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La vérité sur le vieillissement au Japon ㊙️
Robotique | Dépopulation rurale | Agisme et incitation au suicide : tout ne va pas pour le mieux au pays du Soleil Levant.
Le japon est confronté à une transition démographique sans précédent : sa population vieillit et les naissances sont de moins en moins nombreuses. Une situation qui préfigure l’Europe dans quelques années et fait du Japon un laboratoire pour adapter la société au vieillissement.
Le 1er mai 2019, l’ancien empereur Akihito a laissé sa place à son fils, Naruhito. La nouvelle ère impériale s'appelle « Reiwa », association de deux idéogrammes qui signifient « harmonie ».
Cela évoque la naissance d'une civilisation où règne une harmonie entre les êtres. Ce nom veut marquer le début d'une période qui déborde d'espoir. Shinzo Abe - Premier ministre du Japon.
L’espoir fait vivre
De l’espoir, le Japon en a grandement besoin. Le pays est confronté à un choc démographique sans précédent. La population du Japon vieillit et ne se renouvelle pas. Conséquence, un quart des Japonais ont plus de 65 ans et l’archipel qui compte 127 millions d’habitants pourrait voir sa population réduite à 88 millions d’ici à 2065. En outre, comme le pourcentage de célibataires à vie atteint aujourd’hui 23% chez les hommes et 14% chez les femmes, la proportion de personnes âgées qui vieillissent seules continuera à augmenter.
Le gouvernement Japonais considère toujours que l’idéal serait que l’individu soit pris en charge à son domicile par sa famille. Mais dans les faits, cette solution n’est pas facile à mettre en œuvre, d’autant qu’il n’y aura pas toujours des proches disponibles ou en vie autour de l’intéressé.
La manière dont le Japon aborde les défis – et les opportunités – posés par la transition démographique fait du pays un laboratoire pour le reste du monde.
Préfiguration
La situation du Japon d’aujourd’hui préfigure l’Europe à horizon 2030 - 2050.
Le Pays du soleil Levant peut-il servir d’exemple à la France pour rechercher des idées d’adaptation de la société au vieillissement ?
C’est tout à fait envisageable.
Car malgré les apparences, nous avons beaucoup plus de points communs avec le Japon qu’avec la Chine ou les Etats Unis !
Similarités Est - Ouest
La France et le Japon ont un système similaire de sécurité sociale et les tailles des deux pays sont assez proches : la superficie de la France est 1,5 fois plus grande que celle du Japon : la question de l’envergure ne se pose donc pas.
Par ailleurs, le niveau de vie dans les deux pays est le même : le PIB par habitant est environ de 40 000 dollars, et les institutions politiques et administratives sont très voisines.
En outre, le Japon et la France partagent beaucoup de valeurs comme la démocratie et les droits de l’homme, malgré de grandes différences culturelles et historiques.
Quand on parle d’adapter la société au vieillissement, chez nous comme au Japon, on pense d’abord à l’adoption de solutions pour venir en aide aux seniors dépendants.
Les robots
C’est pourquoi, l’image que nous avons souvent quand il est question de la population japonaise âgée, c’est celle des robots. Le Japon a décidé de miser sur la robotique pour tenir compagnie et aider les personnes âgées à domicile et surtout en maison de retraite.
Le gouvernement a lancé un "Plan Robot" officiel qui "vise à augmenter la proportion de personnes qui souhaitent utiliser des robots pour fournir des soins, de 60 % à 80 %". Les collectivités locales accordent même des subventions pour l'adoption de robots dans les maisons de retraite ; généralement 50% du coût jusqu'à environ 1 000 $ par robot1.
Mais pour le Japon, l’enjeu va bien au-delà de la question des robots.
La question de l’adaptation de la société au vieillissement ne doit pas se limiter à la recherche de solutions pour les plus âgés des âgés.
Non.
Adapter la société au vieillissement c’est adapter toute la société à un nouveau paradigme dans lequel la vie est beaucoup plus longue et les âgés potentiellement plus nombreux que les jeunes.
Derrière le cliché d’un Japon qui se prépare au vieillissement en misant tout sur la robotique se dessine une société qui paie au prix fort une forme de déni de son propre vieillissement, ou plutôt des conséquences de ce vieillissement sur l’état d’esprit de la population.
Trois illustrations
L’impact du vieillissement sur l’audace et l’esprit d’entreprendre
En mai 2017, un rapport publié sur internet a fait l’effet d’un pavé dans la mare. Intitulé « des individus inquiets, un Etat paralysé ». Ce document de 65 pages a été rédigé par trente jeunes fonctionnaires travaillant au ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie (Meti).
Le rapport qui a été téléchargé plus de 1,4 million de fois a donné lieu à un déferlement de commentaires sur internet.
Il reconnaît que le Japon est « paralysé » mais on y relève aussi de sévères critiques contre « une société indifférente à ses générations actives et des questions sur la place laissée aux jeunes dans le débat public ».
Les auteurs brossent le portrait d’une « démocratie des seniors », dans laquelle une grande partie de l'électorat est d’âge avancé et semble se cramponner à un modèle de société révolu. Une proportion croissante de jeunes Japonais réclame plus de pouvoirs pour leur génération et rêve d’une société qui place plus d’espoirs dans ses forces vives que dans la robotique !
L’impact du vieillissement sur les rapports intergénérationnels
Cette crise intergénérationnelle a connu un regain de vivacité ce mois-ci avec la parution dans le NY Times d’un article mettant en lumière les travaux d’un professeur adjoint d’économie à Yale appelé Yasuke Naruta2. Âgé de 37 ans, il suggère depuis des années que les vieux japonais devraient se suicider afin de ne plus être un fardeau pour les jeunes générations.
Extrait du Times : "L'année dernière, Narita a répondu à la question d'un garçon sur le seppuku en racontant à un groupe d'élèves une scène de Midsommar, un film de 2019 dans lequel une secte suédoise envoie l'un de ses membres les plus âgés sauter d'une falaise.
"Difficile de dire si c’est une bonne chose", a-t-il déclaré. "Si vous pensez que c'est bien, peut-être pouvez-vous travailler dur pour créer une société comme celle-ci." Il a également discuté de l'euthanasie, prédisant que la possibilité de la rendre obligatoire à l'avenir fera partie du débat public.
Il note également, dans sa biographie Twitter : "Les choses que l'on vous dit que vous n'êtes pas autorisé à dire sont généralement vraies".
Dans quelle mesure ce point de vue est-il répandu ?
Bien qu’on ne soit pas confronté à un discours mainstream et que ces propos choquent plus de citoyens qu’elles en confortent, le fait est. Qu’une position aussi radicale suscite un article dans la presse et provoque l’affluence de centaines de milliers d’abonnés sur les comptes sociaux de son auteur révèlent que le sujet ne doit pas être pris à la légère. Même s’il est pour le moment l’expression d’une minorité3.
L'année dernière, un film dystopique de la réalisatrice japonaise Chie Hayakawa appelé Plan 75 imaginait des vendeurs offrant aux citoyens âgés une incitation à l'auto-euthanasie et à ne plus être un fardeau pour la société.
L’impact du vieillissement sur le peuplement des zones périurbaines
896 communes Japonaises sont en voie d’extinction.
Ces municipalités risquent de connaître une baisse de 50 à 70% et plus du nombre de femmes en âge de procréer dans les années qui viennent. Les régions touchées comme Hokkaido (l’Ile du Nord) et le Tohoku (nord-est de Honshu) ont vu une grande partie de leur population migrer vers la ceinture économique du Tokaido (Tokyo-Osaka) durant l’essor économique d’après-guerre.
C’est dans ce contexte que le gouvernement japonais va proposer jusqu’à 1 million de yens, soit environ 7 100 euros, par enfant pour inciter les familles à quitter la capitale. Cette somme vient compléter une prime déjà en vigueur depuis 2019. Le but est d’inciter les familles à déménager hors de la ville ou dans des zones montagneuses de la région et y travailler pendant au moins cinq ans*.*
Les autorités cherchent ainsi à désengorger Tokyo et ses environs, où vivent 35 des 125 millions d’habitants que compte l’archipel, soit 28 % de la population. Cela permettrait de développer d’autres territoires qui ont été vidés de leurs moyens financiers et de leurs talents*.* Cependant, les incitations financières mises en place il y a trois ans n’avaient pas suffi : seulement 2 381 personnes en avaient bénéficié. On peut donc douter du succès de la nouvelle mesure.
Les collectivités locales ne sont pas en reste. Elles aussi essayent de trouver la parade en construisant des résidences pour personnes âgées ou même des villages inclusifs destinés à reloger en zone rurale des seniors isolés dans des villes qui ne sont pas adaptées à leur situation.
Exemple : Share Kanazawa, une expérience pionnière de village inclusif et multigénérationnel où sont réunis des personnes âgées, des jeunes en réinsertion et des associations caritatives4.
Cependant ces projets sont une goutte d’eau ramenée à l’ampleur du sujet et malgré le charme certain d’un village inclusif, Share Kanazawa demeure aujourd’hui un exemple isolé.
Avis d’expert
Creusons la problématique et les enjeux avec cette interview du rédac chef du Times Japon, Mokoto Rich parue dans le Times du 19 février 2023 et traduite par Sweet Home5.
Claire Moïse : Vous avez fait des reportages sur les populations rapidement grisonnantes du Japon et d'autres pays asiatiques. À quel point l'Asie vieillit-elle et comment en sommes-nous arrivés là ?
Motoko Rich : Commençons par le Japon. Près d'un tiers de la population a plus de 65 ans. À titre de comparaison, aux États-Unis, ce nombre est d'environ 17 %. Et les experts disent que la Corée du Sud et la Chine sont sur la bonne voie pour atteindre des niveaux similaires dans les années à venir.
Une des raisons est le faible taux de natalité dans ces pays. En Chine, c'était à cause de la politique de l'enfant unique. Au Japon et en Corée, l'inégalité entre les sexes et le coût élevé de l'éducation des enfants ont joué un rôle important. Dans ces pays où le rôle de la mère est très codifié, il est difficile pour les femmes de combiner la parentalité avec une carrière épanouissante. En conséquence, de plus en plus de femmes reportent l'accouchement ou décident de ne pas avoir d'enfants du tout.
L'espérance de vie est également longue dans ces pays. De loin, il y a des aspects joyeux à cela, comme des centenaires heureux qui mènent une vie saine sur l'île japonaise d'Okinawa.
Mais il y a un côté sombre. Le Japon a le pourcentage le plus élevé de personnes âgées atteintes de démence. Et il n'y a pas assez de travailleurs pour s'occuper d'eux et même pour occuper les emplois nécessaires à la gestion de l'économie.
Vous pouvez comparer le problème à la façon dont les gens voyaient le changement climatique : cela se produisait depuis de nombreuses années, mais nous n'y prêtions pas attention.
Les sociétés doivent planifier leur vieillissement, et elles ne sont pas bien préparées pour le faire. Ce n'est pas une crise directe, c'est une crise lente.
Les personnes âgées en Asie sont souvent en bonne santé physique. Qu'en est-il de leur santé mentale ?
La santé mentale est un énorme problème. Certaines personnes meurent seules, comme l'a écrit mon collègue Norimitsu Onishi il y a quelques années. Les gens ont moins d'enfants qu'avant. Ces enfants se déplacent vers les villes et ne sont pas en mesure de prendre soin de leurs parents qui sont laissés-pour-compte dans les zones de dépeuplement. Les personnes âgées vivent donc isolées.
Outre les personnes âgées qui travaillent plus longtemps, quelles sont les solutions potentielles ?
Faire venir des travailleurs d'autres pays semble être la seule solution, mais le Japon est notoirement opposé à l'immigration. Il y a quelques années, il a modifié ses lois pour autoriser certains travailleurs, mais les paramètres étaient stricts et cela n'a pas eu d'impact majeur.
Le Japon n'est pas le seul pays de la région à lutter contre cela. L'année dernière en Chine, les décès ont dépassé les naissances pour la première fois en six décennies. Comment la Chine fait-elle face au vieillissement de sa population ?
La Chine s'est efforcée de prévenir le déclin en mettant fin à sa politique de l'enfant unique et en encourageant les familles à avoir plus d'enfants, y compris – comme au Japon – en subventionnant les technologies de procréation assistée, dans l'espoir que cela stimulera davantage de naissances.
Vous avez récemment écrit une histoire sur des personnes âgées à Tokyo travaillant dans des emplois manuels. Comment avez-vous eu cette idée ?
Je voulais écrire ce livre parce que je vois cette situation partout. Quelques années après avoir vécu ici, j'ai embauché des déménageurs. Quand ils sont arrivés, ils ressemblaient à des grands-parents. Mon mari et moi n'arrêtions pas d'offrir de l'aide - ils semblaient bien trop vieux pour faire ce genre de travail. Lorsque vous ouvrez la porte pour une livraison, la personne a souvent l'air trop âgée pour continuer à travailler.
Si vous allez à la poste ou dans une banque, vous trouverez souvent une sélection de lunettes de lecture au comptoir. Il y a aussi de petits recoins où les gens peuvent accrocher leurs cannes. Dans les gares, il y a plus de sièges pour les personnes âgées, mais aussi plus de personnes âgées qui montent prestement les escaliers que ce que j'avais l'habitude de voir à New York. C'est très clairement une société plus âgée.
Motoko Rich est le chef du bureau du Times à Tokyo.
Conclusion
Tous les pays qui vont être confrontés à la transition démographique doivent entamer une réflexion de fond sur la manière dont nous voulons voir notre société évoluer. Nous devons collectivement partir du constat de la longévité et réfléchir aux impacts si l’on ne change rien.
Adapter la société à ce nouveau paradigme passe par une prise de conscience de ce que signifie réellement la transition démographique. L’exemple du Japon et des conséquences de ses choix et de ses non-choix peut nous aider à opérer notre propre révolution !
La semaine prochaine, je vous présenterai une méthode pour construire cette société de la longévité que nous appelons de nos vœux.
Et mercredi 1er mars, je publierai le prochain épisode Premium. Il est consacré à l’avenir de l’habitat inclusif. Un avenir qu’on pourrait imaginer radieux, compte tenu de la récente réunion interministérielle qui fait l’apologie du format… A moins que ce quatuor ne signifie l’aveu d’un manque criant de moyens ? Pour vous aider à faire la part des choses et vous apporter des infos pratiques et actionnables, j’ai rassemblé mes connaissances, lu les derniers rapports et interrogé quelques experts sur le sujet. Je vous promets un contenu dantesque… Mais réservé aux abonnés Premium.
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Analyse détaillée du plan robot dans cet article de David Cravit :
L’article du Times sur Yasuke Narita : https://www.nytimes.com/2023/02/12/world/asia/japan-elderly-mass-suicide.html
Plus d’éléments et de contexte dans la newsletter de David Cravit consacrée à cette actualité :
Plus d’informations sur le village inclusif de Share Kanazawa : https://sweet-home.info/marches-silver-economie-business/habitat-inclusif/a-la-decouverte-de-share-kanazawa-un-village-inclusif-au-japon/
L’article du Times dont est extraite l’interview de Mokoto Rich
La vérité sur le vieillissement au Japon ㊙️
Very interesting..again, Alexandre!
Merci Alexandre ! Je suis passionnée par le sujet de longévité des zones bleues, notamment Okinawa. J’admire la low tech naturelle exercée qui démontre que nous pouvons vivre longtemps en pleine forme. Connaissez-vous les moia à Okinawa ? Des groupes ou communautés de personnes âgées qui vieillissent bien ensemble, je me pense sur le sujet pour un projet d’habitation qui me trotte dans la tête