Comment l'habitat inclusif démontre son efficacité : la science confirme ce que le bon sens suggérait
La première étude nationale révèle l'impact transformateur sur les habitants, leurs proches et les professionnels. Un modèle qui tient ses promesses.
Bienvenue dans Longévité, la newsletter sérieuse, mais sans prise de tête, sur l’adaptation de la société au vieillissement.
Aujourd’hui, j’analyse de la première mesure d'impact social nationale1 sur l'habitat accompagné, partagé et inséré (API) réalisée par 28 membres de l’association hapi.
Si j’en crois les résultats, ces habitations alternatives transforment positivement la vie des personnes âgées et en situation de handicap.
L’étude atteste de l’intérêt de cette innovation sociale dont les effets dépassent toutes les attentes… Même si le rapport ne couvre qu'une partie de l'écosystème.
Lisez mon analyse (et le livre blanc si ça vous chante, vous le trouverez dans les notes de bas de page) pour obtenir une réponse à LA question :
Comment montrer à mes parties prenantes que ça vaut carrément le coup d’investir dans l’habitat inclusif ?
Une première scientifique qui éclaire un paysage diversifié
L'association hapi vient de dévoiler les résultats de la première mesure d'impact social jamais réalisée à l'échelle nationale sur l'habitat accompagné, partagé et inséré (API).
Le panel
Cette étude menée auprès de 28 porteurs de projets à travers toute la France, offre un éclairage précieux sur ces lieux de vie pour publics vulnérables.
Le panel étudié reflète la diversité de l’offre : une répartition presque égale entre structures dédiées aux personnes âgées et celles accueillant des personnes en situation de handicap, incluant également des colocations pour seniors autonomes.
Des Petits Frères des Pauvres à APF France Handicap, en passant par diverses UDAF et structures locales, ces porteurs de projets partagent une caractéristique commune : ils sont tous issus du monde associatif ou de l'économie sociale et solidaire. Ce qui n’est pas qu’un atout, selon moi, car l’étude se coupe d’une partie du marché.
C’est qui hapi ?
Créée en 2021 par la Caisse des Dépôts, la Fondation des Petits Frères des Pauvres et le Réseau HAPA, l'association hapi s'est donné pour mission d'accompagner le développement des habitats inclusifs en France.
Elle est aujourd’hui l’une des rares instances représentatives reconnues par les pouvoirs publics et la CNSA, mais elle ne peut, malgré une ambition affirmée et le soutien public, animer l’intégralité de l’offre.
Pour 3 raisons :
Ses moyens : dérisoires, la plupart des projets soutenus courent après l’argent
Sa représentativité : cloisonnée, l’association est l’émanation du réseau HAPA. Elle s’intéresse exclusivement aux projets “non profit”.
Sa notoriété : conséquence des 2 premiers points, mais aussi de la faible identification de la solution qu’elle défend. Personne ou presque ne connaît l’association api, y compris parmi les porteurs de projet, et plus encore les porteurs de projets privés commerciaux !
Malgré ces limitations, le rapport a le mérite d’exister et d’apporter à toutes les parties prenantes des informations utiles.
La méthodologie : une approche aussi innovante que son objet d'étude
Un "kit de mesure sur-mesure" co-construit avec le terrain
L'originalité de cette étude réside dans sa démarche participative et adaptable. Plutôt que d'imposer une grille d'analyse rigide, l'association hapi a élaboré un "kit de mesure sur-mesure" en collaboration avec le Réseau HAPA et les porteurs de projets.
Ce kit comprend un carnet de bord, des questionnaires, un référentiel et une "Roue des Effets" qui guide l'évaluation selon les quatre dimensions de l'habitat API : Habitat, Accompagné, Partagé et Inséré.
Des approches adaptées à chaque public
La méthodologie intègre une approche spécifique pour les personnes atteintes d'Alzheimer. Baptisée "regards croisés", elle s'inspire de la recherche allemande HILDE. Elle permet d'appréhender la qualité de vie de personnes incapables de répondre aux questionnaires en raison de leurs troubles cognitifs.
"Notre objectif n'était pas seulement de mesurer, mais de créer un langage commun pour des projets par nature très diversifiés", explique l'association hapi dans son rapport. Un défi relevé puisque malgré leur hétérogénéité, les 28 projets participants ont pu s'inscrire dans ce cadre commun.
Des impacts transformateurs à tous les niveaux
Pour les habitants : autonomie, dignité et sentiment d'être "chez soi"
L'habitat API transforme positivement la vie de tous ses acteurs.
Pour les habitants d'abord, qui témoignent d'un profond sentiment de "chez-soi" et d'une liberté retrouvée, précieuse pour les personnes ayant connu des expériences institutionnelles restrictives auparavant.
"Nous nous sentons bien et chez nous", confirment les résidents interrogés. Ils mettent en avant la qualité de leur logement, la sécurité ressentie, et surtout, la possibilité d'être soi-même dans un cadre collectif bienveillant.
Pour les personnes en situation de handicap, cette autonomie nouvelle représente "une opportunité d'un parcours résidentiel ascendant" et s'accompagne souvent d'une diminution du stress familial.
Les personnes âgées, quant à elles, apprécient la fin de l'isolement sans sacrifier leur indépendance.
Pour les proches : une inquiétude qui fait place à la confiance
L'impact le plus saisissant se situe peut-être chez les proches aidants.
L'étude révèle une amélioration spectaculaire de leur situation. "L'inquiétude a fait place à la confiance", résume le rapport.
Les proches évoquent un gain de temps pour eux, moins d'angoisse, et une charge mentale allégée.
Pour certains, c'est la santé physique et psychologique qui s'améliore, pour d'autres, c'est la vie familiale ou professionnelle qui retrouve un équilibre.
Plus étonnant encore, les relations entre les habitants et leurs proches s'améliorent significativement. "Les temps passés ensemble deviennent plus qualitatifs", témoignent notamment les familles de personnes atteintes d'Alzheimer ou en situation de handicap.
L'habitat inclusif ne se contente pas de préserver les liens familiaux : il les renforce.
Pour les professionnels : un cadre propice à l'épanouissement professionnel
Quant aux professionnels intervenant dans ces structures, ils sont unanimes : l'habitat API constitue un cadre idéal tant pour l'accompagnement des résidents que pour leurs propres conditions de travail.
Ils apprécient l'autonomie, la liberté d'adapter leurs pratiques et la possibilité d'établir de véritables relations de confiance avec les habitants.
Les clés de la réussite : un modèle centré sur l'humain
L'adaptation aux besoins individuels
L'étude identifie plusieurs facteurs déterminants dans la réussite des habitats API. Le premier, sans surprise, est l'adaptation du cadre de vie aux besoins spécifiques des habitants.
Cette personnalisation fine, rendue possible par la taille humaine des structures, contraste avec l'approche standardisée des établissements traditionnels.
Le rôle central de l'animateur-coordinateur
Le second facteur est la qualité de l'accompagnement, incarnée par l'animateur-coordinateur.
Cette figure centrale, décrite comme un "pilier" par les professionnels interrogés, joue un rôle crucial dans la création d'une dynamique collective tout en respectant les besoins individuels.
"J'ai choisi ce métier par conviction", témoignent la plupart de ces coordinateurs, révélant une motivation profonde qui transcende le simple cadre professionnel.
La richesse des interactions sociales
Enfin, la dimension collective apparaît comme un atout majeur.
L'entraide entre habitants, la participation à des activités communes et l'insertion dans la vie locale créent un environnement propice à l'épanouissement.
Pour les personnes âgées comme pour celles en situation de handicap, l'habitat partagé offre un équilibre rare entre intimité et socialisation, entre indépendance et sécurité.
Défis et perspectives : les conditions d'un changement d'échelle
Le financement : une question centrale
Malgré ces résultats encourageants, des défis importants persistent.
Le premier concerne le financement et la pérennisation du modèle. "Il est nécessaire de soutenir fortement l'habitat API avec une politique publique plus ambitieuse", souligne le rapport.
Cette demande reflète le positionnement des structures étudiées, essentiellement dépendantes de financements publics ou indirects - une perspective qui diffère de celle qu'auraient des acteurs commerciaux recherchant rentabilité et équilibre financier par d'autres moyens.
La simplification administrative
Le second défi réside dans la simplification des parcours pour les porteurs de projets.
Décrit comme un "parcours du combattant", le montage d'un habitat inclusif pourrait bénéficier d'une rationalisation des procédures administratives.
L'association hapi se donne d'ailleurs pour objectif de "fluidifier et d'accélérer" ce processus.
L'appropriation par les habitants
Enfin, l'appropriation du Projet de Vie Sociale et Partagée (PVSP) par les habitants reste perfectible.
Bien que la plupart participent activement à la vie collective, peu identifient clairement ce document pourtant central dans la philosophie de l'habitat inclusif.
Ces défis n'entament toutefois pas l'optimisme des acteurs du secteur.
Pour 2025, l'association hapi envisage déjà une nouvelle mesure d'impact avec des outils affinés et une étude complémentaire sur l'impact territorial.
Conclusion : Un modèle d'avenir qui mérite d'être amplifié
L'étude d'impact menée par hapi démontre que l'habitat API constitue bien plus qu'une simple alternative aux structures traditionnelles : c'est un modèle de société plus inclusif.
En offrant à la fois un "chez-soi" et une vie sociale riche, en conjuguant sécurité et liberté, ces habitats répondent à une aspiration profonde : permettre aux personnes vulnérables de rester pleinement citoyennes et actrices de leur vie.
"L'habitat API représente un progrès par rapport à la dualité établissement/domicile", conclut le rapport.
Il offre "une opportunité de choisir et d'avoir une vie meilleure selon ses propres critères et besoins d'accompagnement".
Rappelons cependant que…
Cette étude, aussi riche soit-elle, ne couvre qu'une partie de l'offre.
En se concentrant sur les acteurs associatifs et de l'ESS fédérés par le Réseau HAPA, elle laisse dans l'ombre les initiatives portées par des acteurs privés commerciaux, dont les modèles, contraintes et visions pourraient compléter le tableau.
Cette limitation ne diminue en rien la valeur des enseignements tirés, mais invite à poursuivre l'exploration de ce champ innovant dans toute sa diversité.
Parce que l’étude n’aborde pas la question du modèle économique
Oui, c’est l’angle mort de ces études basées seulement sur le ressenti des parties prenantes : ne pas aborder les modèles économiques. Or, pour beaucoup, ils sont fragiles à toutes les étapes : financement initial pour le foncier et la conception, commercialisation, gestion courante, animation, etc.
Les acteurs privés commerciaux, s’ils sont aussi confrontés à ces problèmes, disposent d’autres outils pour les contourner et il semblerait intéressant de doubler l’étude d’impact social par une étude des modèles économiques et de la pérennité financière.
Elle permettrait d’identifier les formules “qui marchent”
Elle nuancerait les propos les plus dithyrambiques et les critiques les plus acerbes
Elle ouvrirait la voie à de nouvelles hybridations pour les projets futurs
Ceci étant dit, cela reste un très bon signal
Dans un contexte de vieillissement démographique et d'aspiration croissante à une société plus inclusive, cette première mesure d'impact constitue une étape décisive.
Elle confirme scientifiquement ce que les pionniers du secteur pressentaient : les habitats partagés répondent à un besoin profond de notre société en proposant un équilibre subtil entre individualité et collectif, entre sécurité et liberté.
Reste maintenant à favoriser leur développement à plus grande échelle, en mobilisant tous les acteurs - publics, associatifs et privés - autour de ce modèle prometteur.
Car au-delà des chiffres et des analyses, ce que révèle cette étude, c'est avant tout une vision humaniste de l'accompagnement des personnes fragiles : non plus des "objets de soins", mais des sujets de droit, capables de choix et d'épanouissement. Une vision qui mérite assurément de devenir la norme plutôt que l'exception.
Suivez ce lien pour le document complet : Mesure d’impact social hapi.