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Fréquentation des Ehpad en berne : mon analyse
Constat | Analyse des causes | Conséquences | Alternatives | Questions en suspens
Un chiffre partagé sur LinkedIn par Luc Broussy a heurté mon cortex pour ne plus le quitter. L’auteur connaît bien le sujet des Ehpad il s’implique dans cet écosystème où il fait autorité1.
Et donc, il y a trois semaines, Luc participe à une réunion consacrée aux Ehpad à l’ARS Ile-de-France et il partage sur Linkedin son étonnement à propos du taux de remplissage des établissements franciliens.
Ce tableau montre le taux d’occupation des Ehpad par département et typologie d’établissement (public, associatif ou commercial).
Le constat est alarmant.
Un taux moyen d’occupation de 85% sur les établissements de la région IDF
Une moyenne qui masque des écarts élevés selon les typologies et les départements.
Mais un tableau qui laisse sur sa faim.
On aimerait connaître les causes.
Et comme l’ARS n’a pas publié l’analyse dont Luc Broussy nous communique la synthèse, nous devons essayer de trouver les causes ailleurs.
Et la mauvaise nouvelle, c’est que mis à part pour le public, nous en sommes réduits à des supputations.
La situation du public
Pour le public, une enquête de la Fédération Hospitalière de France parue fin 2022 donne quelques explications.
Les principaux enseignements de cette enquête :
Une activité globale dégradée de façon conjoncturelle : Le taux d’occupation des EHPAD en 2022 est inférieur de 2,75 % à celui de 2019.
Une généralisation des situations déficitaires : 85 % des EHPAD prévoient un déficit pour l’année 2022 (contre 45 % en 2019).
Une nette aggravation du niveau de déficit : Le déficit prévisionnel par place dépasse les 3000 €.
Des difficultés de trésorerie à court terme : Plus de 60 % des EHPAD ont rencontré des difficultés de trésorerie en 2022.
Les maisons de retraite ont de moins en moins d'argent pour investir : 90% d'entre elles ont dit qu'elles avaient moins d'argent pour se financer elles-mêmes entre 2019 et 2022.
Les dépenses d'hébergement augmentent plus vite que les recettes : La hausse des prix, en particulier pour certains postes de charges liés à l'hébergement, dépasse l'inflation, ce qui remet en question la viabilité économique des EHPAD.
Le rapport indique que la pandémie de COVID et le scandale Orpéa ont eu des effets importants sur l'occupation et l'activité des EHPAD.
Certains établissements ont mis du temps à récupérer le nombre de résidents qu'ils avaient avant la crise.
Des fermetures partielles de services en raison des foyers de COVID ou d'un manque de personnel ont également eu un impact sur les EHPAD en 2022.
Enfin, la FHF souligne l’impact de la guerre en Ukraine et de l’inflation sur la fréquentation.
Suites et poursuites
Suivant la publication de ce rapport, la sénatrice de Haute Savoie Sylviane Noël interpelle le gouvernement début janvier afin de souligner le problème en général ainsi que la situation spécifique de son département.
Les EHPAD sont confrontés à des difficultés financières et à un manque critique de personnel soignant. En Haute-Savoie, 700 lits sur 5 200 sont fermés en raison de ce manque de personnel, qui atteint parfois 50 % dans certains établissements. Les raisons de ce sous-effectif sont multiples : travail pénible, conditions dégradées, coût de la vie élevé dans la région frontalière avec la Suisse et pression sur les cadres de santé.
En synthèse, la situation de l’Ehpad public est bien documentée et même s’il est possible que des problèmes du public soient transposés à l’associatif et au commercial, rien ne permet d’en être certain.
Faute d’information de la part des établissements, j’ai demandé à ma communauté Linkedin si elle sait pourquoi les seniors boudent l’Ehpad et quelles alternatives ils y ont substitué.
Voici leurs réponses :
Chez eux !
Les seniors sont chez eux.
Auprès de leurs familles, la crise covid et l'inflation sont là... il faut avoir les moyens et la force de placer ses parents en Ehpad. Ce que j'ai observé de ma courte expérience en Ehpad c'est que quand ils arrivent, c'est déjà trop tard. La crise covid a bousculé les représentations, les croyances et les relations. Peut-être que c'est plus profond que ça... une question de sens, de valeurs, de représentation, de lien, d'affect... je ne sais pas et j'ai bien trop peu d'expérience en Ehpad pour en donner les réponses mais cela me questionne aussi du côté psychosocial et culturel.
Le maintien à domicile, les solutions émergentes de colocation, d'habitat partagé, les résidences seniors, les résidences autonomie pour les "dépendances plus légères ", les alternatives sont nombreuses même s'il est vrai que l'EHPAD reste une bonne solution pour certaines personnes. Le Covid est aussi l'une des causes, ayant provoqué le décès de milliers de personnes de plus de 80 ans.
Nous pouvons espérer que les efforts pour favoriser le maintien à domicile dans des conditions dignes et satisfaisantes puissent être une des réponses.
Le problème est bien là : les personnes âgées sont quelque part, et a priori chez elles.
Problème 1 : le bien vieillir est en berne côté ressources humaines.
Problème 2 : si les pouvoirs publics confirment leur volonté d'accompagner mieux les personnes âgées à domicile, que se passera-t-il en termes de rémunération, de ressources humaines et d'engagement ?
Problème 3 : et peut-être que ce qui va m'attirer les foudres, est-ce que les soignants en EHPAD seront capables techniquement et intellectuellement de prendre soin des résidents qui seront encore plus poly pathologiques ?
Je crois en mes soignants, mais le niveau n'est pas hospitalier, même avec toute la bonne volonté et le bon sens mis en action.
C'est peut-être ça, l'EHPAD de demain : tout le monde chez soi avec de gros moyens, et une réduction drastique des EHPAD pour monter en compétences et soigner les patients (et non plus les résidents) les plus compliqués médicalement.
Beaucoup de seniors dépendants retardent l’entrée en EHPAD, à défaut de trouver des alternatives à proximité de chez eux. L’Affaire Orpea a fait des ravages en termes d’image des Maisons de retraite médicalisés, en dépit des efforts effectués par ces derniers. L’habitat inclusif demeurant hélas encore marginal par rapport aux 600.000 places en Maisons de retraite.
Je n’ai pas les chiffres mais pendant le covid on enregistrait une baisse du TO en Ehpad sans augmentation significative des services à domicile ; moralité les seniors s’appuyaient sans doute davantage sur le système D de l’aidant (familial).
Ils sont chez eux (il y a toujours eu plus de seniors y compris dépendants à domicile qu'en EHPAD. Il faut arrêter de parler de virage domiciliaire)...ou à l'hôpital...ou en SSR...ou en résidences services seniors...ou en voyage peut-être ? Voire ils ont carrément quitté la France pour un autre pays ?
Isolés, démunis, éloignés des services, avec la peur au ventre de franchir les portes d'un EHPAD. J'en ai vu, j'en ai accompagné "plutôt mourir que d'aller en EHPAD". Ils acceptent de se mettre en danger à domicile, ils acceptent de ne pas manger, ils acceptent de ne pas fermer leurs volets, ils acceptent de ne plus voir personne... Mais non ils n'acceptent pas qu'on leur retire leur petit nid douillet, l'endroit où ils ont tout vécu, l'endroit qui rappelle les bons et moins bons souvenirs mais qui les fait tenir...
Le fléau n'est pas qu'en France! De l'autre côté du Rhin, les seniors restent à domicile jusqu'au dernier moment (Erreur mais c'est comme cela!)..les Ehpad sont trop chères (même avec une aide financière), leur réputation, avec le manque de personnel, en berne et pour avoir une place (souvent en urgence) c'est difficile!! Les Ehpad sont obligés de fermer des lits car ils ne peuvent plus soigner dans de bonnes conditions ou plus exactement avec les conditions qu'on leur donne!! Pour la prises en charge à domicile des personnes dépendantes...même problème! Pas de place car pas de professionnels! Et ce n'est pas en allant chercher à l'étranger du personnel que la situation va beaucoup changer avec l'avenir qui nous attend!! (Ça c'est un peu mon coup de gueule avant le week-end!) Bref...j'espère qu'ils vont bientôt (ré)arriver dans les Ehpad qui développent leurs bistrots (un petit espoir pour le week-end !)
Simple chez elle. Les familles organisent des prouesses de logistique. Ou les chiffres ne sont pas corrects. Le secteur est effectivement en sous-effectif et de mauvaise réputation dans les familles.
Quand on doit placer un parent en EHPAD comme bien d'autres ce n'est pas un "choix" on ne trouve pas de mots...surtout quand je vois le mot"consentement" sur un site bien connu quelle hypocrisie...La perfection n'est pas de ce monde mais il faudrait peut-être un jour se "réveiller" et il n'y a pas que la branche "autonomie" c'est un TOUT... Un jour peut-être.
Dépendance ne signifie pas forcément maladie. Les Ehpad ne sont pas si vide que ça, et s’ils l’étaient se serait à cause d’un coût, et du bouleversement de la manière de vivre. Le chez soi, tout sanitaire et en mode usine, ne marche pas , sur des populations encore au passé agricole en majorité , en tout cas dans notre région.
Covid, syndrome ORPÉA, inflation, on prolonge l’aide familiale tant que possible tant la pression économique est devenue si prégnante. Je serai curieux de connaître la situation hospitalière ! ?
Les temps sont durs, très dur. Les Français souffrent et les politiques publiques sont devenus illisibles derrière les discours convenus. Triste constat de la paupérisation.
Ils restent à domicile !
C'est une nouvelle façon d'imaginer la vieillesse avec des difficultés de santé. D'où l'importance de développer les services à domicile désormais !
On n’échappera pas à la municipalisation des EHPA pour un coût raisonnable et en fonction des revenus des résidents - la gestion privée et donc avec une rentabilité à 2 chiffres a prouvé sa limite.
Remerciements
J’ai tenu à conserver l’intégralité des commentaires publiés car ils reflètent l’opinion d’un public averti et professionnel sur ce sujet. C’est aussi ma façon de remercier les contributeurs qui ont pris la peine de partager des réflexions abouties et de faire avancer le débat sous mon post Linkedin.
Je publie un post chaque matin à 9h00 et je n’ai pas autant de réactions à chaque fois. C’est un peu la loterie, selon la fréquentation, l’intérêt que ma publication suscite auprès de mes abonnés et aussi les caprices de l’algorithme Linkedin sur lequel je n’ai pas de prise. Mais quoi qu’il en soit, je suis toujours heureux que mes posts suscitent des réactions sur lesquels je peux à mon tour discuter avec vous.
Retrouvez-moi sur Linkedin tous les matins à 9h00 pour faire avancer le schmilblick ensemble !
Si je fais la synthèse de ces avis, que retenir ?
Ce qui est dit :
Les seniors qui ne sont pas à l’Ehpad sont restés chez eux : les habitats alternatifs tels que : résidence autonomie, résidence services, habitat inclusif, famille d’accueil ou béguinage ne sont identifiés par aucun commentaire comme le lieu de vie des seniors qui ne sont pas allés à l’Ehpad.
Les seniors qui sont restés chez eux bénéficient du soutien et de l’aide de leurs familles (mais quid de ceux qui n’ont pas de famille) et s’organisent grâce aux SAD (même si ce point n’est pas systématiquement évoqué).
L’affaire Orpéa a fait du tort aux Ehpad, mais si son impact sur le climat social est avéré, nous n’avons pas d’indices quant à son impact sur la fréquentation. Oui, ce livre a fait du bruit, mais qui l’a vraiment lu (posez la question autour de vous) ?
Plusieurs témoignages affirment que les seniors restent chez eux par rejet de l’Ehpad, même quand ce choix les met en danger - car leur logement n’est pas adapté, qu’ils n’ont pas assez d’assistance humaine ou simplement que le territoire où ils sont installés n’offre pas les aménités indispensables à leur confort, leur sécurité, leur bbien-être
La question du prix est aussi évoquée, mais sans qu’une analyse comparative claire soit faite : est-ce que ça coûte vraiment plus cher de vivre à l’Ehpad ? À quel moment est-ce que l’un devient plus économique que l’autre ?
Enfin, le manque de personnel - également pointé par la FHF - semble être l’une des causes majeures de la fréquentation en berne, soit que les Ehpad ferment des lits, soit que l’attractivité de l’établissement souffrant de sous-effectif ou de turnover en prend un sacré coup dans l’aile.
Et pour conclure la réflexion
Cet échange a éveillé ma curiosité, mais je reste toujours sur ma faim.
Car si les commentateurs ont listé la plupart des problèmes, ils ne proposent pas de solutions. (PPeut-être parce que ce n’est pas ce que je leur ai demandé…)
Nous avons listé un faisceau d’hypothèses, mais nous n’avons ni certitudes sur ces dernières, ni solutions pour y remédier.
Or, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, nous sommes d’accord pour reconnaître que l’Ehpad ne va pas disparaître du paysage médico-social.
Il devra en revanche se transformer, comme il l’a déjà fait plusieurs fois au cours de sa longue histoire (qui remonte au Moyen-Age) pour s’adapter à la société dont il résout les maux.
Et chez Sweet Home, nous avons très envie d’être partie prenante de cette mutation.
Nous étudions d’ores et déjà la manière dont nous pourrions aider les professionnels à opérer ce virage.
Et je vais vous partager nos réflexions, observations et idées dans ma newsletter durant les prochains mois.
Les pistes de réflexion
J’ai identifié plusieurs axes d’analyse. Ils forment la colonne vertébrale de notre réflexion. Je vous en fais la liste :
Le virage domiciliaire : On nous rebat les oreilles avec les 90% de citoyens qui veulent vieillir chez eux. Qu’est-ce que cela implique. Ne pas vieillir en Ehpad, est-ce possible et à quelles conditions ?
Carence du personnel dans le médico-social : que faire pour y remédier. C’est un serpent de mer, des choses sont faites, pourquoi sont-elles insuffisantes ? Qu’est-ce qui est humainement possible en 2023 pour résoudre ce problème majeur qui pénalise aussi le domicile et l’hôpital… Dans le monde entier.
Impact de l’opinion publique sur la fréquentation en Ehpad : Qui est cette opinion publique ? Qui en sont les représentants ? Quel rôle joue-t-elle, comment éviter les crises, comment s’en faire une alliée ?
La question du coût de l’Ehpad : est-ce vraiment plus cher que le domicile ? Ces prix sont-ils incompressibles ? Comment trouver des modèles organisationnels qui diminuent le reste à charge ?
Les alternatives à l’Ehpad : existe-t-il vraiment des alternatives à l’Ehpad ? Sont-elles en nombre suffisant ? Quels services apportent-elles ? Pour qui ?
J’ai commencé à cartographier mes réflexions et derrière chaque axe, j’ai un lot de questions et de réflexions complémentaires. J’ai vraiment de quoi vous offrir une analyse complète de la situation, des manques, des idées neuves et de tout ce qui pourra contribuer à faire avancer le sujet ensemble.
Je vous donne donc rendez-vous pour un 2è semestre intensif placé sous le signe de l’Ehpad, de sa rénovation et de ses alternatives.
Ça commence maintenant :
On embarque dès mercredi 12 juillet à 8 heures tapantes avec un dossier consacré aux alternatives. Vous y trouverez notamment :
L’interview de Frank Nataf, président de la Fedesap et du réseau Auxi’life qui nous expliquera qui peut vivre chez soi, dans quelles conditions et à quel prix.
L’interview de Tristan Robet, fondateur de Béguinage Solidaire qui nous présentera son dernier projet et nous expliquera comment son équipe créée des béguinages en France.
Une matrice pour placer les différents projets d’alternatives à l’Ehpad et mesurer leur niveau d’alternativité.
Une étude de cas
D’ici là, je vous souhaite un excellent dimanche.
Poursuivons la réflexion ensemble
Que pensez-vous de ma liste des choses à étudier ? Vous semble-t-elle incomplète ? Que souhaiteriez-vous que j’étudie pour vous aider ? Rendez-vous en commentaire pour en discuter ensemble.
Luc Broussy est le président de la filière Silver économie depuis 2012.
Il est aussi éditeur de presse. À ce titre, il publie depuis 20 ans un média spécialisé : Le Mensuel des Maisons de Retraite et organise une fois par an un événement dédié à la profession : Les Assises des Ehpad.
Enfin, Luc est le président du Think Tank Matières Grises, un groupe de réflexion qui rassemble des dirigeants des secteurs de l’Ehpad et de l’immobilier senior. Ce groupe s’illustre en publiant des rapports d’analyse et des réflexions sur l’adaptation de la société au vieillissement.
Un thème cher à Luc puisqu’il est l’auteur de 2 rapports publics sur le sujet. L’un en 2013 qui préfigure la loi ASV de 2015 et l’autre en 2021 dont l’une des mesures, la Prime Adapt, entrera en vigueur en janvier 2024.