L'habitat partagé accompagné, une solution d'avenir pour le vieillissement
Découvrez les avantages de l'habitat partagé accompagné pour mieux vieillir
A partir de janvier, la création de SAAD change de régime, passant d’un système d’autorisation à un système d’appel à projet.
C’est compliqué pour tous les SAAD, mais c’est un vrai casse tête pour l’habitat partagé et accompagné, une catégorie d’habitats inclusifs qui s’adresse aux personnes ayant besoin de l’assistance permanente - ou presque - d’une auxiliaire de vie.
Plusieurs enseignes (exemple : Ages&Vie et Homnia - Le Club des Six) se sont construites en faisant du SAAD dédié. Elles doivent leur développement à l’intégration du SAAD à leur modèle économique. La complexification de l’accès à ce dispositif les oblige à réinventer leur organisation.
Comme si cela ne suffisait pas, le concept d’habitat partagé et accompagné se fait critiquer…par l’ONU !
J’aimerais vous aider à comprendre la situation ainsi que les perspectives de ces habitats.
Mais avant de taper dans le dur, je vous propose de prendre un peu de hauteur sur les fondements de l’habitat partagé.
Le concept de l’habitat partagé et accompagné
Lorsque vous avez besoin d’une assistance pour les actes de la vie courante tels que le lever, la toilette, aller au petit coin, manger, changer de position ou aller vous promener, vous pouvez solliciter les services d’intervenants à domicile. Certains sont indépendants ou envoyés par des services mandataires, mais pour les cas de dépendance ou de handicap élevés, il sont la plupart du temps salariés d’un SAAD qui vous facture la prestation à l’heure, en suivant un plan d’aide établi par le département ou la MDPH.
Ce plan d’aide sert de feuille de route au SAAD, mais aussi de base de calcul pour certaines aides.
Des aides individuelles dont vous disposez avec le SAAD de votre choix. SAAD que vous êtes libre de remplacer si vous n’êtes pas satisfait...et que l’offre locale le permet.
A l’inverse de cette liberté de choix au domicile, lorsque vous êtes hébergé dans une institution médico-sociale, vous percevez aussi des aides proportionnelles à votre plan d’aide, mais vous ne choisissez pas vos intervenants. Et vous ne pouvez pas en changer si vous n’êtes pas satisfait.
Et entre ces deux situations, si vous êtes hébergé dans un habitat collectif quel qu’il soit, vous êtes chez vous. Et donc, vous devriez pouvoir choisir votre SAAD, n’est-ce pas ?
En principe oui, mais certains habitats partagés et accompagnés proposent une prestation complète mêlant l’hébergement, plusieurs services de confort et un SAAD intégré.
Ce SAAD peut être :
Un organisme distinct de l’habitat partagé, qui délivre sa prestation aux habitants dans le cadre d’un accord d’exclusivité avec l’habitat. On parle alors de SAAD mutualisé.
Un organisme appartenant à l’habitat partagé qui délivre sa prestation aux habitants et à eux seuls (il n’a pas le droit de prester à l’extérieur), on parle alors de SAAD dédié.
Les SAAD mutualisé recoupent parfois les prestations servies par le SAAD dédié, mais pas toujours. Cela dépend de la philosophie du lieu et du niveau d’intégration du SAAD dans son organisation. Pour que mon propos reste clair, concentrons-nous sur le SAAD dédié en admettant que, parfois, un SAAD mutualisé sera aussi concerné.
Les avantages du SAAD dédié
L’avantage pour les habitants est triple :
Ils n’ont pas besoin de choisir leurs intervenants
Ils bénéficient d’une assistance permanente, même au-delà de leur plan d’aide (grâce à une dispositif de mutualisation des aides, quand le département le permet)
Ils ont toujours le même intervenant et peuvent le solliciter pour des tâches qui sortent du cadre strict de la mission de care
Pour l’organisme gestionnaire, avoir son SAAD dédié permet de rationaliser et d’optimiser son organisation et son budget. Cela lui permet aussi de mieux s’assurer de la qualité et de l’unicité du service rendu.
Les atouts de l’habitat partagé vus par la CNSA
Une récente et intéressante étude de terrain publiée en avril 2022 par la CNSA montre les atouts du SAAD dédié pour le confort des habitants. Réalisée à partir d’immersions dans 5 habitats partagés et accompagnés, elle souligne les avantages du format SAAD dédié par rapport aux autres formules (libre choix et mutualisation).
Si vous souhaitez en savoir plus à propos de ce rapport, je l’ai analysé pour Ages&Vie dans la newsletter que nous écrivons chaque mois à destination de leurs prescripteurs.
Les limites du SAAD dédié
On pourrait penser que le SAAD dédié est un dispositif “tout bénéfice” et donc se demander ce que lui reprochent ses détracteurs. Ceux-ci ne s’attaquent pas spécifiquement au SAAD dédié, mais à toutes les hypothèses où l’habitant n’a pas le choix (cela concerne donc, vous l’aurez compris, le dédié et le mutualisé).
La principale critique porte sur le non respect du principe de libre choix des intervenants, clairement énoncé dans les dispositifs légaux qui règlement le fonctionnement de tous les habitats collectifs pour seniors (loi ASV pour les RSS et RA, loi ELAN pour l’habitat inclusif).
Allant plus loin, des détracteurs considèrent qu’une forme d’habitat “chez soi” où l’on imposerait les intervenants est une institution qui ne dit pas son nom. Illustration avec deux documents critiques.
Première critique
A l’automne 2020, l’architecte Fany Cérèse, la gérontologue Colette Eynard et le psychologue Kevin Charras publient une critique acerbe de l’habitat inclusif. Les trois auteurs dénoncent la transformation d’un concept ouvert et modulable en format réglementé, contrôlé, contraint.
Industrie vs artisanat
C’est une critique de l’industrialisation du modèle. Pour ces auteurs, l’habitat partagé est le projet d’un groupe de cohabitants qui se choisissent et s’entendent sur définissent un projet de vie. Cela ne peut en aucun cas être un modèle industriel répliqué par un organisme commercial ou associatif.
Vivre ensemble = toujours bien ?
Les auteurs questionnent le dogme du vivre ensemble. Reconnaissant qu’une communauté choisie est préférable à la solitude, ils se demandent comment s’exprime ce choix dans un habitat partagé que les habitants rejoignent comme on s’installe à l’hôtel. Le trio rappelle - car on a tendance à l’oublier - que le grand âge des cohabitants n’est pas une raison suffisante pour s’entendre.
Vous me direz que les habitants ont le choix de ne pas s’y installer, mais l’ont-ils vraiment ?
Quel sera le libre arbitre et la marge de manœuvre des locataires, puisque tous les financements dont ils pourront bénéficier seront fléchés et les services prodigués seront obligatoires ?
Taille des logements
L’étude se poursuit sur la répartition entre espaces privés et partagés. Eynard, Charras et Cerese expliquent, preuve à l’appui que l’aspiration des personnes âgées en habitat partagée est de vivre chez soi et de partager des moments de vie et non de vivre dans une sorte de colocation où l’on partage tout sauf ses nuits.
Les citoyens vivant en habitat partagé souhaitent disposer d’un vrai logement (avec cuisine), pouvoir disposer librement de leur temps, choisir de retrouver pour des activités choisies quand bon leur semble et - pourquoi pas - recevoir d’autres cohabitants chez eux.
Bien souvent, les créateurs d’habitats partagés pensent que leurs habitants aspirent à un niveau de vie en communauté bien supérieur à la réalité.
Quel rapport entre la taille des espaces partagés et le SAAD, me demandez-vous ?
Et bien, créer un habitat où les habitants n’ont que des chambres et ou toute la vie s’organise dans un espace commun, selon des rituels immuables, c’est reproduire un schéma institutionnel en répondant notamment à un impératif d’optimisation du service pour les professionnels.
Organisation choisie ou imposée
Enfin les auteurs dénoncent un dispositif qui impose un organisateur extérieur au collectif (personne 3P, gouvernante, animateur, SAAD, etc.) et ne permet donc pas au collectif de s’autogérer tout en bénéficiant des avantages de la loi ELAN.
Pour toutes ces raisons, Eynard, Cerese et Charras craignent que l’habitat inclusif devienne un modèle institutionnel, un mini Ehpad où les habitants n’ont pas voix au chapitre…. ce qui contredit le principe même de l’habitat inclusif.
Cependant, reconnaissant la pertinence d’un service à la personne dédié à l’organisme, ils proposent que celui-ci soit partie prenante dans la fondation du projet et non pas intervenant a posteriori dans un projet existant.
L’habitat partagé, c’est un projet qu’on monte en collectif. Et donc, tous les occupants du lieu, qu’ils y vivent ou y travaillent, doivent être associés à sa création.
Deuxième critique
Marchant dans les brisées de l’étude susmentionnée, le Comité de défense des personnes handicapées (CDPH) est un organisme onusien qui se bat depuis des années contre l’institutionnalisation des handicapés. Dans sa définition extensive de l’institution, le comité inclut (sic) l’habitat inclusif. Il milite pour une vraie inclusion et dénonce la prise en charge du handicap, trop médicale, contraignante et paternaliste, surtout en France.
Dans un rapport publié en septembre 2022, le CDPH produit une étude réalisée pendant la pandémie à partir du retour d’expérience de 500 citoyens. Le bilan de ces auditions révèle une institutionnalisation généralisée, soulignant son impact néfaste, qui se manifeste, selon le comité, par de « la violence, de la négligence, des abus, des mauvais traitements et de la torture, y compris des contraintes chimiques, mécaniques et physiques ». Ce rapport sans langue de bois évoque les « survivants de l'institutionnalisation ».
Le comité demande donc aux Etats de « légiférer afin de criminaliser la détention sur la base du handicap et l'institutionnalisation » et de « reconnaître dans la loi que l'institutionnalisation fondée sur le handicap représente une forme prohibée de discrimination ».
Définition de l’institutionnalisation par l’ONU
Le comité définit l'institutionnalisation au sens très large, bien au-delà des murs des établissements médico-sociaux. Dix critères ont été choisis, qui peuvent s’appliquer à l'habitat inclusif.
Partage obligatoire d'auxiliaires de vie,
Absence de pouvoir sur les décisions du quotidien ou sur le choix des personnes avec qui l'on partage son lieu de vie,
Rigidité d'une routine,
Approche paternaliste du fournisseur de services.
etc.
La politique française est vertement critiquée par l'ONU qui déplore « une législation et des politiques publiques fondées sur le modèle médical et des approches paternalistes du handicap » et recommande de « mettre fin au placement en institution des enfants et des adultes handicapés, y compris dans les maisons d'habitation de petite taille » au moment même où le gouvernement affiche de grandes ambitions pour promouvoir l'habitat inclusif.
Si ces deux textes ont une portée différentes, ils montrent l’un comme l’autre l’écart entre une approche rationaliste de l’habitat partagé et accompagné d’un côté et les aspirations des citoyens de l’autre.
C’est quoi le rapport avec les SAAD dédiés ?
Vous vous demandez sans doutes quel est le rapport entre ces deux contenus, les SAAD dédiés et le changement d'organisation dont je vous ai fait part au début de mon article.
Les choses ne sont pas liées et cependant tous ces éléments concourent à la remise en question du modèle des habitats partagés et accompagnés à SAAD dédié.
Pour conclure
Alors, quel avenir pour ces habitats partagés et comment toute ces actualités pourraient faire bouger les lignes ?
J’ai quelques idées sur la question, mais j’ai déjà assez abusé de votre temps, alors je vous donne rendez-vous dimanche prochain pour vous en parler.
J’ai hâte de lire la suite vivement dimanche prochain !!!
Bonjour Alexandre, merci pour cette réflexion très pertinente.
Le modèle "idéal" devrait peut-être penser la "prise en compte" plutôt que la "prise en charge" pour inclure de manière effective la volonté des intéressés, et ainsi échapper à la notion d'institutionnalisation qui est déclinée par l'ONU.
Hâte d'être à dimanche prochain !