Financement de la dépendance : le piège de l'assistanat
Assurance, patrimoine, épargne : pourquoi il est urgent de repenser le financement de notre autonomie au-delà des aides publiques
Bienvenue dans Longévité, où j'analyse les dernières tendances de la Silver économie. Dans cette édition, je m'intéresse au financement de la dépendance, un sujet qui cristallise les contradictions de notre système de protection sociale.
Je poursuis ma réflexion sur le financement de la vieillesse et les ressources à mobiliser pour préserver son autonomie.
Après une analyse (dimanche dernier) sur le très démagogique retrait de l’abattement de 10% sur les revenus des retraités, j’aimerais vous faire réfléchir sur le 5è risque et plus largement, l’assurance dépendance.
Les chiffres sont éloquents : seulement 4% des Français sont couverts par une assurance dépendance privée, tandis que 18% des 60 - 70 ans et 25% des plus de 70 ans épargnent une partie de leurs ressources.1
Le défi qui se pose à nous est donc moins financier que culturel et organisationnel.
Comment inciter les citoyens à épargner pour leur autonomie, sans sacrifier leur sécurité ni leur capacité de transmission ?
Face à chaque nouveau besoin lié au vieillissement, la réponse semble toujours la même : créer une nouvelle aide publique, inventer un nouveau dispositif de prise en charge, imaginer une énième subvention.
Cette obsession de la dépense publique masque un problème plus profond : notre incapacité collective à penser le financement de la dépendance autrement que par la dette sociale.
Cette approche n'est pas le fruit du hasard.
À force de considérer l'État comme le garant universel de notre autonomie, nous avons développé un réflexe pavlovien : celui de l'assistanat systématique, indépendamment des ressources réelles des personnes concernées.
Le grand déni collectif
Cette situation résulte d'une convergence troublante entre les réflexes de la technostructure, toujours prompte à créer de nouveaux dispositifs d'aide, le déni des citoyens face à leur propre vieillissement.
Les premiers ont bâti leur modèle économique sur la captation des financements publics, quand les seconds préfèrent ignorer la nécessité d'anticiper leur future fragilité.
Plus révélateur encore est le comportement des acteurs de la Silver économie. Au lieu de développer des offres adaptées aux capacités réelles des seniors - qui disposent souvent d'un patrimoine conséquent - ils persistent à calibrer leurs services sur les barèmes de l'aide sociale.
Cette approche est d'autant plus paradoxale qu'elle contribue à entretenir une forme de précarisation du grand âge : en conditionnant l'accès aux solutions d'adaptation à l'obtention d'aides publiques, on décourage l'anticipation et l'investissement personnel.
Les quatre hypothèses du financement
Face à ce constat, il est temps d'examiner froidement les différentes hypothèses qui sous-tendent notre approche du financement de la dépendance. Car derrière le réflexe systématique de l'aide publique se cachent plusieurs présupposés qu'il convient de déconstruire.
L'illusion de l'impuissance financière
C'est l'argument le plus souvent avancé : nos aînés n'auraient pas les moyens de financer l'adaptation de leur environnement. Cette affirmation, répétée comme un mantra ne résiste pas à l'analyse.
Au-delà des moyennes nationales évoquées dans mon introduction, c'est surtout la structure de ce patrimoine qui est révélatrice. L'immobilier, qui représente 62% du patrimoine brut des ménages français, constitue un gisement de ressources potentielles considérable2.
Plus significatif encore : la majorité de ces biens sont détenus sans emprunt à rembourser, offrant une marge de manœuvre importante pour leur mobilisation.
Le problème n'est donc pas tant l'absence de moyens que notre incapacité collective à imaginer des solutions innovantes pour activer ce patrimoine dormant.
Le mythe du coût prohibitif
Autre idée reçue : le coût prohibitif des aménagements. Or, là encore, la réalité est plus nuancée. Entre la rénovation complète d'une salle de bains et l'installation d'une simple barre d'appui, il existe tout un éventail de solutions. Le véritable enjeu n'est pas tant le montant des travaux que notre capacité à les anticiper.
L'impasse de la solution étatique
Cette croyance en une prise en charge systématique par l'État se heurte aujourd'hui à la réalité des finances publiques. La création tant attendue d'un "cinquième risque" dépendance reste embryonnaire, et les aides existantes sont de plus en plus ciblées sur les plus démunis.
Les limites des solutions actuelles
Face à ce constat d'échec du “tout public”, le secteur privé a tenté d'apporter ses propres réponses. Les résultats sont révélateurs de notre rapport ambigu au financement de la dépendance.
L'impasse des assurances dépendance
Le contraste est saisissant : alors que l'assurance vie cumule 1 923 milliards d'euros d'encours fin 2023 avec 18 millions de détenteurs3, l'assurance dépendance ne couvre que 2,64 millions de personnes, soit à peine 4% de la population française4. Ce déséquilibre ne peut s'expliquer par un simple manque de capacité d'épargne des Français.
L'année 2023 a vu les ménages verser 153,3 milliards d'euros en assurance vie, prouvant leur capacité à se projeter financièrement sur le long terme. Pourtant, l'assurance dépendance stagne, avec même une baisse des cotisations de 2,8% en 2022.
Cette situation paradoxale s'explique par plusieurs facteurs. Thomas Chardonnel, directeur chez CNP Assurances, pointe "un grand décalage entre le besoin avéré, la criticité du sujet dans les années à venir et la perception du risque par la population."
Le terme même de "dépendance" agit comme un repoussoir psychologique. Comme le souligne Serge Brichet, président de la FNMF, "la dépendance touche à l'intime et à l'ultime". À l'inverse de l'assurance vie, parée des vertus de l'épargne et de la transmission, l'assurance dépendance confronte directement à la perspective du déclin5.
Les solutions patrimoniales : dépasser le tabou
Face à ces impasses, la monétisation du patrimoine émerge comme une solution potentielle, mais elle peine à s'imposer. Thibault Corvaisier, co-fondateur de Merci Prosper, en a fait l'expérience directe. "Le viager, même mutualisé, reste insuffisant", explique celui qui a dirigé pendant plusieurs années le fonds ViaGeneration chez Turgot Asset Management, le faisant passer de 50 millions à 1,1 milliard d'euros.
"Nous sommes peut-être passés de 5 000 à 7 000 transactions, mais cela ne correspond pas du tout à l'ampleur de la fracture démographique que nous rencontrons." - Thibault Corvaisier (dans l’article ci-dessous).
Les limites des solutions traditionnelles
Le viager traîne une mauvaise réputation, celle d'un "pari sur la mort" selon ses détracteurs. Même modernisé et professionnalisé par des acteurs institutionnels, il ne répond qu'imparfaitement aux besoins.
Les frais élevés des intermédiaires - souvent 10% de la valeur du bien - posent un problème éthique, tandis que les besoins réels des seniors sont souvent plus modestes que ce qu'implique une vente totale.
Le prêt viager hypothécaire présente lui aussi des limites. "Après un certain âge, les seniors n'ont psychologiquement plus envie de s'endetter", observe Thibault Corvaisier. "Ils ne veulent plus vivre à crédit, ni transmettre des dettes à leurs enfants." De plus, les taux élevés, souvent supérieurs à 6 ou 7%, rendent cette solution peu attractive.
Vers des solutions hybrides
L'enjeu est donc de trouver un équilibre entre la valorisation du patrimoine et le respect des aspirations des seniors. "Notre approche est un pari sur la vie, contrairement au viager qui est souvent perçu comme un pari sur la mort", souligne Thibault Corvaisier. Cette nouvelle génération de solutions financières doit répondre à quatre impératifs :
Conserver la propriété de son bien pour préserver le sentiment de sécurité
Obtenir des liquidités sans s'endetter pour garder sa liberté de choix
Préserver la possibilité de transmission pour respecter les liens familiaux
Bénéficier d'une éventuelle hausse du marché immobilier pour ne pas se sentir lésé
Cette approche équilibrée ouvre la voie à un nouveau paradigme : celui d'un patrimoine actif, mis au service du bien vieillir plutôt que d'un capital dormant en attente de transmission.
Conclusion : Vers une autonomie financière assumée
À quel moment avons-nous renoncé à notre autonomie financière ?
Lorsque nous avons commencé à considérer la dépendance comme un droit à compensation plutôt que comme un risque à anticiper ?
Cette dérive, compréhensible dans l'euphorie des Trente Glorieuses, n'est plus tenable aujourd'hui.
La préparation de sa future autonomie ne peut plus être déléguée à la seule puissance publique.
Elle doit s'inscrire dans un parcours de vie réfléchi, à travers des choix structurants :
L'investissement immobilier raisonné, en privilégiant des biens adaptables ou facilement valorisables
La constitution d'une épargne dédiée, distincte des dispositifs de retraite classiques
L'adoption précoce de modes de vie favorables à un vieillissement en santé
Le maintien de liens sociaux et familiaux solides, véritables filets de sécurité non financiers
Cette responsabilisation ne signifie pas l'abandon de la solidarité nationale. Au contraire : en sortant de la logique du "tout aide publique", nous permettons à l'État de concentrer ses ressources sur ceux qui en ont réellement besoin. C'est à cette condition que nous pourrons construire un modèle de financement de la dépendance à la fois plus juste et plus durable.
Le véritable enjeu n'est donc pas tant de trouver de nouvelles sources de financement public que de changer notre regard sur le patrimoine des seniors : non plus comme un héritage sacré à préserver intact, mais comme une ressource dynamique au service de leur autonomie.
À votre avis ?
Ces réflexions sur le financement de la dépendance méritent d'être enrichies par vos expériences. Propriétaires, aidants, professionnels du secteur : quelles solutions avez-vous trouvées ou imaginées ?
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Source : Les Echos, Comment les boomers sont passés de la consommation à l’épargne (2023)
Sources INSEE ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8272285?sommaire=7941491 et là : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6689022
Source France Assureurs ici : https://www.franceassureurs.fr/espace-presse/lassurance-vie-enregistre-un-encours-record-a-fin-2023/
Source ACPR ici : https://acpr.banque-france.fr/enseignements-des-actions-de-controle-menees-sur-lassurance-dependance
Source Argus de l’Assurance ici : https://www.argusdelassurance.com/assurance-de-personnes/prevoyance/dependance-pourquoi-les-assureurs-y-croient-toujours.225757