Future Loi Bien Vieillir : l'erreur des députés
2 erreurs plombent le préambule de la loi | Analyse | Explications | Alternatives plus pertinentes
Depuis qu’elle a été évoquée par Aurore Bergé en ouverture de son show sur le Bien Vieillir, la reprise des débats parlementaires sur la PPL1 “Bien Vieillir” suscite un vif intérêt dans notre écosystème.
Un pis aller ?
Proposée par les parlementaires, la proposition n’a pas bénéficié d’un soutien initial du gouvernement, ni de la mobilisation de structures étatiques que ce dernier active pour préparer ses propres projets de loi. Certains jugent que cette carence initiale affaiblit le texte. Ils le considèrent donc comme un pis-aller des parlementaires frustrés par l’abandon de la “Grande Loi” envisagée par Emmanuel Macron en 2018.
Cependant, détracteurs comme promoteurs estiment que la validation de cette loi constituerait un pied dans la porte, qui pourrait préfigurer un texte plus audacieux.
Malgré cet espoir un peu fou, chaque commentateur des joutes parlementaires rappelle la faiblesse et le manque d’ambition du texte.
J’ai voulu en avoir le coeur net.
Retour aux sources
Je suis remonté à la source.
J’ai lu la Proposition de Loi publiée le 14 décembre 2022. Le texte original concocté par les Parlementaires “emmenés” par notre actuelle ministre de l’Autonomie (qui en était le premier rapporteur).
Et là, stupeur, dès le préambule, il y a comme un os dans le pâté.
Le vieillissement de la population et la perte d’autonomie constituent aujourd’hui l’une des principales préoccupations des Français. La transition démographique représente un bouleversement fondamental, non seulement pour les millions de familles directement concernées mais pour la société dans son ensemble. (source)
Désolé mesdames et messieurs les député.es, mais votre introduction affirme des choses fausses, ou ineptes. Comment voulez-vous embarquer votre audience si vous racontez n'importe quoi dans les premières lignes.
Cela me peine de devoir vous le dire, mais…
Ce premier paragraphe n’est pas digne d’une Loi de la République
J’estime que les auteurs d’une future Loi devraient faire l’effort de fact checker ce qu’ils présentent comme les fondements de leur proposition. Ils n’ont pas le droit de convoquer des lieux communs, ni de sacrifier le réel sur l’autel de l’émotionnel.
Une loi qui doit modifier le droit ne doit pas reposer sur des approximations. Elle ne doit ni induire en erreur, ni prêter le flanc à la critique.
En l’espèce, voyez-vous de quoi je veux parler ?
Deux des affirmations de ce paragraphe sont fausses
La première affirme une prééminence dans les préoccupations des Français qui ne se vérifie pas dans les études d’opinion.
La seconde situe la transition démographique dans le futur alors qu’elle s’est produite il y a 200 ans.
Je vous propose de décortiquer les deux affirmations. Je vous expliquerai le problème, preuves à l’appui. Et je vous montrerai comment les deux fondements de ces affirmations pourraient être mieux utilisés. Car bien que l’affirmation soit fausse, l’idée est juste.
P1 : “Le vieillissement et la perte d’autonomie sont l’une des principales préoccupations des Français”
P2 : “la transition démographique représente un bouleversement fondamental pour les millions de familles directement concernées”
“Le vieillissement et la perte d’autonomie sont l’une des principales préoccupations des Français”
Deux erreurs dans cette formule : son contenu même, et son positionnement parmi les principales préoccupations des Français
Perte d’autonomie et vieillissement ne sont pas liés
Cette formule assimile vieillissement et perte d’autonomie. Or, ce sont deux phénomènes qui peuvent être ou ne pas être concomitants.
L’autonomie est la capacité d’un individu à se gouverner lui-même ; y compris à gérer sa dépendance. C’est une indépendance par rapport à une décision, et non pas par rapport à des moyens.
Elle est à opposer à l’hétéronomie dans laquelle une autre personne gère ce qui arrive, sans en référer aux besoins et désirs de la personne concernée.
La dépendance est l’impossibilité partielle ou totale pour une personne d’effectuer sans aide les activités de la vie, qu’elles soient physiques, psychiques ou sociales, et de s’adapter à son environnement.
Et donc :
La dépendance engendre une perte d’autonomie ;
La perte d’autonomie peut être due à autre chose que la dépendance ;
La perte d’autonomie peut être passagère ;
La vieillesse n’engendre pas la perte d’autonomie, ni la dépendance.
Les faits générateurs de la dépendance
Les faits générateurs de la dépendance, qui peuvent être lié à la vieillesse, mais indirectement, sont :
Une maladie - ou son traitement - qui vont dégrader l’autonomie du patient ;
L’isolement géographique : habiter un logement isolé et ne pas avoir les moyens d’en sortir seul.e (c’est une cause complexe, qui provoque différente formes de dépendance, selon les services que l’isolement éloigne de la personne) ;
La précarité : ne pas avoir les ressources financières pour vivre dignement ;
Le droit : être sous tutelle ou curatelle d’un tiers ;
La liste n’est pas exhaustive…
Donc, il est inexact d’associer vieillesse et perte d’autonomie dans une même proposition comme si l’un et l’autre étaient indissociables. Cela conforte les citoyens dans une perception dégradée où la vieillesse est un coût.
La vieillesse est un coût ?
Et c’est d’autant plus gênant quand on aborde les préoccupations des Français. En effet, comme vous allez le constater dans le graphique ci-dessous, ni la vieillesse, ni la perte d’autonomie ne sont l’une des principales préoccupations des français. En revanche, la préoccupation qui surclasse toutes les autres de près de 20 points, c’est le pouvoir d’achat.
Et donc, présenter la vieillesse comme un coût à des citoyens qui s’estiment assommés par le coût de la vie, ce n’est pas une façon très positive d’aborder la question. C’est prendre le risque que toute mesure à charge des citoyens soit rejetée.
Les VRAIES préoccupations des Français
Selon une étude réalisée en mars 2022 auprès de 13 000 français âgés de 18 ans et plus, les préoccupations majeures des Français sont le pouvoir d’achat (54%), la guerre russo-ukrainienne (36%), l’environnement (27%), le système de santé et l’immigration (égalité à 24%), les retraites (20%). (source)
Où se situent le vieillissement et la perte d’autonomie dans cette liste ?
Nulle part !
Pour intéresser les Français au sujet, il convient de trouver une manière de montrer comment il pourrait avoir un impact positif sur le pouvoir d’achat. Parce que la place qu’occupe cette préoccupation en tête du classement est invariante. Etude après étude, elle occupe la pole position.
Cela ne signifie pas que les Français ont un porte-monnaie à la place du coeur, mais que leurs craintes se cristallisent autour de leur capacité à payer les factures.
Une préoccupation révélatrice d’inégalités sociales graves entre les citoyens qui ont les moyens et ceux qui tirent le diable par la queue.
Une préoccupation guère étonnante dans notre système néo-libéral où la consommation est devenue notre raison d’être.
Il convient cependant de nuancer
Ajustement interprétatif
A mon avis, certains français ont bel et bien ce sujet en tête, mais il l’intègrent à une réflexion plus globale qui s’exprime dans les autres préoccupations.
Les proches d’une personne atteinte de maladie d’Alzheimer et percevant une petite retraite s’inquiètent sur le financement de l’Ehpad. Ils ne voudraient pas être obligés de payer de leur poche si la retraite du parent est insuffisante.
Un couple de retraités qui doit rénover la toiture ou la salle de bains vont aussi se poser la question sous l’angle du pouvoir d’achat en recevant le devis de l’artisan.
Le lien est réel, c’est sa perception par les citoyens qui n’est pas directe.
C’est pourquoi nous devons nous battre contre la croyance selon laquelle vieillesse = dépendance = dégradation = coût.
“La transition démographique représente un bouleversement fondamental pour les millions de familles directement concernées”
La deuxième partie du texte présente la transition démographique comme la source de tous nos maux, confondant naïvement la cause et sa conséquence.
La transition démographique n’est pas un phénomène récent
L’erreur fondamentale de cette affirmation c’est la confusion entre transition démographique et vieillissement de la population. Non seulement, la transition démographique n’est pas le vieillissement, mais de surcroît, le premier effet de la transition démographique n’est pas le vieillissement. C’est la chute de la mortalité infantile.
La transition démographique n’est pas un phénomène récent, en France.
Elle n’est pas survenue cette année, ni l’an dernier, mais juste après la Révolution Française.
Définir la transition démographique
Je n’ai pas trouvé meilleure explication que celle de Wikipédia :
La transition démographique est le processus historique par lequel une population passe d'un régime démographique caractérisé par un taux de mortalité et un taux de natalité élevés à un nouveau régime caractérisé par un taux de mortalité puis un taux de natalité faibles.
Ce type d'évolution a été observé à partir de la fin du XVIIIe siècle en France et au Royaume-Uni, puis dans l'ensemble des autres pays au cours des trois siècles suivants. C'est une composante de la modernisation ou du développement socio-économique.
Aparté pour comprendre l’impact sur l’espérance de vie
Voyons comment ce phénomène contribue à l’augmentation de la longévité humaine à partir de deux jeux de données INED. Cette série va vous montrer comment la transition démographique a influencé le vieillissement.
Les barres bleu ciel montrent le taux de mortalité par tranche d’âge.
Vous le lisez comme ça : Pour l’année 1806, sur la tranche d’âge 0-5 le taux de mortalité est de 98%. Sur la tranche d’âge 5-10, le taux de mortalité (des enfants qui ont survécu, donc) est de 5%, etc…
Les lignes bleues et rouge indiquent respectivement l’espérance de vie moyenne et médiane pour la période.
Suite de l’exposé Wikipédia
Ce processus historique aboutit à la multiplication par huit de la population mondiale de 1800 à 2022 et à son décuplement prévu de 1800 à 2050. Ce processus s'explique principalement par le développement sanitaire et socio-éducatif. Il contribue à expliquer le développement économique.
Les profils de transition démographique et les accroissements de population entre 1800 et 2050 sont très différenciés selon les zones géographiques. La santé, l'éducation, le statut de la femme et la planification familiale sont parmi les principaux facteurs de cette transition.
La transition socio-démographique rapide favorise généralement le progrès économique dans les pays en voie de développement. Les migrations internationales jouent globalement un rôle relativement plus faible après 1960.
La transition de la fécondité est plus tardive dans certaines régions, mais présente partout. Le vieillissement post-transitionnel concerne maintenant les deux tiers de la population mondiale.
Le vieillissement post-transitionnel concerne les deux tiers de la population mondiale
La dernière phrase de l’exposé est éclairante : ce n’est pas la transition en soi qui provoque le vieillissement de la population. C’est l’effet conjoint de plusieurs facteurs :
La chute de la mortalité infantile ;
La chute du taux de fécondité ;
Le ralentissement de l’immigration ;
La disparition des guerres entre nations européennes ;
L’augmentation de la longévité.
Aujourd’hui en France, les gains d’espérance de vie ne se font plus par la diminution de la mortalité infantile, mais par l’allongement de la durée de vie.
Et donc, il est erroné de prétendre que ce phénomène représente un bouleversement fondamental seulement pour des millions de familles.
Ce phénomène représente un bouleversement structurel
de la société dans son ensemble.
Car la société dans laquelle nous vivons et dans laquelle nos descendants vivront est structurée par cette transition démographique qui s’est produite il y a 200 ans.
Concernant les générations futures, il est tout aussi erroné de considérer la question sous le seul prisme du vieillissement et de son coût.
Puisque la situation résulte de 5 facteurs, chacun de ces facteurs peut avoir un effet sur la conséquence.
Si nous ne pouvons souhaiter ni la guerre en Europe, ni la mortalité infantile, qu’est-ce qui nous interdit d’imaginer un regain de la fécondité ou un accroissement de l’immigration ?
Qu’est-ce qui nous empêche de rêver d’un monde qui accorderait un rôle plus actif à ses aînés, leur donnant les moyens d’être des contributeurs et non des poids ?
Conclusion
Malgré ses faiblesses, la PPL pourrait offrir aux parties prenantes l’opportunité d’aborder la question du vieillissement sous un angle nouveau. De retourner un peu le paradigme pour montrer aux français :
Qu’il peut influencer leur pouvoir d’achat (en positif ou en négatif)
Que la question ne concerne pas que les vieux, ni que les familles qui doivent les gérer, mais tout le monde.
Post Scriptum : Silver Economy Expo 2023
Je travaille sur deux gros projets de contenu que j’avais prévu de présenter lors du salon Silver Economy Expo, où je me suis payé un stand, et qui se déroule cette semaine au parc des expos de la Porte de Versailles, à Paris.
La Task Force
Le premier projet est un podcast “en équipe” pour lequel je demanderai à plusieurs experts de constituer une task force qui se réunira chaque semaine pour débattre, discuter et réfléchir autour d’une problématique, d’un enjeu, d’une question, d’une innovation.
J’ai déjà approché plusieurs experts et expertes qui m’ont donné leur feu vert pour rejoindre la team, mais la mise en oeuvre est plus longue que les projets que je gère en solo, parce que l’un des partenaires qui est chaud bouillant pour contribuer au projet doit - lui aussi - mobiliser une équipe dessus.
Le podcast verra le jour début 2024 et je vous en parlerai avec plaisir si vous me rendez visite à Silver Economy Expo, mais je n’aurai pas de visuels, ni de programme, ni une équipe constituée à vous présenter.
Les webinaires “Silver Santé”
Un autre projet qui va envoyer du bois, c’est un webinaire pour les professionnels de santé que nous sommes en train de mettre en branle avec un autre partenaire, organisateur d’événements pour l’écosystème santé.
Il constate une appétence de ses publics pour la Silver économie et donc…. il m’a proposé qu’on monte un projet ensemble pour organiser des webinaires avec des annonceurs qui viendront présenter leur offre à ses auditeurs.
Là aussi, ça prend un peu de temps à se mettre en place, mais nous serons prêts début 2024, et je pourrai aussi vous en parler à Silver Economy Expo.
Mais je suis open pour discuter de tout le reste aussi
Pour ces deux sujets ou tout autre sujet relatif à mon travail, mes contenus, votre travail, vos enjeux, votre stratégie… je vous donne rendez-vous à Silver Economy Expo sur le stand E.54.
La proposition de loi, ou PPL dans le jargon parlementaire, est un texte de loi déposé à l’initiative d’un ou de plusieurs parlementaires. Il se distingue du projet de loi (PJL), à l’initiative du Premier ministre. Contrairement aux PJL, les PPL ne sont pas soumises à une délibération du Conseil des ministres ou à un avis du Conseil d’État, mais directement déposées devant la chambre à laquelle appartient leur auteur. À l’heure actuelle, environ 65 % des textes adoptés sont d’origine gouvernementale, mais depuis la réforme constitutionnelle de 2008 qui permet aux assemblées de choisir, une semaine sur quatre, les textes dont elles souhaitent débattre, la part des PPL a progressé, passant de 25 % entre 2002 et 2007 à 35 % aujourd’hui.
Bon, j'ai cherché rapidement sans succès mais je suis sur que 98% de taux de mortalité infantile ce n'est pas possible. Dans mes souvenir on était plutôt à 30%, si mes souvenirs sont bons (ce qui n'est pas sur) ca voudrait dire que ton graph 1806 est en base 1000 ce qui me semble cohérent. Si tu as la source, je suis preneur !
et sinon : analyse très intéressante !