurés dans le cadre du partenariat signé en 2020 avec Jardins d'Arcadie, Acapace, Bouygues Immobilier et Poste Immo et seront exploités par Les Jardins d'Arcadie à horizon 2023-2025.
Bonne idée ou mauvaise idée ?