Comment Oui Care veut passer de champion français à géant mondial
Acquisition en Espagne, implantations en Afrique, levée de fonds majeure : le groupe construit méthodiquement son leadership international. Une stratégie que personne d'autre en France n'ose tenter
Bienvenue dans Longévité, où j’analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette seconde édition consacrée à la levée de fonds de Oui Care, je décortique la stratégie internationale.
Note au lecteur : Cet article s’appuie sur les déclarations publiques de Oui Care et l’analyse de ses implantations actuelles pour extrapoler les orientations stratégiques du groupe. Certaines hypothèses présentées constituent des projections logiques de la trajectoire amorcée plutôt que des plans officiellement confirmés.
À travers cet article, je veux essayer de répondre à LA question.
Pourquoi Guillaume Richard investit-il massivement à l’étranger malgré les centaines de milliers d’emplois manquants en France d’ici 2030 ?
Réponse en trois mots : diversification du risque
Le modèle économique français des services à la personne repose sur un équilibre fragile, dépendant du crédit d’impôt qui solvabilise la demande. Cette dépendance fiscale représente le “risque de la plume” : un simple changement de loi pourrait déstabiliser tout le secteur.
En s’implantant à l’étranger, Oui Care construit un portefeuille de revenus qui ne dépend pas d’une seule juridiction fiscale.
L’internationalisation répond à un autre impératif : la seule croissance organique ne suffirait pas pour devenir leader mondial d’ici 2035 (ambition portée par Guillaume Richard).
La levée de fonds finance donc la duplication accélérée du modèle via des acquisitions stratégiques et le développement d’une infrastructure technologique exportable.
L’expansion internationale de Oui Care n’est pas une simple conquête de nouveaux marchés. C’est une transformation profonde du métier lui-même, qui commence par un continent souvent négligé dans les stratégies des groupes européens : l’Afrique.
I. L’Afrique, double enjeu stratégique : réservoir RH et laboratoire de marchés premium
Pour Oui Care, l’Afrique n’est pas un bloc monolithique mais un continent aux deux visages complémentaires. D’un côté, un réservoir démographique de talents pour pallier la pénurie européenne. De l’autre, un laboratoire pour tester des modèles de services premium dans des économies émergentes. Cette dualité structure toute la stratégie africaine du groupe.
Le Maghreb, tête de pont obligatoire
Le Maroc et la Tunisie constituent la zone “pont” naturelle. Proximité géographique avec la France, francophonie, systèmes de formation en santé de qualité : tous les ingrédients d’une implantation réussie semblent réunis.
Sur le volet marché local, la stratégie passe par la franchise, modèle déjà testé avec O2 au Maroc. Le groupe cible trois segments solvables : les expatriés européens, la haute bourgeoisie locale, et les retraités français installés au soleil. Ces populations recherchent des services professionnalisés avec garanties de remplacement, protocoles de sécurité et reporting régulier.
La concurrence du travail informel reste structurelle, mais le positionnement premium permet de s’en affranchir partiellement. Oui Care ne vend pas du prix mais de la sécurité juridique et de la fiabilité – des arguments qui résonnent auprès d’une clientèle ayant les moyens de payer pour ces garanties.
Sur le volet formation et sourcing, c’est là que la stratégie devient potentiellement structurante, même si elle reste aujourd’hui à un stade précoce de déploiement. Oui Care a créé en 2022 son propre CFA d’entreprise en France (Académie Oui Care) qui forme aux métiers d’assistant de vie et chargé de clientèle. Cet outil pédagogique aurait vocation à être dupliqué ou adapté pour l’international.
Pour l’heure, la présence africaine du groupe repose sur des partenaires locaux en mode Master Franchise. Guillaume Richard confirme qu’O2 est présent en Côte d’Ivoire (depuis 2023), au Sénégal et au Maroc. Ces implantations testent les marchés et ressources humaines locales sans avoir encore développé de centres de formation industriels à Dakar ou Casablanca.
Des alliances avec des structures existantes ou des partenaires franchisés permettraient de sourcer des candidats et soutenir l’investissement local en formation.
Cette approche présenterait plusieurs avantages au-delà du simple recrutement pour l’Europe.
D’abord, elle permettrait de former des intervenants pour le marché local lui-même, créant un vivier de professionnels qualifiés qui élèveraient progressivement le niveau de l’offre domestique.
Ensuite, elle contribuerait à construire une culture du “care professionnel” dans des contextes où le service à domicile reste largement informel et peu structuré.
Le modèle d’exportation vers l’Europe consiste à former, valider localement puis faciliter l’expatriation des meilleurs talents vers la France.
Mais ce schéma se heurte à deux obstacles.
1/ Les tensions diplomatiques récurrentes sur la question des visas. L’introduction d’un employé marocain en France peut nécessiter entre 6 et 12 mois, malgré la signature préalable d’un contrat de travail. Les titres de séjour “métiers en tension” régularisent des étrangers déjà présents mais n’attirent pas de nouveaux travailleurs en France.
2/ Le risque d’être accusé de “pillage” des ressources médicales locales - ce que les Anglo-Saxons nomment le “care drain”. Oui Care devrait financer la formation de deux soignants locaux pour chaque professionnel recruté en France, assurant ainsi une démarche éthique. Une approche qui transformerait le groupe en acteur de développement local plutôt qu’en simple recruteur.
L’Afrique de l’Ouest, le véritable vivier démographique
Le Sénégal et la Côte d’Ivoire représentent le cœur de la stratégie africaine à moyen terme. Des pays jeunes (âge médian autour de 20 ans), francophones, avec des systèmes éducatifs qui forment des aides-soignants et infirmiers de bon niveau. Guillaume Richard a d’ailleurs cité ces pays comme prioritaires, avec la Tunisie, le Maroc et Maurice, dans sa vision du développement en Afrique francophone.
Sur le marché local, la porte d’entrée principale serait la verticale “garde d’enfants” plutôt que le “senior care”. Dans les métropoles comme Dakar ou Abidjan, les classes aisées cherchent des services de garde professionnalisés, avec horaires fiables, protocoles de sécurité et reporting régulier. C’est un marché porteur qui nécessite une adaptation de l’offre (forfaits moins chers, volumes horaires différents) mais reste accessible.
Cette présence locale présenterait un double intérêt : générer du chiffre d’affaires immédiat et servir de vitrine pour attirer les talents vers la formation. Un intervenant qui voit fonctionner une agence O2 à Dakar comprend les standards de qualité attendus et peut se projeter dans une carrière structurée.
Sur le volet recrutement pour l’Europe, nous sommes encore au stade des intentions plutôt que de la mise en œuvre. La mécanique théorique reposerait sur des partenariats avec des écoles locales, où Oui Care pourrait financer la formation en échange d’un engagement de service. Le modèle créerait une voie légale structurée, limitant les migrations clandestines tout en répondant aux besoins du marché européen.
Mais c’est là que le bât blesse. Le secteur français fait face à une pénurie majeure avec des centaines de milliers d’intervenants manquants à court et moyen terme, dépassant un simple enjeu RH. C’est un enjeu de politique publique qui touche à la santé et à l’autonomie des seniors.
Le mur administratif et l’option du lobbying politique
Oui Care devra résoudre une équation complexe : comment faire venir légalement, rapidement et en volume des professionnels formés en Afrique ? Les dispositifs actuels ne sont pas calibrés pour cette échelle.
C’est là qu’intervient le lobbying institutionnel. Le groupe dispose de plusieurs leviers d’influence.
Sa position de leader du secteur et la personnalité de son CEO, Guillaume Richard, toujours aux commandes de la société qu’il a fondée il y a 30 ans.
La présence de la Banque des Territoires à son capital lui confère une légitimité auprès des pouvoirs publics.
L’adhésion de Oui Care à la Fedesap, fédération professionnelle qui pourrait défendre ce sujet.
Le groupe devrait présenter à l’État un message clair. Le système de santé français a besoin de travailleurs qualifiés pour assurer l’autonomie des citoyens.
Focus : Le programme allemand “Triple Win”
En Allemagne. Le programme “Triple Win”, porté par la GIZ (agence de coopération allemande), organise le recrutement d’infirmiers depuis des pays partenaires (Philippines, Tunisie, Vietnam). L’État allemand signe des accords bilatéraux, gère la partie administrative, tandis que les employeurs financent l’intégration.
Pourquoi triple gagnant ?
Les soignants accèdent à de meilleurs salaires et formations,
L’Allemagne comble ses besoins,
Les pays d’origine voient leurs ressortissants acquérir des compétences avant un éventuel retour.
Le modèle n’est pas exempt de critiques, mais il a le mérite d’être structuré, légal et transparent.
Oui Care pourrait plaider pour un système similaire en France, en se positionnant comme “tiers de confiance” : le groupe s’engagerait sur le logement, l’intégration, la formation continue, déchargeant l’État de la gestion opérationnelle.
Les trois propositions concrètes que le groupe pourrait défendre :
Un visa spécifique “Aide à l’autonomie” : Oui Care financerait la formation dans le pays d’origine, le salarié obtiendrait un visa de 3 à 5 ans, repartirait avec un pécule et des compétences pour développer le secteur localement. Migration circulaire plutôt qu’immigration définitive.
Des conventions bilatérales “clés en main” : la France signerait des accords ciblés avec le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, Oui Care garantirait l’intégration et se porterait responsable du parcours professionnel.
L’équivalence des diplômes accélérée : aujourd’hui, une infirmière marocaine doit recommencer une formation complète en France pour devenir aide-soignante. Des passerelles de validation des acquis simplifiées pour les diplômés d’écoles partenaires labellisées changeraient la donne.
Cette dimension lobbying n’est pas accessoire. C’est une condition de survie du modèle à grande échelle. Sans pipeline légal et fluide de recrutement international, l’ambition de leadership mondial se heurtera au mur de la pénurie. Le passage à l’échelle industrielle du sourcing africain reste aujourd’hui plus un potentiel lié aux évolutions réglementaires qu’une machine déjà opérationnelle.
II. L’exception Oui Care : une stratégie internationale qui isole le groupe parmi les leaders français
Avant d’analyser la conquête européenne, un constat s’impose : Oui Care fait figure d’exception dans le paysage français des services à la personne. Parmi les enseignes de plus de 100 agences aucun concurrent sérieux ne développe de stratégie internationale comparable.
Axeo Services (Groupe La Poste) se concentre sur le maillage territorial français.
Maison & Services, avec ses 300 agences, reste focalisé sur la densification nationale et la diversification métier.
Le Groupe Zephyr (Senior Compagnie) privilégie l’expansion par franchise en France.
Les réseaux associatifs (ADMR, UNA) sont par nature liés aux délégations de service public départementales.
Seuls deux acteurs esquissent timidement des mouvements :
A2micile (Azaé) dispose d’une présence historique en Belgique et a tenté une implantation en Allemagne annoncée dès 2015, mais cette internationalisation reste très limitée aux pays limitrophes.
Vitalliance a récemment (septembre 2024) annoncé un virage international avec l’Espagne comme cible prioritaire, dans une logique de “suiveur” direct de Oui Care sur le marché ibérique.
Cette solitude stratégique de Oui Care révèle soit une vision pionnière du marché, soit une prise de risque que les autres acteurs jugent excessive. Ou peut-être les deux à la fois. Quoi qu’il en soit, le groupe se trouve dans une situation unique : premier “pure player domicile” français à afficher une ambition mondiale, sans concurrent domestique direct sur ce terrain.
Cette exception renforce la pertinence de la stratégie. Si Oui Care échoue, il n’aura pas de concurrent français pour capitaliser sur ses erreurs. Si le groupe réussit, il aura plusieurs années d’avance pour consolider ses positions avant que d’autres ne tentent de suivre.
III. La conquête européenne : trois zones, trois stratégies radicalement différentes
L’erreur serait de considérer l’Europe comme un marché homogène. Pour Oui Care, le continent se divise en trois zones aux caractéristiques radicalement différentes, nécessitant chacune une approche spécifique. Contrairement à l’Afrique, l’Europe offre des marchés établis avec des acteurs en place et des barrières à l’entrée souvent hautes.
1. La Zone du “verrou culturel” : L’Europe du Nord (Pays-Bas & Scandinavie)
Pourquoi Oui Care ne peut pas y aller (ou s’y cassera les dents)
Cette zone est paradoxale. Le pouvoir d’achat y est fort et le vieillissement bien géré. Mais un modèle privé lucratif comme Oui Care y trouve un marché presque impossible.
A. Le Modèle Néerlandais : L’OVNI “Buurtzorg”
Aux Pays-Bas, le marché est dominé par un modèle disruptif non-capitalistique : Buurtzorg.
Le Concept : Des équipes d’infirmiers autonomes (sans manager) qui gèrent tout de A à Z.
La Barrière : Buurtzorg détient 70% du marché des soins à domicile avec des coûts de structure minimes. Oui Care, avec son modèle pyramidal (Agence > Responsable secteur > Intervenant) et ses coûts de marketing, serait structurellement plus cher et moins agile.
Le Verdict : Attaquer les Pays-Bas, c’est affronter le modèle le plus efficient du monde avec un modèle “vieux monde”.
B. La “Forteresse” Scandinave (Suède, Danemark)
Ici, l’obstacle est culturel et politique.
Le monopole municipal : En Suède, le soin aux aînés est une compétence sacrée des municipalités. Même s’il existe une ouverture au privé (système de vouchers/chèques-services), le “privé” est souvent vu avec suspicion.
L’impossibilité du “Cross-Selling” : Le modèle Oui Care repose sur la synergie (vendre du ménage + de la garde d’enfant + du soin). En Scandinavie, le soin est médicalisé et payé par l’impôt, tandis que le ménage de confort est un marché totalement distinct. Il est impossible de commercialiser une offre globale de services “tranquillité” car les financeurs ne sont pas les mêmes (l’État d’un côté et les familles de l’autre).
Taille critique : Ces marchés sont petits et atomisés par des langues différentes. L’effort d’adaptation de l’ERP et du marketing pour 5 millions de Norvégiens ne vaut pas le ROI potentiel comparé à une région espagnole.
2. La Zone “Opportuniste” : L’Europe de l’Est & les Balkans
Le miroir de l’Afrique, mais avec des cheveux gris
Cette zone (Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Balkans) ressemble structurellement à l’Afrique pour Oui Care, mais avec une démographie inversée (population très vieillissante).
A. Le Contexte de Marché
Le Défi Démographique : Ces pays vieillissent à toute vitesse (fuite des jeunes vers l’ouest). Le besoin d’aide à domicile explose.
L’Informel Roi : Comme en Afrique, le marché est dominé par le “gris” (voisins, famille payée au noir). Il n’y a pas de solvabilisation par l’État (pas de Crédit d’Impôt).
Le Paradoxe RH : Ces pays sont les fournisseurs d’aides-soignantes de l’Europe de l’Ouest (les Roumaines vont en Italie, les Polonaises en Allemagne). Résultat : il y a une pénurie de soignants... dans les pays de l’Est eux-mêmes !
B. L’Opportunité pour Oui Care : Le Segment “Premium Expat & Diaspora”
Oui Care ne pourra pas servir la classe moyenne locale (trop faible pouvoir d’achat). En revanche, une stratégie de niche est possible :
Cible : Les parents âgés restés au pays, dont les enfants travaillent à Paris, Londres ou Berlin.
Le Produit : “Vous travaillez à la Défense, vos parents sont à Bucarest ? Payez en France pour sécuriser leur quotidien en Roumanie avec la qualité O2.”
L’Avantage : C’est la diaspora qui paie (avec un salaire de l’Ouest), pour un service produit à l’Est (coûts locaux). C’est le seul moyen de contourner la faiblesse du pouvoir d’achat local.
3. La Zone “des Géants” : Allemagne & Royaume-Uni
Le Paradoxe : Les plus gros marchés européens sont les moins accessibles.
Ces deux pays représentent des marchés matures et saturés, contrairement à l’Europe du Sud ou de l’Est, avec des acteurs dominants et une réglementation stricte.
A. Royaume-Uni : Le “Champ de Bataille” Technologique et Franchisé
Le Royaume-Uni est le marché le plus avancé d’Europe en termes de structuration du secteur privé.
La Barrière Concurrentielle (Saturation) :
Home Instead domine le segment premium avec une couverture quasi-totale du territoire (part de marché majeure en revenus).
Bluebird Care (plus de 200 franchises) et Right at Home verrouillent le maillage local.
Cera Care a disrupté le marché par la tech (levées de fonds massives pour une plateforme IA de gestion).
Verdict : Arriver aujourd’hui au Royaume-Uni avec le modèle O2 (agence physique + recrutement classique) revient à ouvrir un moteur de recherche face à Google. Le coût d’acquisition client y est prohibitif.
La Barrière Réglementaire (CQC) :
Tout acteur doit être agréé par la Care Quality Commission (CQC). C’est un processus lourd, coûteux et très surveillé (audits réguliers). Contrairement à la France où l’agrément est souvent déclaratif au début, le Royaume-Uni impose un standard qualité d’entrée très élevé.
La Faille possible ? Le système public (NHS/Local Authorities) est en faillite financière, créant une demande énorme pour le privé payant (Self-Funders). Mais c’est le segment que Home Instead a déjà préempté.
B. Allemagne : Le Marché “Hybride” et Médicalisé
Le marché allemand (Pflege) est le plus gros d’Europe, mais sa structure est un piège pour un acteur français de “services”.
Le Mur du “Pflegedienst” (Service de Soins) :
En Allemagne, la frontière entre “Aide ménagère” et “Soin” n’existe quasiment pas. Les services d’aide à domicile (Pflegedienste) sont intégrés à l’Assurance Dépendance (Pflegeversicherung).
Pour être remboursé (le nerf de la guerre), il faut être agréé par les caisses d’assurance maladie. Cela impose d’avoir des infirmières coordinatrices (Pflegedienstleitung) à la tête de chaque agence.
Conséquence pour Oui Care : Impossible de dupliquer le modèle “Manager commercial” français. Il faut recruter des cadres de santé allemands (rares et chers).
La Concurrence de l’Est (Le Dumping) :
Le marché du “Live-in” (aide à domicile 24/24) est massivement opéré par des agences polonaises ou tchèques (via le détachement ou l’intérim). Elles proposent des tarifs imbattables pour une présence continue.
Oui Care, avec son modèle de salariés français ou locaux aux normes occidentales, serait trop cher face aux Polonais et pas assez médicalisé face aux Pflegedienste allemands (Korian, Home Instead, Croix Rouge).
IV. La bataille technologique et concurrentielle
Si l’on change d’échelle pour regarder le marché européen, le paysage concurrentiel de Oui Care se durcit. Ce ne sont plus des PME françaises qui sont en face, mais des géants structurés qui pourraient contrarier ses ambitions de leadership mondial.
Voici l’analyse des “Bloqueurs” potentiels à l’international :
1. Le “Grand Méchant Loup” : Home Instead (Honor)
C’est la menace n°1 pour l’ambition mondiale de Oui Care.
Pourquoi c’est un bloqueur ?
Taille : Déjà présent dans 12 pays avec 1 200 agences. Ils ont saturé le marché UK (260 franchises, 95% de couverture) et sont forts en Allemagne et Suisse.
Puissance Tech : Rachetés par la licorne technologique Honor, ils disposent d’une plateforme digitale (Care Platform) bien plus avancée que ce que Oui Care essaie de financer avec sa levée.
Modèle : Ils opèrent déjà sur le segment Premium/Senior que Oui Care vise.
Risque pour Oui Care : En arrivant en Allemagne ou au Royaume-Uni, Oui Care trouvera la place déjà prise par un acteur qui a les mêmes codes (qualité, humain) mais 10 fois plus de moyens R&D.
Mieux comprendre : lisez la série que j’ai consacrée à Honor / Home Instead
2. Le “Dormeur” : Sodexo (via Personal & Home Services)
On l’oublie souvent, mais Sodexo est un géant mondial des services qui possède déjà une division “Services aux Particuliers” très puissante aux USA (Comfort Keepers) et en France (Amelis).
Pourquoi c’est un bloqueur ?
Si Sodexo décide de développer ce secteur en Europe en utilisant sa puissance B2B, ils pourraient dominer le marché par leur volume d’affaires.
Ils ont déjà l’infrastructure RH et légale dans 67 pays. Pour eux, ouvrir le marché espagnol du “Care” est une formalité administrative, pour Oui Care c’est une aventure.
3. Les “Spécialistes” qui verrouillent des marchés clés
Dans chaque grand pays européen, des “Champions Nationaux” existent déjà, rendant l’entrée de Oui Care difficile (Barrière à l’entrée élevée) :
Royaume-Uni : Outre Home Instead, le marché est très mature avec des acteurs comme Bluebird Care ou Cera Care (très tech). Entrer au UK aujourd’hui pour Oui Care serait suicidaire sans une acquisition majeure.
Allemagne : Le groupe Korian (via ses acquisitions locales et le développement de modèles type Ages & Vie adapté) est déjà très implanté sur le “Care” lourd. Oui Care risque d’être coincé entre le “ménage” (trop low cost) et le “soin” (préempté par les grands groupes de santé).
4. La Recomposition Capitalistique (Le facteur X)
2025 marque l’entrée dans le game du Crédit Agricole avec l’acquisition de Petit-Fils et la prise de participation majoritaire dans CetteFamille.
Pourquoi c’est majeur ? Derrière cette annonce, certains pourraient voir la première brique d’une offre de services senior portée par le banquier / assureur. Un bouquet senior banque + assurances + services pourrait représenter un sacré concurrent à Oui Care, si - et seulement si - le réseau bancaire se met en ordre de bataille pour le commercialiser.
V. Le panachage stratégique comme seule option viable
Face à cette complexité, Oui Care doit équilibrer son portefeuille entre différents types de marchés, chacun jouant un rôle spécifique :
La France comme source de revenus stratégique : génération de trésorerie pour financer l’expansion, tout en assumant le risque réglementaire associé.
L’Europe du Sud comme relais de croissance : Espagne, Portugal, potentiellement Italie et Amérique Latine. Marchés de volume à marge moyenne, où le positionnement premium face à l’informel pourrait fonctionner.
L’Europe du Nord comme relais de valeur : accessible uniquement via des acquisitions ciblées de structures existantes, pour bénéficier de leur technologie et de leur savoir-faire.
L’Afrique comme laboratoire RH : investissement prioritaire pour sécuriser le pipeline de recrutement sans lequel toute la stratégie européenne s’effondrerait.
Ce panachage implique de gérer simultanément plusieurs modèles économiques différents : subventionné en France, premium au Sud, tech au Nord, formateur en Afrique. Une complexité organisationnelle considérable, qui nécessite une infrastructure managériale et digitale robuste.
Conclusion : un pari à 10 ans qui se joue maintenant
L’internationalisation de Oui Care est un pari stratégique pour la décennie à venir. Ce n’est pas une échappatoire à un marché français saturé, mais une refonte profonde du métier.
Ce pari comporte des incertitudes. La création de filières de recrutement en Afrique dépend des efforts diplomatiques et de l’efficacité du groupe. Réussir au sud de l’Europe exigerait qu’un modèle haut de gamme s’impose face au secteur informel. Concurrencer Honor demande d’investir massivement en R&D.
Mais Oui Care a des atouts : une marque reconnue, une expertise en franchise, une capacité à structurer des réseaux d’agences. Surtout, aucun concurrent français comparable ne développe une stratégie internationale aussi ambitieuse dans les services à domicile, lui offrant une fenêtre d’opportunité de plusieurs années.
Le groupe mise sur un équilibre entre zones complémentaires : l’Afrique pour les talents, l’Europe du Sud pour la croissance, le Nord pour la technologie.
D’ici 2035, année cible du leadership mondial, des bouleversements pourraient survenir. Des marchés peuvent s’ouvrir plus vite (vieillissement accéléré en Afrique du Nord, assouplissement migratoire) ou se fermer (durcissement migratoire, crise économique).
Une certitude : le secteur est à un tournant. Entre vieillissement, pénurie de main-d’œuvre, révolution technologique et nouveaux financements, la carte mondiale sera redessinée en dix ans.
Oui Care veut être acteur de cette recomposition. Un pari débutant par l’Afrique et l’Europe du Sud. Reste à savoir si cette stratégie mènera à une domination mondiale ou se limitera aux marchés latins et francophones.
Une ambition considérable, mais peut-être plus réaliste que le rêve initial.





